Nuits blanches à Seattle : Prépare-toi à mourir Annie Reed (2034 mots)
J’aime beaucoup Quand Harry Rencontre Sally… et me suis récemment décidé, à la joie de ma copine, à regarder Nuit Blanche à Seattle, même s’il était bof selon elle.
Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir un film aussi ahurissant de bizarrerie. Sérieusement, au bout d’un moment j’ai commencé à avoir ce sentiment que tout était faux dans l’histoire comme dans un David Lynch.
Tout d’abord, je ne savais pas qu’Annie Reed (Meg Ryan) et Sam Baldwin (Tom Hanks) ne se rencontraient que dans la dernière scène du film. Moi qui m’était dit « au pire, il y aura toujours l’histoire de deux personnes qui se rencontrent » non ! Au contraire, vous êtes devant une comédie romantique qui évite la rencontre romantique jusqu’au bout. Mais que reste-t-il alors ? Et bien il reste un fatras de scènes toutes plus étranges les unes que les autres qui mènent à un final tout aussi étrange et déconcertant. Oui, parce qu’au passage, le mec qui tombe amoureux de la fille en un regard, pitié ! Pitié ! J’aime les comédies romantiques mais le coup du coup de foudre sorti de nulle-part est toujours très désagréable.
Cependant, avant cette scène finale édifiante d’imbécilité (en apparence), il y a, comme je le disais, un film édifiant d’incohérence. Sam Baldwin rencontre une femme qui a un rire insupportable (Jessica) mais qui semble parfaitement lui plaire. Hop ! Elle disparait. Pas de scène finale de rupture. Non seulement elle vire à cause de son rire, ce qui est déjà bien choquant, mais en plus, le film nous donne le sentiment qu’elle n’a même jamais réellement été éligible… alors qu’elle l’était.
De son côté l’histoire d’amour entre Annie Reed et Walter Jackson (Bill Pullman) est tout aussi étrange. Dès le départ on peut voir que le mec ne lui convient pas. Le problème est qu’Annie est sur le point de se marier avec lui et qu’elle n’a pas besoin de rencontrer Sam pour qu’il soit évident qu’elle n’a rien à faire dans ce mariage. Donc lorsqu’à la fin du film, elle lui rend sa bague en lui disant « je ne te mérite pas » et qu’il répond « C’est vrai, » on est tous d’accord. Ça fait des siècles qu’elle aurait dû dire bye bye à cet homme dont elle n’a rien à faire et qui se torture à essayer de la séduire et à lui exprimer ses sentiments… sans parler de la cruauté avec laquelle elle se conduit vis-à-vis de lui (elle lui montre un signe totalement arbitraire que l’amour l’attend ailleurs, à lui le mec qui devait se marier avec elle !).
J'adore Bill Pullman dans cette scène, il joue superbement bien le mec qui est absolument écoeuré (à juste titre) et humilié mais qui se contient malgré une tension intérieure phénoménale.
Bref, je trouverai peut-être la force de reregarder cette bizarrerie mais en attendant, je voudrais juste m’attarder sur l’analyse du premier plan du film.
L’une des choses qui m’a choqué immédiatement c’est que Tom Hanks n’y est pas crédible en tout cas, sa peine ne l’est pas. Dans la scène où il perd son sang-froid au travail parce qu’on lui tend une énième carte pour l’encourager à chercher du soutien, il piétine comme un gamin qui veut un jouet et ne trahit aucune tristesse. Je me suis donc exclamé « il s’en moque que sa femme soit morte », et me suis logiquement dit que le film problématisait peut-être cette situation d’un mari qui n’aimait pas sa femme et qui n’a pas vraiment de chagrin une fois qu’elle est morte, alors que son gamin devient complètement fou et que tout le monde attend de lui qu’il soit dévasté, qu’il cherche de l’aide, qu’il retrouve une autre personne etc… alors qu’il va bien. D’où sa perte de sang-froid au bout de la cinquantième « preuve » de soutien dégoulinante de la part d’une personne qui n’est pas fichue de voir qu’il va très bien. Il déménage à Seattle parce qu’il est marqué au fer rouge « je suis juste un mec qui a perdu sa femme » et ne parvient pas à faire oublier ce statut… et d’ailleurs, ce statut le poursuit puisque c’est ce qui fait qu’il devient hyper populaire lorsqu’il participe à l’émission de radio. Et ce n’est peut-être pas pour rien qu’il s’appelle Baldwin. La grande famille d’acteur hollywoodien. Sam Baldwin est entré dans une narration et ne parvient plus à en sortir, il se retrouve à jouer son rôle. Bref, il y a des choses à déterrer de ce point de vue.
Arrivés à la fin du film, après 1h40 de sale gosse insupportable, ma copine a émis l'hypothèse que c’était le gamin qui avait tué sa mère, le refoulait et que Tom Hanks virait donc Jessica pour prendre Annie Reed parce qu’il ne voulait pas que son fils perde la raison parce que son père ne retourne pas avec une figure maternelle (ou assassine Jessica à son tour). Je pense que l’histoire de Nuit blanche à Seattle est assez glauque pour atteindre ce niveau. Au final, j’adorerais me trouver devant un Insidious 5. Le môme serait littéralement un petit démon qui cherche des victimes de sexe féminin. Ce qui expliquerait la manière dont il dirige la vie de son père sans scrupule et se débrouille parfaitement bien tout seul, ce qui est également un des aspects « grinçants » du film. C’est toujours drôle de voir un enfant prendre des initiatives d’adultes, genre Kevin qui fait les courses dans Maman j’ai raté l’avion, mais là on a un petit garçon de neuf ans qui prend l’avion tout seul. Il pourrait aussi trouver un job pendant qu’il y est. Lorsqu’un conducteur de taxi lui demande « Qu’est-ce que tu vas faire une fois là-haut (Empire state building) ? Tu vas cracher par-dessus la rambarde ? » Il répond « Non, je vais rencontrer ma nouvelle mère. » D’où a-t-il besoin d’une mère ce gosse ? Oui, ok, il a besoin d’affection, admettons, mais tout de même son comportement ultra indépendant et adulte* donne le sentiment qu’il pourrait également comprendre que la vie de son père n’est pas la sienne. Et surtout, pourquoi faire la fine bouche s’il veut juste de la compagnie et de l’amour ? Jessica était parfaite.
*Toujours dans l'idée amusante que le gosse serait un démon, la manière dont il parle de la sexualité est également gênante. Comme pour l'indépendance dont il fait preuve dans le dernier quart d'heure du film, la manière dont il parle de sexe est bien trop nonchalante pour être drôle. Sam Baldwin apparait comme un père parfaitement irresponsable plusieurs fois à cause des dialogues avec son fils sur la question sexuelle.
Dans le film, les femmes sont toutes folles des personnages de cinéma, de la fausseté. Il me semble qu'Annie Reed vénère Cary grant qui était homo non ? Sam Baldwin se retrouve à la radio à cause de son fils et doit faire la démonstration publique du fait qu'il aimait sa femme. S'il n'avait rien eu à prouver il aurait raccroché. Mais il se lance dans une description complaisante (et nécessairement séductrice) de son état dépressif factice, qui va justement séduire toutes les auditrices qui ne savent pas faire la différence.
Mais venons-en à la première scène. Le film commence sur une phrase totalement décalée de Sam à son fils pendant l’enterrement :
« Maman est tombée malade. C’est arrivé juste comme ça. Personne ne pouvait y faire quoi que ce soit. C’est arrivé sans raison, et si nous commençons à nous demander pourquoi c’est arrivé, nous allons devenir fous. »
Il y a néanmoins un double sens sur « Mommy Got Sick ». La phrase est plus souvent utilisée pour dire « elle a vomi » que pour dire « elle a attrapé un cancer. » Le film commence sur cette phrase ambiguë qui empêche de discriminer entre « Ta mère a été empoisonnée et est morte après deux minutes passées à vomir ses tripes » et « maman a attrapé un cancer foudroyant et est morte en à peine quelques mois. »
Dans la seconde scène il est fait allusion au cancer mais d’une manière qui rend la chose encore plus suspicieuse selon moi. Parmi les dizaines de cartes de soutien que Sam Baldwin a reçu de ses collègues de travail, il y en a une liée à la maladie. Seulement, le personnage est justement en train de souligner le ridicule de ces initiatives. Dans ces cartes il y a « Groupe de soutien pour veufs récents » « Réseau de familles touchées par le cancer de Chicago » « Parent sans compagnon. » « Compagnon sans parent. » « Faites-vous un câlin. » « Faites un câlin à un ami. » « Faites un câlin à votre psy. » Ces cartes sont ridicules et souligne l’hypocrisie du soutien qu’on tente d’apporter à Sam. Ses collègues se moquent bien de son sort et cherchent juste à se déculpabiliser (devraient-ils en avoir quelque chose à faire ? En quoi sont-ils concernés ?). Le soutien aux familles touchées par le cancer pourrait être particulièrement inadéquat dans le sens où, la mère ne serait même pas morte d’un cancer. Il ne me semble pas qu’il soit fait allusion à la maladie une seconde fois dans le film (edit : il faudra quand même que je vérifie ça), ou à la manière dont la mère est morte d’ailleurs. Une scène où on la voit malade ? Non. Rien.
Ainsi, la première phrase de Nuit Blanche à Seattle contient toute l’ambiguïté du film, ce qui est parfaitement logique.
Et ce qui suit l’est tout autant. Que dire de la recommandation de Sam Baldwin de ne pas chercher à savoir « Pourquoi ? », sans quoi ils vont devenir fous ? Cela me semble quelque chose d’assez violent à dire à un enfant qui vient de perdre sa mère, surtout devant le cercueil de celle-ci le jour de l’enterrement. S’il y a un moment où l’enfant devrait avoir le droit de se demander « pourquoi ? » vainement et en pleurant c’est bien là. A la place on a un Sam Baldwin et un gamin placides et peu affectés. La déclaration du père est parfaitement prématurée et très froide.
Enfin, le troisième élément décalé de ce premier plan est la manière dont le champ de la caméra s’élargit à la fin de celui-ci, révélant que Sam et son fils n’étaient pas seuls (ce type de plan est d’ailleurs utilisé à des fins comiques en général). Nous prenons la première phrase du film comme une déclaration intime d’un père à son fils « on va se serrer les coudes p’tit gars » sauf qu’il la fait devant un public. Le « si nous commençons à nous demander pourquoi c’est arrivé, nous allons devenir fou » pourrait parfaitement inclure le public : « Ne vous posez pas de question ça ne sert à rien, ne nous posez pas de question vous allez juste nous faire souffrir. » On dirait un méchant de Colombo qui essaye de décourager les témoins potentiels de fourrer leur nez dans son affaire… de meurtre.
Au-delà des indices « directs » que la situation est bizarre, l’idée du meurtre fonctionne parfaitement avec le ton du film qui est très violent vis-à-vis des femmes écervelées qui cherchent un prince charmant de films hollywoodiens. Or, c’est ce qui est offert à Annie Reed à la fin du film: une magnifique rencontre clichée en haut de l’Empire State Building, avec un cœur géant qui file la nausée. Il est très facile de s’imaginer que les scénaristes n’ont pas écrit cette fin au premier degré et y ont ajouté un élément pour la pimenter un peu : « Ah ah ah, pauvre idiote, tu te fais des films toute seule, tu crois que tu viens de faire la rencontre la plus romantique du monde, c‘est un assassin que tu as en face de toi. »
A l'enterrement, la séparation physique entre la famille et les amis endeuillés et Sam et son fils pourrait également souligner un clivage plus profond (et métaphorique). Les gens se doutent qu’il y a un truc malsain dans l’air. Les dizaines de messages de soutiens seraient des accusations en creux : « Va voir un psy ! » « Ta femme n’avait pas le cancer il me semble. De quel maladie meurt-on à son age ? » « Tu as l’air bien heureux de vivre pour un mec qui vient de perdre sa femme ! » etc… la manière dont tout le monde l’empêcherait d’oublier serait une forme de menace latente. Il faut bien s’imaginer que si Sam n’est pas en prison, il devient extrêmement dangereux et politiquement incorrect de dire « il a tué sa femme. » Ce genre d'opinion ne se prononce pas à la légère (heureusement).
La ville apparait en même temps que les autres personnes conviées à l'enterrement. Chicago devient un regard sur Sam et son fils. Un regard plein de pitié ou un regard accusateur peu importe, le plan est bien écrit et met joliment en place la dynamique. D'ailleurs, se pourrait-il que le film signifie cela ? Que la pitié (affectée) n'est qu'à un pas de la culpabilisation et donc de l'accusation d'être responsable de la tragédie qui nous affecte ?
Je vais aller plus loin, parce que la vie est délicieuse, j’ai même l’impression que le film pourrait raconter les débuts d’un tueur en série. Car réellement Annie Reed est abjecte. Elle est minable, superficielle et débile, son narcissisme fait des ravages autour d’elle et je pourrais comprendre qu’un homme veuille l’assassiner. Le coup de foudre final pourrait bien être que le gamin a compris pourquoi son père a tué sa mère et qu’il lui offre sa prochaine victime sur un plateau. Sans parler du fait que toute l’histoire d’amour est construite comme un piège qui se referme, comme une manipulation psychologique. Ça serait tellement hilarant de méchanceté.
D’ailleurs, aux vues du discours tout tolérant de Sam Baldwin je me demande si ses motivations ne seraient pas qu’il est justement terriblement intolérant et qu’il a tué sa femme magnifique et parfaite le jour où il a réalisé son imperfection essentielle (qui en plus a à voir avec sa sexualité, tout comme le rire de Jessica et la manière dont elle traite ses cheveux qui intéresse tant Sam). Traumatisé par son propre comportement, Sam cherche une femme clairement imparfaite, mais à chaque fois qu’Annie Reed passe par là, hop, il est transcendé. A l’aéroport, il dit à son fils « personne n’est parfait, il faut s'adapter » et se laisse subjuguer par la première jolie fille qui passe une seconde après (Annie Reed). Il essaye d'évoluer mais est rattrapé par l'éducation naïve qu'il a donné à son fils: la femme parfaite est un ange, pas une coquine.
Bref, un film à revoir un jour avec un œil avisé.
Edit: OH ! Et je me demandais ce que le titre pouvait bien dissimuler, car les titres contiennent, normalement, le sous-texte du film. Je me demandais ce que Nuits Blanches à Seattle pouvait bien signifier. J’y cherchais une connotation de film d’horreur par exemple mais ça ne fonctionnait pas trop. "Nuits Blanches à Seattle" est le titre de l’émission de la psychothérapeute qui parle d’histoires de cœur typiquement tournées vers un public féminin. Cette émission est une usine à fantasme. Or, que fait-on lors d’une nuit blanche ? Le titre du film et de l’émission font référence à la masturbation féminine mais cela de manière non assumée. Le veuf est un fantasme asexué, c'est l’homme qui n’a plus besoin de sexe et qui a déjà prouvé qu'il pouvait s'engager sérieusement dans une relation. Il a besoin de réconfort, de compagnie, il a peut-être déjà un enfant… c'est un bon petit garçon qui s'est écorché le genoux et qui a besoin qu'on lui mette un pansement et qu'on le réconforte, il incarne le fantasme d’une femme qui est terrifiée par l’aspect sexuel de la relation. Bref, le titre contient la contradiction essentielle contenue dans le personnage d’Annie Reed et de l’émission de radio… contradiction qui inexorablement remontera à la surface. Sam Baldwin veut la sainte vierge, et il réalisera tôt ou tard que c’est une salope. Qu’adviendra-t-il alors ?