Boy Erased: Garrard Conley est hétérosexuel. (1500 mots)
Garrard cherche désespérément de l'aide dans la religion (mains jointes) mais c'est dans l'homosexualité qu'il va trouver une solution (main posée sur l'épaule).
Lorsqu’en 2001 je suis allé voir Bridget Jones au cinéma, je me souviens que son pote homo avait pris pour moi la signification qu’enfin l’homosexualité devenait tout public. Après des années 90 timidement progressistes et des années 80 honteuses, la culture française/américaine s’ouvrait l’esprit. Personnellement, ayant été élevé dans un environnement particulièrement tolérant à ce niveau, sans pour autant avoir fréquenté d’homosexuel, j’étais impatient de savoir, impatient que l’on m’explique enfin ce qu’était l’homosexualité. Le pourquoi du comment. Une scène comme celle de Priscilla folle du désert dans laquelle Adam Whitely explique que son oncle a tenté d’abuser de lui lorsqu’il était enfant représentait pour moi le summum du mystère.
Dix-huit ans plus tard, Call Me By Your Name me rebranche le cerveau à coup de choc électrique. Je m’explique. Ce film est perçu comme une magnifique histoire d’amour. Désolé, mais ça n’en est absolument pas une. Ce film est l’histoire d’une manipulation et d’un abus sexuel et psychologique dévastateur. Si vous ne vous en rendez pas compte, posez-vous des questions parce que les indices sont vraiment nombreux dans le film. Il suffit d’arrêter de s’imaginer qu’Elio est un adulte invincible in-influençable.
Ce qui m’a vraiment secoué, c’est que si peu de personnes l’aient dit, or si la communauté homosexuelle ne voit pas de différence entre une histoire d’amour et la manipulation dont Elio est victime dans ce film, alors la communauté homosexuelle a un très gros problème. Jusqu’alors, je ne me jugeais pas en position d’avoir une opinion sérieuse sur le sujet, mais Call Me By Your Name a tiré la sonnette d’alarme et m’a fait revoir absolument tout ce que j’avais observé jusqu’alors d’un œil bien plus sérieux.
Par exemple, Adam Whitely dans Priscilla Folle du Désert, a fort probablement bien été abusé sexuellement par son oncle. La chute comique qu’il donne à son histoire n’est pas crédible, il ne parvient juste pas à raconter son traumatisme et jette un voile sur celui-ci.
Après Call Me By Your Name, j’ai regardé plusieurs classiques des histoires d’amour homosexuelles et j’ai remarqué des patterns, des éléments récurrents qui, à chaque fois, expliquent l’homosexualité. L’hétérosexualité n’a jamais besoin d’être expliquée.
Boy Erased, Garçon effacé au Québec, cache à peine sa position politiquement incorrecte à notre époque de désorientation sévère. C’est-à-dire que l’homosexualité y est présentée comme un trouble psychologique.
Bien sûr, l’histoire est celle d’un jeune homme qui va être placé dans une institution religieuse qui a pour objectif de lui faire renoncer à son homosexualité, évidemment que celle-ci y sera traité comme une maladie par beaucoup de personnage, mais ça n’est pas de cela que je parle.
Le film prétend dénoncer ces institutions et raconter le chemin de notre héro vers l’acceptation de lui-même. Le climax final étant marqué par son affirmation : « Je suis homo. » Si sa famille rejette son homosexualité, si son environnement rejette son homosexualité, on peut se dire que le film lui, est « progressiste. »
Mais non, l’homosexualité de Garrard Conley est décrite comme un trouble, indépendamment du jugement des autres personnages.
Je ne vais pas analyser le film dans son ensemble comme je l’ai fait avec Call Me By Your Name parce Boy Erased est beaucoup moins tordu et violent et qu’honnêtement, je n’ai pas envie de me faire lyncher. Simplement, si beaucoup de critiques se sont plaints de sa platitude ou de sa lenteur générale, c’est parce qu’ils sont passés à côté du fil conducteur du film qui n’est pas l’affirmation de Garrard en tant qu’homosexuel mais bien son entrée progressive dans l’homosexualité alors qu'il est, à la base, hétérosexuel.
Victor Sykes, le thérapeute qui se transforme en petit enfant terrorisé quand la mère de Garrard vient récupérer son fils héroïquement (mon oeil) et lui fait la morale.
Tout d’abord, parlons du titre : Boy Erased. Avant d’avoir vu le film, je le comprenais comme Erased Boys : Les Garçons effacés. Le film aurait présenté les garçons homosexuels comme un groupe que l’on exterminait silencieusement à l’insu de tous, ce qui correspond bien à l’intrigue.
Sauf que le participe passé est placé derrière le nom au singulier. On parle de Garrard et l’on constate son effacement ce qui est paradoxal puisqu’il est celui qui va s’affirmer justement. Il est celui qui va échapper à l’effacement et s’élever contre les institutions du même type que celles où il a été séquestré. Le film aurait du s’appeler : « The Boy Who Wasn’t Erased. »
Ainsi, Boy Erased suggère que malgré tout, Garrad Conley a été vaincu. Mais comment ?
C’est assez simple. Garrard Conley déteste son père. Oui, je sais, à un moment donné, il hurle l’exact contraire perd son sang-froid et quitte la pièce en furie. Seule fois du film où il s’énerve, lorsqu’il affirme qu’il aime son père… qu’il serait très compréhensible qu’il déteste. Pourquoi ? Parce que son père, Marshall Conley, lui met une pression insupportable. Il veut que sa vie soit un exemple pour la communauté, il veut que son fils soit un exemple pour la communauté. Il anticipe tous ses désirs et l’empêche par la même de s’approprier son existence.
Il y a un côté tragi-comique dans cette scène où Victor Sykes tente tellement maladroitement de faire admettre à Garrard qu'il hait son père, que celui-ci s'affirme dans la position contraire. Alors que c'est en réalité effectivement son père qui l'empêche de s'affirmer et de s'épanouir et qu'il réprime forcément énormément de colère envers lui. Ce mouvement paradoxal se reproduit pour ce qui est de son entrée dans l'homosexualité. Il ne va trouver d'espace de rébellion qu'en s'infligeant exactement ce qu'on attend de lui.
Ce n’est pas innocent que Marshall parle même à Garrard de sexe avant l’heure, lui offre une voiture et lui dise ce qu’il doit faire avec sa copine Chloé qui n’attend que ça… Chloé que Marshall semble avoir choisi pour son fils.
Il est facile de voir que Garrard est dans une position horriblement oppressante et il est facile de comprendre qu’il pourrait vouloir désobéir, sortir des attentes paternelles, sortir de la Bible, pour pouvoir s’approprier sa vie.
Alors, il deviendrait gay pour emmerder papa ? Non. Il prétend être homo pour forcer son père à l’accepter tel qu’il est, à l’encontre de ses convictions étouffantes.
C’est là, la véritable dynamique du film. Garrard veut faire plier son père par amour. Il veut que son père reconnaisse que son fils est plus important que son combat politique.
Il est d’ailleurs très amusant de constater que lorsque Garrard intègre l’établissement de conversion au début du film, rien n’est dit de la raison pour laquelle il atterrit là, ni même de l’endroit où il se trouve, et l’on peut s’imaginer qu’il est dans une école de prêtrise.
Papa Conley est un homo refoulé ?
Plusieurs autres éléments s’ajoutent à cette dynamique avec le père. Il y a celui de la sensibilité masculine dans une culture misandre. S’il est hétéro, Garrard est néanmoins un garçon doux et plein d’empathie qui va être sensible à la douleur de tous les jeunes hommes qui l’entourent et donc lui inspirer une tendresse que l’on peut facilement confondre avec des pulsions homosexuelles dans une culture où la douceur des hommes est taboue.
Puis vient, son viol. Son entrée dans l’homosexualité est faite par l’intermédiaire d’un viol pur et simple qui restera secret jusqu’à la fin du film. Inutile de chercher plus loin. Le garçon qui est finalement effacé, c’est le Garrard hétérosexuel. Boy Erased finit mal, le happy end aurait été que son père et sa mère aient le courage de lui demander ce qu’il s’était passé et qu’il puisse enfin parler de son viol.
Vient ensuite sa relation incestuelle avec sa mère avec qui il mange régulièrement au restaurant en tête à tête et qui lui interdit de passer la main par la fenêtre en voiture : elle ne veut pas qu’il sorte du cocon familial parce qu’elle s’y trouve seule et malheureuse.
Que dire ensuite du fait que les histoires d’amour que Garrard écrivait au lycée tournaient autour de filles et de garçons ? Que sa première nuit « amoureuse » avec un jeune homme tout mignon se résume à des mains jointes dans une tendresse asexuée ? A la fin du film, l’article vengeur de Garrard ne tourne pas autour de l’affirmation de l’homosexualité comme normalité, mais est une dénonciation des établissements de conversions… qui ont fait de lui un homosexuel au final. Et que dire encore du fait que son père est probablement homo… et Victo Sykes, le thérapeute qui met ses mains sur ses hanches pouces vers l’avant et adore écouter ses petits malades confesser leurs perversions… et Brandon l’assistant du thérapeute qui admet lui-même être déviant et qui maltraite les gosses de la meilleure façon qui soit pour les rendre homos.
Comme pour Call Me By Your Name, il faut accepter à un moment donné de remettre un poil les apparences en question. Garrard a probablement un père homosexuel, une mère trop dépendante de sa relation avec son fils, les responsables de l’établissement de redressement fasciste sont eux-mêmes homo secrets, Garrad se fait violer par un homo… quel sens peut bien encore avoir l’affirmation finale de Garrard « I’m gay ! »
Il a bel et bien été effacé, il est devenu un double de son paternel qui, en parvenant à s’aimer véhicule à son père le sentiment d’être aimable. En exigeant l’amour de son père, Garrard soulage en fait celui-ci de sa souffrance.
Cela peut paraître compliqué mais il faudra bien s’habituer à cette logique car elle est très fréquente dans la logique homosexuelle, mais en général également. Chercher à un créer un double de soi pour s’aimer en lui, ou grâce à lui est une tendance psychologique morbide très commune dans notre culture. C’était déjà le cas entre Elio et son père dans Call Me By Your Name, où la mère était également proche d’incestueuse. Bref, Garrard Conley est un jeune homme hétérosexuel qui se fait démolir.
Et au-delà de la petite analyse de cet article, je voudrais encore souligner qu'il devient de plus en plus tabou de parler du fait qu'un jeune homme hétéro peut devenir homosexuel à la suite d'un traumatisme, alors que c'est l'histoire la plus commune.
Pire, j'ai vu dans une review que la manière dont Garrard se remet de son viol était un exemple de courage mais également un résultat du privilège d'être un homme. C'est plus facile de se remettre quand on est un homme. Quel délire. Imaginez l'histoire d'une fille qui se fait violer et devient homosexuelle, nous considérerions immédiatement que son homosexualité est une conséquence de son viol.