Lego Batman: Le Joker est toujours la part la plus humaine de Bruce Wayne (721 mots)
Vocab emprunté à la psychanalyse: Moi conscient + Moi inconscient = Soi
J’ai déjà écrit un article sur le fait que le Joker incarne les désirs inavouables (Moi inconscient) de Bruce Wayne. Je n’ai pas eu le courage de refaire mon analyse de The Dark Knight en vf mais la vision de Lego Batman me donne une occasion de donner un autre exemple.
L’idée de ce film est vraiment superbement bonne.
Si Batman est le surmoi de Bruce Wayne, celui qui obéît aux règles et aux parents, le Joker est donc son moi, ou son moi inconscient admettons puisque que son Moi c'est Bruce Wayne. Dans cet épisode, non seulement Bruce Wayne n’a quasiment plus d’existence (comme dans BvS) mais en plus Batman ne reconnait même plus le Joker comme étant son ennemi juré.
C’est une description assez incroyablement pertinente d’un déséquilibre psychologique crédible. Il est lourd de sens que lorsqu’il dit au Joker “Tu n’as pas d’importance pour moi” Batman ajoute immédiatement “Personne n’en a.” Batman et Joker sont deux facettes d’une personnalité malade, elles ont donc un lien intime important ; si Batman s’en contrefout du Joker, c’est que Bruce Wayne n’en a plus rien à faire de personne.
Les yeux blancs = il n'y a plus personne derrière le masque. Le Moi de Bruce Wayne a totalement été phagocyté par son rôle de vigilante, et par conséquent, son Moi inconscient ne représente plus rien aux yeux de Batman.
Mais cette explication ne marche que si le Joker incarne une part de Bruce Wayne. En quoi serait-il logique qu’un film sur l’isolement de Bruce Wayne mette le Joker au premier plan ? Batgirl ok, ou Catwoman, Robin. Mais le méchant ? Habituellement, ça ne prouve rien qu'un héros ne se sente pas impliqué personnellement dans une relation avec son ennemi.
Dans cet épisode, les scénaristes ont poussé le bouchon aussi loin que d’habitude puisque Joker dit texto à Batman qu’il est dans sa tête et devine plusieurs fois de suite ce qu’il s’apprête à dire.
Cependant, ce qu’il y a de vraiment génial, c’est que la part la plus humaine de Bruce Wayne c’est le Joker. Ce dernier n’apparait que quand l’orphelin milliardaire va vraiment, vraiment mal et qu’il est sur le point de se faire dévorer par son rôle de fils prodigue (Batman). Or si Batman se croit tellement divin et invincible qu’il peut même disqualifier le Joker, c’est que Bruce Wayne est vraiment en train de complètement devenir cinglé.
Ce qu’il se passe alors, dans le dessin animé, est tout bonnement génial. Ce qu’il se passe, c’est que le Soi de Bruce Wayne tombe dans l’inconscient collectif. C’est un inconscient « plus profond » que l’inconscient dont on parle habituellement (celui qui est représenté par le Joker). Je ne connais pas suffisamment bien la question pour mieux expliquer.
Lorsqu’un malade se prend pour Napoléon, c’est que son « Soi » est tellement déglingué, qu’il le refoule jusque dans son inconscient collectif. Par exemple, celui qui se sent un bouc émissaire de la société dira « je suis Jésus. » Alors, quand de son côté Batman se prend pour une figure mythique, le Joker tombe dans l’inconscient collectif et que trouve-t-il ? Les incarnations collectives du mal absolu : Les Gremlins, King Kong, le Leviathan, les Raptors et le T-Rex de Jurassic Park, le méchant d’Harry Potter, Sauron, les Daleks de Mr.Who.
Pas de Hitler ni de Staline, il est ici question de toucher le public de Batman justement… et de lui mettre une claque dans sa tronche de pauvre tâche narcissique criminelle.
Si le dessin animé commence sur une phrase aussi incroyablement brutale que « Si tu veux aider à construire un monde meilleur. Regarde-toi dans la glace et change. » c’est qu’il est adressé à cette génération d’égos surdimensionnés, perfectionnistes imbus d’eux-mêmes terrifiés de n’être que des humains et qui détruisent tout sur leur passage dans leur quête de démonstration de leur supériorité.
Il y a évidemment, tous ceux qui se sont moqués de Batman V Superman avec mépris et cruauté mais pas uniquement. Le problème est bien plus généralisé et je pense que c’est pour cette raison que le film commence sur la voix de Batman disant : « Noir. Tout film important commence par un écran noir. »
Les scénaristes ont bien conscience d’aborder un problème très grave de notre société actuelle : les gens qui abandonnent leur « Soi », leur personnalité réelle, pour une persona inhumaine, artificielle qui correspond aux attentes sociales, inspire l’admiration, leur donne accès à une popularité creuse, leur ouvre des portes mais ferme également celles des relations réelles. Lorsqu’on n’ose plus chercher l’amour, on cherche l’admiration et nous sommes dans une société dont le regard pèse tellement sur les individus qu’on se retrouve avec une nation de « Batman » des personnes entièrement assujetties à des influences extérieures intrusives et fascistes mais qui s'imaginent être des exemples ambulants et se croient les plus libres et les plus indépendantes qui soient...