Ally Mc Beal S1E19 : Ally défend la mauvaise cause. (2215 mots)

Depuis peu je regarde la série Ally Mc Beal que j’avais suivi à l’époque de sa diffusion pendant deux saisons (4&5). J’y suis entré avec quelques idées de lectures alternatives à vérifier. Il y a déjà la possibilité qu’Ally soit réellement folle, c’est suggéré si souvent. Ensuite, je la soupçonne de manipuler les autres, de tout faire pour se venger de Billy ou le récupérer, derrière son apparente innocence.

Je n’ai pas encore de conclusion sur ces hypothèses. Cependant, un autre aspect de la série m’a frappé et vaut bien un petit article.

Clairement, faire une série humoristique qui dépeint la vie d’un bureau d’avocats se condamne à un problème immédiat : comment faire perdre un procès au cabinet sans rendre l’épisode trop désagréable ? Trop amer ? Surtout alors que le personnage principal s’implique systématiquement émotionnellement.

J’en suis à l’épisode 19 de la première saison, Happy Birthday Baby, et Ally et son équipe n’ont toujours perdu aucun procès. Mais à ce stade, j’ai eu le temps de constater que ça n’est pas nécessairement toujours positif.

Dans l’épisode 17, il est question d’un médecin qui a sauvé la vie d’une patiente en lui greffant un cœur de porc en urgence et en attendant de pouvoir lui greffer un organe humain. La patiente n’avait donné son accord à rien et attaque le Dr. Greg Butters en justice car elle estime qu’il avait d’autres moyens à sa disposition de la maintenir en vie sans recourir à celui-là.

Il est facile d’être choqué par l’initiative de la plaintive à qui le médecin a sauvé la vie, cependant, l’épisode développe une dimension suspecte de la question : Le médecin fait de la recherche sur les transplantations d’organes d’animaux, il est expert en la matière. Il est lié à une entreprise qui travaille sur le sujet etc.…. en gros, la possibilité qu’il se soit jeté sur une occasion pour expérimenter sur une pauvre femme est envisageable... et qu’il ait touché un petit pactole dans l’affaire également.

Cette dernière possibilité sera niée dans les dialogues mais s’il a reçu de l’argent pour un acte aussi odieux, c’est probablement discrètement.

Greg se met à courtiser Ally. Nous les retrouvons dans cet épisode 19 dans lequel l’avocate devient folle de voir le médecin repousser le moment de coucher avec elle. A la fin, il lui annonce qu’il a obtenu une meilleure place ailleurs et qu’il doit donc s’éloigner d’Ally. Leur relation n’a pas encore commencé qu’elle est déjà terminée. Question : A-t-il obtenu la place grâce à son crime de l’épisode 17 ? Flirtait-il avec Ally pour gagner du temps ? Pour protéger ses intérêts ?

Toujours est-il que la série, plutôt que de faire perdre le cabinet Fish & Cage, leur offre la victoire même lorsqu’ils défendent une cause obscène. Un peu comme Vera, Monk et compagnie qui trouvent toujours quelqu’un à mettre en prison sans pour autant que cela soit le bon coupable, Ally remporterait très souvent son procès, même lorsque la raison voudrait qu’elle le perde. On trouve un exemple assumé de cette situation dans l’épisode 20, lorsque Renée démolit un homme (elle lui casse un os du cou) qu’elle a attiré chez elle et s’en tire miraculeusement sans problème.

J’écris donc cet article pour parler de l’intrigue de cet épisode 19 car la victoire du cabinet Fish & Cage y est des plus dérangeantes.

Cheryl Bonner et Mark Henderson se sont retrouvés pour un rendez-vous par trois fois. Les choses se passaient merveilleusement bien jusqu’à ce que Mark se rende chez Cheryl en pleine nuit sans l’avertir, entre dans son appartement sans s’annoncer, puis dans sa chambre et s’accorde de lui toucher le pied gauche alors qu’elle dort.

La position des deux protagonistes, seuls et malheureux en amour, est compréhensible. Mark explique qu’il lit les magasines féminins, qu’il ne sait pas exactement ce que veulent les femmes, que Cheryl lui a dit qu’elle aimait les surprises et les massages. Il s’est rendu à son appartement en se disant que si la porte était ouverte, son amie était d’accord avec ce petit jeu.

De son côté, Cheryl est traumatisée par l’initiative de Mark. Elle n’y voit qu’un viol de son intimité et une agression sexuelle. Elle ne nie pas que les choses se passaient magnifiquement bien avec lui avant cet incident mais pour elle, il est clair que c’était une agression.

Le déroulement du procès et la résolution du différent se feront en fonction de ces deux perceptions, le problème c’est qu’il n’est jamais envisagé que le comportement de Mark ne soit pas ce qu’il prétend être. La problématisation du fétichisme des pieds -s’agit-il là d’une perversion ou pas ?- éclipse efficacement le fait que l’homme soit entrée chez Cheryl en pleine nuit, que la question ne se situe pas au niveau de l’acceptabilité de son attrait sexuel pour les pieds mais de l’honnêteté de Mark sur le sujet.

Un exemple : Durant le procès, il étale sans gêne son admiration libidinale gigantesque pour le pied divin de Cheryl. Il partage son fétichisme avec les jurés, la juge et les avocats, sans hésitation.

Pourtant, plus tard, face à Cheryl, il parle des nombreuses lubies féminines dont il a entendu parler dans des magazines. Il essaye de faire glisser sa motivation d’une perversion assumée égoïste, à une initiative maladroite attentionnée et tournée vers l’autre. Cheryl refuse cette version des faits et le recadre.

Plus insidieux et inquiétant, Mark produit des comportements symboliques ostentatoires de respect de l’espace des autres vis-à-vis d’Ally, mais viole constamment celui de Cheryl. Il frappe à une porte qui est ouverte, il demande la permission de s’asseoir sur une chaise.

"Toc toc, ze peux m'asseoir ? Vous avez vu, je suis pas le genre à rentrer la nuit chez une femme et à m'imposer dans son lit puisque je sais frapper à une porte et demander la permission de m'asseoir."

C'est ridicule et pourtant ce genre de manipulation fonctionne assez bien. Beaucoup de gens ne jugent les autres qu'en fonction de la manière dont ils se conduisent avec eux. On en apprend pourtant beaucoup sur une personne qui s'intéresse à nous en regardant comment elle se conduit avec les autres.

Il entre dans la pièce sans faire remarquer sa présence et s’invite dans les conversations quand c'est Cheryl qui est concernée. "Il l'aime" mais pour lui, ça signifie qu'elle n'a droit à aucun espace, aucun regard propre sur lui. Elle a laissé voir qu'elle avait des sentiments pour lui, elle n'a plus le droit de rejeter un aspect de sa personne.

L’intrigue d’Ally met en avant la violence que représente le non-respect de l’intimité. Elaine n’a de cesse d’organiser des surprises pour son anniversaire et Ally le vit très mal. Après un petit numéro de cabaret au bar de l’entreprise, quelqu’un braque un projecteur sur l’avocate qui sourit tout en chuchotant « Je veux que quelqu’un meure pour ça. Ça ne me dérangerait pas de vous voir tous mourir. »

Le comportement d’Elaine repose en partie sur la conviction qu’Ally est humiliée par le fait qu’elle et Greg n’aient pas encore couché ensemble. Parmi les surprises qu’elle lui réserve, il y a un go-go dancer obscène. Il est aisé de voir que ce qu’Elaine offre à Ally, c’est ce qu’elle aimerait qu’on lui offre : de l’attention, et de l’attention sexuelle. Même chose lorsqu’elle chante et dance sur scène, il est question de se faire remarquer, pas de faire passer un bon moment à Ally qui est entièrement opposée à ces mises-en-scène.

Ainsi, l’arc narratif d’Ally montre comment une personne peut égoïstement projeter ses désirs sur une autre et les satisfaire à ses dépens derrière une apparence de générosité.

C’est ce qu’il s’est passé avec Mark et Cheryl. Le problème n’est pas exactement que Mark soit entré chez Cheryl la nuit, ni qu’il soit excité sexuellement par ses pieds. Le problème c’est qu’il prétend avoir fait tout ça en croyant qu’elle en serait enchanté alors qu’à aucun moment il n’était question d’elle dans l’équation.

Lorsque Cheryl décrit leur relation à Ally, on peut voir que Mark s’est probablement moqué d’elle. La femme seule pense qu’ils s’entendent parfaitement sous prétexte qu’ils sont tous deux des « tipsters », des personnes qui prennent la peine d’avertir la radio lorsqu’ils sont pris dans un bouchon afin que l’information puisse circuler et que les gens évitent la zone concernée. C’est ridicule et insignifiant. Il est très envisageable que Mark a simplement raconté des mensonges à Cheryl pour la séduire.

Renée, qui est dans le camp de l’accusation, s’exclamera au cours d’une conversation privée avec Ally : « C’est la troisième fois ! ». La troisième fois ? Qu’il pénètre chez une femme la nuit ?

L’information ne sera jamais soulevée à nouveau et le chiffre trois réapparaîtra pour nous embrouiller puisqu’il s’agit du nombre de rendez-vous que Mark et Cheryl ont eu ensemble. Cette correspondance des deux chiffres engendre une confusion chez le spectateur. Renée parlait-elle du nombre de rendez-vous ? Ou Mark a-t-il bel et bien été signalé à la police par deux autres femmes à cause de comportement sexuels morbides ?

Il est impossible que Mark ait fait le même coup trois fois à Cheryl, il s’agit donc de trois plaintes déposées contre lui. Il semble bien moins innocent subitement.

Pourtant, cet élément ne ressortira pas pendant le procès, ce qui est très étrange. Sommes-nous censé penser que cet aspect du problème est soulevé mais que Renée n’en fait rien ?

Le développement que prend l’affaire est des plus suspects, Ally va chercher à régler les choses à l’amiable, en dehors du tribunal. John Cage la prévient que cela pourrait être considéré comme du « witness tempering », une tentative d’influencer le témoin. Ils organisent cependant une rencontre au bar entre Cheryl et Mark. Puis c’est dans le bureau d’Ally que Cheryl se retrouve confronté à la personne contre qui elle porte plainte.

On voit l’espace de Cheryl s’atrophier. Elle doit répondre de son comportement, elle devient l’accusée. Tout le monde semble attendre d’elle, non seulement qu’elle pardonne Mark, qu’elle le comprenne mais qu’elle lui donne une autre chance. Il le verbalise lui-même, il ne veut pas être innocenté en plaidant l’aliénation mentale, il veut être jugé non-coupable, il veut que le jury valide légalement que Cheryl ne devrait pas le juger pour son comportement. Il n’est pas question de gagner ou de perdre le procès mais de forcer Cheryl à accepter Mark.

Lorsqu’il parle de ses sentiments, qu’il mente ou non, Mark est convainquant. Le problème, c’est qu’une autre dynamique pointe parfois le bout de son nez : Mark est profondément vexé par la plainte de Cheryl. Forcer les jurés à la disqualifier pourrait tout autant être sa motivation à tant vouloir être innocenté sans passer par l’aliénation mentale.

Or, Mark montre de nombreux indices d’une colère non contenue, d’un désir d’écraser quelqu’un par l’autorité, ou de ne pas être remis à sa place. Il ne trahit jamais la moindre honte ou gêne, il assume parfaitement son comportement.

Lorsque le verdict est annoncé, il se rapproche immédiatement de Cheryl qui sait maintenant que personne ne la soutiendra. Elle n’a pas le droit de se méfier de lui, de le repousser, alors que la justice de son pays vient de lui affirmer qu’il n’y avait rien de mal dans ce qu’il avait fait. Il l’invite à boire un verre, à se voir, à s’expliquer… la pauvre femme a de la terreur dans le regard. Il la plaque contre lui et l’emmène.

Ce qui me troublait le plus dans la négativité de cette conclusion, c’est que je ne trouvais pas de mot pour verbaliser la menace qui pèse sur cette femme. Ma copine n’a pas hésité une seconde : il pourrait la violer.

Tout au long de l’épisode Mark justifie son droit de violer l’intimité de Cheryl. Lorsque le procès prend fin, les avocats, les jurés et le juge viennent d’attester officiellement que Mark a le droit d’être intrusif, de s’imposer dans la vie de Cheryl. Aucun d’entre eux ne voit ça comme ça -ils pensent juste défendre légalement l’idée que le fétichisme des pieds c’est pas bien grave- mais c’est le sens concret que cela prend pour Mark et Cheryl.

Dès le départ, Mark a subtilement éradiqué le mot « pervers » du vocabulaire de ceux qui l’entourent en entrant dans la pièce de réunion au moment même où Georgia le qualifiait ainsi. « He’s a perv ». Richard Fish, le chef, se montre gêné et plutôt que de défendre l’information, va détourner le sujet, se ridiculiser, montrer que Mark est en position d’autorité.

Richard est excité par la caroncule des femmes (n’en parlons pas), et sa lubie sera comparée à celle de Mark, qui la trouvera d’ailleurs bien plus bizarre. C’est la même erreur que celle décrite plus haut : là n’est pas la question. Richard n’entre pas chez les femmes qui l’attirent, en pleine nuit, pour leur titiller la peau du cou. Ce n’est pas la petite perversion le problème, c’est la place qu’elle prend dans la vie de Mark, la priorité qu’il lui donne sur d’autres choses plus importantes, comme le droit de ses compagnes de se sentir en sécurité, respectée dans leur intimité.

L’invasion de l’espace est une manière de signifier à quelqu’un que l’on est entièrement acceptable, ou de rechercher cette gratification. C’est un peu comme rendre visite à quelqu’un à l’improviste, c’est gratifiant de se dire qu’on est toujours le bienvenu, qu’on ne dérange jamais.

Il est visible que Mark ne conçoit pas que l’on puisse ne pas accepter sa déviance, ne pas la comprendre et son comportement, se rendre chez une femme la nuit pour l’inspecter pendant son sommeil, montre bien cette envie d’affirmer son fétichisme.

Après le procès, alors qu’elle essaye de lui échapper, il impose de boire un verre parce qu’elle le lui doit, après tout, il lui pardonne d’avoir voulu le mettre en prison. Et voilà, la pauvre femme essaye de lui échapper, elle devrait maintenant devoir culpabiliser.

La dynamique Greg/Elaine/Ally développe bien l'hypocrisie de l'avocate. C'est un élément que je trouve important puisque le personnage d'Ally McBeal est défini par son honnêteté et ses considérations morale. Or, dans cet épisode Ally trahit une certaine hypocrisie.

Elle se débat pour parvenir à attirer Greg dans sa chambre. La douleur de sa frustration sexuelle sera soulignée par Renée à la fin de l'épisode. "Tu aurais aimé coucher avec lui au moins une fois ?"

Ally souffre de sa misère sexuelle et elle pourrait comprendre Cheryl qui a laissé la porte de son appartement ouverte, qui voulait peut-être qu'il la surprenne en la rejoignant... chez elle. Pas dans sa chambre pendant qu'elle dort, pour lui reluquer un pied.

Bref, à la fin de l'épisode Mark Henderson est en position d'infliger beaucoup de choses à Cheryl, elle n'osera plus chercher de l'aide. La justice de son pays l'a trahie et maintenant l'homme pourra lui imposer sa loi. Le viol est parfaitement envisageable dans le sens où Cheryl n'a plus de moyen de se refuser. Son consentement n'existe plus puisqu'elle ne peut plus dire non. Elle doit prendre sur elle.

On voit bien dans cet épisode que le comportement d'Ally peut être parfaitement suspect et les causes qu'elle défend, totalement obscènes.