17 ans, sérieusement ? : Nadine a un bien plus gros problème que l'adolescence (3000 mots)
La scène finale de 17 ans, sérieusement ? est assez anti-climactique. Alors que l’on s’attend à ce que Nadine parvienne finalement à mettre des mots sur le mal qui la ronge ou à lui trouver une solution visible, les derniers événements se déroulant avant son rétablissement soudain se trouvent n’être qu’une petite mise au point avec son frère et un prof qui la ramène de chez lui en voiture.
Après avoir observé l’adolescente faire des pieds et des mains pendant une heure et demi pour se sortir d’un mal-être vague, après l’avoir vue se montrer insupportable, injuste et terriblement cruelle avec les personnes qui l’entourent, et avoir même pris des risques plutôt étranges, une simple petite conversation avec Darian qui se résume en trois phrases et un service rendu par un prof assez peu compréhensif suffiront à tout remettre en place. Nadine explique, au début du film, que le problème était déjà là lorsqu’elle avait 7 ans, il est terriblement peu crédible que ce problème puisse être résolu dix ans plus tard par un prof qui la ramène chez elle et lui dit « sors de la voiture » et un frère qui lui dit « J’ai autre chose à faire que te chaperonner. »
L'insignifiance de la phrase "sors de la voiture" est elle-même souligné par le personnage de Woody Harrelson, qui sait en réalité que cette phrase a un sens profond.
Autre incohérence, à 13 ans, Nadine voit son père mourir sous ses yeux probablement d’une crise cardiaque alors qu’ils reviennent d’être allés chercher des hamburgers frites au fast food. Au niveau de la structure de l’intrigue, cet élément semble gratuit. Si le film parle d’un trouble durant son passage à l’âge adulte présent depuis sa petite enfance, alors il ne parle pas d’un trouble dû à la mort du père de Nadine, et inversement si on parle de la mort du père, on ne parle pas du trouble présent à la petite enfance. Et dans tous les cas, quel est le rapport avec l’adolescence ?
Cette remarque peut sembler exagérée du fait qu’il n’est absolument pas rare que dans un film un personnage principal rencontre d’innombrables obstacles et guérisse d’une quantité improbable de blessures physiques ou psychologiques. Cependant, au niveau structurel, il n’y a toujours qu’une seule évolution et une seule dynamique, corollaire du fait que le film ne raconte qu’une seule histoire.
Soit vous racontez l’histoire d’une fille jalouse de son frère qu’elle croit être le préféré, soit vous racontez celle d’une fille qui perd son père et a beaucoup de mal à s’en remettre. Il ne peut y avoir qu’un seul problème majeur.
On peut imaginer que la mort de son père qui l’appréciait particulièrement ne fait qu’amplifier la jalousie que Nadine ressent vis-à-vis de son frère et son sentiment d’isolement généralisé. Cette interprétation fonctionne passablement mais reste assez bancale. Tout d’abord parce que perdre son père semble spontanément bien plus grave qu’une petite jalousie vis-à-vis d’un frère qui n’a rien d’existentielle.
Aussi, si l’on veut raconter l’histoire d’une fille qui va se sentir horriblement seule à la mort de son père parce que son frère et sa mère entretiennent une relation privilégiée, alors il faut des exemples de la manière dont cette fille était proche de son géniteur, de la manière dont il l’aidait à s’épanouir, ainsi que de la manière dont la mère est proche de son frère et qu’après la mort du paternel, les choses ne changent pas. Il faudrait montrer que Mona délaisse sa fille ou est injuste avec elle. Il faudrait un grand nombre d’éléments pour nous faire comprendre ce sentiment de délaissement, cette douleur de se sentir isolée et sans valeur, éléments totalement absents du film. La douleur de Nadine reste très mystérieuse, aucun conflit n’éclate avant la dernière partie. Pas de micro-affront quotidien, d’humiliation ou d’injustice, bien au contraire, c’est Nadine qui passe son temps à pourrir la vie des autres, à les insulter et à se conduire parfaitement aléatoirement sans que personne ne comprenne rien.
L’élément non-dit, oublié, qui donne un sens bien plus profond à l’histoire et permet d’expliquer le besoin des intrigues de deuil et de jalousie, c’est que Nadine a été abusée sexuellement par son père lorsqu’elle était encore une petite fille.
Mona ne préfère absolument pas son fils Darian, c’est une idée que se construit Nadine afin de justifier son mal-être sans avoir à se replonger dans ce qui lui est arrivé. Mais lorsqu’à la fin du film elle aborde enfin ce qui la tourmente, elle ne dit pas à son frère « j’ai toujours été jalouse de toi » ou encore « Papa me manque horriblement, il prenait énormément de place pour moi » mais « depuis l’époque où on était petits, j’ai ce sentiment de flotter en dehors de mon corps, de me regarder et je hais ce que je vois. La manière dont j’agis et dont je parle. Et je n’ai pas la moindre idée de comment changer ça. »
Nadine est une jeune femme belle et intelligente qui n’a aucune raison objective de ne pas aimer quelque chose chez elle. Evidemment, une expérience traumatique ou un conditionnement aliénant peuvent facilement détruire l’estime de soi de n’importe qui mais Nadine ne nous raconte rien de tel.
Lorsqu’elle nous explique en voix-off (narrateur = modification de la réalité) que sa mère est la fan numéro 1 de son frère, celle-ci est en train de compter ses cheveux blancs et met plusieurs secondes à réagir au « bye » que son fils lance en sortant de la voiture.
Nadine a alors 7 ans. Tom, le père, déclare « Allez ma p’tite chef, à ce soir. » Evidemment, il s’adresse à Nadine, mais celle-ci ne bouge pas d’un poil. En fait, elle bouge mais il y a un faux raccord ici assez problématique puisque Nadine réagit exactement de la même manière à la réplique du père qu’à celle de la mère alors que je pense que l’idée était qu’elle ne bouge d’abord pas pour ensuite changer de position en réaction à l’interpellation maternelle.
Toujours est-il que la subtilité réside ici dans le fait que Nadine fait comme si son père ne s’adressait pas à elle. Il demanderait donc à sa femme de sortir de la voiture. Et c’est d’ailleurs elle qui va sortir. Nadine va tenter de l’enfermer à l’extérieur, puis à l’intérieur. A aucun moment le père ne la réprimandera. Il s’en moque, c’est une histoire entre Nadine et sa mère. Pourquoi ? A priori nous sommes devant un exemple de petite fille qui ne veut pas se rendre à l’école mais le père ne semble à aucun moment réellement prêt à forcer sa fille à y aller.
A ce moment précis du film, la voix de la narration (Nadine 17 ans) devient la voix mentale de Nadine 7 ans. Le sentiment de temporalité n'est pas très fort chez elle.
Lorsque Mr.Bruner à la fin du film demande à Nadine de sortir de la voiture, on peut penser à la mort du père au volant aux côtés de sa fille, mais il ne faut pas oublier que notre héroïne traînait déjà un désir de rester dans la voiture depuis sa petite enfance.
Ce désir de rester dans la voiture est déjà le résultat de l’abus sexuel. Il y a deux aspects inattendus dans la manière dont le film approche le sujet. Tout d’abord, Nadine n’en parle pas, ne s’en souvient probablement pas et ne se perçoit pas comme une victime. Il n’y a pas d’accusation, pas de vengeance, pas de colère sinon contre elle-même et encore moins d’aspect légal. L’agression est intégralement refoulée et nous n’en voyons que les conséquences tragiques au niveau du développement psychologique de la jeune fille. Egalement, l’acte déviant n’est pas diabolisé. Le père de Nadine n’est pas méprisant, autoritaire ou malveillant, il n’est pas montré comme un pervers libidineux. Il est « juste » attiré par sa petite fille, ce qui est certes grave et problématique mais ne nécessite pas qu’il ressente de la haine, de la colère ou du mépris ou qu’il soit diabolique et malveillant etc… bien au contraire, il ne ressent certainement qu’amour et bienveillance sans trop réalisé que c’est un poil malsain et égoïste d’établir une relation avec sa fille dans laquelle il prétend pouvoir être tout.
Nadine enfant le constate elle-même « j’aimerais que tu aies mon âge. » Elle veut que son père peuple son monde parce qu’implicitement, il prétend pouvoir le faire.
Jusqu’ici, on peut se dire que nous sommes face à une simple relation père/fille dans laquelle le père se trouve être un poil trop puéril.
Le premier indice d’un problème au niveau sexuel, c’est l’agression que Nadine choisit de nous raconter. Trois filles la pousse à terre et l’une lui lance : « Tout le monde te hait. Tu es nulle et tu vas attraper le Sida. »
L’attaque fait rire puisque nous sommes face à des petites filles à l’école primaire. Cependant, on ne sait jamais pourquoi Nadine a tant de mal à se faire des amis. Que fait une petite fille abusée sexuellement par son père ? Elle le raconte à l’école. Lorsqu’on lui lance « tu vas attraper le Sida » c’est en réaction à ce qu’elle raconté.
Il faut bien comprendre que Nadine est en train de nous parler d’un problème qui la ronge encore à 17 ans. Elle remonte jusqu’à l’école primaire et ne le pointe jamais du doigt. Elle ne raconte rien d’autre que des événements qui constatent l’existence d’un problème et suggère un traumatisme ou une influence toxique, mais ne les pointent jamais du doigt directement.
Dans une scène suivante, Krista et Nadine en sont à se dire des secrets. Krista raconte qu’elle a un jour vu le sexe de son grand-père et que ça l’a rendue toute triste. Situation parfaite pour que Nadine raconte sa propre expérience. Oui, mais non. Si son père abuse d’elle, il lui a fort probablement dit de garder le secret, surtout maintenant que tout le monde la déteste à l’école mais en plus, si elle en a parlé à l’école et s’est en conséquence faite rejeter et tabasser, elle ne va pas gâcher sa dernière chance de se faire une amie.
Elle parle donc de la kleptomanie de sa mère… qui veut indirectement dire la même chose. Pourquoi Mona est-elle kleptomane, parce qu’elle est frustrée par sa relation avec Tom mais le refoule. Elle ne veut pas voir que s’il s’occupe si peu d’elle sexuellement parlant c’est parce qu’il s’est tourné vers sa petite fille. Cette frustration s’exprime donc dans son besoin de voler des choses.
Donc lorsque Nadine parle de la kleptomanie de sa mère, elle parle inconsciemment du problème qui la touche elle, ce qui est en parfaitement correspondance avec la manière dont elle ressent le problème. Elle ne voit rien d’anormal dans ce qu’il se passe entre elle et son père, par contre elle a le sentiment que quelque chose ne va pas du côté maternel.
Alors que Nadine et Krista sont en mode « partageons nos secrets » Tom ouvre discrètement la porte et jette un œil à ce qu’il se passe. Rien de malveillant encore une fois, rien de menaçant, mais Nadine 17 ans choisit tout de même de nous montrer cette scène. Partage de secrets = surveillance. Et dans la scène suivante, la voix-off nous suggère que Krista et Nadine ne se sont plus jamais vraiment retrouvées dans cette situation d’intimité. Le gentil papa a toujours été là pour jouer avec elles et les divertir.
Dans la scène suivante, Nadine a 13 ans et apparemment, quelque chose de particulièrement odieux lui tombe dessus « some fuck up shit happened. » L’image nous la montre debout devant la glace de la salle de bain, horrifiée à la vue de ses cheveux ridicules et d’une paire de boutons apparus sur sa joue. L’adolescence est arrivée en grandes pompes.
Et justement, c’est bien de cela qu’il est question. Pas des cheveux ou des boutons mais bien de l’adolescence. Nadine vient peut-être d’avoir ses première règles ? Ce qui est sûr, c’est qu’elle n’est plus une petite fille et que ce passe-t-il ce soir-là ? Ce soir-là papa l’emmène chercher des hamburgers frites au drive du fast food du coin.
C’est à cela que fait référence « some fucked-up shit », au lien entre Nadine qui entre dans l’adolescence et son père qui l’emmène faire un tour dans la voiture. L’arrivée visible, et donc catastrophique, à l’âge de la maturité sexuelle et l’invitation du père à faire un tour en voiture.
Il faut se souvenir que c’est Nadine 17 ans qui raconte. Il est fort probable que comme tout narrateur, elle déforme ou ment. Ce qu’on donne à voir est une métaphore de ce qu’il s’est passé. Nadine a besoin d’être rassurée sur sa valeur ou sa beauté et son père s’emploie à le faire mais sans mettre de barrière. Il lui offre son amour, se met à chanter une chanson dont les paroles fonctionnent parfaitement avec le sujet (Comportement de séduction), il impose d’ailleurs cette sérénade puisque Nadine voulait changer de Radio, et au milieu de ce chant fait une crise cardiaque qui n’est jamais diagnostiquée comme telle.
Il y a plusieurs possibilités derrière cette mort du père. Au niveau métaphorique, Nadine lui briserait le cœur. Elle se refuse à lui, il meurt de chagrin, crise cardiaque. Mais il y a également beaucoup d’autres choses envisageables. Nous parlons d’abus sexuel ici et il est possible que le père de Nadine soit mort lors d’un orgasme, il pouvait parfaitement avoir demandé une fellation à sa fille. Enfin, nous sommes également peut-être face à un meurtre. Nadine aurait assassiné son père, voire même quelqu’un d’autre. Comment ? Pourquoi ? Parce qu’étrangement, tout le monde au cours du film se montre particulièrement tolérant et compréhensif avec Nadine et il est envisageable que les gens sachent très bien ce qu’il se passe entre elle et son père. Si Nadine l’a dit à l’école, beaucoup de gens savent, son frère sait probablement et la seule amie de Nadine qui vienne chez elle c’est Krista la petite fille dont les parents ne se préoccupent pas.
Ainsi, quelqu’un peut avoir décidé de débarrasser Nadine de l’ogre qui lui sert de père. Ou, c’est elle-même qui a décidé de l’empoisonner et ni l’hôpital ni la police n’a cherché à en savoir plus simplement parce qu’ils étaient d’accord avec ce geste.
A l’hôpital, seule Mona pleure la mort de son mari. Darian et Nadine son sonné mais ne montrent aucun signe de chagrin.
La narratrice effectue ensuite un bond de 4 ans. Ce bond contredit l’idée que le problème vienne de la relation Darian/Mona car c’est là que le cauchemar devrait commencer pour Nadine, lorsqu’elle se retrouve seule avec son frère et sa mère. Or, elle n’a rien à dire de ces quatre années soit disant horribles et nous la retrouvons à 17 ans en train de rigoler avec Krista. En réalité, ces quatre années ont été heureuses et Nadine s’est parfaitement remise de la mort de son père.
Ce qu’il se passe d’important ce jour-là (je pense), c’est que la libido de Nadine va enfin se mettre en route. L’apparition des pulsions sexuelles peut-être très facilement retardée par des obstacles psychologiques, dépression ou inhibition, culpabilité etc… et l’histoire de Nadine 17 ans commence dont lorsqu’elle se rend compte qu’elle est attirée par un garçon, le problème étant qu’il s’agit de son frère. On l’entend parler de perdre sa virginité dans une animalerie. Sa libido la fait se sentir animale, primitive, sale car elle la pousse dans une direction incongrue.
Ainsi, le film va suivre la manière dont Nadine va parvenir à se construire une libido saine en faisant tous les faux pas possibles et grâce à un entourage particulièrement compréhensif.
Krista, Mr.Bruner, Darian et Erwin sont excessivement tolérants et compréhensifs. Avec chacun d’entre eux Nadine ira platement trop loin. Elle dépasse les bornes et dans une dynamique réelle, ils l’auraient tous rejetée.
C’est pour cette raison que je pense que Bruner est en réalité un psy (Il n’existe aucun prof qui parlerait ou se comporterait comme lui) qui coach Erwin qui est blindé de thunes et dont les parents sont curieusement absents et qui est amoureux de Nadine depuis un bout de temps et aimerait qu’elle s’en sorte.
Lorsqu'il raconte son histoire d'amour et de sauvetage avec Nadine, Erwin intègre un monstre sympathique, on se demande bien de qui il s'agit.
Nadine va donc tout d’abord se tourner vers son frère et maladroitement lui jeter sa meilleure amie dans les bras par acte manqué. Darian quant à lui avait invité plein de mecs et aucune fille, il voulait que sa sœur se trouve un copain.
Nadine s’oppose catégoriquement à la relation entre Darian et Krista et explique à son amie : « Qu’est-ce que tu dirais si je sortais avec ton père ? » Darian est son frère, mais Nadine, victime d’inceste, ne ressent pas les différences générationnelles. Elle ne s’est pas construite autour du tabou. D’ailleurs, elle pousse son frère à imaginer leur mère faisant l’amour dans un hôtel pour le rendre jaloux et lui donner en vie se venger en couchant avec une autre fille. Elle ne comprend pas que Darian n’est pas attiré par sa mère.
Elle tentera plus tard de reproduire son expérience avec son père dans une autre voiture, avec un autre garçon. Il y a donc 4 histoires de voiture dans le film.
Erwin va l’aider à lui faire comprendre le lien et la différence entre sexe et sentiment. La limite, la distance, le lien. Alors que Nadine ne faisait qu’un avec son père. Car c’est bien de cela qu’il est question dans la pédophilie et l’inceste, un individu s’en approprie un autre. Et la victime peut parfaitement l’accepter voire se sentir heureuse ou flattée, il n’empêche qu’elle en sera aliénée de toute manière. 2018 – on se met à parler de consentement chez les enfants. Les gens (Schiappa) qui font ça savent parfaitement que c’est une mascarade.
Mr.Bruner va jouer le véritable rôle d’un père en lui disant « tu es ma préférée » mais en ne se montrant pas attiré par elle alors qu’elle est entièrement ouverte. D’une manière générale et vague, le seul fait que tout tourne autour du sexe et que la sexualité de Nadine soit si chaotique et aléatoire suggère l’abus sexuel oublié de la petite enfance.
Bref, je ne vais pas analyser tout dans cet excellent film, je pense avoir soulevé suffisamment d'élément pour vous donner envie de creuser la question vous-mêmes.
A savoir la VOSTF est largement préférable à la VF.