The Shape of Water : Elisa est purement égoïste. Partie 2.
L’élément qui m’a beaucoup amusé quand j’ai vu le film et qui va maintenant nous faire glisser vers des considérations plus morbides, c’est le rapport sexuel.
Alors déjà, non, être ouvert d’esprit ça n’est pas coucher avec un amphibien géant. Et coucher avec un individu d’une espèce différente ça n’est pas de l’ouverture d’esprit. Aurions-nous accepté de voir Elisa coucher avec un gorille ou un chimpanzé ? Non. Or, le spectacle que nous offre The Shape of Water est le même, aussi romancé puisse-t-il être. Cependant, au final, Elisa n’étant pas humaine, pas de sexe inter-espèce en réalité.
Mais ce qui m’a donc fait rire, c’est que ce film est nominé aux Oscars 2018; Cérémonie entachée (il parait), marquée au fer rouge par l’affaire Harvey Weinstein et les multiples accusations d’agressions sexuelles et de harcèlement, d’hommes sur femmes cela va sans dire.
En quoi cela est-il drôle ? Ben, c’est drôle parce que quand même… elle est un peu brusque la Elisa. J’veux dire… si l’on ne considère pas l’acte comme zoophile, si l’on considère le rapport comme étant acceptable parce que la créature est bipède, capable de communiquer, de se tenir debout et qu’elle a des émotions voire des sentiments, alors on peut également considérer qu’on peut abuser d’elle sexuellement… non ? Sauf qu’en fait, au moment où Elisa vient la voir dans la salle de bain, on considère la créature comme un animal justement. Elle est fascinée par cette « maîtresse » et ne peut lui résister en quelque sorte. Je grimace déjà en écrivant ça, mais ce n’est même pas ce qui me gêne réellement. Ce qui me gêne c’est donc que si l’on considère la créature avec tant de douceur, d’empathie et de générosité, on peut voir qu’elle est menacée de mort et que son seul lien à la vie, c’est la gonzesse qui vient d’entrer à poil dans la salle de bain et laisse clairement savoir ce qu’elle veut…
J'adore ce passage où Elisa enlève le bandeau de ses yeux et où on se dit tous "Ooooh, que c'est beau, elle l'accepte tel qu'il est !" alors qu'elle ne fait que suivre sa libido spontanément (Puisqu'elle est elle aussi un amphibien). Sans parler du fait qu'il n'est pas ici question de sex-appeal mais bien de différence d'espèce.
Se sont-ils embrassés auparavant ? La créature a-t-elle exprimé des sentiments ? Non. A-t-elle spontanément crument commencé à déshabiller la jeune femme ? Elle n’en aura pas l’occasion. La créature est muette comme Eliza. Et comme avec notre héroïne, les gens autour d’elles se mettent à imaginer qu’elle est exactement ce qu’ils veulent voir en elle.
Sérieusement, Elisa entre nue dans la salle de bain. Non. Désolé non. Surtout que… hum… ah ah ah… je ne peux pas m’empêcher de rire… c’est exactement ce qu’Harvey Weinstein a été accusé d’avoir fait : aller s’isoler dans une salle de bain pour ensuite réapparaître à poil. Ce comportement c’est « Je veux coucher avec toi, qu’est-ce que tu en dis ? » mais sans verbaliser, sans assumer. Ce qu’il y a d’agressif en lui, c’est que la carrière des actrices était en jeu… là c’est la vie de la créature qui est en jeu. Hilarant je vous dis.
Je pense que la créature aurait couché avec n'importe qui pour échapper à un tel traitement... bizarre... Strickland ne tire pas beaucoup sur la camionnette lorsqu'elle s'éloigne...
Alors, oui, la créature embrasse Elisa à la fin du film. Le truc, c’est que cela a lieu dans des circonstances parfaitement différentes puisque la jeune amphibienne est sous l’eau en train de s’asphyxier. Le baiser final peut facilement être perçu comme un simple renvoi d’ascenseur : « Tu m’as sauvé la vie, je vais pas te laisser mourir sous mes yeux alors que je sais comment te sauver. »
De plus, (merci Les Rois du désert) Elisa a pris une balle dans le ventre, l’air comprime donc ses poumons et l’empêche d’inspirer. Ça peut sembler très tiré par les cheveux mais c’est l’issue qui m’intéresse : La créature l’embrasse et Elisa se met à respirer par ses branchies. Il est statué plus tôt dans le film que la créature peut respirer de deux manières différentes et ce plan final nous montre donc Elisa utiliser pour la première fois cette capacité qu’elle ne se connaissait pas.
Il est logique que la blessure que Richard Strickland inflige à Elisa problématise : « Es-tu humaine ou amphibienne ? » de même que celle infligée à la créature soit une accusation de manipulation. Il lui tire dans le cœur… cœur qu’il n’a pas. Nous regardons une histoire d’amour qui concerne une créature qui ne possède pas de cœur. Évidemment, d’un point de vue littéral ça n’a rien à voir, mais d’un point de vue métaphorique c’est bien plus chargé de sens.
Aussi odieux soit-il, Strickland est un être humain. Il a un cœur, des émotions et des aspirations humaines, il peut aimer un autre être humain. Alors que l’amphibien n’en est pas capable simplement parce qu’il est d’une espèce différente. Toutes les différences ne sont pas nécessairement surmontables, et on ne devrait pas systématiquement chercher à toutes les surmonter.
Bref, balle dans le ventre, balles dans le cœur, cela signifie : « votre couple n’existera que si vous êtes tous les deux des amphibiens. » Il condamne la créature à admettre son absence de sentiment amoureux (spécifique aux humains), et la fille à abandonner tout lien avec la vie humaine.
Et donc, au passage, l’absence de cœur signifie que le rapport sexuel était parfaitement « vide » ou « utile. » La créature a bel et bien couché avec Elisa sans « sentiments. » On peut également percevoir cette absence de sentiments lorsque la jeune femme s’emporte à table et fantasme qu’elle a une voix et qu’elle danse… un ballet !?! Absurde avec la créature. Cette déclaration niaise est faite dans le vide. La créature ne lui offre aucune réponse adéquate.
Alors tout de même, la créature semble éprouver un attachement pour Elisa et lui demande de l’accompagner dans l’eau mais cet attachement est assez neuneu. « Tu ne viens pas avec moi ? Ze suis pas content. » On est loin de sentiments complexes ou d’une compréhension profonde.
"Oh, ok. Bon, ben j'y vais." J'adore la réaction d'Elisa qui se plaque les mains sur la bouche pleine d'une empathie bouleversée alors que la créature est juste un peu surprise et déçue mais lui a déjà tourné le dos.
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Bien. Bien.
Maintenant jetons-nous dans le glauque à corps perdu.
Je l’ai déjà écrit dans un ancien article dont je ne me souviens plus, l’eau, dans les films, c’est très souvent l’excitation féminine (tout comme le désert est l’inverse), et c’est très souvent le liquide intra-utérin. Je constate juste l’utilisation fréquente d’un élément précis pour signifier quelque chose ici, je ne parle pas d’une loi rigide quelconque.
Par exemple, le bain de Loïs Lane ainsi que l’eau qui déborde dans Batman v Superman, c’est son excitation sexuelle (Mais ça pourrait ne pas l’être, c’est juste qu’effectivement, Lois est super-excitée parce que Superman lui a sauvé la vie de justesse). Dans L’Ornithologue, le lien du personnage avec la rivière est un lien avec sa mère, avec le liquide intra-utérin. L’île des amazones de Wonder Woman, c’est Diana qui est en même temps enfermée dans l’utérus et par la libido insatisfaite des femmes. Qu’est-ce qui lui permettra de trouver la force de quitter l’île ? La vue d’un sexe masculin « above average. »
Il y a plein d’eau dans The Shape of Water, Elisa Esposito est fascinée par l’eau et excitée sexuellement par celle-ci. Comme je l’ai dit plus haut, lorsqu’elle immerge la salle de bain, l’eau représente son excitation sexuelle débordante.
Mais que peut vouloir dire le fait de faire d’Elisa une femme excitée par l’eau ? Peut-elle être excitée par sa propre excitation ? Ça n’aurait pas vraiment de sens.
Lorsqu’elle se masturbe dans la baignoire au début du film, elle le fait le temps de se faire des œufs durs. Elle pose donc le minuteur, en forme d’œuf à quelques pas de la baignoire, pour être avertie lorsque les œufs seront prêts. Plutôt étrange comme pratique non ? On reverra les œufs dans l’eau bouillante un peu plus tard dans le film et Elisa partagera même son aliment favori avec la créature (mais le mange-t-elle ? Je ne sais plus).
Ce que cet œuf minuteur signifie, c’est qu’Eliza est tracassée par son horloge biologique. Elle veut se reproduire. D’où la présence dans le même plan d’un œuf, d’une horloge et d’une femme qui se stimule sexuellement… dans l’eau. Le problème, c’est que l’œuf, qui est donc la fin est également un moyen, puisqu’elle va s’en servir pour séduire son partenaire sexuel et que ce qui devrait être le liquide amniotique, est également ce qui éveille la sexualité de la jeune femme (l’eau).
On peut même aller plus loin, puisque la temporalité est souvent utilisée comme cœur de l’individu et comme signifiant de sa sexualité. Encore dans Wonder Woman, l’héroïne parle de son sexe à Steve Trevor, il lui répond en parlant de sa montre. Dans The Last of Us, la fille de Joël lui offre une montre lorsqu’elle veut qu’il la considère non plus comme sa petite fille mais comme sa petite femme. La montre, le temps qui passe, c’est l’appel des désirs : « Je suis un être fini donc mes désirs comptent car je ne pourrai pas toujours les satisfaire. » Le désir sexuel étant la matière de tous les autres.
Donc, lorsqu’Elisa se masturbe au rythme d’un œuf/horloge, la fin se superpose à l’origine. Il y a une aberration… une monstruosité.
J’oublie souvent de souligner que la plupart de mes lectures alternatives n’ont de valeur qu’en tant que lectures alternatives. C’est-à-dire que si dans Star Wars nous savions que Leïa n’est pas la sœur de Luke, ce fait n’aurait strictement aucun intérêt. L’intérêt réside dans le fait que l’information est secrète, qu’elle représente la vérité difficile d’accès et qui se cache derrière les apparences.
Par conséquent, les apparences elles-mêmes sont très importantes. Et ici, les apparences sont qu’Eliza est une femme douce, ouverte d’esprit, sensible, progressiste, sacrificielle, courageuse, qui voit au-delà des différences, qui déteste la violence, la domination et l’agression, et qui s’engage pour défendre les innocents, les opprimés et les victimes.
Cependant, ce que ce film dépeint, c’est la fétichisation de cette position. C’est-à-dire qu’alors que les hommes ont été éduqués à exprimer leur libido dans la violence, dans l’agression et la domination (ou l’expertise, ou la prise de responsabilité etc…), et cela en grande partie contre leur tendance naturelle, les femmes ont été éduquées à admirer ce qui est mignon, doux, inoffensifs et innocent et à se percevoir comme telles. Oui, ce résumé est simpliste, je vous demanderai de ne le prendre que dans ce qu’il a de juste.
Le film marque le point de rupture (actuel) où les femmes confondent nature avec culture et se mettent à rejeter le mâle qui n’est ce qu’il est que pour être un partenaire sexuel acceptable et le rejettent en fonction de critère qu’on leur a inculqué (à elles) uniquement pour leur donner une identité sexuelle. C’est-à-dire que la femme s’identifie en tant que femme en rejetant (avec virulence) tout ce qui permet à l’homme de s’identifier en tant qu’homme.
Donc, si Dimitri est jeté à la poubelle dans le film, c’est parce qu’Eliza reconnait Richard Strickland comme son mâle alpha mais le rejette pour être attirée par ce que celui-ci désigne comme victime. La femme est attirée par l’innocence, c’est la culpabilité qui va la lui indiquer. La femme est attirée par la victime, c’est le bourreau qui va la lui indiquer. Dimitri est le réel opposant idéologique et sensible de Strickland et il se verra relégué au rang de « good man. » Elisa s’en contrefout de lui. Il faut être le bourreau ou la victime pour appartenir à son monde.
Ce qu’il y a derrière cette situation catastrophique, c’est l’incapacité à assumer ses désirs. Elisa est muette: elle ne peut (métaphoriquement) pas dire ce qu’elle veut. Sa sexualité va donc alterner entre celui qui est excité par le silence, qui se moque d’avoir l’aval, qui prend de force parce qu’ainsi il se sent dominant et viril et celui qui n’a pas de regard, noyé par sa gratitude existentielle, qui dira « oui » coûte que coûte, qui sera fasciné et disposé.
Dimitri n’existe pas dans cette dynamique, et croire qu’il y a une affirmation de soi dans le choix entre ces deux opposés est une erreur. Elisa n’a pas de courage. Richard Strickland, tout comme la créature, représentent une solution de facilité (au niveau de l’affirmation de soi).
Le problème, c’est que la créature, c’est l’enfant, le bébé, la progéniture.
Cette beauté autre qui ne devrait pas inspirer d’attirance mais peut-être de l’admiration, c’est aussi celle d’un bébé. La créature apparait dans un tube puis dans une mare. Elisa entre métaphoriquement en contact avec sa progéniture, qu’elle nourrit et à qui elle fait écouter de la musique (comme à un fœtus). Elle la fait apparaître en faisant craquer la coquille d'un œuf. Et hop ! Le petit zozio est là !
La créature est impuissante, muette, instinctive et irréfléchie, mais aussi honnête et sensible. Elle a tout du bébé. Même lorsqu’elle dévore la tête de chat, on peut continuer à la percevoir comme innocente, car elle ne fait qu’obéir à une pulsion directe, sans compréhension des implications émotionnelles de son geste (pour Giles). Cette créature innocente, c’est le bébé. Bébé, qu’Elisa va éduquer. Elle va lui apprendre à parler sous nos yeux. Et bientôt, il lui devra la vie, et dépendra entièrement d’elle. Il n’aura aucun regard critique individué sur elle, ce qu’elle redoute.
A beaucoup d’époque, le sexe a été regardé comme un acte amoral. Pour plusieurs raisons dont le fait qu’il répond à une pulsion forte. Faire l’expérience d’un désir si fort pousse à regarder en face que l’on ne peut vivre sa vie de manière désintéressée. L’être humain, comme tous les animaux a des désirs et cherchera consciemment ou inconsciemment à les satisfaire.
Les hommes, qui ont, dans notre culture, porté intégralement la responsabilité de l’acte sexuel pendant des siècles, ont également porté la responsabilité de la violence et de l’immoralité. Les femmes ont souffert de devoir réprimer et cacher leur libido, les hommes ont souffert de devoir être blâmés pour ou considéré comme entièrement dirigés par la leur.
Ce qu’il se passe dans The Shape of Water, c’est que le personnage d’Elisa tout en tentant de prendre sa libido en main, refuse d’accepter l’amoralité du monde qui vient avec. Elle veut une libido innocente, inoffensive. Un acte qui ne soit pas tourné vers soi. Elle veut faire l’amour dans le jardin d’Eden.
A la fin du film, elle atteint son but. Alors qu’elle devient la partenaire amphibienne de la créature, elle devient un être sexué non-né, intra-utérin.
Il n’est pas anecdotique que le boss de Strickland le menace en ces termes : « you’ll be unborn, unmade and undone. »
Quand même, « tu seras alors non-né, non-fabriqué et défait. » Cette menace est thématiquement liée à la destruction pré-natale. La menace qui pèse sur Strickland n’est pas de perdre son boulot, elle est formulée en terme bien plus philosophique. Ce qu’Elisa est en train d’accomplir avec la créature représente la fin de l’humanité. Une femme qui satisfait sa libido en jouant sur la notion d'endettement de celui qui lui doit la vie, réduit l'humanité à un stade de développement psychologique primitif.
Bref. Voilà un bon film qui aborde des sujets bien actuels d’une manière assez incroyable et qui va recevoir une paire d’Oscars tout en étant perçu à l’inverse de ce qu’il dit.