The Cabin in the Woods (2600 words)
The Cabin in the Woods : Petite psychanalyse
Il est plutôt rare de voir un film d’horreur au bestiaire plus imposant ou plus ridicule que celui de « The Cabin in the Woods ». Cet état de chose est assez logique puisque les multiples monstres, serial killers et démons que nous avons l’habitude de croiser dans ce genre de films sont souvent porteur d’un sens profond qui doit être développé et exploré pour que l’œuvre soit marquante et touche son public au plus profond de son être. Il aurait simplement été impossible aux scénaristes de « The Cabin in the Woods » de faire apparaître un dixième des monstres présents dans l’histoire s’ils avaient voulus les développer.
Le choix d’une telle surenchère est souvent signe d’un manque d’inspiration et on pourrait regarder le joyeux chaos du film comme une tentative désespérée d’offrir une œuvre originale même au détriment de sa qualité. Mais si l’on prend le film au sérieux, une problématique apparait et un sens peut être déposé sur la horde de bêbêtes.
Il est très vite clair que beaucoup de place est laissée à la construction d’un discours sur le thème du regard et de l’intériorité, ce qui lui est accessible et ce qui ne l’est pas ainsi que la violence qu’il peut y avoir en lui.
1- Le regard qui tue.
Derrière un tableau sur lequel on voit des humains déchirer avec sauvagerie la chair d’un animal pour le dévorer sous le regard d’un personnage énigmatique qui se tient à une petite distance de la scène, les personnages découvrent une vitre sans teint qui permet d’observer la pièce d’à côté sans être vu. Holden a l’opportunité de regarder Dana se déshabiller devant la glace mais la prévient qu’il la voit. La discussion qui s’en suit montre que Dana est le personnage qui redoute le plus le regard extérieur (c’est elle qui survit le plus longtemps). Holden y décrit le combat intérieur qu’il a dû mener pour ne pas la regarder se déshabiller comme sanglant et la jeune femme lui répond : « Donc, tu saignes intérieurement. » Cette scène a un double métaphorique plus loin dans le film puisque Holden brisera la glace (du côté aveugle) pour sauver Dana qui est attaquée par des zombies dans la chambre adjacente. Parce qu’il n’a pas autorisé son regard à la blesser, à la pénétrer contre son gré, parce qu’il a combattus ses démons (il parle de son combat intérieur) elle est sauve. Ce combat intérieur qu’Holden a mené et qui a value à Dana de ne pas être vue nue contre son gré fait écho à l’intrigue générale du film qui sera décrite plus tard.
Mais ce qui est important pour le moment c’est cette idée que le regard peut tuer, les zombies étant l’incarnation de cette menace. Un à un, les jeunes gens venus passer leurs vacances dans la cabane dans les bois vont être éliminés, dans l’ordre de leur dépendance au regard extérieur. The whore, the fool, the athlete, the scholar, the virgin. Evidemment, cet ordre est très discutable si l’on y cherche une lecture profonde, pourquoi la fille facile voudrait-elle plus se faire remarquer que la vierge ? Associer humilité à virginité et vanité à sexualité est évidemment conservateur, ce dont les scénaristes sont tout-à-fait conscients, simplement, cet ordre est utilisé en tant qu’archétype, il ne transmet en aucun cas leur opinion. Bien sûr, le fait que la cabane soit sous surveillance vidéo et qu’un « laboratoire » complet ait les yeux braqués sur les participants de cette télé-réalité appuie également énormément sur la présence d’un regard malveillant… puisque euh… les scientifiques manipulent les jeunes gens pour les mener à leur mort.
Il est à noter que le réveil des zombies se fait lorsque Dana lit le journal d’une petite fille. Journal intime, intrusion du regard dans un endroit qui ne lui est pas destiné.
Un autre exemple de problématisation du regard intéressante est observable lorsque Dana se fait tuer par le zombi redneck sur le ponton. Holden vient d’être tué et les scientifiques du laboratoire célèbrent donc la fin du rituel sacrificiel qui les maintient à l’abri du démon. Alors qu’on les voit danser et boire, Dana se fait mettre en pièce sur les écrans géants à l’arrière-plan. Leur totale indifférence est d’autant plus horrible que les images de la jeune femme se faisant massacrer sont immanquables et terriblement violentes. Alors que le regard technologique est braqué sur elle, personne ne la voit. Ce qui est intéressant ici, c’est que l’ultra-focalisation faite sur les victimes sacrificielles est également synonyme de totale indifférence.
2- La transformation en clichés.
Les scientifiques du laboratoire ne font pas que surveiller leurs victimes, ils les manipulent également. Marty fera remarquer que Curt et Jules ne sont pas eux-mêmes, l’un se conduisant comme un parfait quater back crétin cliché et l’autre comme une pom-pom girl idiote clichée également. On verra Jules se répandre en conduites sexuelles sous l’emprise des scientifiques qui veulent qu’elle joue son rôle. Il y a une double raison à la mort de la jeune-fille : L’habituelle condamnation de sa sexualité débauchée que les scientifiques appliquent à la lettre mais aussi la dépendance au regard extérieur dont nous avons parlé plus haut. En effet, les comportements de Jules ne font que traduire un besoin d’attention, que cela soit sa nouvelle couleur de cheveux ou sa manière de s’habiller, de danser et de se mettre en scène (quand elle embrasse le loup). La Jules que Marty connait s’est donc transformée en « whore » sous l’effet des scientifiques. Lorsqu’elle est tuée par les zombies, elle est dans la plus pure expression de son rôle (elle fait l’amour avec Curt) mais lorsque les zombies jettent sa tête à Dana, les cheveux blonds ont disparus, elle est redevenue la vraie Jules, celle qui réellement morte. Chaque victime meurt dans son rôle et pas dans sa personnalité naturelle. Curt, docteur en sociologie transformé en sportif décérébrée meurt en tentant de sauter un ravin à moto, il se heurte à un « quadrillages », le quadrillage auquel Marty explique qu’il voudrait échapper au début du voyage, celui d’une société qui surveille tout… Le quadrillage c’est également les scripts auxquels les personnages doivent correspondre. Marty se fait attaquer et tuer juste après une remarque stupide qui correspond à son rôle de « fool », Holden meurt alors qu’il intellectualise une situation terrifiante pour s’en distancer (c’est le « scolar »).
La violence exercée sur les personnages est donc celle du regard étriqué qui restreint, qui enferme et qui détruit la personnalité réelle pour la remplacer par une personnalité factice qui correspond aux attentes de l’ordre dominant.
3- Persona
Cette personnalité soumise à l’ordre, construite de toutes pièces pour correspondre aux attentes mais dont on oublie ensuite la facticité, c’est la persona que Carl Jung décrit dans Dialectique du Moi et de l’inconscient.
« J’ai désigné du nom de persona ce fragment de la psyché collective dont la réalisation coûte souvent tant d’efforts. Ce terme de persona exprime très heureusement ce qu’il doit signifier, puisque, originairement, la persona désignait le masque que portait le comédien, et qui indiquait le rôle dans lequel il apparaissait. Si, en effet, nous tentons l’aventure d’essayer de distinguer ce qui doit être considéré comme des matériaux personnels de ce qu’il faut comprendre comme des facteurs psychiques impersonnels, nous ne tardons pas à tomber dans le plus grand des embarras ; en effet, il nous faut dire, au fond, des éléments de la persona, ce que nous disions plus haut de l’inconscient collectif, à savoir qu’ils sont généraux. Seule la circonstance que la persona est un secteur prélevé de façon plus ou moins occasionnelle ou plus ou moins arbitraire dans la psyché collective a pu induire à l’erreur de la considérer en bloc comme quelque chose d’ « individuel ». Or, comme son nom le dit, la persona n’est qu’un masque, qui, à la fois, dissimule une partie de la psyché collective dont elle est constituée, et donne l’illusion de l’individualité ; un masque qui fait penser aux autres et à soi-même que l’être en question est individuel, alors qu’au fond il joue simplement un rôle au travers lequel ce sont des données et des impératifs de la psyché collective qui s’expriment.
Quand nous nous mettons à la tâche d’analyser la persona, nous détachons, nous soulevons le masque, et découvrons que ce qui semblait être individuel était au fond collectif : en d’autres termes, la persona n’était que la masque d’un assujettissement général du comportement à la coercition de la psyché collective. »
Les cinq archétypes représentés par des gravures à la fin du film sont ces éléments de la psychée collective auxquels les scientifiques ont tentés de faire ressembler les protagonistes du massacre, dans leur version plus moderne. Il n’est pas difficile de voir en quoi les personnages, influencés par les scientifiques, peuvent être résumés à des caractéristiques générales impersonnelles. Leur individualité a disparue. Jules demande toute anxieuse à Dana si ses cheveux blonds sont très magnifiques (« hurry up with the very fabulous I’m getting insecure right now. ») elle n’a aucune solidité en tant qu’individu et n’existe que pour être ce que les autres attendent d’elle. Cette dépendance est également soulignée plus tard, lorsque Marty la met au défi d’embrasser une tête de loup accrochée au mur. S’approchant de l’objet elle joue la comédie, prétendant être séduite par un homme qui la regarde intensément. C’est parce qu’elle recherche l’attention qu’elle s’adonne à ce jeu, et la manière dont elle relève le défi est de mettre en scène l’impact d’un regard sur elle. Evidemment, le loup symbolise la prédation. Son besoin d’attention amène Jules directement dans sa gueule. Elle est la première à mourir parce que c’est celle dont la personnalité est la plus extérieure à elle-même. Les héros succombent un à un à leur persona et Dana qui est très secrète et protège son intériorité est celle qui survit le plus longtemps. Carl Jung compare le combat contre l’invasion de la psyché collective à celui d’un héros contre un monstre :
« Ainsi que je l’ai précédemment montré en détail, la nostalgie régressive du retour en arrière vers les sources, où Freud, on le sait, n’a vu que « fixation infantile » ou « désir d’inceste », comporte de grandes valeurs et une nécessité particulière ; celles-là et celle-ci sont mises en évidence dans les mythes par le fait que, par exemple, c’est le plus fort et le meilleur, à savoir le héros, qui se laisse entraîner par la nostalgie régressive et qui s’expose intentionnellement au danger d’être englouti par le monstre de la matrice maternelle originelle. Et il est précisément un héros parce qu’il ne se laisse point engloutir définitivement, mais subjugue le monstre, et non pas une fois mais à de nombreuses reprises. C’est dans la victoire remportée sur la psyché collective que réside la vraie valeur, la conquête du trésor, de l’arme invincible, du précieux talisman ou de tous autres biens suprêmes inventés par le mythe. Quiconque donc s’identifie à la psyché collective et s’y perd – c’est-à-dire -, en langage mythique, se laisse engloutir par le monstre- va par conséquent se trouver au voisinage immédiat du trésor que garde le serpent, mais au détriment de toute liberté et pour son plus grand dommage. »
4- Inconscient
Jusqu’à la mort de Dana, l’histoire de The Cabin in the Woods est donc celle de cinq individus se faisant dévorer par le regard extérieur posé sur eux qui les pousse à l’intérieur de scripts comportementaux totalement impersonnels. Symboliquement, parce qu’ils ne sont plus eux-mêmes, parce qu’ils sont entièrement régis par des règles extérieures qui ne prennent absolument pas en compte leur intériorité -leur « Moi »-, ils n’existent plus, ils sont morts. Mais le film ne veut pas de cette fin horriblement pessimiste et introduit un « glitch », une erreur. Le « fool » a survécu. Il sauve la « virgin » et lui montre un passage secret qu’il a découvert dans la tombe dans laquelle un zombie l’avait entrainé pour le tuer.
Le combat qu’ils ont mené jusqu’à présent et perdu avait pour but de protéger leur « moi ». Une fois envahi par l’inconscient collectif, leur moi a été remplacé par une persona construite à partir de cet inconscient collectif. Cette porte qu’ils découvrent au fond d’une tombe (ils sont morts), c’est la porte de leur inconscient. Ils y accèdent grâce à la tendance qu’a Marty à fumer des joints (Encore cette idée que les joints ouvrent les portes de l’esprit). Lorsqu’il frappe le zombie avec sa pipe, il se protège des attaques du monde extérieur à l’aide de sa drogue. Dans leur inconscient ils vont trouver les deux éléments qui les mènent à endosser une persona. Des objets de terreur, les monstres, et des humains qui les contrôlent. Comme on l’a vu au-dessus, les monstres ne tuent que quand la transformation est achevée, donc si les scientifiques ne parvenaient pas à amener les gens à abandonner leur « moi » pour enfiler une persona, les monstres seraient impuissants. Il est important de voir que c’est bien les humains qui tuent les autres humains. Les monstres ne servent en grande partie qu’à donner corps à la peur. D’ailleurs, bien que leur capacité meurtrière ne soit jamais remise en doute, leur représentation n’est pas la plus effrayante. Les héros se font décimer par des « zombies redneck family torture », on verra une licorne empaler un homme, un « merman », un clown… les images des autres pays montrent un groupe d’enfants japonais exorciser un démon et le transformer en crapaud. Il est clair que les monstres sont efficaces mais au-delà de cet aspect, ils ne sont pas importants. Ils ne sont qu’un groupe hétérogène d’individus pouvant servir à tuer. La visite que font Marty et Dana de leurs cellules montrent bien qu’ils ne sont pas beaucoup plus que des outils. Lorsqu’ils s’en échappent, le film prend une allure de « monstre et compagnie » gore. Les scientifiques et les agents de sécurité se font mettre en pièces en un instant. Tout comme les concurrents avant eux, ceux-ci ont déjà abandonné un « moi » fort. Ils ne font qu’obéir et se congratulent d’être soumis à un être invincible comme le décrit Jung :
« On se sent indigne et on prend humblement place aux pieds du « maître » tout en se défiant de trop penser par soi-même. La paresse intellectuelle devient vertu, et on peut au moins se dorer au soleil d’une espèce de demi-dieu. »
Même si dans cette phrase, le demi-dieu semble positif, alors que dans the cabin in the woods il s’agit d’un démon qui menace de détruire la terre, on peut voir la même logique. S’ils prétendent qu’ils font tout ce qu’ils font pour échapper à la colère du monstre, les scientifiques prennent clairement du plaisir à voir les jeunes gens se faire massacrer et n’ont absolument que faire des vies sacrifiées (Il n’est pas nécessaire que Dana meurt pour que le rituel sacrificiel soit accompli, or lorsqu’elle se fait massacrer à l’écran, ils s’en moquent tous). Ils n’ont pas l’intention de se rebeller ni d’essayer jamais de faire changer les choses. Ils sont bel et bien dans cette position de paresse, de lâcheté et de complaisance, s’avouant vaincus et créant une société de surveillance parce que c’est plus facile que d’affronter la réalité.
Mais quelle est cette réalité ? Lorsque que Dana et Marty laisse le démon remonter des tréfonds de la terre pour annihiler l’humanité, quel est ce démon ? Que signifie-t-il ? Qu’est-ce que l’homme ne sait pas encore sur l’homme, qu’il craint de découvrir et dont la connaissance ferait s’écrouler toute société de surveillance de contrôle ?