Whiplash: Le Plan Pathétique de Terence Fletcher. (2000 words)
Si quelqu’un peut m’expliquer la situation familiale d’Andrew Neiman qu’il le fasse parce que je ne comprends pas bien ce chantier. Je ne tergiverserai pas des heures sur la question mais il est rapidement clair, une fois que l’on considère l’idée, qu’Andrew Neiman est le fils de Terence Fletcher.
Il l’est au niveau métaphorique, dans l’amour de la musique, le sang sur la batterie, la quête d’une identité masculine, il l’est également dans sa position de figure paternelle pour Andrew, position qu’il vole facilement à Jim. Cependant, il l’est aussi clairement au niveau littéral des spermatozoïdes fécondant l’ovule de la maman. Voici un post de reddit qui développe bien sur la question et dont je reprendrai certains arguments.
Même si j’en suis autant convaincu que cette personne, l’idée pose néanmoins quelques problèmes.
Lorsqu’Andrew abandonne l’école de musique (1h10min) après un terrible accident, il décide d’accepter de témoigner contre Fletcher et de le faire virer. En parallèle de cette décision un montage nous montre le jeune homme abandonner ses ambitions de joueur de batterie. Andrew regarde une vidéo de lui, à sept ans, assis derrière un kit. L’enfant s’exclame « Hey Dad, look at my paradiddle. » Le père est invisible mais la fierté dans sa voix ainsi que la substance de l’interaction rend difficile d’imaginer que c’est Jim qui filme la scène. Le père d’Andrew n’utilise absolument jamais le moindre vocabulaire de batterie, or il aurait déjà appris un mot rien qu’en cet instant.
La batterie, la musique, c’est le lien entre Fletcher et Andrew. Jim n’a rien à faire dans cette équation et la mère d’Andrew n’y est pas incluse non plus. Il ne lui est d’ailleurs jamais donné de nom ou de visage.
Le DVD qu’Andrew insère dans l’ordinateur fait écho au disque que Fletcher insère dans un lecteur pour faire écouter la musique d’un de ses anciens élèves au groupe (Sean Casey). C’est Fletcher qui a écrit sur ce CD « Andrew 7yrs drumming » pas Jim.
Fletcher passera-t-il la vidéo d'Andrew à la batterie à ses élèves lorsqu'il sera parvenu à le pousser au suicide ?
Le problème c’est que tout ce qu’on sait de la vie familiale d’Andrew, c’est que sa mère est partie alors qu’il n’était qu’un bébé et qu’il ne l’a pas connue, qu’il appelle Jim « papa » et Terence Fletcher « Monsieur » (Ils ne semblent pas se connaître). Il est difficile d’imaginer comment Fletcher pourrait être le père d’Andrew.
Il y a beaucoup de manière d’expliquer relativement la situation. La mère d’Andrew aurait trompé son mari, Jim Neiman, avec Terence Fletcher et serait tombée enceinte de lui. Elle garde le secret jusqu’à l’accouchement mais décède d’un accident peu de temps après la naissance du bébé, voire pendant l’accouchement lui-même.
L’absence de mère m’a beaucoup turlupiné alors que je regardais le film pour la première fois et le thème de la désorientation existentielle, qui est clairement présent, (Chez Andrew, Nicole ainsi que chez les élèves de Fletcher), m’a fait immédiatement imaginer qu’Andrew se sentait responsable de la mort de sa mère et donc incapable d’établir une relation saine avec son père puisqu’il l’aurait privé de la femme qu’il aimait. Andrew, en place d’amour maternel, serait enfermé dans un besoin de justifier son existence, d’où son désir de devenir un des « Grands. » Mais beaucoup de choses ne concordent pas avec cette idée de la mort pendant l’accouchement.
Il est plus logique d’envisager celle que la mère a quitté Jim Neiman très tôt après la naissance d’Andrew. Cependant, il devient alors un peu étrange que Jim ait accepté d’élever Andrew comme son fils car si l’on considère que Fletcher est le père, les répliques de Jim dans le film trahissent bien qu’il est au courant du fait.
Enfin, et c’est pour cette raison que j’ai eu besoin de l’article reddit pour me mettre cette idée en tête : Andrew et Jim se ressemblent comme deux gouttes d’eau.
Je suis entièrement d’accord avec le fait que l’intégralité de l’intrigue hurle « Fletcher père caché d’Andrew, Jim père adoptif » et pourtant ce détail classique du sous-texte de lien du sang, la ressemblance, indique indubitablement Jim comme étant le père. Alors, quelle est la solution ?
Jim est le frère de la mère d’Andrew. En l’absence du père biologique, ou face à son indifférence, Andrew a été adopté par son oncle à la mort de sa mère.
Nous en resterons ici pour le moment, (car je pense que la vérité va plus loin mais n'est pas importante). Regardons maintenant le film sous cet angle.
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La raison pour laquelle je trouve si intéressant que Fletcher soit le père d’Andrew c’est que cette vérité cachée donne la mesure parfaite de l’échelle de la médiocrité de l’individu et de l’extrême violence de la manipulation qu’il met en place.
La vidéo où l’on voit Andrew jouer de la batterie est en fait probablement un enregistrement d’une visite de Fletcher chez Jim. Avant une représentation (36min), Andrew observe son prof/père faire sa propagande auprès d’une petite fille qui ne doit pas être âgée de plus de 7 ans. Elle joue du piano depuis une semaine, il lui demande si elle se joindra à son groupe lorsqu’elle entrera à l’université, donc dix ans plus tard environ. Andrew sourit. Il n’y a pas de dynamique narrative au niveau du capital sympathie de Fletcher, c’est clairement un monstre avec ses élèves, il n’est pas question d’en faire un faux méchant, un homme au grand cœur qui se cache derrière une façade de dureté pour avoir plus de moyens pour accomplir le bien. Cette scène ne sert pas à montrer Fletcher sous un jour positif, elle montre que ce type de vision intéresse Andrew, lui évoque quelque chose, parce qu’il s’imagine à la place de cette petite fille, il la considère chanceuse, il repense à lorsqu’il jouait de la batterie au même age qu'elle pour que papa soit fier de lui.
Et l’on peut ici ressentir un peu plus la faible cohérence que cette scène aurait si Jim était réellement le père d'Andrew. Que se serait-il passé entre l’époque à laquelle Jim était fier qu’Andrew joue de la batterie et le présent où tout en encourageant son fils, il laisse également transparaître une forte réticence ?
Aussi, pourquoi faire de la vidéo, celle d’un petit garçon qui dit « regarde papa » plutôt que « regarde maman » ? On comprendrait alors bien mieux l’attachement forcené d’Andrew à l’instrument s’il était relié à sa mère disparue depuis. Et surtout, si le film avait voulu montrer Andrew comme un amoureux inné de la batterie, la vidéo aurait été celle d’un enfant qui joue de son instrument sans s’apercevoir qu’on l’observe parce qu’il est concentré (par exemple).
Ici, on a donc cette étrange contradiction -si l’on croit Jim le père- de voir Andrew chercher l’admiration de son père, l’échange, le partage de l’émotion et la reconnaissance du talent, alors que dix ans plus tard, une fois qu’Andrew est devenu un excellent musicien, ils passent tous deux leur temps tournés vers un écran et le fils révise de son instrument seul dans un appartement.
Bref, c’est Fletcher le père et c’est pour lui qu’Andrew se met en quatre, c’est pour obtenir sa reconnaissance et c’est dans cette dynamique horrible que se situe tout le sens du film.
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Lorsque Flechter dit à Andrew « If you want the fucking part, earn it. » (Si tu veux la place, mérite-la.) la « place, » c’est autant la place derrière le kit de batterie pendant le concert, que sa place sur terre.
Voici l’idée qui donne le titre à cet article :
Fletcher a fait des enfants qu’il prive de sa reconnaissance paternelle pour utiliser leur quête d’un bien-être psychologique comme motivation à devenir des musiciens virtuoses.
Ainsi lorsque beaucoup de spectateurs et de critiques se demandent s’il ne va pas trop loin dans ses abus, insultes, gifles, humiliations, coups tordus vicieux, ils ne réalisent pas qu’il va largement bien plus loin que ça. Andrew n’existe que parce que Fletcher veut son Charly Parker et ce psychopathe lui fait bien sentir que « Si tu n’es pas le nouveau Charly Parker, tu n’es pas mon fils. »
Andrew se moque de la batterie, ce qu’il cherche c’est la reconnaissance de son père, son amour. Fletcher se sert de ça pour le pousser à l’acharnement. A la minute où il est viré de l’école, le jeune homme met de côté l’instrument, sa passion est morte. Un autre indice du fait qu’il n’aime pas réellement la batterie se trouve dans le fait qu’il apprend les morceaux par cœur ainsi que les interprétations de musiciens connus. Il ne donne pas vie à un sentiment, il ne cherche pas à s’exprimer au travers de l’instrument, il fait de la séduction. Il cherche ce qui plait à Fletcher, il identifie ce qui plait à Fletcher, il se met au niveau pour pouvoir le jouer et il apprend par cœur.
Au fur et à mesure du film, on voit aisément Andrew adopter les mêmes comportements que son prof/père. Alors qu’il a au départ des problèmes à regarder les gens dans les yeux, il finit par tenir tête à ce prof abusif et autoritaire. Il prend confiance en son talent et en ses capacités… et se met à insulter les autres joueurs de batterie. Durant le concert final, après une ultime humiliation colossale, il prend le contrôle de la représentation, donne des ordres à tous et à toutes et termine sur un solo… seul… son talent au centre, accompagné par sa solitude.
Ainsi, en ne faisant que chercher la reconnaissance de Fletcher, il devient lui, il se fait phagocyter par le psychopathe.
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Le final que l’on peut croire positif (au moins cinq bonnes minutes) marque en fait la destruction ultime d’Andrew. On pourrait se demander pourquoi enfin obtenir la reconnaissance de Fletcher devrait être négatif, parce que ce qu’Andrew cherche c’est l’amour de son père. Si Terence avait reconnu dès la première scène du film, qui est donc celle de leurs retrouvailles, si Terence avait reconnu son fils et lui avait dit « Je suis fier de toi tu es parvenu à intégrer la meilleure école de musique du pays » Andrew aurait obtenu ce qu’il désirait et il aurait probablement très vite arrêté la batterie décidant que ça n’était pas pour lui. Cela aurait représenté le point de départ de sa vie propre.
A la place, Fletcher l’enferme dans un cycle d’attente perpétuelle. Il l’encourage, l’humilie, le provoque et surtout, ne se montre jamais satisfait. Il ne lui dit jamais « good job. » Rien n’est jamais suffisant. Bien sûr, dans l’absolu, l’insatisfaction d’un mentor n’est pas obligatoirement néfaste, surtout quand l’enjeu est la pratique d’un instrument, mais ici il s’agit d’une reconnaissance du droit à l’existence.
La première scène du film est assez hilarante, c’est une métaphore du contrat existentiel que Fletcher passe avec Andrew. Le film ouvre sur un roulement de tambour dans le vide infini, la batterie c’est la force vitale. Puis le premier plan est gynécologique. Le long couloir et la porte sont une paire de cuisses et un vagin. Cette image est utilisée plusieurs fois dans le film. Le reflet dans le miroir annonce déjà la dissociation d’Andrew entre le batteur et l’individu réel.
Je reviendrai dans un autre article sur le déroulement du test et ne garderai ici que sa conclusion : Fletcher s’éclipse sans donner son avis, sans conclure. Il suggère à Andrew que son jeu est mauvais, qu’il doit continuer à travailler mais cela de sa propre initiative, parce qu’il veut devenir un grand joueur de batterie, alors que ce qu’Andrew désire c’est la reconnaissance de son père.
Bref, Fletcher est bien plus cinglé qu'il n'en a l'air.
Petit détail bonus qui est la raison véritable pour laquelle j’ai cogité sur ce film.
Lorsqu’il demande à Nicole si elle veut sortir avec lui, celle-ci répond horriblement violemment à Andrew
Nicole : « Please go away. Please get out. » (S’il te plait va-t-en. Sors s’il te plait.)
Cette réplique est problématique dans le sens où elle ne correspond absolument pas à la fille que l’on va découvrir en elle… un instant plus tard. Elle éclate d’un rire terriblement chaleureux, elle n’est pas hautaine ni cruelle ni stupide. Cette blague ne correspond pas à son personnage, et encore moins au fait qu’elle va accepter de sortir avec Andrew et tomber amoureuse de lui.
Une fille capable de lancer un tel regard de tendresse et d'affection ne peut pas trouver drôle d’humilier ce qu’elle trouve si mignon une seconde avant.
Plus incroyable, elle lui dit immédiatement « I didn’t mean to hurt your feelings. » (Je ne voulais pas te blesser.) Que croyait-elle ? Qu’il allait éclater de rire face à cette humiliation horrible ?
On pourrait imaginer que Nicole trouve Andrew très mignon tout en se sentant elle-même assez laide (elle le dit ensuite), qu’elle est persuadée qu’il se moque d’elle et prend donc les devants. C’est déjà compliqué comme idée, mais la vérité l’est encore plus.
Je parle dans cet article du fait que Terence Fletcher a engrossé des femmes pour créer des petits musiciens esclaves désespérément motivés à devenir exactement ce qu’il attend d’eux. Nicole est la fille de Fletcher et Andrew se montre tellement timide et maladroit dans son approche de séduction qu’elle pense qu’il se parodie et fait une blague sur le fait qu’étant demi-frère et demi-sœur, ils ne peuvent pas sortir ensemble. Elle continue donc sur sa lancé, il a surjoué le timide, elle surjoue le monstre cruel et comprend très vite qu’il ne blaguait pas et qu’il ne sait pas qu’elle est sa sœur.
Rien ne confirme concrètement cette hypothèse, par contre, au niveau plus métaphorique, elle se trouve être l’exact alter-ego de Andrew à la différence que Terence étant un homo macho misogyne, elle n’a même pas l’espoir de satisfaire son père un jour.
La première apparition de Nicole met en place des éléments contradictoires qui correspondent bien à l’idée qu’elle est sa demi-sœur et qu’elle le sait. Le film nous la montre dans toute sa beauté chaleureuse, les yeux qui brillants. Elle a même un petit sursaut d’impatience. On peut facilement croire qu’elle est attirée par Andrew, cependant, alors qu’il sort de la pièce et la salue, elle réagit à peine et ne le regarde pas s’éloigner. Elle a renoncé à faire un pas vers lui et le croiser la rend pensive.
A la fin du film, lorsqu’Andrew la rappelle, elle est parfaitement prête à le revoir, l’histoire du copain n’apparaît que parce qu’il l’invite à un concert de Jazz où elle est certaine de voir son père. Aussi, Andrew l’a quittée pour le Jazz, elle sait tout ce qu’il se passe et elle connait les enjeux. Elle aurait accepté de revoir Andrew s’il lui avait proposé une pizza. Elle voudrait qu'Andrew, qui a le même père psychopathe qu'elle, lui prouve qu'elle est plus importante que le Jazz.