Kill Bill : Bill ne meurt pas à la fin. Version longue. (7300 mots)
J’ai déjà écrit un article sur ce blog dans lequel je soulevais principalement l’idée que Bill ne meurt pas à la fin du film et cela sans trop d’espoir de convaincre puisque mon argumentation se résumait au minimum syndical parce que c’est trop duuuuuuur ! Tarantino est trop compliqué et c’est un calvaire de démêler la vérité derrière le méli-mélo de fausses pistes.
Comme je l’avais écrit dans mon précédent article, l’un des éléments majeurs qui donnent accès au sous-texte de Kill Bill, c’est la narration. Dans tout film qui a un narrateur, ce narrateur ment (sauf exception bien sûr). Il a nécessairement une raison de raconter son histoire et la modifie en fonction de cette motivation sinon il n’y aurait pas de narrateur, on nous donnerait directement accès aux faits. Ne me demandez pas, je ne comprends pas l'existence du narrateur du Spiderman de Sam Raimi.
Le problème c’est que Kiddo s’adresse aux spectateurs et que cela rend la question de sa motivation et du sens de cette narration assez problématique. Si Kiddo sait qu’elle est dans un film, que reste-t-il de l’univers du film ? Que reste-t-il d’elle ? Cette narration a forcément un autre sens que le simple fait que Kiddo sache qu’elle appartient à un univers fictionnel.
Dans Titanic, Rose raconte son histoire à une équipe de chasseurs de trésor et s’offre une reconstitution idéalisée de sa relation avec Jack, le pauvre type qu’elle a manipulé pour voler le diamant de son riche prétendant et entrainer le naufrage du bateau en détournant l’attention des guetteurs alors qu’ils traversent une zone remplie d’icebergs. (Jack existe-t-il au final ? Lui qui est monté à bord avec les places de quelqu'un d'autre...)
Dans le futuriste Ghosts of Mars, Melanie Ballard essaye d’expliquer à un tribunal correctionnel comment elle a fait pour totalement foirer sa mission, perdre tous ses hommes et laisser le prisonnier qu’elle devait escorter s’échapper. Par conséquent, son compte rendu mettra en avant à quel point c’est pô d’sa fôte ainsi que le fait qu’elle avait pratiquement accomplie sa mission comme une grande mais que tout est parti en couille à cause d’une armée de barbares invincibles et virils contre lesquels personne n'aurait rien pu faire.
Le public visé associé à la psychologie de Rose et Mélanie suggèrent en creux la déformation de la narration. Le problème dans Kill Bill, c'est que Kiddo n’a pas de public à proprement parler, enfin si justement, mais normalement elle ne devrait pas le savoir, c’est n’importe quoi. Elle parle même des critiques du premier film au début du second. Qu'est-ce que cela signifie ? J’y reviens.
Le deuxième élément important pour déterrer le sous-texte de Kill Bill est tout aussi gênant car il est totalement passé sous silence dans le film. Où est la famille de Kiddo ? Est-il dit à un moment quelconque qu’elle est orpheline ? L’est-elle ? A cause de l’orientation radicale et simpliste du récit « Moi vouloir tuer 5 personnes » on en oublie que les personnages ont une histoire, qu’ils ne sortent pas de nulle-part… ce qui n’est pas étonnant, on n'a pas besoin de renconter la famille de Dutch dans Predator. Pourtant dans le cas de Kiddo cette absence de racines pose problème. Il n’y a pas d’option « assassin » en terminale au lycée, Béatrix Kiddo a forcément un parcours particulier qui ne nous est jamais compté. D’ailleurs d'où lui vient ce nom d’actrice porno ?
Là où je veux en venir c’est que soit Kiddo est orpheline, soit Bill est son père. Oui, je sais ça peut sembler extrême mais ce n’est pas vraiment important en fait. L’intérêt c’est que cela décrit parfaitement leur relation, c’est-à-dire que Kiddo n’a pas de « Moi », uniquement un « Surmoi » pour utiliser des termes freudien faute de mieux. Elle n’est que le jouet de Bill, elle obéît à la loi de son Dieu comme une petite fille fait tout pour son papa. Elle le dit elle-même à la fin du film : « Avant d’être enceinte j’aurais sauté d’un pont en moto pour atterrir sur un train si tu me l’avais demandé » quelque chose comme ça. De même qu’elle s'inflige l’entrainement de Pai Mei uniquement pour faire plaisir à Bill. N’a-t-elle pas des parents pour se montrer hésitants face à ce choix de carrière ? Pas d’amis ? Même la répétition du mariage n'entraine aucun développement du type "appel des parents qui doivent arriver le lendemain" ou "membre de la famille présent pour la répétition." Seuls des amis récents sont présents.
Voilà donc mes deux principaux outils introduits.
1- Kiddo est la narratrice donc elle ment fort probablement.
2- Le fait qu'elle n'a pas de famille représente une faiblesse majeure.
-1- Le Trouble existentiel
Kiddo tombe amoureuse de Bill quand elle le voit égorger un gros black. Bill a donc la plus grosse de la planète. L'amour de Kiddo pour Bill est vaniteux. Elle s'offre en trophée à un mec qu'elle idéalise. Il n'y a pas d'amour là-dedans.
Kiddo est donc un personnage qui ne reçoit d’affection de personne. Tout comme Bruce Wayne qui a besoin d’être Batman pour se sentir digne de l’affection de ses parents morts, elle souffre d’un trouble existentiel grave qui naît de l’absence d’affection. Elle n’a pas de raison d’être.
Un enfant qui souffre d'un manque d’amour peut tenter d'y remédier en se soumettant radicalement aux attentes parentales: Kiddo épouse entièrement les attentes de Bill et ne se développe pas comme un individu autonome mais comme une extension de lui. Elle ne cherche pas à être elle-même, elle cherche à être ce que Bill veut qu’elle soit, ce qui lui évite d’avoir à se poser des questions sur la moralité de ses actes qui sont automatiquement moraux puisque tournés vers celui qui crée la Loi. Une personne ainsi structurée psychologiquement n’a d’estime d’elle-même qu’en lien avec la personne à laquelle elle se soumet et vit donc dans un monde uniquement construit de symboles/signes. Je sais, ce n'est pas évident à comprendre ici mais promis j’ai des arguments qui viennent ensuite pour expliquer comment ça se voit dans le film et qui éclaircissent un peu ce que je veux dire par là.
Ce qui met soi-disant fin à cette domination du Père, c’est la scène ambiguë durant laquelle Kiddo découvre qu’elle est enceinte. Ici, on peut choisir plusieurs interprétations possibles je pense, qui reviennent peut-être toutes au même : la pseudo-naissance d’une individualité chez Kiddo.
1. Ainsi, jusqu’à ce moment elle n'était qu'un objet, le jouet de Bill, mais lorsqu’elle se découvre enceinte, elle découvre en elle quelque chose qui échappe à la volonté de son homme. Elle lui est soumise corps et âme mais cet enfant à naître a droit à une vie propre. Au nom de cette vie, pour la première fois, Kiddo trouve une raison d’agir sans le consentement de Bill.
2. Le problème, c’est qu’il se passe autre chose dans cette scène: son test de grossesse lui sauve la vie. Cet événement pourrait également la faire naître en tant qu’individu. Passer prêt de la mort lui fait prendre conscience qu’elle a une vie propre au travers de la peur qu'elle ressent de la perdre pour la première fois. C’est d’ailleurs ce qui me fait me dire que Kill Bill ne peut pas bien finir parce que Kiddo entretient une relation fusionnelle existentielle avec son "enfant" dès le départ. Ça donne pas une bonne mère ça.
Premier mot qui sort de la bouche de Kiddo quand elle découvre qu'elle est enceinte: "Fuck." Sans parler de l'attente du résultat qui est une pure scène de suspense anxieux. Elle est pas super joyeuse d'être enceinte la Kiddo.
3. Et finalement, il y a encore une autre possibilité, c’est que Kiddo ne naisse pas comme individu mais que l’élève dépasse le maître. Bill lui a enseigné que tout ce qui comptait c’était d’être la plus forte, il est logique qu’un jour ça lui explose à la figure. Lorsqu’un assassin devient soudainement inoffensif parce que Kiddo est enceinte, celle-ci découvre une arme plus puissante que tous les arts-martiaux de la terre : attendre un enfant, être mère. (Elle découvre l'arme absolue et la tourne vers Bill pour lui échapper).
De ces trois idées, je pense que je conserve la notion que Kiddo a trouvé un autre objectif gratifiant auquel se soumettre. Je pense que le fait qu’elle ait besoin d’un événement aussi fort symboliquement pour se réveiller suggère qu’elle est toujours aussi malsaine.
La narration et la psychologie du personnage se rencontrent donc dans le fait que Kiddo n’a jamais connu de motivation propre indépendante de Bill. Lorsqu’elle se réveille à l’hôpital, elle ne peut toujours agir que pour un tiers, pour un regard extérieur, elle ne sait faire que ça. Elle ne peut pas agir pour elle-même. C’est là qu’elle attire le public dans le film et qu’elle construit cette histoire de vengeance.
Sa grossesse mettait à sa disposition une autre narration symbolique à laquelle s’offrir -être une bonne mère dévouée à la place d’un bon assassin dévoué- mais le "bébé" est mort et Kiddo sort du coma en pleine crise existentielle.
Ce qu’il y a d'impressionnant dans tout ce tohubohu, c’est qu'il justifie à la perfection le style particulier du film. Rien n’est gratuit dans la mise-en-scène, les chapitres dans le désordre, les musiques décalées, le gore excessif, l’auto-dérision au milieu de combats à mort ultra-violents etc… tout est justifié par le fait que Kiddo n’a pas d’individualité et que son moteur existentiel devient le regard du public.
Elle a besoin de nous, de notre aval, en attendant de retrouver une raison de vivre. Elle nous séduit pour qu’on la tienne par la main jusqu’à ce qu’elle retrouve Bill pour… le tuer ? Non. Pour se remettre avec lui. Comme les femmes battues qui jurent qu’elles vont juste rechercher des affaires et se remettent avec le mec qu’elles prétendaient détester la veille.
Si Kiddo tuait Bill elle n’aurait absolument plus aucune raison d’exister. Il peut lui faire tout ce qu’il veut, elle ne peut rien contre lui tant qu’elle n’a pas une autre raison de vivre qui l'attende.
-2- La Vengeance factice
Imaginez une seconde que des personnes débarquent chez vous, vous refont le portrait et que l’une d’entre elles tue votre enfant sous vos yeux de sa propre initiative. Vous vous réveillez à l’hosto et décidez de vous venger, qui retrouvez-vous en premier ? Allez-vous remonter la liste de vos agresseurs un à un pour les tuer alors que leur crime est exclusivement de vous avoir tabassé ? en prenant d’un bout à l’autre le risque de ne jamais faire payer son crime à l'assassin de votre enfant ? Ou allez-vous profiter de l’effet de surprise pour retrouver le monstre, apparaître dans sa chambre en pleine nuit et le réveiller en lui tranchant la gorge ?
Si réellement Kiddo voulait tuer Bill pour venger son fœtus, les choses ne se passeraient pas comme elles le font. Le déroulement des événements est d’autant moins crédible que la jeune femme est une véritable furie. N’est-il pas un peu naïf de se dire que lorsqu’elle trucide les Crazy 88, Go Go et Oren Ishii, c’est l’envie de venger son enfant pas encore né qui la motive ? Kiddo s’inflige un combat interminable durant lequel elle peut mourir à chaque seconde -et donc se priver de la satisfaction de mourir après avoir éliminé Bill- contre des personnes qui n’ont strictement rien à voir dans l’affaire
D'ailleurs, ce combat commence par le démembrement de Sophie Fatale qui n'évoluait même pas dans le cercle de Bill au moment du massacre.
Ce n'est pas l'envie de venger son "enfant" qui motive Kiddo.
Oren Ishii a vu ses parents se faire assassiner sous ses yeux, qui retrouve-t-elle ? L'homme de main sadique ou le Boss qui a ordonné l'assassinat ?
A la fin du premier film, on la voit dresser une liste des personnes qu’elle estime devoir tuer pour pouvoir considérer sa vengeance accomplie avec en voix off Hatori Hanzo qui explique qu’il est facile de s’égarer lorsque l’on décide de partir en quête de vengeance. Est-ce que Kiddo pourrait s’égarer plus qu’elle le fait ? Non. Elle tue un nombre incalculable de personnes qui n’ont rien à voir avec l’histoire et elle épargne le père de Bill dont elle nous dit qu’elle avait envie de le tuer mais que non, il faut mettre des limites.
En gros, sa vengeance, c’est qui elle veut quand elle veut et la liste sert juste à nous donner le sentiment qu’elle n’est pas simplement une tueuse psychopathe lâchée dans la nature… ce qu’elle est.
-3- Le Retour vers Bill
L’entreprise de Kiddo cache quelque chose de bien plus glauque qu’une simple vengeance grandiose. Tout ce déchainement de violence et de fureur n’est en fait que Kiddo qui revient (inconsciemment) vers Bill la queue entre les jambes. Elle ne s’attendait pas à ce qu’il soit prêt à lui tirer une balle dans la tête et si à la fin du film elle le tue soi-disant pour cette raison, toute fière et rebelle, en réalité elle est totalement dévastée que Bill ait pu la rejeter à ce point. Pensez à ce que des enfants peuvent être prêt à encaisser de la part de parents odieux dans l’espoir d’un jour être reconnus comme ayant une valeur. Kiddo est similaire à cela. Son histoire de vengeance est une reconquête de Bill, elle veut récupérer son cœur en montrant que même revenue des morts, elle est toujours la meilleure. Elle est toujours sa Kiddo.
De plus, elle ne peut pas retourner vers Bill pour l'implorer de la reprendre après la manière dont elle l'a traité. Elle le pense trop fier pour accepter de revenir avec une femme qui l’a trompé comme elle l’a fait, surtout lorsque ça lui a valu une balle dans la tête. Elle éradique donc tous les témoins pour faciliter les choses. Bill n’aura plus à craindre de perdre la face puisqu’il n’y aura plus personne qui connaîtra l’histoire.
Cette version de l'histoire explique le massacre de Sophie Fatale, la nouvelle «protégée» de Bill. Bill a une nouvelle copine, évidemment qu’elle doit passer à la moissonneuse batteuse.
Cependant, il y a une autre possibilité en parallèle. Tout en se rendant à nouveau digne de Bill, Kiddo se construit une dépendance à une autre entité: le spectateur.
Kiddo ne peut avoir que trois raisons d’exister dans le film : Bill, son bébé et le spectateur. Chaque entité l’amène à une fin différente. Si elle reste liée à son enfant mort, alors elle devra éventuellement tuer Bill et mourra par la même. Si elle parvient à se rendre à nouveau digne de Bill, elle pourra effectuer un nouveau glissement vers lui et ils se remettront ensemble « on en refait un chérie ? » Et si elle reste attachée aux spectateurs, elle peut tuer Bill mais la fin du film appelle une suite car elle ne peut pas être "laissée toute seule."
-4- La Femme objet
Qu'en penserait Hatori Hanzo s'il savait ce que Kiddo compte réellement faire de son sabre ? Il lui forge uniquement pour qu'elle tue Bill. Uniquement avec un U majuscule.
Je disais plus haut qu’une personne comme Kiddo évolue dans un monde de symboles ou de signes... même si symboles et signes ça n’est pas la même chose j’essaye juste de me faire comprendre (je pourrais aussi utiliser le mot mythologies dans le sens de Roland Barthes mais cet article est déjà suffisamment compliqué).
De la même manière qu’un religieux radical peut totalement dépouiller le réel et le réduire à « ce que Dieu veut, ce que Dieu ne veut pas, » la réalité de Kiddo se résume à « Ce que Bill aime, ce que Bill n’aime pas. » Ce qui est un sacré avantage pour être une tueuse sans peur, scrupule, pitié ou remords. La soumission absolue à/séduction absolue d'une/ autorité est un sacré avantage pour atteindre n’importe quel but inhumain.
L’arme ultime de Kiddo est qu’elle n’a pas d'individualité. C’est une image et elle joue de sa force symbolique : la blonde aux yeux bleus souriante. Vernita, Elle et Oren sont toutes les trois plus intéressantes et plus humaines qu’elle mais Bill, en bon macho couille-molle immature, préfère la fille qui se soumet à lui entièrement. D’ailleurs, est-ce que Vernita, Oren et Elle ne sont pas ses anciennes maitresses délaissées pour Kiddo ?
Et donc, si chacune d’entre elles a ses talents spécifiques, le talent de Kiddo va être de séduire. Mais quand je dis séduire, je ne parle pas de provoquer une attirance sexuelle, je parle d’avoir conscience de ce qu’il faut qu’elle « offre » à son adversaire pour qu’il se soumette à elle, pour qu’il devienne incapable de la vaincre. La séduction se fait avec des signes, avec du sens.
-5- Séduction : Les Adversaires
Lorsqu’elle massacre les Crazy 88 au sabre dans un déluge d’effets gores, je pense que n’importe qui peut ressentir un certain malaise. On se dit « euh… je veux bien qu’elle veuille se venger mais elle pourrait avoir quelques limites quand même. » Et soudain, apparaît un jeune garçon avec un sabre qu’elle épargne parce qu’il est jeune. Raaa, elle est tellement humaine. Et nous, naïfs comme pas possible, nous la croyons. Ça fait un quart d’heure qu’elle arrache des yeux, découpe des membres et enlève des vies et soudainement, tout le malaise qu’on ressentait à voir notre héroïne vengeresse dévoiler une certaine monstruosité terrifiante disparait. Elle a épargné le petit garçon, ça va alors. C'est la gentille.
Oh, elle retient son coup ! Oh, elle découpe son sabre dans un effet comique débile ! Oh elle lui donne une fessée (allusion subtile à la prétendue fibre maternelle qui motive ses crimes). Finalement, ce n'est pas une tueuse psychopathe.
Même chose pour la musique rigolote pendant le massacre, ou le passage en noir et blanc; tous ces effets Tarantinesques soulignent les interventions de Kiddo dans le récit pour nous garder dans son camp, pour nous séduire. Elle tue une fille de dix-sept ans ? Pas grave, elle nous la présente comme une psychopathe qui éventre des mecs sans raison et qui rigole quand elle la supplie d'éviter le combat.
Si Go Go pleure des larmes de sang lorsque Kiddo lui plante la planche cloutée dans le crâne, c’est probablement parce qu’elle n’est pas réellement morte comme ça. C’est un mensonge... et une hypocrisie car si Kiddo voulait venger sa "fille," (On oublie facilement que le bébé n'était pas né) son instinct maternel l'empêcherait de la tuer (Go-go est la fille née de la vengeance de Oren. Se battre contre Go-go c'est comme se battre contre B.B.)
Mais venons-en aux symboles. Comment Kiddo obtient-elle un sabre de Hatori Hanzo ? En le séduisant d’un grand sourire brillant "ze suis une touriste américaine neuneu". Je me souviens même qu’au cinéma je m’étais dit qu’Uma Thurman était vraiment belle. Mais justement, le plan est là pour ça.
Elle joue la carte séduction avec le vieil asiat tyrannique qui lui fait un sabre parce qu’il déteste Bill ou parce que Kiddo suce bien. Son sale caractère sert à souligner que l'attitude engageante de Kiddo n'est pas spontanée. Il se conduit de manière détestable et ferait perdre le sourire à n'importe qui.
Le sabre Hatori Hanzo donne la victoire à Kiddo face à Oren Ishii dont les derniers mots sont « C’était bien un Hatori Hanzo. » Ce n’est pas Kiddo qui bat Oren, c’est le sabre. Oren ne peut pas s’opposer à la volonté du vieux forgeur de sabre. Euh... attendez, j'ai un horrible doute. Le sabre qui a tué la mère d'Oren est-il un Hatori Hanzo ? Parce que si c'est le cas, Kiddo est juste une pourriture infâme... mais qui utilise un symbole de manière efficace. "C'est le sabre qui a tué ta maman Oren !"
Je n'avais jamais compris la raison de la longue introduction d'Oren, mais si c'est pour qu'on comprenne ce que représente un Hatori Hanzo pour elle ben... wahou Kiddo est un sacré monstre. SURTOUT que Hatori forge le sabre pour tuer Bill, pas Oren Ishii, ce qui montre bien comment Kiddo sait manipuler les symboles à son avantage (et sans scrupule). Poussons l'ironie horrible jusqu'au bout: Hatori aurait-il arrêté de forger des sabres à cause de l'histoire atroce de la petite Oren Ishii ?
Vernita Green meurt parce qu’elle est mère. Lorsqu’elle se retrouve confrontée à Kiddo, elle se dit « qu’est-ce que je ferais si on tuait ma petite fille ? » D’ailleurs, elle meurt devant sa fille pour expier son crime, la pauvre. Elle tire sur Kiddo pratiquement à bout portant avec un fusil à canon scié (impact extrêmement large). C’est une tueuse surentrainée, elle ne peut avoir loupé sa cible que parce qu’elle n’avait pas la volonté de la toucher.
L’interruption de leur combat sauvage par la petite fille qui revient de l’école n’est pas une maladresse de Kiddo, c’est au contraire un coup de maître d’avoir précisément choisi l’heure de sortie des classes. Cela donne à Béatrix l’opportunité d’être « sympa » avec Vernita en acceptant d’éviter de se battre devant sa gamine. Ce n’est pas de la bonté d’âme, c’est de la culpabilisation. « Je suis ici pour venger mon enfant et je montre de l’égard pour le tiens. J'aurais été une meilleure mère que toi, mais c'est toi qui jouis de ce bonheur. » Idem, poussons l'ironie au plus horrible. Vernita aurait-elle fait un enfant également pour expier son crime ? Est-ce que lorsqu'elle voit sa petite fille passer dans le salon, elle se dit que c'est l'enfant de Kiddo ? Bref, notre tueuse vengeresse gagne encore grâce à des signes. Si elle avait dit "je vais te tuer devant ta fille" Vernita lui aurait explosé la tronche. A noter, la déclaration étrange que Kiddo fait à la gamine "quand tu seras plus grande, si tu veux te venger, tu pourras" souligne qu'elle continue à penser en assassin et pas en mère. Si elle pensait en mère, elle aurait platement épargné Vertina ou elle aurait adopté la gamine.
Pour les Crazy 88 je n’ai pas vraiment d’explication par contre. Je pense qu’il y a quelque chose dans le fait qu’elle tue un cliché sexuel en Go Go (l’écolière) et qu’elle porte la tenue de Bruce Lee dans Le Jeu de la mort. Comme si cette allusion faisait qu’ils voulaient tous mourir de sa main. Je ne suis pas convaincu mais toujours est-il qu’il y a encore ici un jeu de signes. Également, le lieu est une allusion à celui du combat final de Lady Snowblood (Une autre histoire de femme soumise qui se bat pour naître en tant qu'individu, bien plus aimable celle-là). Je pense que Béatrix incarne pour les asiatiques un fantasme sexuel ultime ou d'invincibilité qu’ils ne peuvent pas vouloir arrêter.
Plus intéressant, il y a Budd. Lorsque l'on nous donne à voir Budd et sa dernière journée de travail, on voit que ce n'est pas un homme qui a la tête dans les grandes histoires héroïques vaniteuses. Il a les pieds bien sur terre, et comme par hasard il est le seul à dire que Kiddo mérite de mourir. Il ne croit pas à l’histoire de revanche. Il ne croit pas à la morale que nous sert Kiddo. Et il la stoppe net, d’une manière très simple qui ne demande aucune compétence. Pas de duel ici.
Vernita Green aurait vaincue Kiddo si elle avait pu lui dire « Je n’ai pas tué ton enfant connasse ! C’est Bill qui a pété les plombs, à la base on était juste à ta recherche. » Idem, Oren Ishii, si elle n’avait pas eu une dévotion symbolique pour Hatori Hanzo aurait pu dire à Kiddo « Sabre Hatori Hanzo ou non, je vais te faire en sushis ! » C’est d’une certaine manière, leur crédulité qui tue Vernita et Oren. Elles gobent la narration de leur adversaire, tout comme nous. Budd lui, n'est pas dupe de la jolie histoire de maman-venge-son-bébé et la blonde apparait donc face à lui dans toute sa nullité.
Ensuite vient Elle Driver. L’aspect « victoire par la narration » du combat avec Elle Driver m’échappait encore jusqu’à hier. C’était peut-être une des raisons qui me retenaient d’écrire ce texte, je ne sais plus. Elle Driver pulvérise Kiddo. Elle est beaucoup plus forte que notre petite héroïne. Le problème c’est qu’elle la surestime et ne s'en rend donc pas compte. C’est vraiment une idée fascinante. Elle tente constamment de dégainer son Hatori Hanzo parce qu’elle est trop pressée de mettre fin au combat.
J’imagine qu’elle est au courant de la mort de Vernita, Oren et des Crazy 88 et que ça lui fait peur. Elle est convaincue de se trouver devant un adversaire de taille et pense que son salut se trouve dans le Hatori Hanzo qu’elle ne parvient pas à dégainer alors qu’à chaque fois qu’elle a recourt au corps-à-corps, elle éclate Kiddo totalement.
Surestimer quelqu'un ce n'est pas se battre contre une idée ?
Kiddo est au sol, pratiquement vaincue. Elle Driver fait demi-tour pour aller chercher le sabre, quand elle revient sur ses pas, Kiddo a dégoté le Hatori Hanzo de Budd.
C’est peut-être la signification de la question que lui pose Budd. « As-tu plus de regrets ou es-tu plus soulagée que Kiddo soit morte ? » Elle Driver répond « regrets. » Elle pense que Kiddo était un adversaire de taille, ce qui n’est pas exactement le cas puisque c’est le fait qu’elle la prenne trop au sérieux qui donne l’avantage à son adversaire. A l’obsession du Hatori Hanzo s’ajoute le coup de pied sauté grossier et le « I Killed your master » dont je reparlerai plus tard.
Je pense qu’Elle Driver a un complexe d’infériorité vis-à-vis de Kiddo due à la préférence de Bill. Lorsqu'il l'envoie à l’hôpital pour tuer Kiddo dans son sommeil et change d'avis, Elle verse quelques larmes. Elle sera toujours l'autre blonde, la seconde, l'impersonnelle, elle sera toujours "elle." La troisième personne, Je (Bill), tu (Kiddo), Elle.
Encore une fois, Kiddo gagne sur des idées et des symboles. Et c’est à la fin de toutes ces péripéties que nous la retrouvons au volant de sa jolie voiture. Elle s’adresse à nous devant un décor de film, elle nous pointe du doigt l’artificialité de son univers mais en même temps nous rappelle justement pourquoi nous la regardons. Nous la suivons pour la voir venger sa petite fille morte avant de naître.
Pas de chance, Bill est plus malin que ça et attend Kiddo avec sa fille. Fin.
Si l’on accepte que notre héroïne gagne ses combats grâce à la narration qu’elle nous fait, Bill sort de son côté la parade ultime. Elle ne peut plus le tuer au nom d’une vengeance quelconque puisque la gamine est devant elle bien vivante. Ainsi lorsqu’elle arrive chez Bill, toute l’histoire s'effondre en une seconde. C’est d’ailleurs joliment représenté par B.B. qui tire sur Kiddo et Kiddo qui joue le jeu, lâche son arme, tourne sur elle-même et feint la mort.
Nommer la gamine B.B. montre bien qu'elle n'est rien de plus que son rôle. C'est le bébé que Kiddo veut venger. Elle n'est rien de plus qu'un signe linguistique.
Je trouve cette mise-en-scène vraiment impressionnante. Kiddo qui ne fait que nous raconter une histoire depuis le début, qui fait passer tous les éléments par un filtre narratif depuis le début, se retrouve vaincue elle-même poussée à l’intérieur d’un scénario, celui du jeu de la petite fille et lorsqu’elle feint de mourir, le personnage de mère vengeresse qu’elle a créé depuis le début meurt également... et Bill pourrait la tuer comme il le désire à partir de là.
C’est ce qui m’a fait penser pour la première fois que B.B. n’était pas la fille de Kiddo: le fait que Bill l’utilise comme une arme et cela à la perfection et que le nom de la gamine soit également son rôle. Et on sait que Bill n’a de scrupule à rien. « I’m a murdering bastard » comme il dit. Le fait que le père de Bill nous présente une prostituée blonde à la bouche tranchée est venu ensuite. Si B.B. n'est pas la fille de Kiddo, le film contient nécessairement un indice de sa "provenance." C’est la police qui découvre que la mariée est toujours en vie, donc question temps d’agonie sur le sol de l'église avant la prise en charge par l’hôpital il faut pas être trop optimiste, le fœtus a eu tout le temps de mourir.
-6- Séduction : Les Mensonges
Dans le chapitre précédent j'étalais les initiatives séductrices que Kiddo utilise pour vaincre ses adversaires. Cependant, ces adversaires ne représentent pas le seul obstacle qui se dresse devant elle: à la minute où les spectateurs ne sont plus dans son camp, elle est cuite. Kill Bill est typiquement le genre de film qui se termine par un regard caméra ou un clin d’œil (edit: Kill Bill se termine par un regard caméra avant le générique, puis un clin d’œil après celui-ci.).
Pour nous garder dans sa poche, notre jolie blonde doit donc évidemment modifier un peu les faits histoire qu’on ne se rende pas compte qu’elle n’est pas ce qu’elle prétend être. Elle doit modifier les faits pour conserver la force symbolique de son personnage. Kiddo est une héroïne à 100% post-moderne, elle se perçoit comme un personnage et est motivée par un public qui n’a pas besoin d’être physiquement présent pour l'influencer (il est dans sa tête). Aujourd’hui, elle twitterait ses exploits ou posterait des vidéos sur facebook à mesure qu’elle avance dans sa quête.
Toujours est-il que cet impératif de séduction du public l’oblige à mentir par-ci par-là. Comme je l’ai déjà dit tout à l’heure, je pense qu’elle ne tue pas Go Go comme elle le prétend, c’est-à-dire par "légitime défense" alors que la gamine est en train de l’étrangler.
Ensuite, la spécificité des Crazy 88 est qu’ils sont anonymes. Ils portent des masques. Ils ne sont que des hommes de mains dont la quantité est insignifiante. Donc simplement, il est fort probable que Kiddo exagère ce combat. Peut-être étaient-ils dix ou vingt. L’orgie gore qu’elle nous dépeint est là pour nous donner ce que l’on veut. Un autre mensonge qui m’a sacrément frappé, c’est l’introduction à l’hôpital. Kiddo sort de son coma à cause d’une piqûre de moustique filmée en gros plan. C’est une idée hilarante et poétique d’une certaine manière, mais justement… raaaa je vais devenir fou. La piqûre de moustique est une métaphore de son viol. Pourquoi nous introduire pendant dix minutes l’infirmier qui la « loue » à un euh… homme aux goûts sexuels assez déviants, si c’est pour nous raconter à quel point elle échappe de peu à ce viol ?
L'idée de la piqûre de moustique en extrême gros plan et du réveil en sursaut est géniale. Il n'empêche, elle dépeint une idée ridicule, celle que c'est cette minuscule piqûre qui réveille Kiddo. La narratrice ment.
Alors qu’en plus, elle se passe les nerfs sur eux comme s'ils l’avaient violée. Elle arrache la lèvre de son agresseur, qui tombe mort sans raison et elle éclate la tête de l’infirmier avec une porte après lui avoir tranché le tendon d’Achille. Alors bien sûr, le fait qu’elle y échappe cette fois ne signifie pas qu’elle n’y est pas déjà passée auparavant. N’empêche, ils payent cher un crime… accrochez-vous… ils payent cher un crime qui n’a en réalité, dans le contexte, rien de négatif.
Si je dis que Kiddo ment c’est parce que je pense qu’elle est réveillée par la pénétration et le stimulus sexuel. Ce qui est bien plus crédible que le moustique et fonctionne également beaucoup plus au niveau métaphorique. Kiddo n’était que le jouet de Bill, si Bill ne veut plus d’elle, elle n’est plus rien. Jusqu’à ce qu’un gros pervers la trouve suffisamment à son goût pour la violer alors qu’elle est dans le coma, simplement parce qu’elle est belle. Elle revient à la vie grâce au cliché de blonde aux yeux bleus. Mais ça, elle ne pourrait jamais l’admettre parce que ça la salirait immédiatement.
"Oh mon dieu ! Ces mecs sont tellement des porcs que même le lubrifiant qu'ils utilisent est sale !" => Kiddo baratine.
Aussi glauque que ça puisse paraître je voudrais quand même souligner que logiquement ce que font ces mecs ne laisse aucun traumatisme ni aucune trace. Oui, c’est abject, mais lorsqu’on les juge et qu’on se réjouit de voir Kiddo les éparpiller, on est cent fois plus sévère avec des mecs qui abusent sexuellement de filles dans le coma et qui ne laissent aucune trace (physique ou psychologique) sauf lorsqu'ils réveillent/sauvent leurs victimes, qu’avec Kiddo qui a déjà des dizaines de meurtres à son actif. C’est une tueuse professionnelle qui, dès qu’elle se réveille, les met en pièces détachées sans l’ombre d’une hésitation et on reste dans son camp. Elle pouvait appeler à l’aide. Elle pouvait parler. Elle pouvait les insulter. La violence de son comportement suggère qu'elle se réveille au milieu de l'acte.
Mais aussi, elle ne les tue pas vraiment pour leur crime, elle les tue parce qu'elle se réveille avec une bonne grosse soif de sang. Sur l'échelle de la prédation, ces deux mecs sont des gâteaux apéritifs pour elle. Ils font l'amour a des femmes endormies qui ne peuvent pas consentir et à qui ils risquent de sauver la vie. Elle fait des génocides à mains nues pour le fun.
La narration met un accent monumental sur le réveil des jambes de Kiddo, par contre, après plusieurs années de coma, vas-y qu'elle te jette un mec à la force des bras comme si c'était un ballon de plage. Et aussi oui, on meurt d'une morsure à la lèvre c'est bien connu. => Elle baratine.
Il est important de constater que ces deux hommes sont des lâches car on va spontanément considérer la vie de notre héroïne en danger alors que rien ne dit que les deux mecs auraient fait quoi que ce soit de violent à son encontre. Cette scène repose sur l’idée que pénétrer une femme est un acte violent par essence et que par conséquent, ce mec qui le fait alors qu’elle est dans le coma, l’aurait sans doute tabassée pour continuer son méfait. Or rien n’indique ça. Au contraire, si sa seule interaction avec son agresseur lui ôte la possibilité de parler (elle lui arrache la lèvre et il tombe dans les pommes/meurt) c’est peut-être parce qu’en réalité, il s’est trouvé tout con que la fille qu’il était en train de violer se réveille et qu’il a juste dit « Oh merde ! Je savais pas que... » et que Kiddo l’a tué de sang-froid. Idem pour l’infirmier.
Il me semble que la même année, j’avais également vu Parle avec elle de Pédro Almodovar dans lequel une jeune fille dans le coma est également réveillée parce qu’un infirmier la viole et qu’elle tombe enceinte. Je pense que derrière ce type de scénario il y a l’envie des réalisateurs de réaffirmer le fait que le corps féminin est naturellement fait pour accueillir un sexe masculin et que notre culture a tendance à faire comme si c’était par essence une agression que de le désirer.
Je n'ai pas réellement de conclusion sur cette scène du réveil à l’hôpital si ce n'est que tout est imaginable car clairement Kiddo ment sur la manière dont les choses se sont déroulées.
Dans les autres mensonges, il y a évidemment tout ce qui tient du surnaturel et qui sert à rendre le parcours de Kiddo épique. L’entrainement de Pai Mei, les sauts câblés pendant le combat avec Go Go et les Crazy 88, les Crazy 88 occis qui attendent que Kiddo frappent sur la garde de son sabre pour s’écrouler, le coup de pied volant style Sam Raimi quand Elle sort de la caravane de Budd, la résurrection de Paula Schültz et enfin, last but not least, la prise des cinq doigts et la paume qui met fin à l’existence de Billou.
Il y a dans Kill Bill quelques scènes qui échappent à la narration de Kiddo et qui ne peuvent donc pas avoir été modifiées par celle-ci (Bill/Sophie Fatale, Bill/Budd, Budd videur, Budd/Elle, le flic qui trouve le corps de Kiddo). Cependant, si certaines sont clairement des apartés dont la tueuse vengeresse n’a pas conscience -Bill demande à Sophie Fatale « sait-elle que sa fille est encore en vie ? »- l’entretien Budd/Elle a un statut plus ambigu: on voit Kiddo observer l'arrivée d'Elle Driver en voiture au début de la scène.
-7- Budd. Hypothèses.
"Ah ah ah ! Ils n'ont aucune chance ! J'espère juste que Budd me laissera boire un petit verre d'eau et faire une sieste avant que je ne les trucide lui et Elle !"
Comment Kiddo peut-elle savoir ce que les deux protagonistes se disent ? Est-ce qu’elle les écoute ? C’est tout-à-fait envisageable en vérité. Cependant, étant donné que je ne crois pas à la scène de résurrection « nuit des mort-vivants » (encore une allusion séductrice) de l’ex de Bill, son arrivée mélodramatique à la caravane perd son introduction. Surtout qu’elle pourrait prendre un bain et trouver une arme. Elle traverse un désert sous un soleil de plomb pour revenir chez Budd, qu'espère-t-elle ? Elle s’était sérieusement préparée pour Vernita et Oren, là, elle se jette juste dans la gueule du loup. Que font tous les sportifs avant le moindre effort et pendant le moindre effort ? Ils boivent. Kiddo commence son combat déshydraté alors qu’au contraire, Elle vient de s’avaler un verre d’alcool (ce qui donne un coup de fouet pendant les premières minutes selon Jackie Chan, exactement ce qui correspond au combat).
L’attaque de Kiddo est incohérente. Illogique. Maladroite. Vouée à l’échec. Pourquoi donc attaque-t-elle alors ? Pour deux raisons qui reviennent au même et que je vais avoir un mal de chien à expliquer.
Si la scène de l’enterrement est un mensonge, c’est donc Kiddo qui l’invente, mais si elle invente une scène pour en remplacer une autre, celle qu’elle invente devient une métaphore de ce qu’il s’est passé en réalité, de la même manière que la piqûre de moustique était le viol (être violée par ce minable l'a autant traumatisée qu'une piqûre de moustique).
Je ne fait ici que décrire une sorte de règle de la narration. Si le narrateur peut réellement raconter n’importe quoi, le film devient insensé. Il faut que ses mensonges aient un sens, qu'ils trahissent ce qu'il s'est réellement passé en même temps que les raisons pour lesquelles le narrateur déforme la vérité. Un narrateur qui ment à la perfection n'a aucun intérêt.
L’enterrement de Kiddo est paradoxalement quelque chose de très positif. Comme je le disais plus haut, la femme jouet de Bill vit dans un monde de symboles. Elle n’a pas de « Je » tout le plaisir qu’elle peut ressentir c’est d’être conforme aux attentes de son maître et plus tard conforme à sa mission vengeresse de mère éplorée. Budd tente de faire sortir Kiddo de cette structure psychologique d’assujettissement orgueilleux (ce n'est absolument pas une contradiction, notre société est construite sur ce mécanisme) en lui faisant prendre conscience de son corps et de sa vie.
La tentative de Budd pour arrêter la psychopathe n’est donc pas de la vaincre (il ne peut pas la tuer car son frère l’aime encore) mais de la soigner. Lorsqu’il tire dans les seins de Kiddo avec du gros sel, et qu’il vient ensuite lui parler de la taille de sa poitrine, il lui parle du fait qu’elle n’était pas faite pour être une mère et que toute son histoire c’est du flan. Mais aussi, en lui infligeant une douleur intense, il la rappelle à son corps, et en visant ses seins, il la rappelle à son corps de femme.
Quand elle lui crache dessus, il lui crache dessus en retour. Cette égalité de traitement est également positive, c’est un soin. Kiddo, en tant que favorite de Bill, se croit mieux que les autres. Budd lui permet de perdre ses illusions. Lorsqu’il l’enterre vivante, il lui lance « this is for breaking the heart of my brother » ("ça c'est pour avoir brisé le cœur de mon frère"). Il apprend à Kiddo que Bill n’est pas invincible, ce qu’elle n’avait jamais réalisé puisqu’elle l’aime parce qu’elle le croit invincible justement. On voit ça dans la scène coupée du montage final durant laquelle Kiddo tombe amoureuse de Bill. Dans cette tombe elle devrait prendre conscience de la débilité de son comportement et de l’humanité de Bill. Cet enterrement est une critique des chimères transcendantes que poursuit Kiddo et la lampe torche, c’est la lumière, l'accès à la vérité. Budd veut qu’elle se remue les méninges cette andouille meurtrière.
Ce qui aurait à peu près le même effet sur Kiddo, c’est de coucher avec Budd. Parce qu’au passage c’est tout ce que Kiddo est, une femme qui n’assume pas sa libido et tente par mille et un moyens de se laver de ses pulsions en étant la petite princesse du mâle alpha ultime. C’est également pour cette raison qu’elle oblitère le viol qui l’a ramenée à la vie. Et qu’elle se jette sur son rôle de mère à corps perdu.
Bref, lorsque Budd enterre Kiddo, il est accompagné d’un homme de petite taille assez vulgaire qui dit quelque chose de très amusant et très pédagogique. Lorsque Budd lui demande « je t’avais pas dit que c’était la plus belle minette blonde que tu ais jamais vu ? » l’autre lui répond « j’ai déjà vu mieux. » Kiddo lui lance un regard noir et le mec la casse encore d’une remarque hilarante.
Ce qu’il se passe ici, c’est que Budd et son pote apprennent l’humilité à Kiddo. Elle qui se veut si irrésistible rencontre le mec le moins charismatique qu’elle ait jamais vu et tout ce qu’il a à dire sur elle c’est « Baaah, j’ai vu mieux. » En se prenant cette remarque, elle réalise que même venant de lui ça la vexe, que même à lui elle aimerait plaire. Et lorsqu’il qu’il lui répond en gros « tu peux me regarder l’air méchante je m’en fous » elle apprend son impuissance. Il incarne le genre d’homme qu’elle n’aurait jamais regardé et se retrouve à souffrir de ne pas lui plaire et de ne pas pouvoir le blesser symboliquement par sa désapprobation. Elle apprend l’humilité.
Mais comme je ne crois pas au fait que Kiddo ait été enterrée vivante ce soir-là, je pense donc qu’elle a essayé de satisfaire Budd sexuellement et qu’elle a échoué (le petit bonhomme c'est la libido de Budd). Elle qui se prend pour la femme ultime (Bill la préfère à Vertina, Elle et Oren), elle réalise qu’elle est à chier au plumard face à un homme qui n’est pas déjà à la base totalement fascinée par le symbole qu’elle représente (Bill vénère les blondes aux yeux bleus, Budd a un cerveau).
La raison pour laquelle les choses tournent mal, c’est le désert. Dans les films, la sécheresse est souvent utilisée de manière à signifier l’absence d’excitation sexuelle chez une femme (Voir Batman V Superman par exemple). De la même manière que l’eau, un bain, une douche, un lac, une mer, la pluie, signifient l’excitation (Voir Batman V Superman par example). La Momie qui va sortir au cinéma avec Tom Cruise a l’air de ne tourner qu’autour de ça, l’excitation et la frigidité de deux femmes.
Comment Kiddo sait-elle que Budd a toujours son Hatori Hanzo ? Oui parce que son mouvement de tête n'est pas du type "je parcours la pièce du regard et revient, sidérée, sur quelque chose qui attire mon attention." Non, c'est "je reprends mes esprits après un coup violent et soudain je me souviens que je suis à moins d'un mètre de l'endroit où le sabre de Budd est rangé." Ce qui explique également le mensonge étrange de Budd à Elle. Il donne l'avantage à Kiddo. Mais pourquoi est-ce que tout le monde déteste Elle ?
La traversée du désert de Kiddo, c’est son absence d’excitation sexuelle. On a appris à l’hôpital que le sexe de Kiddo ne peut plus se lubrifier naturellement suite à son traumatisme. Est-ce que cela signifie que Kiddo ne peut plus du tout prendre de plaisir sexuel ? Je ne sais pas. Toujours est-il que cela représente un piège fatal pour Budd qui va donc croire qu’il est absolument incapable d’exciter la blondinette et dont la démonstration échoue en conséquence. Il ne peut pas lui montrer que son corps de femme n’est pas plus élitiste que celui d’une autre. D’où, je pense, le Black Mamba (Alias de Kiddo) dans la valise de fric : Budd s’est frotté, non pas à plus fort que lui, mais à quelque chose qui va provoquer sa perte sans l’avoir vaincu. Car c’est ça le serpent, ce n’est pas une défaite, c’est traitre, ça ne prouve ni ne signifie rien, si ce n’est que pauvre Budd est platement mort. Exactement comme il a vécu, rien de symbolique, rien de transcendant, pas de combat épique mais mort quand même.
Ce qui m’échappe maintenant, c’est pourquoi cela devrait-il être Elle qui le tue ?
Elle tue Budd parce qu'elle croit à la supériorité de Kiddo à cause de son amour pour Bill. Raaa, ces gonzesses... pas foutues de reconnaître un vrai mec quand elles l'ont sous les yeux.
En tout cas, ce combat avec Budd pour moi, souligne que Kiddo est irrattrapable. S’ils ont tous les deux couchés ensemble sans résultat, cela explique pourquoi notre héroïne blonde doit traverser le désert et revenir à la caravane malgré le manque d’eau. Si Bill apprenait que pour elle c’est finit la bagatelle, je pense qu’elle perdrait un peu de son aura irrésistible. Mais aussi, elle a donc passé la nuit dans la caravane.
Sans vouloir aller trop loin, mais bon ce passage du film est difficile à approcher, j’ai toujours eu le sentiment qu’il y avait quelque chose de plus fort et de plus vrai entre Budd et Kiddo et qu’ils auraient pu vouloir s’en aller tous les deux. Vendre un Hatori Hanzo une fortune et partir ensemble. Mais que les choses tournent mal. Ça peut paraître très éloigné de la version qu’on a mais il semble très logique qu’un rival de Bill soit apparu dans l’histoire de Kill Bill qu’il ait échoué et que Kiddo l’efface donc de son compte rendu final modifié pour le spectateur. Ça me semble être un obstacle obligatoire (trouver un autre homme) que Kiddo effacerait de son compte rendu une fois surmonté. Et s’il s’est passé un truc du style, c’est avec Budd.
-8- L’ultime mensonge. Bill ne mourre pas.
Kiddo en tant que narratrice nous raconte l’histoire de sa vengeance impitoyable et de comment elle a tué Bill. Tel qu’elle raconte les événements Bill ne peut pas ne pas mourir à la fin du film, puisque celui-ci n’est qu’une introduction à cette mise-à-mort finale.
Par contre, lorsqu’elle se dirige vers chez Bill, Kiddo sait très bien qu’elle n’aura peut-être pas la force de le tuer, à cause de ce que j’ai expliqué au-dessus =>dépendance existentielle.
Or si elle ne tue pas Bill, elle perd l’approbation du public, elle perd son histoire de vengeance maternelle et risque fortement de retomber sous l'influence de son ancien amant. Le père de Bill annonce à Kiddo que son ex l’attend avec impatience. N’est-ce pas cela d’ailleurs qui déclenche toute l’histoire qu'elle nous raconte en chemin ? Ce "Bill t'attend" ranime des sentiments mais aussi de l'espoir chez elle.
Toujours est-il que la mariée se crée un public/arme juste avant d'affronter son dernier adversaire mais qu’elle se crée également une sortie de secours au cas où elle devrait se dégonfler. Cette sortie de secours, c’est la prise des cinq doigts et la paume. C’est le joker qui permet de dire « Hey ! Regardez ! Je l’ai tué » alors qu’elle ne l’a pas fait.
Cette attaque est un miroir de l’attaque B.B. de Bill. Lorsque B.B. prétend tirer sur Kiddo, celle-ci accepte la défaite en prétendant mourir. Elle se rend. La prise des cinq doigts et la paume est la même chose. Kiddo dit à Bill « Pan ! J’te tue » et il devient clair que c’est parce qu’elle n’a pas la force de le faire, c’est une supplication et Bill accepte donc de faire le mort comme Kiddo l'a fait auparavant pour B.B.
Première seconde de leur retrouvaille, Kiddo fait la morte pour B.B. et Bill.
Kiddo se donne la mort pour ne pas vexer sa gamine ? Ou parce qu'elle sait que si elle n'obéït pas, elle perd le public ?
Dernière seconde de leur retrouvaille, Bill fait le mort pour B.B. et Kiddo.
Au-delà de cette logique, il y a quelques autres éléments à noter. Il y a simplement le fait qu’on ne tue pas quelqu’un d’une pichenette et encore moins en faisant exploser son cœur lorsqu’il s’éloigne de cinq pas. Je n’ai absolument aucun problème avec ce genre d'éléments dans un film qui les admet, cependant, Kill Bill ne se passe finalement pas, pour moi, dans un univers qui accepte le surnaturel. Donc pas de « Paf ! Ton cœur explose métaphoriquement tu es mort ! »
Les autres cascades et super prises démentes sont des mensonges introduits par Kiddo en vue du recours à cette technique finale.
Un dernier élément qui me convainc, c’est que si Tarantino avait voulu que cette fin soit fausse, il aurait placé un autre moment où Kiddo devrait logiquement utiliser la technique des cinq doigts et la paume et où elle ne le fait pas.
Genre, elle est bloqué au corps-à-corps avec un adversaire plus fort qu’elle, qui risque donc de la tuer d'une seconde à l'autre et elle a besoin d’une attaque vicieuse de ce genre, comme une piqûre de serpent, pour s’en tirer. A cela, notre réalisateur aurait ajouté un élément clair pour nous faire penser à cette technique, pour dire « Pourquoi cet élément ne fait-il pas penser Kiddo à la technique des cinq doigts et la paume ? »
Ça y est vous l’avez ? Le final du combat avec Elle Driver. Kiddo lui arrache un œil parce qu’elle ne connait pas la fameuse technique de Pai Mei. Elle Driver lui hurle « J’ai tué ton maître ! » dans un surjeu hilarant hyper cliché asiatique.
Quelle devrait-être la réponse cliché de Kiddo ? Utiliser la technique légendaire de son maître pour qu’il revienne des morts un instant et se venge au travers d’elle. Mais Kiddo ne peut pas faire ça car elle ne connait pas la technique qui de toute façon n’existe pas, mais l’idée lui en donne une autre et elle arrache un œil à Elle.
D'ailleurs, elle l'aveugle donc parce qu'Elle a vu quelque chose qui met Kiddo en danger; soit l'échec avec Budd, soit le fait que Kiddo n'est pas la parfaite élève de Pai Mei.
-9- Conclusion
Voilà pour la non-mort de Bill. Devant l’entêtement de Kiddo, il accepte simplement de la laisser partir avec l’approbation du public qu’elle a amené avec elle, c’est-à-dire en la laissant croire que toute cette histoire était une histoire de vengeance et d’amour maternel, alors qu’il n’est pas question de ça.
Et comme je le disais dans mon autre article, il laisse Kiddo repartir avec une bombe à retardement, le test réel de son désir d’être mère, la véritable Kill Bill, B.B. n’est pas sa fille.
Si Kiddo a bluffé, qu’elle faisait tout ça par vanité, elle ne supportera pas cette conclusion et tuera la gamine.
Par contre si elle voulait réellement sortir de sa vie de tueuse et être une maman paisible, réaliser que B.B. n’est pas sa fille ne changera pas grand-chose à son amour pour elle.
Dans les éléments optimistes, j’ai remarqué en écrivant cet essai que si Bill ne meurt pas, alors Kiddo ne tue personne dans le Vol.2 et que peut-être que Budd est donc réellement parvenu à mettre fin à ses pulsions meurtrières.
Il mérite bien ça Budd non ?
J'aurais bien aimé pouvoir imaginer que Budd ne meurt pas et qu'elle s'en va avec lui après avoir récupérée B.B. Hélas, son comportement avec Bill ne correspond pas à un tel scénario, et le sort de Elle non plus.