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Du Feu sur la glace (67ème Tuniques Bleues) : Sagesse et réalisme. (1614 mots)

Publié le par Kevin

Du Feu sur la glace (67ème Tuniques Bleues) : Sagesse et réalisme. (1614 mots)

Du Feu sur la glace, la dernière BD des Tuniques Bleues, est une agréable réaffirmation (discrète) du rôle du père disons... dans la psyché humaine.

Traditionnellement et spontanément, la mère a un rôle nourricier, de satisfaction des besoins et des désirs. Elle prend soin du bébé et aura intrinsèquement -indépendamment de son caractère- tendance à lui enseigner que le monde va se plier à ses désirs pour son confort. Je parle à un niveau profond de réponse naturelle ici, pas d’une mère qui cède à tous les caprices de son enfant.

Le père prendra donc une position un poil plus distante de mise en garde et de protection. Tout le monde ne veut pas notre bien, tout désir n’est pas acceptable et ne doit pas nécessairement être satisfait, les autres ne sont pas à notre service. Le père enseigne l’existence du monde extérieur, du désir des autres, le concept de limites, la Loi à laquelle on doit se plier.

Évidemment, ces dynamiques sont en réalité présentes chez les deux parents et un père comme une mère se doivent d’être capables de jouer l’un ou l’autre rôle ou au moins d’en reconnaître la légitimité. Mais dans la littérature qui utilise des symboles, des archétypes et qui remonte jusqu’aux rôles primordiaux, on trouve ces deux figures parentales souvent utilisées de la sorte.

Un film qui joue sur ces rôles traditionnels du père et de la mère, ici pervertis.

Un film qui joue sur ces rôles traditionnels du père et de la mère, ici pervertis.

Ainsi, lorsqu’à la page 44 de ce tome, Amélie s’écrit « Papa ! » en apercevant le colonel Appeltown à la tête de sa compagnie venu leurs sauver la peau à tous, ce n’est pas uniquement le lien filial qui est décrit. En cet instant, il est le père de tous les personnages qui se sont égarés comme des enfants et ont bien de la chance que Papa était dans les parages pour surveiller, se méfier, anticiper et intervenir.

A notre époque, c’est assez sidérant ; une figure patriarcale qui sauve la situation, fiou ! Je suis étonné que la BD ne se soit pas tapé un procès.

Appeltown a le sens des réalités, il comprend la précarité de la situation dans laquelle ils se trouvent.

Appeltown a le sens des réalités, il comprend la précarité de la situation dans laquelle ils se trouvent.

Je vais un peu vite en besogne en prétendant qu’il sauve la situation car même si son intervention entraîne la fin de la menace, le colonel Appeltown arrive tout de même quelques minutes trop tard, après que les protagonistes soient parvenus à échapper au pire. Ils s’en sortent par miracle certes, mais ils s’en sortent avant son intervention et la BD se conclut sur le triste constat qu’ils n’ont pas compris leur erreur.

Du Feu sur la glace (67ème Tuniques Bleues) : Sagesse et réalisme. (1614 mots)

Appeltown n'est pas un exemple, il n'est pas la figure paternelle parfaite, il est défaillant dans le fait que la mère d'Amélie soit absente et qu'il ne parvient pas à imposer son autorité comme il le devrait. Il cède trop aux désirs de sa fille.

La page 25 montre bien la catastrophe qui se met en place.

La page 25 montre bien la catastrophe qui se met en place.

Cela n’enlève rien cependant au fil conducteur de la bande dessinée, à son sous-texte, qui place Appeltown en position de sauveur sage (Son manque d'autorité indique le besoin d'autorité). Il est d’ailleurs décrit comme tel sur le wiki.fandom. « Sage et avisé, il essaye de garder la paix avec les indiens dans la région dans laquelle il se trouve au lieu de guerroyer sans raison. »

Les tuniques bleues passent près de la mort dans chaque album. La particularité ici, c’est que ce sort funeste est annoncé dès les premières pages lorsqu’une compagnie sudiste massacre une tribu indienne. La mort rôde, les protagonistes ont une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Il n’est pas question, dans cette histoire, d’une mission qui soit si importante qu’elle mérite que les protagonistes risquent leur vie pour elle. La dynamique ici est que les protagonistes se conduisent, au contraire, inconsciemment et construisent pierre par pierre la catastrophe qui va leur tomber dessus.

Cette structure m’intéresse parce qu’elle dépeint pour moi un phénomène qui peut frapper toute culture et qui décrit bien la nôtre.

Tenskwatawa, Jeremiah Clure, Amélie Appeltown, Plume d’Argent, Chesterfield et Blutch commettent tous des erreurs narcissiques dans cet épisode. Je n’entends pas ça de manière sévère, ce que je veux dire c’est qu’ils agissent en fonction de leur personnalité, de leur morale, de leurs convictions sans réaliser qu’ils se trouvent dans une situation dans laquelle ils devraient au contraire, réprimer ce désir de suivre leurs désirs spontanés et comprendre qu’il y a plus pressant.

La BD s’ouvre sur Tenskwatawa qui tente de prévenir son village de l’attaque imminente des sudistes et d’une tribu ennemi. Très bien. Cependant cet imbécile invite les villageois à se mettre autour de lui parce que sa magie les protégera des balles. Ils se font massacrer.

Du Feu sur la glace (67ème Tuniques Bleues) : Sagesse et réalisme. (1614 mots)

On pourrait me trouver sévère avec le chaman indien qui ne fait que se conduire en fonction de ses croyances. Il n’y peut rien si son village est attaqué par des tueurs et confronté à une technologie inconnue.

Mais là n’est pas la question. Tenskwatawa n’a jamais constaté que sa magie pouvait protéger quelqu’un des obus et des balles. Ce n’est absolument pas le moment de le vérifier et encore moins de l’affirmer. Les membres de sa tribu avaient bien plus de chance de s’en tirer en prenant la fuite, ou en se battant. C’est ce recadrage réaliste qui fait que je trouve cette nouvelle BD des tuniques bleues bien agréable. Ainsi que la manière dont elle met en avant une faiblesse du regard moral.

Bien sûr, ce sont les sudistes qui attaquent, c’est eux qui perpètrent le massacre. D’un point de vue moral, c’est eux qui sont en tort et c’est eux qui sont responsables du carnage. Mais s’attendre à ce que des « prédateurs » n’attaquent pas leur « proie » est ridicule. S’attendre à ce que les armes de ses ennemis ne soient pas mortelles est ridicule. Tenskwatawa faillit à son rôle par manque de réalisme. Il se croit tout puissant, il pense avoir un pouvoir sur le monde qui est bien plus important qu’il ne l’est. Il pèche par narcissisme. Il se croit au centre de l’histoire.

Cet imbécile recommencera ses bêtises à la fin du tome et l'issue sera la même: la rivière le sauve, lui et lui seul. Il n'a rien appris.

Cet imbécile recommencera ses bêtises à la fin du tome et l'issue sera la même: la rivière le sauve, lui et lui seul. Il n'a rien appris.

Tenskwatawa ne devient pas pour autant le personnage nocif de l’intrigue. Il n’est qu’un protagoniste parmi d’autres qui souffrent du même défaut de perspective.

Jeremiah Clure, le cartographe anarchiste, est facilement comparable. Il vante les mérites du végétarisme alors que la troupe voyage dans une région hostile, en plein hiver, traqué par les sudistes. Ils ont des fusils, il y a du gibier, il y a une rivière, ce n’est pas le moment d’avoir ce genre de considération.

Du Feu sur la glace (67ème Tuniques Bleues) : Sagesse et réalisme. (1614 mots)
Il protège un poisson de l'appétit de Chesterfield pour constater l'instant d'après que les poissons n'ont pas tant de scrupules.

Il protège un poisson de l'appétit de Chesterfield pour constater l'instant d'après que les poissons n'ont pas tant de scrupules.

Il critique la guerre, ainsi que la propriété privée. « La propriété c’est le vol dira-t-il. » Mais il sera bien écœuré quand ses biens sont détruits plus tard dans l’histoire. Et son déni face à l’existence de frontière et d’une hostilité humaine les mènent tous à une confrontation finale catastrophique.

Jeremiah se croit proche de la nature et de l'ordre naturel des choses, il ne comprend même pas la base la plus basique: les animaux marquent et protègent leur territoire.

Jeremiah se croit proche de la nature et de l'ordre naturel des choses, il ne comprend même pas la base la plus basique: les animaux marquent et protègent leur territoire.

Encore une fois, nier l’existence de menaces, de dynamiques d’agression, ce n’est pas les faire disparaître, ce n’est que de la pure inconscience irresponsable.

Dans le même ordre d’idée, nous avons Amélie Appeltown qui veut accueillir des réfugiers dans un fort qui n’est pas terminé. Chesterfield qui se met en tête d’apprendre le dessin alors qu’il est en plein milieu d’une mission très dangereuse. Blutch qui veut réchauffer les cœurs en allumant un grand feu.

Tripps et Brian tentent de faire leur travail, les indiens s'en foutent et plume d'argent fait passer sa race avant son rôle de soldat. Ce n'est pas anodin. Il trahit la confiance d'Appeltown. Personne ne respecte l'autorité du colonel.

Tripps et Brian tentent de faire leur travail, les indiens s'en foutent et plume d'argent fait passer sa race avant son rôle de soldat. Ce n'est pas anodin. Il trahit la confiance d'Appeltown. Personne ne respecte l'autorité du colonel.

Les indiens ne devraient pas accompagner Blutch, Chesterfield et Clure. La situation se crée par une suite de décisions inconscientes.

Les indiens ne devraient pas accompagner Blutch, Chesterfield et Clure. La situation se crée par une suite de décisions inconscientes.

Les initiatives des personnages sont toutes imprudentes. Juste un poil. Mais la combinaison de ces imprudences, de ces considérations personnelles qui ne sont pas filtrées par un Surmoi réaliste, les mènent tous à une catastrophe tragique : l’extermination.

Le titre de la Bd, Du Feu sur la glace, décrit cette situation finale absurde comparable à scier la branche sur laquelle on est assis. Tout au long de l’intrigue les personnages reçoivent les indices de leurs erreurs et ne les prennent jamais en compte. Ils terminent sur ce lac gelé, à découvert, sous le feu ennemi, sans possibilité de repli, sur une glace en train de fondre. En d’autres termes, ils sont condamnés. On peut se demander comment ils s’en sortent dans ce cas. C’est simple, parce que la neige, ça pique les yeux. En d’autres termes, les prédateurs ne sont pas suffisamment monstrueux pour saisir l’opportunité qu’ils ont de les exterminer jusqu’au dernier. Les sudistes ne tirent pas profit de la situation au maximum.

Du Feu sur la glace (67ème Tuniques Bleues) : Sagesse et réalisme. (1614 mots)

On peut également se dire que les sudistes sont des monstres mais qu’un miracle sauve nos héros. L’équation reste la même, la bande dessinée a mis en place cette situation finale dans laquelle le résultat des erreurs de chacun devrait entraîner la mort de tous.

Je reviens sur la page 25 qui montre bien ces dynamiques.

L'expression "le bruit de la guerre" est souvent utilisée dans l'histoire. Spontanément, le lecteur moyen va y voir une sagesse supérieure pacifiste chez le personnage du chaman. Il n'y a pourtant aucune raison de le penser au final. Il associe certaines pensées à la guerre et les rejète mais il n'y a aucun moyen de savoir s'il fait preuve de sagesse ou s'il est simplement naïf.

L'expression "le bruit de la guerre" est souvent utilisée dans l'histoire. Spontanément, le lecteur moyen va y voir une sagesse supérieure pacifiste chez le personnage du chaman. Il n'y a pourtant aucune raison de le penser au final. Il associe certaines pensées à la guerre et les rejète mais il n'y a aucun moyen de savoir s'il fait preuve de sagesse ou s'il est simplement naïf.

Le colonel ne parvient pas à prononcer "Anarchiste." Son "antichartiste" se rapproche beaucoup d'"antichrist." L'indien vient d'appeler Jeremiah "l'homme sans Dieu." Le cartographe pointe du doigt le colonel est attaque son autorité. Ses propos n'ont pas pour autant beaucoup de sens. En quoi les indiens sont-ils les esclaves du colonel ? Il n'est rien ? Que signifie ce rien ? Ils pourraient être tout ? Que signifie ce tout ? Les mots de Jeremiah sont creux.

Le colonel ne parvient pas à prononcer "Anarchiste." Son "antichartiste" se rapproche beaucoup d'"antichrist." L'indien vient d'appeler Jeremiah "l'homme sans Dieu." Le cartographe pointe du doigt le colonel est attaque son autorité. Ses propos n'ont pas pour autant beaucoup de sens. En quoi les indiens sont-ils les esclaves du colonel ? Il n'est rien ? Que signifie ce rien ? Ils pourraient être tout ? Que signifie ce tout ? Les mots de Jeremiah sont creux.

En une seconde, Jeremiah est transformé en leader des indiens. On voit ici que c'est le groupe qui cherche une figure d'autorité à suivre. Le colonel est disqualifié par Jeremiah, Tenskwatawa se désiste suite à son échec lamentable et le baratineur se retrouve catapultée messie.

En une seconde, Jeremiah est transformé en leader des indiens. On voit ici que c'est le groupe qui cherche une figure d'autorité à suivre. Le colonel est disqualifié par Jeremiah, Tenskwatawa se désiste suite à son échec lamentable et le baratineur se retrouve catapultée messie.

Chesterfield fait preuve d'un réalisme déplaisant, allez hop ! Lui aussi il a du bruit dans la tête. Le chaman est juste un enfant. Le Colonel commet l'erreur de vouloir se débarrasser du problème sans passer par l'autorité. Il aurait dû tenir tête à Amélie.

Chesterfield fait preuve d'un réalisme déplaisant, allez hop ! Lui aussi il a du bruit dans la tête. Le chaman est juste un enfant. Le Colonel commet l'erreur de vouloir se débarrasser du problème sans passer par l'autorité. Il aurait dû tenir tête à Amélie.

L'élément qui m'a motivé à écrire cet article, c’est la manière dont les sudistes récupèrent le feu de Blutch.

Blutch allume un feu. Jeremiah explique qu’il ne sait pas ce qu’il fait, que c’est dangereux. Plus tard dans la nuit, la forêt est entièrement en flammes et l’on en conclut immédiatement que Jeremiah avait raison et que Blutch a été imprudent.

Mais un sudiste déclare que le feu de forêt était une bonne idée et l’on comprend que Blutch n’est pas responsable de ce qu’il se passe.

Je trouve la description de cette dynamique délectable. C’est une manipulation très commune d’utiliser les critiques des uns et des autres pour créer le bouc émissaire d’un coup bas.

Par exemple, dans un commerce, si un caissier se voit reprocher deux fois de suite ses erreurs de caisse, quelqu’un pourrait bien en profiter pour en provoquer une troisième qu’on lui attribuera facilement.

Blutch est imprudent d’attirer l’attention des sudistes avec ce feu.

Jeremiah est imprudent de critiquer l’initiative de Blutch comme il le fait.

Ils créent la situation dans laquelle le feu de forêt devient une bonne idée pour leur ennemi.

 

Du Feu sur la glace est donc pour moi une Bd qui contient un joli lot d’apprentissages capitaux sur la manière dont on doit juger une situation menaçante et percevoir l’existence. Toujours penser à la malveillance humaine. Comprendre qu’il y aura par défaut un humain pour tirer profit de nos faiblesses et de nos erreurs.

Avec pour première mise en pratique de sa philosophie un exemple évident : le réchauffement climatique.

Parce que bon, le feu qui fait fondre la glace, ça ressemble beaucoup à un commentaire sur le délire cataclysmique actuel.