Horizon Zero Dawn: Elisabet Sobeck est une psychopathe génocidaire (2700 mots)
L’interprétation la plus simple de l’histoire d’Horizon Zero Dawn est évidemment celle mise en avant par l’aventure elle-même : une armée de robots capables de s’auto-reproduire a un jour décidé d’éradiquer toute forme de vie à cause d’un simple bug. Une scientifique renommée, proche de l’homme responsable de l’existence des machines tueuses, a mis en place un projet pour faire renaître la vie sur terre dans des conditions optimales après que l’inévitable tragédie, son extinction, aurait eu lieu.
La complexité du scénario (le jeu est incroyablement fourni en détails) rend difficile un regard critique car elle donne toujours le sentiment qu’un élément nous échappe, que la question que l’on se pose a en réalité une réponse quelque part dans ce fatras d’époques différentes, de fichiers, vlogs et hologrammes perdus retrouvés. Pourtant, lorsqu’on prend la peine d’assimiler le déroulement du drame, il est facile de voir qu’Elisabet Sobeck a un comportement terriblement suspicieux.
Lorsque Faro lui annonce qu’un groupe de ses machines est devenu incontrôlable, elle tapote deux secondes sur son clavier et déduit de l’opération que 1- toute trace de vie sera éradiquée inévitablement 2- il ne reste que 16 mois à l’humanité.
Et hop, c’est tout. Le sort de l’humanité et de la vie sur terre est décidé sur cet échange. Un échange entre les deux personnes responsables du désastre. Pas de réunion de chef d’états, de débat entre scientifiques informés ou de quelconques experts venant après une enquête, l’arrestation et l’interrogatoire violent de Faro et Sobeck. Non, non. Madame décide que le sort de l’humanité est joué et fonce direct faire signer le projet Zero Dawn au commandeur général de l’armée des états Unis, histoire d’avoir l’aval de la plus haute autorité militaire possible et donc de devenir intouchable.
Bien sûr cette scène seule ne suffit pas à prendre au sérieux l’idée que Sobeck puisse avoir volontairement éradiqué l’humanité (car c'est de cela que je parle). Non. Par contre, il me semble que son étrangeté fait que l’hypothèse mérite d’être considérée. Considérons-donc.
Sobeck obtient de Faro qu’il signe un contrat disant qu’il soutient intégralement l'aspect financier du projet Zero Dawn, cela avant même que quelqu’un d’autre qu’eux deux soit au courant du problème avec les machines incontrôlables. Elle obtient cette signature par chantage, il ne veut absolument pas signer mais c’est la peur qu’elle révèle que tout est de sa faute qui le fait craquer. Faro est dévasté par les événements.
Sauf que hum… tout est de la faute de Sobeck. Arrêtons de la prendre pour une conne deux minutes. C’est elle qui a créé les robots, c’est elle qui a créé leur IA, c’est elle qui leur a donné la capacité de s’auto-produire*, c’est elle qui leur a donné la capacité de se nourrir de biomasse et donc de traquer tout entité vivante, c’est elle qui leur a donné la capacité de prendre le contrôle d’autres machines. Faro a seulement utilisé son travail et ajouté des flingues dessus pour en faire des armes mais ce qui fait que les machines représentent un réel danger pour le vivant, ça ne sont pas les flingues, c’est le travail de Sobeck. De plus, le bug qui les a fait se retourner contre l’humanité concerne également son travail à elle.
*On voit Sobeck accuser Faro de ça mais justement, d'autant que je sache c'est la seule à le dire et Faro ne répond pas. Ils sont filmés lors de cet entretien et je pense que Sobeck a besoin que Faro porte la responsabilité du désastre pour que Sobeck puisse proposer Zero Dawn. A la fn de la même conversation, elle lui rappelle qu'il n'a jamais rien fait excepté payer la facture.
Je ne suis absolument pas un défenseur du complexe militaro-industriel simplement, il me semble qu’Horizon Zero Down pointe du doigt une nouvelle menace tout aussi importante: les scientifiques débiles.
Sobeck est aussi stupide qu’un laborantin qui aurait inventé le liquide au parfum le plus enivrant jamais humé qui aurait cependant la propriété gênante de transformer les gens en zombies dans certaines conditions et qui aurait (le laborantin) claqué la porte de son entreprise le jour où le patron, qui ne sait rien des dangers du produit, avait décidé d’en faire un shampoing. Oui, le vilain capitaliste aurait été coupable d’une imprudence criminelle tout ça pour l’argent ! Mais la réelle responsable serait quand même l’inventeuse irresponsable qui pouvait tout voir venir de très très loin.
Sobeck connait les projets de Faro quand elle quitte l'entreprise, elle pouvait parfaitement deviner ce qui allait se passer avec les machines ou au moins voir le danger titanesque venir. Non seulement elle pouvait le deviner, mais sa réaction « Oh mon Dieu Faro ! Regarde ce que tu as fait ! Pas bien ! Pas bien ! Vilain businessman ! Tout est de ta faute appose ta signature au bas de ce contrat qui met le sort de l’humanité entre mes mains s’il te plait voilà que je puisse annoncer à tout le monde que l’apocalypse est là. Merci. Au revoir” cette réaction donc, est terriblement douteuse.
Les choses ne s’arrêtent pas là. Pour tout dire, elles ne s’arrêtent jamais de pointer du doigt Sobeck, cela jusqu’aux dernières secondes du jeu.
Le projet Zero Dawn est donc lancé mais maintenu dans le secret total. Donc les personnes qui seraient en désaccord ou auraient besoin d’être convaincues, on parle tout de même du sacrifice intégral de l’humanité, n’ont aucun moyen de défense face à ce programme qui réquisitionne un nombre incalculable de scientifiques/chercheurs de haut niveau en leur faisant croire qu’ils vont aider au combat et qui apprennent en arrivant que l’humanité est condamnée. Cette organisation est une manipulation sectaire. Sérieusement, ces personnes apprennent en même temps que l’humanité est condamnée et qu’elles sont recrutées pour le projet qui a pour but de faire renaître la vie sur terre.
Le secret sert à ce que ces personnes désorientées et paniquées acceptent le projet par mécanisme de défense psychologique face à une vérité insupportable. C’est une manipulation de guru. Il y a dans les témoignages que l’on récupère dans les ruines des labos souterrains celui d’un scientifique écœuré par la célébration de la nouvelle année parce qu’il a le sentiment que personne ne se rend compte qu’ils célèbrent en fait leur mort et l’extinction de la vie. Sobeck a organisé le recrutement de manière à ce que ses larbins associent le projet Zero Dawn à leur survie.
Sauf que hum… non non, vous allez crever les gars, et toutes les personnes que vous ayez jamais connues et aimées, grâce à la folle que vous considérez comme un messie, pour qui vous travaillez d’arrache-pied jusqu’à votre mort prochaine et sans espoir de revoir vos proches ou de mourir à leur côté.
Le jeu n’avait aucune raison de faire de l’inventeur des robots, le créateur de Zero Dawn. Sobeck aurait pu être simplement la personne qui sauve la vie, et l’inventeur des robots tueurs auraient pu être un Steve Jobs quelconque. Ce double rôle suggère une plus grande responsabilité dans ce qu’il se passe que ce que l’histoire ne révèle.
L’une des choses qui rend mes réflexions un peu caduques, c’est que les humains perdent effectivement la guerre. La prédiction de Sobeck s’avère juste, et Zero Dawn recrée effectivement la vie. Sauf que… hum… est-il étonnant qu’une armée de robot qui s’attaque à tout ce qui est vivant et se multiplie de manière exponentielle parvienne à vaincre l’humanité ? Oui, les machines gagnent, mais si Sobeck est responsable du bug, la justesse de sa prévision ne l’innocente pas pour autant.
De plus, je pense qu’il y a également un facteur psychologique important dans la défaite de l’opération « Enduring victory. » L’idée officielle étant que les pertes seront lourdes et les tactiques un poil suicidaires, puisqu’en secret il n’est absolument pas question de vaincre mais simplement de retenir les machines. On peut lire le témoignage d’un soldat qui croit dur comme fer à la victoire au départ et dont le moral tombe six pieds sous terre lorsqu’il réalise que le nombre de machine se décuple de manière disproportionnée. Une approche plus ambitieuse, stratégique et intelligente aurait peut-être pu mener à la victoire. Par exemple, trouver un moyen de stopper la reproduction des machines. Ou encore demander à des scientifiques de construire une armure qui résisterait aux tirs lasers par exemple… vous savez, comme l’armure que Sobeck utilise pour réparer la porte de GAIA prime lorsqu’elle se « sacrifie » pour éviter que les machines tueuses ne remarquent l’existence du lieu. Cette armure qui s’auto-régénère et qu’Aloy utilise à la fin du jeu (si vous avez fait la quête Ancient Armor) pour déglinguer un Deathbringer sans perdre une goutte d’énergie…
Une petite armure n’aurait jamais pu changer l’issue du combat me direz-vous. Ah oui ? Alors comment Sobeck parvient-elle à faire 400km à pied de GAIA prime jusqu’à la maison de son enfance sans se faire mettre en pièce par les machines qui ont maintenant intégralement envahi la terre est détectent son empreinte biologique ?
Si cette armure vous semble difficile à imaginer comme arme ultime, pensez à la raison de son existence. Pourquoi le labo a-t-il fabriqué une telle d’armure ? Pourquoi Sobeck se trouve en avoir besoin pour aller s’offrir une mort luxueuse comparée à celle de tous les autres imbéciles qui ont eu le malheur de la suivre dans son projet ? Pourquoi peut-on retrouver cette armure et cela juste pour le combat final ? Au-delà de son aspect concret, le rôle de cet artéfact dans l’histoire est très symbolique. Il permet à Sobeck de rentrer chez elle, il permet à Aloy de fritter le boss final et il est secret. L’item secret est porteur d’une vérité cachée.
Ainsi, l’humanité avait une arme contre les machines, alors même que Zero Dawn avait vampirisés les scientifiques les plus éminents de la planète et sans doute privé les autres de moyens et d’informations.
Reste à répondre à la question la plus difficile : pourquoi ?
La raison nous est joliment donnée sous la forme d’un traumatisme (évidemment) d’enfance à la fin du jeu.
Lorsqu’elle avait six ans, Elisabet Sobeck a mis le feu à un arbre en trifouillant une batterie de voiture avec un kit d’électronique pour enfant. Une fois l’incendie éteint, la mère a confrontée la petite fille aux dépouilles grillées des bébés oiseaux. Dans son compte rendu, Elisabet ne se rappelle plus de ce qu’elle a alors ressenti mais il est évident qu’elle a dû être annihilée par la culpabilité. Brûler des bébés oiseaux à six ans c’est l’équivalent d’être responsable d’un génocide (sans vouloir faire de blague). Elle s’exclame « je m’en moque » par rébellion et sans doute par honte. Sa mère, qui vraiment n’était pas très futée, lui a alors fait une leçon sur le fait que l’intelligence ne sert à rien si elle n’embellit pas le monde, rendant alors sa fille en même temps responsable de la mort des bébés oiseaux et de l’intégralité des maux de l’humanité.
Il n’en faut pas plus pour détruire un individu. Elisabet abandonne alors sa vie et devient une extension de sa mère. On croise ce phénomène extrêmement couramment, des personnes qui se refusent exactement ce qu’elles désirent tant qu’elles n’ont pas accomplies une mission rédemptrice qui leur enlève une culpabilité existentielle.
Je suis convaincu que l’histoire de Faro et Sobeck est celle de deux personnes qui voulaient mettre leur talent au service de l’amélioration du monde, se sont aimées pour cette raison et qui se sont ensuite détestées parce que Sobeck était incapable de s’investir dans une relation, de poursuivre son bonheur, faire l’amour, avoir des enfants, prendre du plaisir etc… leur lien étant très fort, Faro a été très atteint par ce rejet et la création de machines armées est venue comme un désir de trahir Sobeck pour s’éloigner d’elle. A noter un détail très significatif, Faro refuse l’appellation « Killing Machines » et corrige Sobeck systématiquement par « Peacekeepers » (gardien de la paix). Leur relation évolue en celle de deux amants qui s’entre-déchirent et se fond des saloperies par dépit amoureux. Et le destin de l’humanité est entre les mains de ces deux andouilles, oui, oui.
Mais donc, revenons à notre histoire de grillade d’oisillons. Sobeck entretient à cause de ce traumatisme une relation terriblement violente avec sa propre intelligence puisque plus elle se sent intelligente, moins elle se juge digne de l’amour de sa mère, l’amour de son origine.
La cure évidente aurait été que sa mère revienne sur ce qu’elle a dit, qu’elle admette que tout le monde peut faire des erreurs et qu’aussi intelligente soit-elle, Elisabet ne pouvait pas deviner qu’elle allait tuer deux oisillons, signifiant ainsi qu’Elisabet peut compter sur l’amour maternel même dans l’erreur. Cette menace de perdre l’amour maternel peut produire deux réactions :
- La première est ce qui est le plus visible. Elisabet devient une folle qui sacrifie sa vie entièrement pour le bien de l’humanité car c’est la seule manière qu’elle a de se croire digne de vivre/digne de l’amour maternel. Elle serait ainsi poussée toujours plus loin dans les inventions qui règlent les problèmes planétaires comme ses robots qui stoppent le réchauffement de la planète.
Il y a déjà un aspect négatif dans cette conséquence : Elisabet devient totalement insensible en tant qu’individu. Sa sensibilité devient une règle, une marche à suivre. Si cela vous semble tiré par les cheveux, je ne sais pas quoi dire car ce genre de problème est également terriblement présent dans notre culture : des personnes qui produisent des comportements sensibles mais qui sont appris, scriptés, conditionnés et n’ont en réalité aucune cohérence ni profondeur.
En tout cas, cette absence d’affect on peut la noter de nombreuses fois chez Sobeck. Faro est dévasté par ce qu’il se passe, Elisabet prend les choses en main et fait son boulot. Un peu comme une mère paniquée parce que son enfant s’est blessé en tombant de vélo mais qui s’amuse comme une folle à le consoler et à l’amener chez le médecin sans avoir de réels ressentis en lien à la douleur ou aux larmes de son enfant. Dans le journal de Sobeck qui se décode à la fin du jeu, on peut la voir exprimer sa désolation :
“The swarm that scuttled across Antartica is crossing the straits of Magelan, about to start its death crawl up South America towards the amazon. (all the work we did to reconstitute the rain forest… and it comes to this). ”
« La nuée qui est passé par l’Antartique est maintenant en train traverser le détroit de Magelan pour remonter l’Amérique du Sud vers l’amazon. (Après tout le travail que l’on a accompli pour reconstruire la forêt amazonienne, voir ça…) »
Des milliers de vies humaines s’éteignent chaque jour sous les coups métalliques impitoyables des machines qu’elle a créé, et ce qui la chagrine c’est la mort du pommier du jardin ? L’humanité ne représente rien pour elle qu’une variable de l’équation « améliorer le monde. »
La scène où GAIA se découvre une sensibilité souligne également son absence chez Elisabet (Elisabet n'a jamais pensé à ce dont GAIA lui fait part, son IA est plus sensible qu'elle-même).
- La deuxième conséquence de l’incident entre Elisabet et sa mère aura tendance à lui faire faire des erreurs par rébellion. L’enfant mal aimé pour de mauvaises raisons va tout faire pour retrouver l’amour et ensuite répéter son erreur afin de voir si à tout hasard le parent ne pourrait pas simplement lui pardonner. Elisabet est condamnée à toujours échouer d’une certaine manière dans l’espoir de recevoir l’absolution maternelle : « Tu as foiré mais ton cœur était pur, je t’aime ma fille et je suis fière de toi. L’erreur fait partie de la vie. »
Ainsi, à la suite des machines qui stoppent le réchauffement climatique, un miracle qui fait rêver, Sobeck a commis une erreur à la même échelle. Elle détruit le monde qu’elle a auparavant sauvé. Pour ensuite le « sauver » à nouveau. Elle est condamnée à un va et vient interminable jusqu’à ce que le problème, le sien pas celui de l’humanité, trouve une solution.
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Elisabet meurt assise sur le banc de la maison de son enfance. Le monde a été calciné par ses soins tout comme l’arbre et les petits oiseaux. Elle se meurt sans pouvoir savoir si elle vient de détruire la vie ou de lui donner un nouveau départ absolument parfait et infaillible. Quitte ou double, soit elle a créé la vie parfaite, infaillible, innocente, équilibrée etc… au travers de GAIA et de ses capacités, soit elle a annihilé toute vie sur terre pour toujours. Elle meurt à cheval sur ces deux possibilités. L’une est une soumission aux exigences maternelles, l’autre une rébellion face à leur stupidité insensible. Ça fout le vertige. Merci maman.
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