2012 : Un Secret pas si secret que ça ! (3700 mots)
Il y a un peu plus d’une semaine, j’ai publié un article appelé « 2012 : Génocide quand tu nous tiens ! » que je me suis empressé de supprimer quelques jours plus tard.
Enthousiasmé par la vision de ce film qui m’a interpelé j’ai voulu écrire quelque chose dessus trop vite et trop tôt pour rapidement m’apercevoir que hum… que j’avais tout faux.
Ce qui m’a induit en erreur, c’est l’aspect double de ses éléments négatifs. En effet, à première vue je distinguais deux camps : les personnes au courant de la menace et les autres. Ces deux catégories se déclinaient en plus petits groupes : les personnes au pouvoir, les personnes riches, les personnes talentueuses, tout ceux qui étaient reconnus utiles et exceptionnels par la société en gros et de l’autre les fous, les travailleurs, les chômeurs, les vieux, les homos, les Indiens avec un accent pourri qui disent « mon ami » constamment aux gens qu’ils ne considèrent pas comme leur ami.
Je pensais que l’hypocrisie du personnage d’Adrian Helmsley le mettait dans le camp des pas gentils qui fabriquent les arches en cachette bien que Carl Anhauser passe son temps à l’insulter. Cette hypocrisie m’a amené à imaginer une manipulation plus grande que la simple dissimulation de la catastrophe à venir.
En gros, la débandade finale m’apparaissait un peu comme un génocide perpétré dans le but de « laver » l’humanité de ses individus jugés les moins aptes ou comme une forme de coup d’état fait par une minorité d’individus qui auraient voulus devenir « les maîtres du monde. » Je me suis même demandé si c’était bien Adrian et Satnam qui donnaient réellement l’alerte et entrainaient la prise de mesures pour sauver l’humanité. Après tout, la théorie date des Mayas et Charlie Frost cite plusieurs scientifiques du vingtième siècle qui y adhérent.
Si une organisation gouvernementale était déjà au courant bien avant que l’alerte ne soit donnée par les scientifiques, les choses prenaient soudainement un sens bien plus violent et choquant. D’ailleurs, j’étais troublé de voir une telle histoire racontée dans un blockbuster. Donc quand je dis « l’aspect double des éléments négatifs, » je parlais du mensonge lié à la catastrophe auquel s'ajoutait les possibles motivations derrière ce mensonge.
Mais non. Finalement, le seul crime du gouvernement semble être d’avoir gardé le secret. Ce qui est déjà un crime colossal mais sans « arrière-pensée. » Et je me retrouve avec un film bien plus intéressant que s’il avait accusé les riches et les puissants d’eugénisme, et également incroyablement plus « coup de pied au cul » avec son public (on va voir pourquoi dans une minute).
1 – A propos de la mort.
En regardant le film pour la première fois, j’avais été sacrément troublé par la représentation de la fin du monde. On a reproché à Roland Emmerich de ne faire que des plans larges sur ces scènes de cataclysme histoire de ne pas montrer trop de gens qui meurent (N’est-ce pas une obligation à Hollywood d’ailleurs ?) mais je dois admettre que le compteur de victimes ne s’évanouissait pas pour autant de mon esprit. L’intensité de l’ensemble m’a secoué et je me disais au contraire qu’il était étrange de nous demander de regarder ces images comme divertissantes alors qu’elles étaient absolument cauchemardesques.
Je m’étonnai même qu’il n’y ait pas plus d’éléments porteurs de sens pour rendre tout ça plus supportable. Dans Independance Day 2 il y a plein de morts mais c’est des méchants aliens qui attaquent et c’est la faute de la conne de présidente qui demande d’ouvrir le feu sur le premier visiteur E.T. qui est venu pour apporter son aide à l’humanité => les victimes sont les victimes de quelque chose, et ce quelque chose sera rectifié plus tard.
Dans 2012, on voit juste plein de gens qui meurent parce que la croûte terrestre se déplace. Certes, le gouvernement ne les a pas prévenus de la catastrophe mais il n'est pas responsable de celle-ci et la question reste ambigüe; ça discute et ça s’engueule parmi les gens qui sont dans le secret. Le président annonce la nouvelle bien trop tard (son communiqué est interrompu par le cataclysme) et reste avec les futures victimes par culpabilité. Lorsque l’on voit Satnam, le scientifique qui a tout vu venir, mourir avec sa famille, on peut entrevoir que le film essaye de dire quelque chose.
"Chérie, tu es la pire poire de l'humanité !" "Oui, je sais." "Papa, c'est quoi la grosse vague ?" "C'est rien mon am... mon fils, on va faire du surf."
Peut-on réellement mettre ce personnage au même niveau que les autres victimes ? Si une personne devait être sauvée absolument n’était-ce pas lui ? Non pas que sa vie ait essentiellement une valeur supérieure à celle des autres humains, mais simplement n’est-il pas celui qui pourrait par définition être de nouveau utile ? Aussi, sa mort représente une trahison qu’on le veuille ou non puisqu’à l’évidence il ne voulait pas mourir et que s’il n’a pas été sauvé, c’est que quelqu’un l’a plus ou moins trahi. (Hum… Adrian)
Il n’échappe à personne que la population aurait dû être mise au courant et dans mon premier article, je pensais donc que c’était une sorte de machination qui avait voulu qu’elle ne le soit pas. Or, je pense maintenant que la raison est bien plus passionnante et délicieuse : la population n’a pas été prévenue parce qu’elle ne voulait pas l’être.
2 – Honnêteté des puissants.
Je ne dis pas que les gens voulaient mourir -bien sûr que non- mais que simplement, ils ont une (grosse) part de responsabilité dans leur destin tragique.
Ainsi, les personnages de Carl Anhauser ou du président n’agissent pas de manière intéressée et cynique comme je l’ai d’abord cru. Il n’y a pas d’absence de scrupule ni de réjouissance secrète ou inconsciente. C’est justement l’inverse. Carl et le président épousent leur fonction, contrairement à Adrian, ils ont une notion de ce qui est plus important qu’eux, que leur petit ego, leurs petits scrupules et leur petite vie.
Plusieurs fois dans le film, l’idée que « les gens doivent savoir » est soulevée et que cela soit Charlie Frost (le gentil conspirationniste un brin cinglé) ou Carl Anhauser (Le conseiller du président), la réponse est la même « Les gens ne peuvent pas être prévenus, ça serait l’anarchie. »
Anarchie : (du grec ἀναρχία / anarkhia, composé de an, préfixe privatif : absence de, et arkhê, hiérarchie, commandement)
Ce qui menace d’arriver si l’on met les gens au courant de la menace qui pèse sur eux, c’est l’éclatement de toute hiérarchie, la perte des élites de leur pouvoir de commander.
Dans le contexte du film, on se demande bien ce que cela pourrait avoir de si grave face à la destruction du monde et on se dit que ce n’est pas étonnant que le mot anarchie puisse être une grossièreté pour les gens au pouvoir. Cependant, on peut prendre cette idée plus au sérieux: ce que l’anarchie pourrait faire c’est empêcher toute réaction organisée. Or, que l’on trouve l’idéologie de Carl Anhauser douteuse ou non, il faut bien avouer que les arches gigantesques que l’on découvre à la fin du film ont sacrément de la gueule.
Ainsi, annoncer aux gens la terrible nouvelle aurait potentiellement pour conséquence l’impossibilité de construire ces arches et par extension l’extinction de la race humaine. Lors d’une des premières scènes du film, on voit un comptable tout sec annoncer à un mania du pétrole que le prix d’un ticket à bord de l’une de ces arches est d’un milliard d’euros ; argent qui sert à leur construction comme le dit Carl plus tard. Certes après la catastrophe, cet argent n’aura plus aucune valeur, mais tant que la nouvelle n’est pas révélée au grand public, il est la motivation des milliers d’ouvriers qui travaillent à cette entreprise colossale et urgente. Oui, c’est une manipulation horrible, mais il me parait fort crédible que les personnes qui la mettent en place ne voient pas d’autre moyen de sauver l’humanité. Ils sont les représentants d’une société qui marche à coup de fric, ils ne vont pas soudainement changer leur manière de faire lorsque leur compétence est, plus que jamais, mise à l’épreuve.
Cette équation : ne rien dire pour que l’argent garde sa valeur + prendre contact avec les personnes qui peuvent financer un tel projet + engager des ouvriers à qui l’on va mentir ; cette équation est la seule que les élites du gouvernement aient trouvée. Il n’y a pas en elle de jugement de valeur ni d’hypocrisie. Carl Anhauser ne pense pas que les riches valent plus que les pauvres ni que l’entreprise ait quoi que ce soit de juste.
Charlie Frost lui-même parle des marchés économiques qui plongeraient immédiatement si le grand public était averti. La seule objection que l’on puisse formuler ne peut-être que : « Oui, mais pour sauver leur peau, les gens s’organiseraient et travailleraient sans incitation pécuniaire. » Lorsque l’on voit l’apocalypse finale, aussi cauchemardesque soit-elle, on peut se dire que si les gens s’étaient mis à fabriquer un nombre colossal de véhicules volants et/ou flottants beaucoup auraient pu tenter leur chance et s’en tirer. Certes il y aurait eu des vols, des meurtres, des trahisons, un nombre incalculable de drames tragiques dus au fait que chacun aurait tenté de sauver sa peau mais au final, les choses se seraient passées de manière bien plus équitables et il y aurait potentiellement eu plus de survivants.
Par contre, ce qui est fort possible c’est que les riches, eux, auraient perdus au change car l’argent aurait certainement perdu de sa valeur et ils se seraient retrouvés au même niveau que tout le monde dans leur quête d’un moyen de survivre à l’apocalypse.
Alors oui, peut-être y a-t-il un aspect manipulateur égoïste de la part des décideurs du film qui savent que leurs intérêts reposent du côté des riches. A la minute où ils mettent la population au courant, la société s’écroule et leurs chances de survivre qui étaient parmi les plus élevées des habitants de la planète, tomberaient pratiquement à « autant de chance que n’importe qui. » Comment dans cette position auraient-ils pu mettre les gens au courant ?
Mais surtout, est-il certain qu’avertis, les gens seraient parvenus à s’organiser suffisamment pour construire un appareil, un bâtiment, une structure quelconque capable de leur permettre de survivre à l’apocalypse ? Car si les arches construites en secret et destinées à recueillir les plus riches et les plus puissants ont quelque chose d’abject, elles permettent néanmoins à des personnes de survivre et il est assez compréhensible d’hésiter à mettre le monde au courant de la terrible nouvelle si l’on pense que cet acte risque de mettre en danger leur fabrication.
Ce dilemme insoluble est renforcé par un certain nombre d’éléments assez amusants.
3 – Ignorance désirée
Personne n’a été officiellement mis au courant de la menace mais Charlie Frost tient une radio sur laquelle il débite le moindre élément qu’il déterre sur l’affaire. Il tient également un site internet sur lequel une vidéo rigolote explique la catastrophe à venir. Certes le mec est un poil déjanté mais dans la réalité du film ses arguments sont valides et un certain nombre d’individus en sont bien conscients, comme par exemple le scientifique de la NASA Meyers qui a aidé Jackson Curtis à écrire son livre.
Mais d’ailleurs, le livre de Jackson, Farewell Atlantis, ce livre que tout le monde semble reconnaître comme bon (L’éditeur, l’épouse, Adrian et la fille du président) mais qui n’a eu aucun succès -ne pas avoir de succès cela signifie ne pas être populaire, ne pas intéresser les gens- ce livre devient la bible des survivants (Oui parce qu’évidemment, apocalypse, arche de Noé, messie => bible). Or, l’Atlantide c’est l’île mythique devenue riche et opulente grâce à un métal introuvable ailleurs, l’orichalque, et qui a été engloutie en un jour et une nuit pour lui apprendre l’humilité. Le livre de Jackson Curtis est donc fortement lié à la tragédie que raconte le film et le cul de sac impitoyable qu’a rencontré sa carrière sert à montrer le fort désintérêt des gens envers les questionnements du type « notre civilisation pourrait-elle s’effondrer ? » Personne ne se sent concerné, ou personne ne veut se poser ce genre de questions. Lorsque la maison de Gordon et Kate est secouée violemment par un tremblement de terre, à peine dix minutes après qu’ils aient vus de leurs yeux un magasin s’ouvrir en deux, ils se cachent sous la table.
On rit de l’allusion aux mensonges gouvernementaux durant la guerre froide, quand on apprenait aux citoyens à se mettre sous la table en réponse à une sirène annonçant une attaque nucléaire. Dans le même ordre d’idée, c’est Arnold Schwarzennegger, alors gouverneur de Californie, à qui il incombe de rassurer la population : un acteur. Les citoyens de cette société ne veulent pas la vérité, ils veulent une façade, quelqu’un qui leur ment avec le sourire et les rassure, ils élisent donc des professionnels en la matière.
Ainsi donc, le film sème un bon nombre d’indices qui indiquent que finalement, si le gouvernement maintient la catastrophe secrète, il ne fait que suivre sa démarche habituelle. L’information est disponible à qui veut l’avoir/la voir, à qui est prêt à assumer la responsabilité d’être parmi ceux qui savent. Je fais ici allusion à un phénomène bien précis : le déni. Il est très souvent bien plus facile de se voiler la face que de regarder la réalité en face. Et c’est ce que font les gens dans ce film.
4 – Le Guide
Ce qui fait que la nouvelle n’éclate pas au grand jour, c’est qu’aucune personne n’accepte le rôle de guide… ou plutôt que ceux qui normalement revêtent officiellement ce rôle (les élus), penchent pour le secret, (ou se font assassiner). Personne n’annonce donc officiellement que la civilisation est en danger, parce que l’individu qui le ferait devrait ensuite soit accepter d’indiquer le chemin à suivre, soit accepter de contempler le désordre catastrophique engendré par sa déclaration.
Car l’apocalypse a cette particularité qu’elle laisse/confronte les gens à eux-mêmes. Tout le monde se retrouve menacé au même niveau, chacun contemple sa propre mort et doit donc prendre la responsabilité de son existence. Or, les citoyens de la société dépeinte dans le film sont similaires à des enfants. Ils ont vécus dans un cocon de règles et de croyances qui leur permettait de refouler les menaces inhérentes à l’existence.
Ainsi, alors que le président a annoncé la fin du monde, on le voit déambuler parmi les victimes en sursis de la catastrophe ; un militaire le salue. A l’extérieur on entend une sirène de police, on voit des pompiers s’affairer à droite à gauche. Le président demande de l’aide pour retrouver le père d’une petite fille et se fait envoyer bouler par un infirmier avant que celui-ci ne réalise à qui il s’adresse.
Je trouve que cette scène montre bien le malentendu qu’il peut y avoir sur le cinéma de Roland Emmerich. Il est très facile de trouver ce passage où chacun s’acharne courageusement à faire son job absolument ridicule d’américanisme patriotique dément, mais c’est justement ce que l’on est censé voir.
Le président se trouve une mission qui a encore un minimum de sens : ramener à une petite fille son père afin qu’elle puisse mourir à ses côté, mais le reste de la population s’adonne à une mascarade fiévreuse pathétique. L’infirmier qui tente de sauver quelqu’un est en réalité en train de faire comme s’il n’avait pas entendu la dernière déclaration officielle du président, comme s’il ne savait pas que l’apocalypse approchait. Une personne sensée poserait des questions et tenterait d’en savoir plus sur le sujet qui la concerne jusqu’au plus profond de son être, à la place ils continuent tous à jouer leur rôle, les yeux fermés, les paupières serrées au maximum. La police police, le militaire salue, l’infirmier soigne un blessé qui mourra de la même manière que lui dans quelques minutes.
Jamais le président n’aurait pu avoir le sentiment qu’il était temps de prévenir une telle population, si dépendante du rôle que la société lui attribue, ou du moins qu’elle se trouve dans la société ; si dépendante d’un guide, incapable de s’assumer. Quel sens le salut du militaire peut-il encore avoir ? Absolument aucun, mais tous les petits citoyens infantiles se rassurent en se disant qu’en se mettant à genoux devant la figure d’autorité, ils font ce qu’il faut pour leur sécurité. Évidemment, on peut se dire que Roland Emmerich filme ici des citoyens nobles et courageux qui restent à leur poste jusqu'au bout, pour le meilleur et pour le pire mais non non, ça ne fonctionne pas dans le contexte.
La notion de guide est très présente dans le film. Jackson Curtis cherche une carte chez Charlie Frost, il est un guide et on voit à la manière dont il conduit sa voiture qu’il a ça dans le sang. Au contraire, Gordon est un mouton (un agneau de dieu), alors que le monde s’effondre et que la survie de sa famille dépend de son aptitude à piloter, il continue à répéter qu’il n’est pas pilote. Il refuse de dire « suivez-moi. »
Plus intéressant encore, Yuri, le milliardaire russe, devient le guide du groupe de personnes qui connaissent l’existence des arches mais qu’il est prévu d’abandonner à leur sort. Il détourne l’attention d’un garde d’un « Toi aussi ils t’abandonnent ! Regarde crétin ! » et lui file un coup de poing => ce garde est un autre exemple d’individu qui joue son rôle au-delà de toute logique de survie. Ou plutôt, encore un individu magnifiquement conditionné à ce que son instinct de survie se résume à faire ce qu’on lui dit de faire. Obéir. Remplir son rôle.
Yuri et ses amis se mettent à courir droit vers les arches dont les passerelles d’embarquement sont déjà en train de remonter. Et donc, toute cette foule qui suit son nouveau guide adoré, le suit vers un précipice, c’est un gouffre qui les attend et une paire d’entre eux y plongeront la tête la première poussés par les suivants.
Il ne faut pas croire que sous prétexte qu’ils font confiance à quelqu’un pour prendre les décisions et agir à leur place, les gens vont être tolérants et compréhensifs vis-à-vis de cette personne. Non. Le guide, le Dieu, c’est celui qui est là pour nous mais qui n’a pas besoin de nous, c’est celui que l’on sacrifie dès qu’il ne fait plus l’affaire. On ne reconnait pas l’humanité d’un guide. On l’admire, on lui sacrifie tout ce qu’on est prêt à lui sacrifier, on le croit invincible et omnipotent parce que ça nous rassure, puis on le laisse crever au nom de cette croyance => Yuri descend sur un rebord en contrebas pour éviter que lui et ses enfants ne soient poussés dans le vide par la foule. Lorsque la passerelle s’ouvre et menace de les empêcher de remonter, il ne trouve personne pour lui laisser l’espace de le faire. Il n’existe plus, et ses enfants non plus.
Le guide ultime du film, c’est Adrian évidemment, le messie.
5 – L’irresponsabilité responsable.
Lorsqu’une population abandonne son autonomie, lorsqu’elle refoule dans son subconscient les tenants et les aboutissants de l’existence, sa cruauté, elle crée une niche écologique pour ceux qui sont prêts à en endosser le rôle, la fonction de leader impitoyable.
Si un peuple se voile la face, il sacrifiera ceux qui veulent lui ouvrir les yeux et il apparaîtra des individus qui se prétendent détenteur de la vérité alors qu’ils ne font que servir un mensonge rassurant. Si un peuple n’a pas le courage de choisir l’orientation de son existence, il sacrifiera ceux qui veulent lui faire regarder son destin en face et il apparaîtra des messies détenteurs de belles histoires de destins transcendants tout tracés.
Charlie Frost est le paria dont la seule raison d’exister n’est plus que de voir la vérité éclater au grand jour. C’est pour cette raison qu’il célèbre l’apocalypse et ne pense même pas à sauver sa peau. Sa vie s’est atrophiée au fil des années car personne ne veut entendre sa vérité et il ne tend maintenant plus que dans cette direction, de tout son être. Ses derniers mots seront « souvenez-vous ! Vous l’avez entendu de la bouche de Charlie en premier ! » Il tire une fierté existentielle d’être celui qui savait et colportait la nouvelle, existentielle puisqu’elle lui permet finalement d’accepter la mort avec le sourire.
L'imagerie de ce film est quand même absolument cauchemardesque. Et je parle de l'explosion disproportionnée, pas de la grimace de Woody Harrelson.
Ainsi, dans une culture où les gens vivent avec des œillères gigantesques, il devient hyper gratifiant d’être « celui qui détient la vérité. » On connait d’ailleurs ce personnage par cœur, le mec qui a clairement un problème avec lui-même mais qui t’explique toutes les conspirations du monde en te parlant comme si tu étais le pire des demeurés sous prétexte que tu n’adhères pas à chacune de ses idées automatiquement. Ce personnage existe parce que le citoyen moyen ne veut pas regarder la réalité de sa société en face et que par conséquent, celui qui se sent horriblement inférieur à tout le monde a un moyen tout trouvé de s’élever au-dessus des autres : « Regarder la réalité en face ! » Même quand son esprit critique frôle celui d’une huître.
Le peuple de 2012 qui se laisse guider aveuglément et veut se laisser guider aveuglément engendre forcément toute une faune d’individus déséquilibrés qui épousent sa psychologie pour en tirer profit.
Et c’est pour cette raison, bien plus profonde que les simples motivations égoïstes que j’avais imaginé au départ, que les personnes au pouvoir sont incapables d’avouer la vérité. Leur position n’existe que parce que les gens ne veulent pas savoir ce qu’il se passe ; leur dire la vérité, les responsabiliser, va à l’encontre de la tâche qu’on a attribué à ces officiels et surtout annoncer la nouvelle requerrait une qualité qu’ils n’ont nécessairement pas : croire que le peuple est capable de se débrouiller, croire qu’il est capable d’une certaine autonomie. C’est un peu comme attendre du coach d’une équipe de football qu’il dise aux joueurs qu'ils peuvent se débrouiller sans lui, ou d’un prof qu’il admette qu’il est plus un obstacle à la création d’une intelligence qu’autre chose : c’est un acte qui va à l’encontre même de la position de l’individu et par conséquent qu’il est fort peu probable de voir être produit par un individu qui a tout fait pour être dans cette position.
Ainsi, cette dynamique du mensonge et du secret peut largement être regardée autrement qu’au travers des lunettes : victimes & traitres. La relation entre ceux qui mentent et ceux à qui l’on ment est bien plus subtile et intime.
Je n’irai pas plus loin dans cette partie, et je vais garder pour plus tard l’aspect religieux d’un désir spontané de ne pas savoir, d’être « innocent. »