Les Petits mouchoirs: C'est pas qu'ils s'en moquent, c'est juste qu'ils espèrent qu'il va mourir. (1688 mots)
On m’a prêté Les Petits Mouchoirs récemment, dont j’avais juste entendu parler et qui m’intéressait moyennement… d’autant moins que l’histoire semblait être un suicide artistique obligatoire.
Ludo, incarnation du mec populaire bon vivant, et qui fait évidemment partie d’un groupe d’amis, a un accident de mobylette et ses amis décident néanmoins de partir en vacances tous ensembles comme ils ont l’habitude de le faire chaque année. Les vilains.
La perception la plus évidente du film c’est que ce sont tous des ordures et des faux culs, qui ne parlent que de boulot et de thune, vaniteux, hypocrites, creux et détestables et que la mort finale du bon copain Ludo arrive comme un ultime jugement (divin ?): "vous ne méritez pas que je reste en vie." Pour nous ancrer cette perception dans la tête, on a le bon Jean-Louis, humble pêcheur qui les reçoit tous tous les ans et leur fait la morale quand il apprend la mort du Saint.
Personnellement, j’ai abandonné cette perception dès que j’ai vu le visage de Jean Dujardin à l’hôpital et que j’ai compris qu’il n’allait pas rester dans le coma tout le film.
Ces éléments empêchent la structure culpabilisatrice à cause de leur excès. Si Ludo avait été dans le coma, entre la vie et la mort, on aurait pu avoir ce jugement moral de « mais ils s’en moquent ou quoi ? » puisqu’ils auraient eu la liberté de s’en moquer sans que Ludo puisse l'apprendre. Ici, Ludo saura qu’ils l’ont laissé de côté sans scrupule et dans une situation où il a réellement besoin de soutien psychologique. Il est défiguré. A ce niveau-là, ça n’est pas de l’indifférence ou de l’hypocrisie, c’est limite un meurtre. Il n’est donc plus tellement question de réfléchir sur l'absence de moralité du comportement du groupe d’amis, car il est clairement glauque… surtout qu’ils ne lui donnent pas un seul signe de vie en plus. Aucun encouragement. Aucun soutien.
Ce qu’il se passe ici n’est pas réellement une question d’hypocrisie du type « ils s’en foutent. Ils sont égoïstes. » Ce qu’il se passe c’est qu’ils veulent tous qu’il meurt. Ils croisent les doigts très très fort pour que Ludo y laisse sa peau.
Quand on les regarde passer leurs vacances tous ensemble et faire plein d'imbécilités, on se dit que le Ludo, il est vite oublié. Sauf que non, bien au contraire, cette description des vacances qu’ils passent est une description « en creux » de celles qu’ils passaient avec lui, dont on a d’ailleurs un aperçu à la fin du film.
Pour dire les choses platement, Ludo est un pervers narcissique, c’est un gouroux qui a sous son joug une bande de potes totalement soumis et désorientés dont il fait ce qu’il veut jusqu’au jour où, paf, accident hôpital, les amis se retrouvent laissés à eux-mêmes et peuvent enfin goûter à la vie telle qu’elle est sans Ludo.
D’ailleurs, est-ce bien un accident ? Le mystère autour de l'événement n’est-il pas suffisamment grand pour qu’on puisse imaginer que ça n’en n’est pas un ? Ludo se sent mal (drogue dans son verre ?), il quitte la boîte et se fait percuter par un van quelques jours avant leur voyage annuel. Et si sa mort inattendue à la fin du film n’arrivait pas par hasard non-plus ? Si vous pensez que les crimes n'arrivent pas entre amis...
Bon, je n’ai pas de réponse à ces questions vu que je n’ai vu le film qu’une seule fois et qu'il n'a aucun intérêt à être plus qu'ambigu sur ce point.
Simplement, ce que je voulais faire dans cet article c’est décrire un peu les interactions que je perçois et qui dessinent indirectement Ludo comme un individu malsain qui dévore tout le groupe.
Déjà, il y a Vincent, l’homo marié qui soudain se déclare à Max peu de temps après la visite à l’hôpital. Pourquoi cela devrait-il arriver à ce moment-là ? Parce qu’ils sont choqués d’avoir vu la mort de si près ? Oui, possible. Mais aussi, à la fin du film on voit Ludo trouver absolument hilarant de se déguiser en femme. Il perçoit l’homosexualité comme totalement ridicule et cela enferme Vincent dans un coin. Ludo à l’hôpital représente une opportunité de s’ouvrir. D’ailleurs, à la fin du film il pourra expliquer à ses enfants qu’il n’y a rien de mal à être homo et sa femme, qui souffrait le martyr, comprendra enfin que le problème ne vient pas d'elle et sera soulagée !
Ensuite, il y a Eric, le branleur qui couche avec tout ce qui passe, et les plus jeunes possible. Que va-t-on apprendre de lui au cours du film ? Qu’il est déglingué de ne pas parvenir à dire son amour à la femme qu’il aime et qu’il est terrorisé de devenir un vieux blaireau qui manipule des gamines. Ce qui nous gêne chez lui le gêne également. Cet homme est au bout du rouleau. D’ailleurs, ce n’est pas pour rien que l’accident de Ludo lui sert d'excuse pour échapper à une partie de jambe en l’air. Son rival a disparu, il n’a plus rien à se prouver ! C’est ce que l’on voit également sur la vidéo de vacances à la fin du film: Ludo se sert d’Eric comme faire valoir, il le rabaisse et l’humilie constamment. Cela entraine chez Eric plusieurs choses : le besoin de se revaloriser/reviriliser en se tapant des jeunes femmes mais aussi, le sentiment d’être ridicule et l’incapacité d’exprimer ses sentiments. Il n’y a rien de plus horrible que de craindre de se faire rire au nez quand on veut dire à une personne qu’on l’aime.
Ensuite, il y a Max, qui je pense est homosexuel, aussi paradoxal que cela puisse paraître. Max, qui se fait accuser par Jean-Louis d’acheter ses amis et d’étaler son pognon, est le contraire de ça. Il aime réellement ses amis à fond. Et ce qui le rend dingue dans la déclaration de Vincent, c’est bien qu’ils sont amis et que Vincent est marié et a des gosses. Ce qui le rend fou c’est le sentiment de tricherie, de confiance bafouée. Oui, Max est doux et noble. Et d'ailleurs, je pourrais facilement me dire que c'est parce qu'il aime et respecte Vincent qu'il est si violent, ça lui fait mal de voir un homme pour qui il a tant de respect, s'enfermer dans une vie de mensonge (comme la sienne ?). Si lui-même est homo c'est peut-être par amour qu'il veut que Vincent dise la vérité à sa femme. Le lien qu'il a avec Ludo se situe ailleurs. Ludo est le centre des soirées. Il phagocyte l’espace et par conséquent, Max peut prendre soin de tout le monde sans craindre que les choses se passent mal. Ludo absent, Max flippe sans arrêt et pour la moindre bêtise, il est insupportable parce qu'il est terrifié que ses amis ne passent de mauvaises vacances parce qu'il ne se croit pas aimable "tout seul," il se trouve ennuyeux. Quand je dis qu’il est homo, je pense qu’il est attiré par Jean-Louis, ce qui rend la conclusion de leur histoire d’autant plus tragique puisque Max lui achète un cadeau et que l’autre lui rit effrontément au nez pour ensuite venir l’accuser d’étaler son pognon pour faire bien.
Antoine lui, n’a aucune confiance en lui, et fréquenter un mec super cool et populaire comme Ludo lui permettait de se cacher derrière lui en quelque sorte. A la fin du film, il récupère Juliette en faisant allusion aux bons moments qu’ils ont passés ensemble (alors qu’ils sont en vacances). En gros, son argument le plus lourd, c’est de rappeler à Juliette les merveilleux moments qu’elle a passé avec eux tous et surtout avec Ludo. Au début du film il refuse un plan à trois avec une fille qui s'en réjouissait, Antoine c'est le "romantique" du groupe, aussi pitoyable soit-il. Il incarne ce que devient un homme qui cherche des sentiments forts et profonds au côté de Ludo: une loque insupportable, égoïste et sans la moindre confiance en soi.
Enfin Marie, la sainte vierge, ne se remet pas de son histoire avec Ludo. D’ailleurs, il me semble qu’au début du film il est difficile de savoir si elle est avec lui ou non. Ludo a dévoré la jeune femme. Il ne reste rien d’elle. Son attitude « je suis toute gentille et toute douce, je vais aider les pauvres au tiers-monde » est le résultat d'un sentiment de culpabilité gigantesque ou d'une arrogance toute aussi gigantesque, sentiment qui lui vient d’avoir brisé le cœur de l’homme parfait que Ludo parvient à faire croire qu’il est. Au début du film, on la voit coucher avec un mec puis le renvoyer chez lui, plus tard un autre mec la largue parce qu’elle ne s’implique pas émotionnellement dans la relation. Il me semble qu’il est suggéré qu’elle prend des drogues dures. Bref… si vous croyez à une histoire d’amour tragique passez votre chemin, non non, ça c’est une fille qui s’est faite détruire par un pervers narcissique et qui est maintenant son esclave, prisonnière du rôle qu'il lui donne.
Et Jean-Louis au final. Le moralisateur diseur de vérité… ben Jean-Louis, il est quand même un peu faux-cul. Il les accueille à bras ouvert, tout jovial et enthousiaste mais ne se considère jamais comme un ami. Ce sont des clients. C’est lui qui est là pour le fric, sa position est hypocrite par définition. Sauf pour Ludo, qu’il doit aimer réellement.
Ainsi, les rebondissements très aléatoires du film marquent l’évolution des personnages qui retrouvent qui ils sont. Par exemple, lorsqu’Eric, Vincent et Max (il me semble) poussent Marie à bout en fonçant avec le bateau qui tire la bouée à laquelle elle est accrochée, ils veulent briser son besoin d’être une sainte, d’être douce et parfaite et lisse. Ils la poussent à hurler et à être méchante et furieuse parce que spontanément ils savent que son rôle d'ange immaculé n’est qu’une façade (dont ils veulent spontanément la délivrer). Sans doute que quand Ludo était là, il la traitait comme sa petite princesse.
Chacun évolue lentement, terriblement égoïstement (comme toutes les personnes brisées), et petit à petit le groupe trouve un nouvel équilibre, un véritable équilibre, une honnêteté. Le gouroux est à l’hosto, les humains retrouvent leur humanité.
La mort inattendue de Ludo marque sa défaite/victoire finale. Ils sont parvenus à se passer de lui, s’il revient, il ne pourra jamais récupérer sa place. D’ailleurs maintenant que j’y pense, être défiguré, c’est également avoir perdu son statut. Et donc, n’ayant plus rien à espérer sur terre, il « se suicide », pour gagner un statut divin dans le groupe, au travers de la culpabilité. Ils ont tous retrouvé leur vie propre, et bien non, « vous m’avez tué bande de salauds ! »
La fin de Marie est assez claire là-dessus. Elle annonce qu’elle est enceinte, comme si elle était enceinte de Ludo. Sauf que l’enfant n’est pas de lui, et qu’on ne sait pas véritablement de qui il est. C’est l’enfant de Marie, l’enfant du Saint-esprit, donc l’enfant de Dieu. Ludo.
La fin du film est donc fort probablement assez ignoble puisque Ludo garderait son influence sur eux alors qu’ils se sont battus tout le film pour s’en débarrasser.