Working Girl : Séduction Forever (1500 mots)
Working Girl n’est pas un film dont le sous-texte est difficile à voir ou à deviner.
Tess MacGill est secrétaire d’agent de change (si je comprends bien) à la bourse New-Yorkaise mais elle quitte son job (pour la troisième fois) parce qu’elle se retrouve constamment confrontée au machisme du monde de la finance. Pour dire les choses simplement, la seule manière dont elle puisse monter les échelons est en se prostituant.
Elle trouve finalement une place dans une société et se retrouve sous la tutelle d’une cadre, Katharine Parker, qui semble vouloir la traiter mieux. Elle lui demande des suggestions, l’écoute et lui parle de sa vie privée. Tess s’enthousiasme et se met à rêver elle-même de devenir cadre, en tout cas de se débarrasser de son job de secrétaire.
Katharine se casse une jambe pendant un week-end au ski et Tess se retrouve à devoir s’occuper de ses affaires durant deux semaines. Elle découvre très vite que sa boss, à qui elle avait proposé une idée, se l’est appropriée et est en train de conclure un marché grâce à elle.
Notre héroïne abandonne tout scrupule et décide de suivre la suggestion de Katharine de ne jamais attendre que ce qu’elle désire lui soit donné mais d’aller le chercher. Elle usurpe la place de sa boss et tente le tout pour le tout afin de conclure le marché elle-même avant que Katharine ne revienne.
Elle démarche un autre cadre, trouve le président d’entreprise concerné par l’offre d’achat au mariage de sa fille et finalement parvient à obtenir un meeting réunissant toutes les personnes concernées par le contrat.
Katharine réapparait alors et dénonce Tess. Après un petit bras de fer, la secrétaire parvient à faire valoir ses idées, sa boss est renvoyée et notre héroïne trouve une place au sein de l’entreprise youpi ! La méchante voleuse a été punie et la gentille fille ambitieuse et honnête a gagné et s’est enfin extirpée de sa position de secrétaire dont on attend qu’elle soit belle et qu’elle couche.
Sans parler du fait qu’elle ne traite pas sa secrétaire avec hauteur. Elle lui dit « Vous n’avez pas besoin d’aller me chercher un café si vous n’allez pas vous-même vous en chercher un. »
Youpi ! Une victoire sociale ! Yeah !
Evidemment, je rigole. Puisque je m’apprête à parler d’un sous texte ça n’est certainement pas pour célébrer l’interprétation la plus évidente du film.
Le problème qu’il y a derrière ce scénario, c’est que Katharine Parker était une réelle cadre, au même titre que Jack Trainer par exemple, l’homme qui aide Tess tout au long du film.
J'ai eu du mal à comprendre cet échange entre Tess et Jack lorsqu'elle refuse le restau avec lui: "Maybe I just don't like you" "Me ? Naaa." ("Peut-être que simplement, je ne suis pas intéressée par vous." "Par moi ? Naaan.") Mais au final, c'est assez simple, Tess n'est réellement pas intéressée. Par réflexe, on se dit qu'il lui plait et qu'une histoire d'amour va se construire entre eux, justement parce que ça n'est pas une pute et qu'il est introduit comme irresistible. Sauf que, ben si. Elle ne l'aime pas du tout et tout ce qu'elle fait avec lui se trouve être motivé par l'objectif qu'elle s'est fixé. Alors qu'elle aime son Mick.
Katharine était parvenue à faire oublier qu’elle était une femme dans un monde d’homme et était traitée d’égale à égale ou au moins, elle était crainte et respectée. Tess, elle, joue la carte de la séduction pratiquement à chacune de ses initiatives et n’arriverait à rien si elle ne le faisait pas. Certes, ce n’est pas son seul atout et il ne serait pas suffisant pour l’amener jusqu’au bout de son entreprise mais elle n’arriverait à rien si elle ne jouait pas la séduction dès le départ.
Elle obtient le soutient de Jack Trainer en lui lançant la phrase qui est devenue classique « I have a head for business and a body for sin. » (J’ai un esprit pour le business et un corps pour le péché). Et il la voit en sous-vêtements (porte-jarretelles inclus) le soir de leur rencontre, durant lequel elle prend une telle cuite qu’il doit la ramener chez lui.
L'intégralité de l'ambiguïté du film se situe dans cette scène. Tess a une réunion avec Jack Trainer le lendemain mais pour s'assurer que les choses vont bien se passer, elle le cherche dans une soirée la veille (Pour quoi à votre avis ?). Elle le rencontre mais il lui dit que "Jack Trainer vient juste de partir." Et elle finit au lit avec ce bel inconnu après avoir pris une jolie cuite. Si vous croyez qu'il est question d'autre chose que de prostitution, vous êtes bien naïf. Tess sait parfaitement à qui elle a affaire, tient parfaitement l'alcool et ne se prendrait pas une murge sans raison, la veille de la réunion la plus importante de sa vie.
Elle obtient l’accord de l’acheteur en s'invitant au mariage de sa fille, en dansant avec lui et en lui faisant plein de compliments. Elle ne passe jamais par les canaux officiels, elle triche.
Sa victoire sur Katharine est un gigantesque pas en arrière pour la cause des femmes (dans le contexte du film). Lorsque Tess l’accuse de lui avoir volé son idée, Katharine s’exclame « mais c’est le monde du business, c’est comme ça. » Et c’est vrai. Bien sûr, c’est immoral et moche, mais tous les personnages de ce film, hommes ou femmes, sont à ce niveau. Quand Katharine se fait virer par son boss soit disant parce qu’elle aurait volé une idée, ils sont tous hypocritement contre elle, ils la dégagent parce que c’est une femme qu’ils sont obligés de considérer comme une égale alors qu’ils peuvent la remplacer par une fille qui attend leur approbation constamment.
"Tess, this is business. Let's just bury the hatchet ok ?" Katharine propose réellement à Tess de faire la paix mais Tess n'est pas en mesure de réaliser que c'est une réelle marque d'affection parce qu'elle ne connait rien au monde des affaires.
La phrase de renvoie de Katharine est « Get your bony ass out of my sight. » (Vire ton cul osseux hors de ma vue). Il n’est pas question d’incompétence ou de trahison, et ils se foutent bien d’où provient l’idée et de la petite secrétaire naïve, ils ont juste une occasion en or de virer la femme qui les menace tous. Et ils la virent en critiquant son physique, elle est remise au niveau de pot-de-fleurs.
J’aime beaucoup comment le film parvient à faire passer la violence abjecte de cette scène sans qu’on la remarque trop. Le boss parle à Katharine comme à un chien mais on se convainc que c’est parce qu’il est lui-même convaincu qu’elle s’est mal conduite. Comme si ce mec avait une morale quelconque.
Il y a tout de même une scène durant laquelle Jack Trainer est accusé de « penser avec sa bite » parce qu’il reste du côté de la petite secrétaire et où Tess doit prouver sa compétence pour se faire écouter.
Une scène donc qui tient le rôle symbolique de « elle n’obtient pas la place avec son cul ! » S’il n’avait été question que de séduction elle aurait échoué et le film lui reconnait un minimum de talent pour les affaires.
Euh... je rêve ou c'est Loki à droite du boss !?! Tom Hiddleston a voyagé dans le temps ? Et c'est quoi le black avec un berret en surimpression sur l'autre mec ? Qu'est-ce que c'est que ce plan foireux !?!
Le problème c’est qu’elle n’est pas en train d’essayer de se faire engager, elle n’est pas en entretien. Elle est en train de faire virer une autre femme pour prendre sa place. Est-ce que le fait que Tess sache un peu se débrouiller signifie soudainement que Katharine devrait perdre son job ? Pourquoi Tess devrait-elle prendre précisément la place de sa boss ? Pourquoi pas celle d’un homme ? Est-ce que Katharine est devenue totalement incompétente soudainement ?
Quand Tess entre dans son bureau à la fin du film, elle croit qu’elle est la secrétaire. Katharine n’aurait pas eu cette conduite « je me sens indigne de tout, » parce qu’elle avait confiance en ses capacités. Tess sait qu’elle a volé sa place. Et lorsqu’elle dit gentiment à sa secrétaire qu’elle n’a pas besoin d’aller lui chercher le café, ça ne veut rien dire car sa secrétaire sera toujours sa secrétaire. Leurs deux postes ne seront jamais à la même hauteur hiérarchique et tout ce que Tess fait en disant cela, c’est rendre sa secrétaire moins utile.
Je ne dis pas qu’il est normal que des gens aient pour travail de faire le café à d’autres, mais dans le contexte précis du film, la phrase de Tess n’est pas une révolution sociale en marche, c’est une incapacité à croire qu’elle a gravit un échelon sociétal. Au contraire, elle vient de rabaisser le statut de cadre femme dans cette entreprise.
Obtient-elle le magnifique bureau de Katharine qui surplombe la ville ? Non, un homme est sans doute maintenant dans celui-ci. Et Tess est dans un minuscule bureau ridicule perdu dans une fourmilière.
Cependant, je ne comprends pas le sens profond du constat que fait le film. L’amie de Tess la prévient qu’elle ne devrait pas se lancer dans la finance, que jouer au cadre ne fera pas d’elle un cadre réel. « Je peux me balader en sous-vêtements dans mon appart en chantant, ça ne fait pas de moi Madonna. »
Mais pourquoi faudrait-il qu’une femme perde sa féminité et son envie de plaire aux hommes pour pouvoir espérer obtenir une place à leur niveau ?
Car c’est bien le problème de Katharine dans le film, elle est parfaitement compétente en affaire mais elle ne s’en sort pas au niveau amoureux. Lorsqu’elle va au ski, elle pense que Jack Trainer va la demander en mariage alors qu’il s’apprête à la quitter. C’est d’ailleurs la raison métaphorique de sa jambe cassée, elle sait ce qui l’attend et préfère s’éviter la scène.
J'adore la chute de ski de Sigourney Weaver. Elle y va en winneuse "Ah, je vais le conquérir cet homme" et se plante "Les Bronzés font du ski" style.
Voilà, je n’en dirai pas plus pour Working Girl, il est très facile à analyser celui-là. Tess en a marre d’être traité comme une pute et obtient la place d’une femme que personne n’oserait traiter comme tel, entièrement par la séduction. Pauvre Katharine.
Revoyons la scène finale au ralenti:
Il y a une histoire de tromperie qui m'a beaucoup ému dans ce film. Le Baldwin s'exclame "c'est pas ce que tu crois" et la pauvre fille qui est à cheval sur lui se prend ça en pleine tronche alors qu'il est encore en elle. Aussi, il y a clairement un parallèle entre Tess qui se fait voler sa place d'un côté et qui vole celle de Katharine de l'autre.
Qui part à la chasse, perd son Baldwin. Tess comprend qu'elle a tout foiré. Cette scène la pousse dans ses derniers retranchement, soit elle gagne, soit elle a tout perdu.
Elle dit adieu à ses collègues en prétendant qu'elle va s'en remettre alors que clairement, elle est dévastée.
Elle voit par hasard dans un magasine que les scénaristes lui ont prévu un rebondissement inattendu.
Alors qu'elle quitte son bureau, que tout est perdu, le film est fini, elle n'a plus qu'à se suicider, elle aperçoit Katharine, Jack et toute la bande qui arrive et voit une dernière chose à tenter.
Elle fait exprès de se faire bousculer par un mec pour que Jack vienne l'aider à ramasser ses affaires.
Jack qui était honnêtement attiré par elle, demande si elle s'est foutue de lui et elle lui ment. Oui, oui, elle lui ment. Elle l'a réellement utilisé depuis le début et c'est pour cette raison qu'elle ne lui donne plus de nouvelle. Elle a échoué, il n'existe plus. Mais elle lui dit qu'elle l'aime et hop, il est prêt à tout pour elle. Katharine s'arrête, le patron s'arrête et Tess peut sortir sa botte secrête sous la forme du magasine qu'elle a lu cinq minutes auparavant et que ni Katharine ni personne n'aurait pu avoir connaissance..
ur
Ainsi, le retournement de situation final ne tient à rien mais surtout, alors qu'on le prend comme un happy-end un peu forcé mais qu'on l'accepte comme un happy-end, ce n'en n'est pas un, c'est au contraire la victoire du n'importe quoi qui parvient à se faire passer pour justice.
Tess était virée, Katharine avait retrouvé sa place et cette scène n'arrive que par hasard. A trente seconde près, rien n'arrivait. Ce hasard souligne que Tess gagne une fois encore par séduction. Elle parvient à ses fins par un tour de passe-passe, un peu comme lorsque l'on croise quelqu'un dans la rue et que cinq minutes plus tard on est parvenu à nous vendre une merde dont on se fout totalement. Cinq minutes plus tôt, on s'en foutait et cinq minutes plus tard, on s'en fout autant, mais pendant trente secondes, cette personne est parvenue à nous motiver à l'acheter. C'est la même chose avec Tess, elle arrache au boss une décision qu'il regrettera presque immédiatement.
Voilà, j'espère que cette lecture du film vous aura amusé.
Edit: En rédigeant la version anglais de cet article j'ai remarqué un truc. Katharine utilise l'idée de Tess pour travailler avec Jack trainer dont elle est amoureuse:
Il n'y a pas de vol d'idée géniale. Il n'est pas question de Katharine qui voudrait voler le mérite de l'idée de Tess, il est question de Katharine qui essaye de se rapprocher de l'homme qu'elle aime. Elle vole l'idée de Tess réellement parce que c'est un acte insignifiant. Et ça, Tess le comprend quand elle voit Katharine déclarer son amour à Jack. Donc lors de la scène finale, Tess est une véritable pourriture qui sait que Katharine ne l'a pas trahie dans les termes qui ont engendrés l'intégralité de l'intrigue.