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Les Yeux Jaunes des Crocodiles: L'histoire d'une manipulation ignoble. (1800 mots)

Publié le par Kevin

Les Yeux Jaunes des Crocodiles: L'histoire d'une manipulation ignoble. (1800 mots)

Lorsque je me suis lancé dans la lecture des Yeux Jaunes des Crocodiles, je pensais que j’allais tomber sur un livre niais, léger et dégoulinant de bons sentiments. Quelle ne fut pas ma surprise quand je me retrouvais avec entre les mains une œuvre plus froide qu’un film de Tarantino.

Le livre faisant plus de 600 pages, je n’en ferai pas une analyse approfondie. Je voudrais juste parvenir à dépeindre la vérité terrible qui se cache derrière les apparences pouet pouet.

Alors déjà, le titre « Les yeux jaunes des crocodiles » se prend au sens littéral et au sens métaphorique. Les crocodiles sont autant ceux de la ferme d’Antoine que les personnages impitoyables du roman qui se nourrissent les uns des autres.

 

Joséphine est une mère de famille Agrégée en littérature il me semble, qui gagne un peu d’argent en faisant de la recherche au CNRS et dont le mari, Antoine, est au chômage depuis plusieurs années. L’histoire commence sur une séparation hésitante due au fait que Joséphine a appris qu’il la trompait avec une certaine Mylène.

Suite à la séparation, notre héroïne va se retrouver confrontée à un certain nombre de problèmes qu’elle va devoir se débrouiller à combattre pour elle et ses deux filles. Antoine, de son côté, part en Afrique s’occuper d’une ferme de crocodiles avec sa maîtresse, qui est blindée de thunes semble-t-il.

Joséphine se tire des ennuis en faisant une traduction (elle parle russe) qui lui rapporte 8000 euros. Cependant, de son côté Antoine n’est pas payé et Joséphine se retrouve à rembourser ses dettes (1500 euros par mois). Nous avons donc un rebondissement peu crédible positif, suivi d’un autre négatif.

C’est alors que la sœur de Joséphine lui demande d’écrire un roman pour qu’elle puisse se faire passer pour une écrivaine dans les milieux mondains, elle lui explique qu’un éditeur est déjà prêt à lui donner 50000 euros. Joséphine écrit, reçoit la somme, Iris joue à la grande écrivaine à la télé et à la radio.

D’autres intrigues parallèles sont développées. Il y a celle de Shirley, meilleure amie de Joséphine qui a un enfant en secret avec un prince de la cours royale d’Angleterre. Il y a Luca, un littéraire que Joséphine rencontre à la bibliothèque, deviendra son amant et qui a un frère jumeau mannequin que Joséphine croise par hasard pour un quiproquo ridicule. Il y a Henriette la mère de Joséphine mariée à Marcel, 66 ans, qui la trompe et va la quitter pour sa secrétaire Josiane avec qui il va faire un enfant. Il y a Hortense et Zoé les deux filles de Joséphine qui filent un mauvais coton. Iris,  la sœur, secrètement amoureuse d’un réalisateur de film mariée à Philipe, qui aime bien Joséphine. Qui d’autres ? Beaucoup de personnages et beaucoup d’intrigues autour de Joséphine, c’est important.

L’histoire prend fin lorsque Joséphine apprend la mort d’Antoine, dévoré par les crocodiles et que sa fille Hortense apprend au monde que le livre d’Iris Dupin a en réalité été écrit par sa mère afin que celle-ci touche les droits d’auteur.

 

Dès le départ, certains éléments ont retenu mon attention. Antoine et Joséphine se séparent mais sans rancune, sans dispute et sans reproche. Ils se recroisent plus tard et sont toujours aussi amicaux. Chaque nouvelle étape de leur éloignement les étonne. Lorsqu’Antoine envoie les papiers pour demander le divorce, Joséphine s’étonne « mais on ne peut pas divorcer, c’est mon mari ! » Leur séparation ne devient jamais convaincante. Du début à la fin il n’est question que d’un homme qui a perdu son travail et d’une famille qui a besoin d’argent, c’est tout. L’entente entre Joséphine et Antoine ne s’effondre jamais.

De la même manière, Zoé réclame son papa tout le long du livre. Cette présence de la petite fille rappelle qu’il est impossible de faire sortir Antoine de l’histoire et de prétendre que tout va bien, que tout est réglé. Le père d’Hortense et Zoé ne peut pas être évacué, pourtant c’est ce qu’il se passe, jusqu’à sa disparition finale. Joséphine elle-même le constatera le soir de courtes retrouvailles : « Il restera toujours le père de mes deux filles. » Ben non, il finit en pâtée pour crocos.

Autre élément qui m’a interpelé, la maîtresse d’Antoine lui prête une fortune sans broncher. Et lorsque la ferme à crocodile échoue et qu’il perd tout son fric, elle ne se braque pas, elle se recycle, elle rebondit, sans jamais lui faire le moindre reproche. Bizarre non ? Et lorsqu’elle vient apprendre son décès à la fin du livre, elle est déjà sur une autre affaire.

Ces trois détails, je les ai notés sans savoir si Pancol pouvait vouloir développer quelque chose ou si elle cherchait simplement à ne pas être cliché, si elle voulait surprendre le lecteur avec un optimisme doux : le couple qui se sépare en bons termes et sans rancœur, la maitresse généreuse sans jalousie.

Mais à mesure que j’avançais dans le roman, les détails suspects se sont amoncelés pour terminer en montagne.

Celui qui a fait la différence, c’est l’histoire des 50000 euros donnés par l’éditeur avant la sortie du livre. Je me suis dit « Mais, elle ne va rien toucher sur les ventes !?! » Puis le livre devient un succès retentissant et les droits d’auteurs sont passés sous silence. Une adaptation au cinéma doit être faite, personne ne parle d’argent à Joséphine. Je suis resté très perplexe et suspicieux. Alors quand c’est Hortense, la fille, qui se met à parler des droits d’auteurs et que l’histoire se termine sur sa déclaration télévisée qui va permettre à sa mère de les toucher, là, je me suis avoué que ce livre était bel et bien une horreur, une ignominie, une atrocité impitoyable.

Pourquoi donc ?

Parce qu’Iris, la sœur de Joséphine lui ment donc. Elle fait publier le livre à son nom et touche une fortune en droits d’auteur, puisque le livre est un succès monumental. Sa motivation à en faire la publicité n’est pas simplement un caprice vaniteux, le plaisir de faire parler d’elle, mais bien une manière d’en faire un succès pour en tirer un maximum de fric.

Mais cela n’est pas horrible. Ce qui est horrible, c’est le moment auquel la manipulation qui consiste à faire écrire un livre à sa sœur pour lui en piquer les recettes commence. A quel moment cette manipulation commence-t-elle ? Elle commence deux ans avant la première page du roman, quand Antoine se fait subitement virer de son boulot.

Absolument tout ce qui se passe dans le roman n’est que le résultat du talent inexploité de Joséphine et parce que 90% des personnages ont des tonnes de relations et absolument aucun scrupule, tout est envisageable.

 

Antoine se fait virer comme un malpropre parce que quelqu’un l’a indiqué, précisément parce qu’il est le mari de Joséphine et qu’on veut que Joséphine ait des problèmes de frics. Shirley avoue à la fin du roman que ses ennuis ont commencé deux ans auparavant, Antoine se fait virer deux ans plus tôt aussi.

Luca, l’amant amoureux, n’a pas de frère jumeaux, c’est réellement un mannequin qui se prostitue et a été engagé pour séduire Joséphine et la maintenir à distance de son mari. (Combien de personnage construisent-ils leur vie autour de la prostitution dans le livre ?) Il développe même peut-être de véritables sentiments pour elle au fur et à mesure.

Shirley, la gentille copine qui apprend à Joséphine que son mari la trompe est une lesbienne qui lorgne sur sa voisine depuis des lustres et trouve enfin un moyen de détruire leur couple. Son histoire d’enfant caché du prince d’Angleterre est un mensonge grotesque. Sa richesse finale, sortie de nulle-part qui la fait passer d’une vie en appartement à une villa luxueuse, c’est les thunes de Joséphine !

Mylène, la gentille maîtresse qui prête plein d’argent, n’a pas un rond, ses économies lui viennent de ses complices. C’est également une prostituée qui sert à éloigner Antoine. L’argent qui lui permet d’investir dans un magasin de produits de beauté puis de partir en Chine, c’est la thune de Joséphine !

La voisine qui s’incruste chez notre héroïne quand elle se fait expulser subitement illégalement et passe son temps à jouer du fric sur internet, n’a aucun problème d’argent et n’a pas été expulsée. Elle est là pour consolider le mensonge de Shirley.

La ferme de crocodile qui ne marche pas, dont les crocos ne se reproduisent pas parce que les femelles sont ménopausées, et qui fait faire plus d’argents aux vendeurs d’antibiotiques qu’Antoine doit acheter pour soigner les bêtes qu’autre chose est justement une arnaque du capitalisme libéral sauvage. Il n’a jamais été question que cette ferme fonctionne, Antoine est un pantin, il fallait une bonne poire pour porter le chapeau de l’échec… bonne poire qu’on pourrait suicider à la fin de l’opération.

 

 

La réalité de ce roman, c’est qu’Antoine et Joséphine avaient tout pour être heureux mais que les crocodiles sont impitoyables.

Pendant les deux cent dernières pages, je n’ai fait que redouter qu’Antoine se fasse bouffer, parce que c’était la conclusion logique. Les monstres se débarrassent définitivement de celui qu’elles ont démolis, pour ne laisser aucune trace. Et on ne voit pas la scène, c’est juste Mylène qui vient raconter. Antoine a été assassiné.

Et ce qu’il y a également d’absolument horrible, c’est que Joséphine est devenue un double de sa mère qu’elle hait tant.

 

Il se passe également énormément de choses au niveau d’Hortense et Zoé, qui semblent apprendre et comprendre beaucoup de choses mais aussi fréquentent beaucoup de garçons et personnages glauques. Honnêtement, je pense que le pire est à considérer. Exemple, Hortense se prostitue à dix-sept ans auprès de vieux (Chaval, Mick Jager), et Zoé a des expériences à 13 ans (Gary ? Alexandre ? Max ?). Il y a ce moment terriblement bizarre et effrayant auquel Joséphine demande à sa voisine si elle est en train de regarder de la pédophilie sur internet avec ses deux filles (correction 2022: voulais-je dire pornographie ?). Joséphine sent spontanément les dynamiques dégueulasses qui sous-tendent ce qui est en train de se passer autour d’elle. Elle ne veut simplement pas se les avouer. Alors que dans son livre, Florine a cinq maris qui meurent tous pour des raisons extrêmement similaires à ce qui se passe dans sa véritable vie.

Bref, Les Yeux Jaunes des Crocodiles. Un livre horrible et lucide sur l’horreur de notre culture actuelle, parce qu’on parle de l’impact du capitalisme libéral sur nos psychologies ici. On parle du sacrifice d’absolument toutes nos valeurs au nom du fric et de l’apparence. Le viol des enfants. La destruction de l’innocence. L’exploitation impitoyable des hommes. La manipulation sans scrupule des amis et des membres de la famille. Tout y passe car tout ce qui compte, c’est le chiffre.

 

Et au passage, moi qui vomis le féminisme, j’ai été fou de joie de lire un livre qui sait parler des hommes et des femmes intelligemment. C’est incroyable qu’un tel livre puisse faire les meilleures ventes et qu’à côté on puisse faire semblant de prendre les conneries de discours féministes déments au sérieux.