Live ! : Un Jeu télévisé abject truqué. (2000 Mots)
Live ! est un film assez particulier, de par son sujet, la manière dont il le traite et l'année à laquelle il le fit.
En effet, faire un film sur la télé-réalité qui raconte la naissance d’une émission dans laquelle il est fort probable qu’un concurrent perde la vie, un tel projet semblait en 2007 plus racoleur que critique. Des émissions qui passent la vie de leurs concurrents à la moulinette on en avait déjà en 2007. Une critique du type « irons-nous jusqu’à pousser les concurrents au suicide ? » paraissait bien naïve et hypocrite.
Lorsque j'ai regardé le film pour la première fois, je n’ai pas saisi le fonctionnement de l’émission or il est évidemment assez capital de le comprendre pour mesurer la laideur de ce qui se déroule. Il n'y a qu'une balle, qu'un revolver, et qu'un tour de barillet. Les chances de mourir augmentent à chaque candidat et il est inutile pour le sixième, si l'on va jusqu'à lui, de tenter le coup puisqu’il se tirera obligatoirement une balle dans la tête.
On a critiqué la faiblesse satirique (parce que ça n’est pas une satire) l’aspect documentaire (qui trahirait l’aspect racoleur) et enfin la manière dont le film au final propose exactement ce qu’il dénonce puisque sa dernière demi-heure ne montre presque rien d’autre que le déroulement de l’émission.
Personnellement je me suis senti très gêné par un élément qui au final se trouve être la base de cette lecture.
Pourquoi Rick (le fermier père de famille endetté) est-il celui qui échappe à l’horreur de se braquer un révolver sur la tempe ?
Et pourquoi l’ordre de passage des concurrents est-il exactement le plus « divertissant » ? Beaucoup de spectateurs et critiques ont considérés que cette mise-en-scène du hasard était la preuve que le film penchait plus vers l’exploitation d’un concept malsain que vers sa critique.
Or, l’étrange déroulement de l’émission suggère autre chose.
Le jeu est truqué.
Les tirages sont truqués, l’emplacement de la balle dans le barillet est truqué.
J’aurais aimé avoir un nombre incalculable d’éléments pour soutenir cette théorie, hélas il y en a assez peu. Suffisamment pour largement me convaincre mais trop peu pour bien déterminer ce qu'il se passe réellement qui tire les ficelles. Quelqu'un tire-t-il les ficelles ?
L'élément le plus flagrant reste que le déroulement impeccable de l’émission est totalement improbable. Lorsque Jewel est tirée au sort, Katy s’exclame « good first. » Et effectivement, la blonde décérébrée ridicule hyper-influençable sensible-au-regard-extérieur qui-n’osera-jamais-se-rétracter super-mignonne est un premier candidat parfait… et le père de famille qui représente les valeurs de l’Amérique un magnifique chanceux-qui-échappe-à-l’épreuve. L’artiste fémino-fasciste débile qui fait n’importe quoi, un magnifique candidat central. Les deux minorités mexicain/homo, black/écrivain, de parfaits candidats de transition. Enfin, l’imbécile sportif de l’extrême avec sa superbe copine totalement in love qui veut juste glander toute sa vie… est exactement celui que tout le monde veut voir mourir.
Ainsi, le film ne critique pas tant un show télévisé qui se fait de l’argent sur le danger auquel ses candidats sont prêts à s’exposer pour échapper à une vie de misère, il dépeint l’arme de propagande ultime d’une société fasciste ultra médiatisée.
Tous les candidats sont des victimes de la société dans laquelle ils vivent. Ils ont été brisés par leur existence et n’auraient en aucun cas pu échapper à leur destin. Ce que le show prétend, c’est que 5 millions de dollars arrangeront leurs problèmes, ce qui est en réalité totalement faux, même si évidemment, ils ne vont pas cracher sur une telle somme.
Jewel n’a aucun talent d’actrice, participer à Live ! ne changera rien à ce fait.
Don a un père médecin hypocrite et qui se prend pour dieu et qui le fait se sentir sans valeur, les 5 millions ne changeront rien à ça. Il ne deviendra pas non plus un écrivain à succès sous prétexte qu’il a participé à l’émission.
Abalone, même si elle se présente comme totalement épanouie, est clairement dévastée psychologiquement, quelle qu’en soit la raison, participer au show ne changera rien à ça.
Enfin Rick, aussi « belle » et triste son histoire soit-elle, Rick reste un pauvre mec enfermé dans une histoire familiale oppressante et qui met sa vie en danger pour une ferme alors que sa véritable famille a déjà traversé tant d’épreuve horrible. Il lance dans sa vidéo « un jour, Ricky voudra cette ferme. » Ricky il s’en tamponne de la ferme et il ne voudrait certainement pas que son père risque sa vie pour celle-ci.
Le seul dont la motivation est en adéquation avec le prix c’est Brad, le sportif de l’extrême qui exprime dans sa présentation son mépris pour une vie rythmé par les heures de bureau (Il ne veut pas être un "esclave du salariat" comme il le dit si bien). Et effectivement, les cinq millions lui donneraient exactement ce dont il a besoin pour être heureux.
Mais focalisons-nous un peu plus sur Rick:
Lorsque Brad est sélectionné pour être le dernier à appuyer sur la détente, il n’a plus qu’une chance sur deux de survivre. S’il survit, cela signifie que la balle était pour Rick. On ne forcera pas ce dernier à se suicider évidemment, par contre il n’aura pas les cinq millions. Ainsi, lorsque le « sort » désigne Brad, Rick et sa femme savent qu’au moins le fermier s’en tirera vivant, mais aussi que l’argent a une chance sur deux de leur échapper.
Ainsi, lorsque le jeune surfer se plaque le pistolet sur la tempe, il y a une personne dans la pièce qui pourrait mettre fin à ce show absurde : c’est Rick. Il pourrait crier « Stop ! Je renonce à l’argent ! »
Les vidéos où les participants parlent de leurs rêves et aspirations, ces mêmes rêves et aspirations qui vont servir à leur faire se mettre le canon d'un revolver sur la tempe en temps voulu. "Qu'est-ce que tu voudras faire quand tu seras grand ? Je voudrais être pompier ! Tiens mets ce flingue contre ton crâne et appuie sur la détente !"
Bien sûr, Katy pourrait stopper le show, le présentateur pourrait stopper le show, tout le monde pourrait mettre fin à ce délire mais seul Rick est vraiment en position de le faire de l’intérieur et d'une manière symbolique forte. L’émission a fait tomber toutes les barrières qui auraient dû l’empêcher d’exister, maintenant ce qui pourrait la détruire c’est qu’un concurrent se serve de ses propres éléments pour en défaire la logique.
Alors, on peut se dire que comme les autres, Rick est influençable et influencé. Sauf qu’il ne l’est pas justement. C’est le candidat le plus proche d’être en véritable désaccord avec le principe de l’émission, il n'est là que pour l'argent.
Cela signifie que lorsqu’il laisse Brad risquer sa vie, il le laisse faire en espérant qu’il meurt. La possibilité que Rick puisse se dire « pourvu qu’il ne se tue pas » est nulle puisque sinon, il dirait simplement « Arrête, prend l’argent ! »
Il me semble assez ridicule de s’imaginer qu’après une telle expérience Rick et sa famille puissent continuer à vivre leur petite vie comme si de rien était. Celle-ci est l’incarnation de l’innocence, de la vie chrétienne. La femme de Rick l’admire car il est « incapable de dire un mensonge. » Comment poursuivre dans cette même perception d’eux-mêmes alors que Rick sacrifie un jeune homme à cette existence ? Et le petit Ricky qui leur a coûté tant d’argent, comment il va se sentir quand il grandira et qu’il verra que son père a laissé un jeune homme se suicider à cause de lui ?
Métaphoriquement, c’est Ricky que Rick laisse mourir. Son fils sera juste l’esclave de l’héritage familial, « interdit de profiter de ta vie comme tu le souhaites fiston, elle n’est pas à toi, elle est à l’Amérique. »
En parfaite arme de propagande, le show constitue une métaphore de la vie dans la société qui l’abrite et elle soutient ses valeurs.
Jewel, l'incarnation de ce qui est beau, a une valeur parce que rare (blonde aux yeux bleus) et est totalement inutile => Être bouffé par le regard extérieur, par la conformité (et donc par les valeurs de la société)? Oui.
Don: Être un imbécile qui veut être célèbre pour rendre papa/dieu et maman fiers ? Oui.
Abalone: Être une folle qui reproduit sur les autres les abus dont elle a été victime, défend les mêmes valeurs que ceux qui l'ont traumatisée et cela pour le divertissement général ? Oui.
Pablo: Faire partie d'une pauvre minorité sexuelle ou ethnique qui en prend plein la gueule et est maintenue dans une existence misérable sans jamais penser à se rebeller violemment au point d'en arriver au suicide ? Oui, parfait, c’est bien mon petit chien.
Rick: Sacrifier tout au nom d'un héritage familial ridicule sans jamais oser prononcer l'ignominie d'une société qui laisse des gens s'endetter pour sauver la vie de leur enfant ? Oui.
Brad: Mais remettre en question la vie d’esclave imposée par la société fasciste et hurler son amour de la vie ? Alors ça, certainement pas, toi tu es bon pour l’échafaud.
Le révolver est vide pour les quatre premiers concurrents et entièrement chargé de vraies balles pour Brad. Il a été échangé entre Don et le surfeur imbécile.
C’est sans doute pour cette raison que l’assistante du réalisateur baisse la tête lorsque Brad porte l’arme contre sa tempe. Elle sait ce qu’il se passe.
Et le surfeur aussi a un doute lorsqu’il prend le révolver qui lui parait trop lourd pour une arme dans laquelle il ne devrait y avoir qu'une seule balle réelle.
Revoyons cette scène étrange au ralenti. Alors, il ne faut pas tomber dans le biais Apollo 11 qui est de croire que sous prétexte qu'une personne se trouve dans une situation très particulière, ses réactions ne reflètent pas des sentiments et des émotions banales.
Lorsqu'il est sélectionné, Brad a un petit rire d'incrédulité. "Evidemment, c'est moi le sportif de l'extrême qui risque régulièrement sa vie qui se retrouve à devoir appuyer sur la détente quand c'est quitte ou double."
On lui donne l'arme et il est immédiatement surpris. Il interrompt son mouvement et fixe le revolver.
Il le trouve certainement trop lourd. Il a un mouvement de recul qui échappe presque à la caméra qui se dépêche de filmer ses mains.
Puis il balaye soudain la salle d'un regard scrutateur. Il cherche un autre regard justement qui confirmerait son doute horrible. Celui de la jeune femme qui lui a donné le pistolet par exemple et qui a baissé les yeux pour éviter ce moment.
Mais le présentateur lui demande d'entrer dans le barrillet (pas du tout par hazard) et Brad hausse les épaules en se disant qu'il est fou. L'organisation de l'émission est parvenue à lui faire oublier que c'est sa vie qu'il joue. Ou pire encore, il comprend que tout le monde veut qu'il se tire une balle dans la tête et ce constat amère le convainc de le faire.
Après la fin de l’émission, Katy se fait assassiner. On pense immédiatement à une personne écœurée, soit par la mort de Brad, soit par le concept de l’émission et lorsque Don l’avocat explique que l’assassinat n’a rien à voir avec la position de Katy dans l’histoire, on y croit pas une seconde.
Pourtant, une personne qui se serait opposée au principe de l’émission n’aurait-elle pas mieux fait de s’attaquer à Katy avant le show ? Avant la mort d’un des concurrents ? Avant que la chaîne de télévision ne se soit rempli les caisses à ras-bord ?
L’assassin de Katy n’est pas motivé par des considérations morales. Il ne cherche pas à faire de tort au show, bien au contraire. Il étouffe toute considération morale en offrant une rétribution à la mort de Brad. La morale marchande veut un équilibre, il est rétabli par la mort de Katy. Ce meurtre a été commandité par les directeurs de la chaîne ou autres personnes de pouvoir, ce n’est pas l’acte isolé d’une personne choquée.
Ainsi, Live ! est un film étrange car il ne s’attarde jamais réellement pour dire qu’un tel spectacle est odieux, abject, inhumain etc… bien au contraire, le film suggère même qu’il est normal dans le contexte de leurs vies de misères que le gens soient attirés par de tels rituels.
« What I do… what we all do is giving audience what they want. But we do it in a way which make it seem justified […] it’s all about wishful filming. […] What I got to do is not place the audience where they really are but where they wanna be. Starring in a movie, meeting the president, recording a hit song, and we got here, your world is indelibly confused with our world and we can do with you whatever we want.”
Ainsi, au travers de la petite biographie des participants, le public s’identifie à eux et peut les voir être récompensés, ou punis pour ce qu’ils sont. Et vu que nous sommes dans une situation où une grande partie du public est croyante, il n’est pas difficile de s’imaginer que plein d’imbéciles verront dans le « choix » des vainqueurs une décision divine.
Live ! est donc une arme de propagande pure et simple. Un média qui indique aux citoyens d’un pays le chemin qu’ils doivent suivre. C’est une forme de conditionnement qui amène à ressentir des valeurs parfaitement idéologiques comme étant naturelles, à les accepter masochistement et qui associe le fait de les remettre en question à l’échec et à la mort.
Tous les participants de Live ! ont une bonne raison de remettre en question la société et la culture dans lesquelles ils vivent. A la place on les récompense parce qu’ils sont prêts à aller jusqu’à l’ultime sacrifice pour être acceptée par elles plutôt que de les critiquer, par extension on récompense les membres du public qui s’identifient à eux : c’est bien, restez soumis.
Il y a un détail que je ne comprends mais qui pourtant j'en suis certain, est fortement porteur de sens. Lorsque le présentateur utilise le mot "divertissement" plutôt qu' "émission" et que Katy s'énerve en régie. Je ne vois pas la différence que cela fait, mais il me semble certain que ça n'est pas une erreur. On a demandé au présentateur d'effectuer ce changement, je ne comprends pas très bien pourquoi.
Par rapport au personnage de Katy, il faut souligner qu'elle croit en ce qu'elle fait. Elle aussi joue à la roulette russe. Tout comme ses concurrents, elle est prête à tout jouer sur un coup ultra risqué simplement pour avoir le sentiment qu'elle existe. Et comme eux, elle se plante, puisqu'une fois Brad mort, elle réalise que le jeu n'en valait pas la chandelle. Les flashs des appareils photos deviennent insupportables, le regard qu'on porte sur elle devient une douleur, elle qui voulait justement qu'on se souvienne d'elle éternellement.