Les Huit salopards : Une non-interprétation (4700 mots)
Lorsqu’on lit mes interprétations construites, elles peuvent facilement paraître extrêmement tirées par les cheveux, arbitraires et comme émanant entièrement de ma personne déséquilibrée. C’est problématique.
Certes, ces interprétations sont influencées par mon esprit mais pas autant qu’on pourrait le croire. Si je regarde les nuages avec un ami et que je lui dis « Hey regarde ! On dirait un chien ! » Certes, c’est moi qui y vois un chien mais mon ami, après quelques indications ridicules, pourra également discerner l’animal. Et surtout, le nuage est bien là, et sa forme est (dans cet exemple) bien celle d’un chien. Mon camarade cependant, en regardant ce même nuage, avait au départ vu autre chose. J'y ai vu un toutou également parce que j'étais prêt à en voir un.
L’analyse de films est plus complexe parce que le nuage est dans ce cas le résultat du travail d’êtres humains. Il prend donc des formes précises volontairement ainsi qu’involontairement et il est difficile de voir où se situe la limite entre ce qui était voulu et ce qui ne l’était pas. Mais il ne faut pas faire l’erreur de croire que ce qui n’était pas consciemment désiré par le créateur ne peut pas porter du sens. Par exemple, imaginons le scénariste Arthur Schoglar écrivant son nouveau film d’action dont le héros s’appellera John Kill est aura une masse musculaire d’ours et un pistolet dont le large canon fera 40 centimètres de long. La seule formulation de ma phrase nous fait immédiatement penser à la taille du sexe de John. Pourtant, il n’est pas dit qu’Arthur Schoglar pensait à cela en écrivant son film. Il voulait juste un héros ultra-viril est imposant. De la même manière que les fans de Transformers veulent des robots géants et des explosions. Alors que le besoin de virilité sur lequel le film est construit est évident. Dans Boulevard de la mort, que disent les filles quand Mike le cascadeur démarre sur les chapeaux de roues ? « Petite bite ». Tous ces liens n’ont strictement pas besoin d’être consciemment pesés pour terminer dans un film, on n'écrit jamais un personnage au hasard, que l’on s’en rende compte ou non. Et c’est justement la quête d’un certain degré de cohérence de leur part qui fait que l’analyse d’un film peut dépasser les éléments dont son scénariste et son réalisateur sont conscients.
C’est là que se situent mes interprétations. Elles se veulent sérieuses et rigoureuses mais pas nécessairement conscientes du côté des créateurs. Elles peuvent donc paraître intensément subjectives dans leur manière d’interpréter tout ce qui passe, mais elles sont rigoureuses dans leur manière de juger de la cohérence des éléments interprétés.
Tarantino est justement un réalisateur que je ne parviens pas à cerner et dont je pense qu’il pourrait parfaitement hurler « Nooooon, absolument pas ! je voulais dire exactement l’inverse » s’il entendait mes interprétations de ses films. Mais ça ne me gênerait pas car je pense que Tarantino lui-même souffre d’une paire de contradictions qui peuvent ressortir dans ses œuvres. Les gens talentueux sont autant des humains que les autres.
Si j’écris cet article, c’est donc pour exposer quelques pistes de réflexions sur son dernier film The Hateful Eight plutôt que de balancer comme d'habitude une interprétation complexe, interminable et difficile à avaler.
1.Les Contradictions de John Ruth.
Tout d’abord, parlons de la moustache de John Ruth que je n’avais pas remarquée avant que Le Fossoyeur ne fasse une blague à son sujet:
« Qu’essaye-t-il de compenser avec cette moustache ? »
Évidemment, on pense à un pénis à la longueur restreinte. Ça, c’est pour la lecture littérale (edit: non c'est déjà plus littéral), mais métaphoriquement, le manque de virilité peut être lu de beaucoup de manières. J’ai plusieurs idées à ce sujet mais je suis encore à des années lumières de pouvoir trancher:
John Ruth est un chasseur de primes surnommé « Le bourreau » car il ramène toujours ses criminels captifs pour les faire pendre, alors que la plupart de ses collègues abattent directement les personnes qu’ils attrapent. Bien, ne serait-ce pas simplement parce qu’il répugne à tuer ? Oui, il est ultra-violent et passe son temps à menacer. Sauf que si on le compare à Warren (Samuel Lee Jackson) c’est un ange, et sa propension à menacer et à frapper est peut-être une manière de pallier à une « faiblesse » qu’il sait avoir. (Qu'arriverait-il à un chasseur de prime dont on dirait que s'il ramène ses hors-la-loi pour les faire pendre ce n'est pas par sadisme mais parce qu'il déteste lui-même tuer ? Est-ce que son métier ne deviendrait pas encore plus difficile ?)
Quel intérêt y a-t-il à faire un tel lien ? Entre une taille de moustache et la personnalité d’un personnage ? Tous les éléments d’un film permettent d’apprendre pourquoi les événements se passent tels qu’ils le font et surtout, suggèrent une perception alternative de ceux-ci, un « et si ? », un univers dans lequel les choses se seraient passées différemment. Et l’ensemble nous apprend humblement la vie. Même en 2016, les humains se racontent des histoires pour s’expliquer comment le monde tourne. C'est pourquoi les éléments d'une histoire doivent porter un sens. (Plutôt que de s'acharner à être bêtement réalistes).
Mais donc revenons à nos moutons. Explorons la possibilité que John Ruth soit un tendre qui se cache. Il ne tue pas ses prisonniers malgré les risques que cela lui fait prendre. Tout-de-même, il garde Daisy Domergue vivante même une fois qu’il sait qu’elle a plusieurs complices dans l’auberge et que Minnie Mink et Sweat Dave ont étrangement disparus. Pourquoi Major Warren ne lui dit-il pas que la situation est très clairement extrêmement hostile et qu’elle pourrait être facilement résolue en menaçant de tuer Daisy ? Oui, John Ruth est connu pour toujours choisir le « alive » de « Dead or Alive » mais ne se trouve-t-il pas dans une situation où il serait temps de reconsidérer le « Dead » ?
Ainsi, le fait de ne pas menacer Daisy (de mort) est peut-être un aveu indirect de faiblesse de la part de John Ruth. Faiblesse, sensibilité qu’il cache derrière sa grosse moustache et que l’on voit également dans son appréciation de la lettre de Lincoln (la larme à l’œil), dans son compliment à la chanson de Daisy et dans ce petit geste qu’il a lorsqu’il la détache pour qu’ils puissent manger tous les deux en paix. Sans parler du fait qu’il la garde toujours attachée à lui, on pourrait pratiquement croire qu’il rêve secrètement qu’elle jette son dévolu sur lui. Une idée que la description qu'en fait le cocher au début du film ne contredit pas. John a payé extrêmement cher pour être seul avec Daisy, "for privacy," ce qui sonne immédiatement comme un désir d'intimité pour pouvoir faire l'amour.
Aussi, "ruthless" signifie "sans pitié, sans compassion" et même si le mot "ruth" n'est plus utilisé, il signifiait justement la qualité d'un individu qui ressent de la compassion ou de la pitié pour les autres.
Ce ne sont ici que des hypothèses et des réflexions qui ne mèneront peut-être nulle-part mais les incohérences, qu’il est très à la mode de critiquer avec hauteur, sont souvent porteuses de sens. Or, le fait que John Ruth ne semble considérer à aucun moment de tuer Daisy est très étrange ; sans parler de sa résignation lorsqu’il comprend qu’elle va l’abattre, il accepte la mort noblement et surtout sans colère, sans haine, sans surprise.
A cette incohérence, s’en ajoute une autre. Énorme celle-ci. Daisy ne le prévient pas lorsqu’il boit le café empoisonné alors qu’il est le seul à la vouloir vivante. Évidemment, si elle l’avait prévenu, des questions auraient été posées et la situation aurait certainement eu peu de chance de tourner à son avantage. Mais simplement, lorsqu’elle le voit boire, elle sourit, elle s’extasie de voir qu’il va mourir. Sa réaction aurait pu être plus distanciée, inquiète, genre « merde, pas lui, c’est Warren que je veux voir boire le café. » Warren et Ruth ont eu une conversation au sujet d'abattre leurs cibles devant Daisy dans la diligence et dans le relais (avec Oswaldo), elle sait qu’à la minute ou John Ruth meurt, ses chances de survie plongent également.
Donc, la joie qu’elle exprime devant le spectacle de l'agonie du chasseur de prime est simplement bête. Sans parler du fait qu’elle l’abat. Elle signe elle-même son arrêt de mort. Dix minutes plus tard, Warren menace de la forcer à boire le café empoisonné pour découvrir qui sont ses complices. La haine que Daisy éprouve pour Ruth la mène à sa perte.
On peut se demander comment les choses auraient tournées si Daisy avait su apprécier les « qualités » de John Ruth, mais elle ne voit que la grosse moustache : un lâche qui abuse de sa situation de pouvoir pour la malmener et qu’elle veut remettre à sa place.
Ajout: Le blizzard (comme dans Ghosts of Mars) est la métaphore d'un développement inattendu. C'est le blizzard qui amène Warren et Mannix qui sont donc des éléments inattendus. Je dirais que John Ruth se trouve, de manière totalement imprévue, attiré par Daisy Domergue et que ce Blizzard lui amène Warren, son attirance et Mannix, sa méfiance vis-à-vis de cette attirance. Idée à creuser.
Ajout: Aussi, pourquoi Daisy est-elle si bavarde et Ruth si violent ? Après un coup de crosse et un coup de coude, elle garde le silence absolu, elle a appris la leçon. Pourquoi la leçon est-elle donnée dans la dernière ligne-droite pour Red Rock alors qu'ils voyagent ensemble depuis un bon moment déjà ? Je pense que John Ruth change d'attitude à l'arrivée de Warren => Lorsqu'il réalise que Daisy commence à l'attirer, d'où l'attitude séductrice de la jeune femme vis-à-vis de Warren. Elle serait métaphorique.
2.Le Meurtre du général Sandy Smithers et le comportement douteux du Major Warren
N’est-il pas terriblement débile de la part de Django… euh de Warren de trouver le moyen d’assassiner le général confédéré au milieu d’une situation déjà particulièrement hostile ? Surtout que son initiative est payante, en attirant l’attention de la sorte -normal quand on commet un meurtre, mais pas seulement, son histoire d’homme blanc qui lui fait une fellation nu dans la neige avait peu de chance de laisser quelqu’un indifférent- en attirant l’attention de la sorte, il crée et offre une magnifique opportunité à l’un des criminels de mettre du poison dans le café. Alors ma question est : l’a-t-il fait exprès ? Je me suis demandé à la fin de ma première vision du film si Warren ne serait pas intéressé par l’idée de ramener lui-même Daisy Domergue à Red Rock. Le boulot est pratiquement fini, il peut se faire 10000 dollars sans avoir à se la trimballer 107 ans.
Car son personnage est sacrément douteux quand même. Déjà, il abat le vieux général dans cette situation très compliquée mais en plus, il ne tient pas Ruth au courant de ses propres informations. Pas d’échange sur le mexicain ou sur tout ce qu’il sait du relais de Minnie Mink. Et pourquoi ne vérifier le sang sur le fauteuil de Sweat Dave qu’après la mort de John Ruth ?
Pourtant, je n’arrive pas à croire que Warren soit motivé par l’argent, surtout qu’il a déjà 8000 dollars qui l’attendent, mais en plus il semble honnêtement apprécier John Ruth, en tout cas placer la valeur de son existence plus haut que 10000 dollars dont il n’a pas réellement besoin. (à moins que leur dispute au sujet de la lettre ne le fasse réellement mépriser Ruth).
Les désirs et motivations du Major Marquis Warren restent une énigme pour moi. Je me suis demandé si toute l’histoire du meurtre du fils du général sudiste n’était pas un simple mensonge (ou celle de la fellation), mais il n’entend pas Sandy Smithers raconter sa vie à Chris Mannix (il est dans la grange avec Bob à ce moment-là) et ne peut donc pas deviner que le vieillard a perdu son fils. Ce qui m’ennuie un peu car cette histoire ressemble fortement à un mensonge et que les personnages du film manient le mensonge comme une épée. (Et Chris Mannix l'accuse justement de mentir)
Il y a un autre problème dans le meurtre du général. C’est l’excès de coïncidences. Ok Tarantino a souvent tendance à utiliser les coïncidences pour créer des situations tendues. Exemple dans Pulp Fiction quand Butch Coolidge (Bruce Willis) tente de s’enfuir de la ville et tombe précisément sur l’homme qui veut sa peau Marsellus Wallace (Ving Rhames), sur un passage piéton devant lui. C’est une coïncidence parfaitement crédible et assez jubilatoire. Mais le fait qu’ils se fassent, juste après, tous les deux capturer par un pervers psychopathe représente une seconde coïncidence totalement incroyable qui demande une certaine « suspension d’incrédulité. » Tout cet épisode ne pose cependant par réellement problème car il permet à la situation une évolution étrange. Butch Coolidge qui vient d’essayer de tuer Marsellus Wallace lui sauve la vie et notre perception morale de l’histoire est chamboulée. Cool.
Dans The Hateful Eight, les coïncidences s’amoncèlent comme autant de facilités d’écritures ou de mensonges. La diligence ramasse le nouveau Shériff de Red Rock, comme par hasard. Oswaldo est le bourreau, ce qui réuni dans la même auberge, le chasseur de prime, le shériff et le bourreau. Et ben, sacrée coïncidence. (Et là pour le coup on sait qu'elle est obtenue par un mensonge, même si je n'ai pas compris d'où Oswaldo sortait ses papiers officiels). Warren et Smithers ont combattu sur le même champ de bataille. Warren se trouve être l’assassin du fils de Smithers. Sérieux !?! Warren et Ruth se connaissent et Warren lui a déjà montré la lettre de Lincoln. J‘veux dire, le monde est vraiment petit ! Warren connait parfaitement le goût du ragoût de Minnie Mink. Mais bien sûr. Minnie Mink avait un écriteau : « Chiens et mexicains interdits » dont elle a enlevé « Chiens ». On y croit. Mais Warren met plus de la moitié du film avant d’accuser le mexicain d’être un menteur. Il sait immédiatement que le mexicain ment, et non seulement il le sait immédiatement, mais il ne le sait pas davantage après la mort de John Ruth. Pourquoi ne tuer le mexicain qu’à ce moment-là ? Pourquoi ne pas avoir fait part de ses lourds soupçons à son collègue chasseur de prime ?
Pour en revenir au ragoût, Warren ment plus certainement encore. Il demande qui a fait le café, le mexicain tend le doigt vers le corps de John. Il enchaine « peu importe parce que c’est le ragoût qui m’a fait réfléchir. » Il s’apprêtait à dire qu’il reconnaîtrait le café de Minnie Mink entre mille mais puisque ce n’est pas elle qui l’a fait, bluffons sur le ragoût (même si un plan suggère qu'il comprend quelque chose en mangeant le ragoût, raaaaa ! Quel casse-tête... ou alors il pense au fait que le meilleur moyen de se débarrasser d'eux serait de les empoisonner). Et Tarantino nous donne même un indice pour corroborer cette idée puisque dans la scène qui se passe le matin, le café de Minnie Mink se voit qualifié de « meilleur café du monde. » Warren sait que le café du relais est très bon et s’apprêtait à baser son argument là-dessus. Mais ces faux arguments ne servent pas à prouver que le mexicain est un traitre, ces faux arguments servent à justifier qu’il ne le tue qu'à ce moment là aux yeux de Chris Mannix.
J’ai aussi un problème avec l’affiche. Les affiches de films sont très souvent révélatrices du sous-texte. Ici on a les affiches qui mettent à égalité les huit personnages. L’affiche de la diligence ensanglantée que je trouve superbe. Il y a aussi le couple John Ruth/Daisy Domergue, qui me fait me dire qu’une histoire d’amour était possible entre les deux, mais je ne parviens pas à la déterrer tout-à-fait. Mais surtout, on a celle qui montre Major Maquis Warren de dos, ses deux révolvers levés vers le ciel, prêt à faire feu.
Devant lui, Chris Mannix, John Ruth et Daisy Domergue lui tournent le dos, ils avancent dans la neige et à l’horizon les attendent les trois bandits et le général confédéré. Au passage, pas de Jordan Domergue dans la liste ?
Mais donc, sur cette pochette, Maquis Warren est positionné en personnage central menaçant alors que John, Daisy et Chris deviennent des personnages secondaires de sa propre intrigue. Ils marchent vers un danger : les criminels, mais ne surveillent pas celui qui les menace de derrière : Major Warren. Sur cette affiche, Warren pourrait aussi bien être le chef des criminels qui s'apprête à abattre les personnages principaux d'une balle dans le dos. Même si évidemment Warren n'est pas un membre secret du gang de Jordan Domergue.
Mais pourquoi les petits sourires de Daisy au début du film dans la diligence. Et pourquoi ne le balance-t-elle pas au sujet de la lettre de Lincoln ? Parce que la manière dont elle la regarde suggère fortement qu'elle se rend compte du bluff. Elle aurait donc la possibilité de le faire virer de la diligence et ne le ferait pas. Et Warren se retrouverait avec une grosse dette envers elle. Lui offrirait-il John Ruth pour cette raison ? Alors que Ruth se moque éperdument de la lettre lorsqu'il le laisse monter dans la diligence.
Une version altérée de cette affiche montre Warren de face, ses deux révolvers à la main, le jaune de son vêtement clairement visible. Jaune => Traitre.
edit: et pourquoi aucun des deux chasseurs de prime n'est-il fichu de reconnaître un des criminels ?
Ajout: Warren ne reconnait pas les criminels mais à la fin du film, on voit qu'il les connait quand Daisy donne leur nom ! Il est fort probable qu'il mente au début quand il dit ne pas la connaître.
Ajout: Warren n'a en réalité jamais l'occasion de tenter quelque chose contre John Ruth et pourrait donc fortement être un traitre qui ne trouve pas son moment opportun. Sans raison, il demande au chasseur de prime, plutôt qu'au cocher, de l'aider à installer les cadavres sur le toit de la diligence. C'était probablement une tentative. Après cela, il se retrouve les mains enchaînées quand Chris Mannix arrive (même si John le détache presqu'immédiatement, l'arrivée de Mannix met fin à toute possibilité d'action).
Ajout: Mannix parvient à faire devenir synonymes "être abandonné dans la neige" et "laisser monter dans la diligence uniquement s'il porte des menottes." Le soit disant Shériff parvient à faire oublier à John Ruth que celui-ci l'a accepté dans la diligence en lui disant "Les gens de Red Rock te pendront s'ils apprennent que tu m'as abandonné dans le blizzard" alors que Ruth a accepté qu'il monte menotté. C'est lui qui met en balance mourir dans le blizzard et monter dans la diligence menotté, pas Ruth. Pourquoi Mannix est-il tellement contre l'idée de monter menotter ? Il devrait s'estimer heureux d'échapper au blizzard, surtout qu'on voit ensuite qu'il est capable de ravaler sa fierté quand il s'agit de sauver sa peau.
Ajout: Warren sait que le café est empoisonné lorsqu'O.B. et John le boivent. Lorsque John est assis au côté de Daisy et qu'il comprend à l'ambiance que quelque chose se trame, Warren est en retrait et boit un Bourbon comme le souligne la voix off. Voix off qui souligne également que le café est empoisonné pendant que Warren "captive son public avec ses histoires de bite noire et de bouche blanche." Le bourbon signifie plusieurs choses. Warren est en train de faire passer le crime qu'il est en train de commettre en buvant mais aussi, il donne envie aux autres de boire et se fait donc le complice réel des criminels qui veulent délivrer Daisy. Après le meurtre du vieux sudiste, il jette un regard entendu et menaçant à Bob. Pourquoi ? Parce qu'il vient de jouer "douce nuit" pendant que Warren racontait l'histoire la plus sinistre qu'un père ait jamais entendu sur son fils avant de se faire assassiner froidement. Cela signifie que Bob ne sait pas jouer de piano, et que s'il joue ce morceau ultra facile et totalement décalé par rapport à ce qu'il est en train de se passer, c'est parce qu'il sait que quelqu'un est en train d'empoisonner le café et qu'il veut absolument un alibi pour se disculper face à Warren qui le soupçonne déjà.
Au-delà de ce verre que Warren boit en retrait, il y a le simple fait qu'aucun plan soulignant sa surprise n'est présent dans le film. John Ruth vomit un verre de sang et les seules personnes surprises sont Chris Mannix et O.B. qui va y passer dans une seconde. Et qu'à peine les deux hommes morts, Warren prend le contrôle de la situation sans perdre son sang-froid le moins du monde. Cet élément fait surgir un autre mensonge, lorsqu'il les accuse d'avoir tué l'innocent O.B. alors qu'il aurait pu le sauver, il est autant coupable qu'eux. Et Bordel, pourquoi il change autant de balles à son flingue alors qu'il n'a officiellement tiré que deux fois avec ? Surtout que le compte de balles prend de l'importance à la fin du film où il se retrouve à sec au moment de tuer Daisy. (ajout: J'ai recompté, il semblerait qu'il change le bon nombre de balles).
3.De l’affection et de l’amour.
S’il est une chose qui me semble nécessairement très présente dans le sous-texte de The Hateful Eight mais très peu visible en surface, c’est bien des sentiments. Tous ces personnages froids, violents et haineux, ont nécessairement des motivations affectives voire amoureuses et s’il en est question de temps à autres, il est bien difficile de déterminer la place qu’elles prennent dans le déroulement des événements.
Premièrement, Jordan Domergue aime sa sœur. Inceste ou pas. L’histoire arrive parce que celle-ci est condamnée à la pendaison et que son frère prend une initiative pour la sauver. Ils sont heureux de se revoir à la fin du film et Daisy est clairement triste de le voir se faire descendre.
Le simple fait que ces quatre mecs puissent prendre une telle initiative n’est-il pas une preuve d’amour ? Bien sûr, il y a l’aspect « confiance absolue du fait qu’ils sont les méchants. » C’est-à-dire qu’ils se savent sans scrupule et sans pitié et que moins d’obstacles se dressent devant eux du fait de cette absence de scrupule. Mais Tarantino prend tout de même la peine de souligner que rien n’est gagné d’avance autant de leur point de vue que de celui de John Ruth.
=> Les trois bandits se serrent dans les bras pour se souhaiter bonne chance avant de commencer leur mise en scène. Le chasseur de prime explique qu’il est très difficile quand on est dans leur position de décider du moment auquel passer à l’action et que l’usure psychologique provoquée par la peur d’être découvert et la tension finit par pousser à l’acte et à faire une connerie. D’ailleurs, l’empoisonnement du café ne lui donne-t-il pas raison ? N’est-ce pas l’erreur dont il parle ? Certes, il y perd la vie mais les choses auraient-elles pu se passer moins bien qu’elles le font pour les criminels ?
Le film souligne donc bien que cette entreprise ne coule pas de source, surtout lorsque l’on voit le massacre introductif. Qu’est-ce qui peut bien rendre ces quatre hommes insensibles aux charmes des filles de l’auberge ? Car cette scène est une scène de séduction. Comment parviennent-ils à appuyer sur la détente et à abattre toutes ces femmes magnifiques qui semblent parfaitement ouvertes, tout ça pour sauver une mocheté vulgaire et agressive ? Sont-ils amoureux de Daisy Domergue ? Elle-même soulève la question, mais Warren également.
Si le gang de Jordan est plus grand que ces cinq personnes, les trois complices volontaires ont très probablement une motivation affective.
Joe Gage est clairement amoureux de Daisy Domergue. Deux fois il met sa vie directement en danger pour la sauver. Il avoue avoir empoisonné le café, et pour le coup cela me semble possible car il a le profil de celui qui prend une initiative par impatience, mais il réagit si vite, que son aveu ressemble fort à un sacrifice.
Oswaldo Mobray (Tim Roth) pourrait également aimer Daisy (Voir l'accueil qu'il lui offre quand elle entre dans le relais) et qu’une forme de rivalité masculine se mette en place entre lui et Joe. Chacun veut en faire le plus pour la sauver. Cela peut paraître stupide mais on y penserait immédiatement si Daisy était belle. Elle n’a plus de dent, les cheveux hirsutes, elle a un coquard énorme et des boutons. Est-ce que ça ne serait pas le traitement de John Ruth qui l’a rendue si hideuse ? Jennifer Jason Leigh n’est pas un top model, mais est suffisamment belle pour qu’on puisse imaginer qu’avant sa capture elle avait du charme.
Ou alors, Daisy a réellement toujours été laide et sa popularité devient une « énigme » amusante du film. C’est une des choses qui m’avaient plu dès le départ, le fait que toute l’histoire tourne autour d’une femme si laide et caractérielle. Ça fait tellement du bien de voir une gonzesse qui ne passe pas son temps à chercher à plaire ou à correspondre aux attentes… mmm… ce qui l’oppose totalement aux filles du relais justement.
Toujours est-il que le concours de hurlements, « clouez la porte ! », lorsque John et Daisy entrent dans l’auberge, ressemble beaucoup à une rivalité. Entre Oswaldo et Joe, c’est à celui qui se montrera le plus las et le plus impatient de voir la porte refermée. Et il est assez flagrant qu’Oswaldo reprend chacune des répliques de Joe comme s’il était jaloux de l’idée de son concurrent. Aussi, lorsque Gage se fait confisquer son revolver par John Ruth, il fait immédiatement remarquer qu'Oswaldo en transporte également un. Pourquoi pointer ainsi son complice du doigt ? Il aurait pu dire "il n'y a pas que moi qui a un flingue." De même que la manière dont ils construisent leur fausse identité peut être perçue comme une forme de flirt. Oswaldo joue la carte de l’extrême crédibilité (il présente sa carte à John Ruth sous le regard ahuri de Daisy) alors que Joe Gage fait appel aux sentiments : « Je vais voir maman pour Noel. »
Imaginez-vous à la place de Daisy, la gratitude qu’elle peut ressentir en voyant tous ces moyens déployés pour la sortir de cette situation. Mmm… mais justement, elle ne prend pas les choses comme ça, elle pense que tous ces mecs ne font pas ça pour elle mais par simple fidélité au gang de son frère. Ok. Une interprétation pointe le bout de son nez.
Je vais donc m’arrêter-là.
Mais donc voilà, j’obtiens mes lectures alternatives à coup d’hypothèses, de vérifications d’hypothèses, d’indices et de pistes suivies. Je ne sors pas une idée de nulle-part pour l’appliquer aveuglément sur le film, ce que semblent parfois penser mes interlocuteurs.
Et aussi, il y a le fait qu’on ne connait aucun des crimes de Daisy. John Ruth y fait allusion mais on ne sait jamais ce qu’elle a fait. Serait-il possible qu’elle soit uniquement coupable d’être la sœur de Jordan Domergue et d’appartenir à son gang ?
Ah oui, et cet imbécile d’Oswaldo qui se fait passer pour le bourreau. Est-il réellement obligé de parler constamment à Daisy de sa pendaison ? Est-ce que ça n’est pas un peu cruel de sa part de jouer à lui rappeler ce qui l’attend s’ils ne parviennent pas à la sortir de là ?
Et pourquoi Joe Gage passe-t-il d’un foulard rouge (passion) à un foulard jaune (trahison ? amertume) quand John Ruth lui fait abandonner son arme et que Warren le coupe à la gorge ? Pourquoi ce changement de couleur.
ajout:
Warren se fait exploser l'arme de son crime raciste (fellation => émasculation)
Daisy est éclaboussée par le sang de celui qu'elle aime (son frère) de la même manière qu'elle est éclaboussée par le sang de celui qu'elle séduit avant de le regarder mourir (John Ruth).