School-Live ! : Dilemmes de la naissance de la libido. (2000 Mots)
Le jardin d'Eden, lumière, innocence, pureté, barrières protectrices, surplombant le chaos post-apocalyptique de la vie sexuée.
Sans chercher à faire de blague facile, School Live est un film très scolaire et c’est souvent agréablement le cas avec les films asiatiques qui ne cherchent pas nécessairement à être à la pointe de la mode mais plutôt à être bons de manière classique ; honnêtement construits, honnêtement écrits, honnêtement métaphoriques etc…
Je pense que c’est un peu ce qui a valu à Train to Busan (Corée) son succès voulu comme un affront fait à World War Z par les spectateurs et sorti trois années auparavant. Le gros budget humilié par le tout petit, les scènes d’action apocalyptiques vaincues par les moments d’émotion assumés.
Cette idée n’est pas vraiment importante en soi (celle que le succès de Train to Busan découle de la surenchère de World War Z) mais je trouve que les dynamiques de sens mythologique qui font bouger les choses dans nos sociétés sont de plus en plus visibles, imprévisibles et inquiétantes. Ça fait tellement bien de dire que World War Z c’est nul et cher et qu’on a préféré le petit film coréen qui a coûté 200 millions de dollars de moins… parce que vous comprenez, moi je suis profond, je suis pas un consommateur, j’aime les choses simples et… QUOI !?! LA SORTIE DU NOUVEAU MARVEL EST REPORTEE !?!
Un peu comme pour la mascarade autour de la mort de George Floyd récemment. Tout le monde y va de sa petite mise en scène, de son engagement de pacotille tellement pressé d’être filmé, remarqué et d’avoir l’air de quelque chose. On dirait des enfants qui sautent sur le lit à pieds joints, de plus en plus haut, de plus en plus nombreux, pour que papa s’en mêle, persuadés qu’il n’y a rien à craindre, que le lit est incassable et que tout le monde est à l’abri d’une chute. C’est dans ce spectacle pathétique que s’effondre notre civilisation, smarphone à la main pour un dernier selfie qui prouve notre progressisme jusqu’auboutiste. Tout plutôt que d'admettre une part d'indifférence et un soupçon d'égoïsme normaux et sains.
Mais je m’égare totalement alors que je parlais de simplicité. School Live est donc agréablement simple et sans surprise particulière et ça fait du bien ce sentiment que l’essence prévaut sur l’apparence. Le film raconte son histoire, dit ce qu’il a à dire et cela parle à l’individualité profonde des spectateurs ou non, il n’y a pas là de gros racolage pour séduire et flatter. Que ça fait du bien.
Mais je m’égare encore.
School Live est une histoire de sexualité naissante chez des lycéennes. D’ailleurs mon profond engagement masculiniste m’empêche de ne pas hurler mon indignation : Il n’y a qu’un seul personnage masculin, il meurt au bout de cinq minutes et en plus il ne sert qu’à être l’amoureux sacrificiel d’une des filles.
Au japon, les comédies romantiques pour ados naives qui traversent leurs premiers émois sexuels sont des films de zombis ultra-violents. Ou des histoires de fantômes aussi.
Il y en a assez de ces rôles réducteurs et objectifiants pour les garçons dans les films pour adolescentes ! Non ! Pas bien ! Les hommes ne sont pas que des jolis minois uniquement là pour que les spectatrices puissent se dire « moi aussi z’en veut uuuuuuunnnnn ! »… comme vous pouvez le constater, je suis un peu énervé, je pense que je n’en peux simplement plus de la bêtise abyssale terrifiante de notre culture et que ça m’a amusé de voir un film si clairement destiné à un public féminin et qui pourtant s’en contrefiche clairement de nos délires féministes. Par opposition à un Birds of Prey, que j’ai beaucoup aimé mais dont il faut supporter la tartine dégoulinante de « si tu regardes ce film, c’est que tu es une personne bien et moderne par opposition aux personnes pas biens et pas modernes. Tu veux un susucre ? »
Je pète les plombs moi. Mais continuons. School Live, gentille métaphore sexuelle simple.
Il était une fois quatre lycéennes au lycée et puis soudain paf, il y a plein de zombis partout* et elles restent au lycée pour survivre. Accrochez-vous à votre suspension d’incrédulité parce qu’il va vous en falloir étant donné que ces quatre jeunes filles ne rencontrerons, en fait, aucun obstacle dans leur entreprise, pas de blessure, pas de morsure, pas de survivant à achever au cutter ou de massacre pour manger la dernière boîte de cassoulet avant la famine. Rien. Elles sont pépères dans le lycée avec de grosses réserves de nourriture, activités ludiques, elles jouissent d’une sécurité relative, même si évidemment il y aura de la bagarre et des coups de pelle dorée…
*si une explication est donnée à la pandémie, je l'ai loupée.
Ouah ! Trop de chance. J'ai encore plus l'impression que le film n'est que le fantasme de l'une d'entre elles. Surtout qu'il se finit sur un fondu au blanc par opposition au fondu au noir habituel.
Clairement, le film s’en fiche de nous rendre tout ça bien crédible. Les filles sont enthousiastes 90% du temps qu’elles passent à l’écran, sachant que l’intégralité des élèves du lycée sont morts et leurs familles probablement également, ben c’est un peu surprenant. Mais justement, c’est également ce que j’aime dans ce film et dans cette approche. Il n’est pas question de rendre tout réaliste, on s’en moque, on est devant une histoire de fiction métaphore plus profonde qu’une histoire littérale de fin du monde avec des zombis, de la même manière que dans le petit chaperon rouge c’était pas très crédible que le loup parle et que la grand-mère ne soit pas dans une maison de retraite.
Le monde apocalyptique dépeint ici l’état psychologique de ces quatre filles qui ont toutes une raison de rejeter leur sexualité. L’héroïne, Kurumi, perçoit son attirance comme une faiblesse, elle veut devenir championne d’athlétisme et elle considère sa libido comme un obstacle. Ensuite, il y a l’intellectuelle, Yuuri, qui se voit bien mariée et avec des enfants mais dans un futur lointain, pour le moment le sexe est également un obstacle à sa réussite et à son bonheur futur justement. Puis vient la lesbienne Miki, il me semble, qui rejette sa sexualité tabou (j'imagine). Et enfin, Yuki, la fille un peu immature, irrationnellement enthousiaste, qui perçoit le sexe comme une perte de l’innocence et veut donc retarder au maximum le moment de se confronter à ses propres désirs.
Dans le manga, Kurumi fait de l'athlétisme principalement pour se rapprocher du garçon qu'elle aime. Cependant, ses longues jambes ainsi que son attitude rentre-dedans très "sportive" suggèrent qu'elle est très bien dans ce rôle.
Les longues jambes sont associées à la maturité sexuelle et le personnage de Kurumi problématise une dynamique du type: Utilise-t-elle l'athlétisme pour se rapprocher du garçon qui l'attire ou bien utilise-t-elle sa libido pour se motiver à devenir une grande athlète en jetant son dévolu sur un bon sportif ?
Elle devra choisir car son désir de se faire remarquer par le garçon sabotte ses performances. (Elle trébuche).
Ces quatre filles perçoivent donc le sexe comme quelque chose de menaçant et l’attirance que d’autres personnes peuvent avoir pour elles ou les unes pour les autres devient donc une agression, quelque chose qui va nuire à leur existence. Les baisers, attouchements et le désir sexuel deviennent par conséquent dévorations et contaminations. Le sexe est un virus qui détruit l’individualité => métaphore habituelle des zombis. Yeux vitreux, intériorité malade. Attitude de pantins esclaves de leurs pulsions.
Ainsi, si les choses devaient se dérouler de manière optimiste, ces quatre jeunes filles trouveraient progressivement un moyen de concilier leurs ambitions et leur libido et la maladie n’aurait plus lieu d’être. L’héroïne se réveillerait finalement, pas de zombi, pas d'apocalypse, et elle courrait avouer ses sentiments au garçon.
Une fin moins optimiste serait que ces demoiselles succombent finalement à leur désir sexuel mais sans parvenir à trouver un moyen de le concilier avec leurs désirs/ambitions. Elles se feraient donc mordre et transformer en zombi. Les filles passent toutes par une scène durant laquelle elles se font attaquer, tombent sur le dos "jambes écartés" et se montrent incapables de prendre la fuite cela sans raison. Elles sont vaincues psychologiquement et acceptent malgré elles la force de leur désir. La pulsion sexuelle gagne. Hélas, elles sont « sauvées » par une compère à chaque fois.
Kurumi et son copain. On note le collier serrant connoté sexuellement. Kurumi a une libido trop forte qu'elle se doit d'enchaîner.
Yuki qui n'en peut plus de se faire croire qu'elle ne voit pas les zombis. Ces plans en plongée donnent le point de vue d'un homme qui s'apprête à pénétrer sa partenaire. Nous pouvons donc observer l'anxiété de ces filles confrontées à la sexualité. (Il n'est absolument pas question de viol ici, les événements du film ne sont que le reflet de la perception que les jeunes filles ont d'un rapport sexuel normal).
Pour la sportive, c’est face à un jeune homme associé à celui qu’elle aime au travers d’un flash-back.
Pour la lesbienne c’est justement face à la fille qu’elle désire. L’intellectuelle constate, quant à elle, le fait qu’elle n’en peut simplement plus, c’est la vie sexuelle de tous ses pairs qui vient à bout de sa volonté. Après tout, elle ne rejette pas son désir, elle veut juste le repousser quelques années.
Yuki l’enthousiaste, l’amoureuse de la vie, se trouvera également menacée par leur prof madame Sakura. Sakura, le cerisier bien connu pour ses fleurs magnifiques. La fleur, c’est le sexe féminin. Leur prof madame Sakura, c’est leur prof de sexualité. Elle l’est d’ailleurs littéralement puisque c’est elle qui conseille l’héroïne (la sportive) au sujet de sa relation amoureuse avec le jeune homme. Plus métaphoriquement, il suffit de regarder son tableau pour comprendre le contenu de son cours : cœurs, fleurs, chats, couples. Aussi, elles passent leur temps à faire pousser des plantes dans un jardin en sa compagnie.
Kurumi lui donnera le coup de grâce en lui plantant sa pelle dans le ventre (pas très mortel je vous l'accorde). La fin de madame Sakura la prof de sexualité est de voir son organe reproducteur, l'utérus, détruit.
C’est l’amour de la vie qui mène à la sexualité, la dépression détruit nos pulsions sexuelles, Yuki devrait donc être la fille la plus motivée sexuellement. C’est elle qui aime le plus la prof.
Yuki semble être le personnage central de la bande dessinée ce qui serait logique puisqu’elle fonctionne parfaitement comme métaphore du problème. Toutes ces filles aiment la vie, ont des ambitions et des objectifs mais soudain, lorsque leur libido s’éveille, celle-ci se retrouve être un obstacle à ce qui leur fait aimer la vie, à ce qui les rend heureuses, la libido devient donc véhicule de mort. Madame Sakura tente de la leur faire accepter, de la leur faire percevoir positivement et cette dynamique d’amour de la vie menacé par la libido que représente Yuki est donc présente dans chaque personnage, et se trouve être la problématique du film.
Yuki apparait derrière un rideau, sa présence n'est d'ailleurs pas justifiée. Comme une part cachée non-asssumée de la psychée de Kurumi.
C’est pour cette raison que tristement, le climax pessimiste final se situe lorsque Yuki constate que Sakura était un zombi tout du long et que la lycéenne se voilait la face. Curieusement, le film intègre une schizophrénie très importante chez ce personnage puisqu’elle ne veut pas admettre l’existence des zombis et fait comme si de rien n’était.
Cependant je parlais quelques minutes plus tôt du fait qu’un happy end aurait voulu que Kurumi se réveille et que tout n’ait été qu’une hallucination. Puisque l’une des quatre filles se montre capable de nier la réalité, on peut également imaginer que ce sont en fait les trois filles qui la nient, autant que leur sexualité, et que Yuki représente leur dernier lien avec le réel : la sexualité n’est pas quelque chose de nocif, les lycéens sexués ne sont pas des zombis cannibales.
Ainsi l’ultime défaite des jeunes filles seraient le moment où elles forcent Yuki à admettre l’existence des zombis et la mort de madame Sakura, le moment où elles détruisent le lien entre leur appréciation de l’existence et leur libido.
La défaite la plus symbolique se situant dans la manière dont Kurumi va se servir du jeune homme mort pour elle, donc attiré par elle, pour transcender sa sexualité. Elle commençait l’histoire incapable de lui parler des sentiments qu’elle éprouvait pour lui, on pense alors qu’elle est timide, ne s’imagine pas avoir une seule chance, ne se trouve pas attirante etc… cependant même une fois que le jeune homme est mort, lui a avoué ses sentiments, même une fois que plus rien n’a aucun sens à ce niveau, elle éprouve encore des difficultés à admettre qu’elle l’aimait. La raison de cela, c’est que le problème ne se situe pas dans sa relation avec lui mais dans la perception qu’elle a de sa libido. Lorsqu’elle parvient enfin à lui avouer ses sentiments (dans un fantasme) à la fin du film, et découvre le bracelet du jeune homme à son propre poignet, c’est négatif.
Kurumi rêgle son problème avec son Senpai. Il n'est pas sous forme zombi/sexuée mais angélique. Echec. Et ne parlons pas du fait que la jeune fille se dise satisfaite de simplement avoir avoué ses sentiments sans qu'il y ait de suite à cet aveux (comme un baiser par exemple).
Elle lui avoue ses sentiments lorsque ceux-ci ne peuvent plus faire barrière à sa carrière d’athlète, et transforme donc ce pauvre garçon en victime d’un sacrifice rituel, dorénavant, à chaque fois qu’un homme l’attirera sexuellement et risquera de l’écarter de son entrainement, elle repensera à celui qu’elle aimait et qui l’aimait et est mort à cause d’elle. Il devient le gardien de la porte, elle n’a pas le droit de se donner à un autre à cause de ce qu’elle a vécu avec lui et hop ni vu ni connu je t’embrouille, elle peut maintenant se consacrer à sa carrière d’athlète entièrement. Dans la scène suivante, un zombi parvient à la mordre (elle cède donc à sa pulsion sexuelle) mais le bracelet du jeune homme sacrifié qu’elle porte empêche la morsure de la contaminer.
Bref, il y a sans doute encore beaucoup d’autres éléments facilement interprétables, mais je n’ai regardé le film qu’une seule fois et que d’un œil, j’avais juste envie de partager mon enthousiasme.
Détails:
Miki la lesbienne qui ressemble à un garçon se retrouve à devoir se dénuder la première fois qu’elle croise les autres filles « parce qu’il faut vérifier qu’elle n’a pas été mordue. » Ainsi, vérifier si quelqu’un est contaminé, c’est vérifier son sexe, vérifier qu'il ne s'agit pas d'un garçon.
La lesbienne finira avec un bandeau sur un oeil: elle est obligée de s'aveugler partiellement pour pouvoir continuer à suivre les autres filles dans leur folie car si elles peuvent facilement nier leur pulsions sexuelles en l'absence de garçons, Miki étant attirée par les filles, elle est bien consciente de l'hypocrisie de leur position à toutes les quatre.
Il ne faut pas intégrer de garçon, c’est eux le problème puisqu’ils inspirent une réaction sexuelle. C’est Kurumi qui achèvera la contamination générale en invitant son copain sur le toit parmi les filles. La panique coincide avec l'arrivée du jeune homme.
D’ailleurs, qu'y a-t-il sur le toit ? Un jardin, un jardin en hauteur, un jardin dans le ciel qui est contaminé par la présence d’un être du sexe opposé, donc par l’arrivée de la sexualité => le jardin d’Eden et la chute.
Les zombis finissent par prendre feu, sans raison apparente une fois encore. Les filles sont à bout de force, elles ont fait tout ce qu’elles pouvaient pour remédier à leur dilemme et ont échoué. Le monde de la vie sexuelle disparait donc dans un brasier, dernier soubresaut de passion, elles y renoncent et se consacrent à la part d’elle-même qui entrait en conflit avec celui-ci.