The Shape of Water : Elisa est purement égoïste. (6500 mots)
Bonjour, bonjour et bienvenu dans mon musée des horreurs ! Aujourd’hui, et après mon exploration des plus douteuses du film Les Panneaux de la Vengeance, je vais me replonger avec plaisir et délectation dans une lecture délicieusement morbide et glauque et monstrueuse et dérangeante d’un film bien populaire en ce moment et qui risque d’ailleurs de recevoir l’Oscar du meilleur film cette nuit aux Oscars : The Shape of Water.
Alors évidemment, je ne peux pas aborder ce film sans parler du fait qu’il surfe sur les idées en vogue, tout comme 3 Billboards. On y trouve donc un pauvre homo opprimé malheureux et solitaire, une femme noire sur qui on peut compter et au caractère bien trempé malgré le racisme dont elle est la victime, une femme dont le mari n’en branle pas une et lui rend la vie insupportable, une autre forte, généreuse, intelligente, débrouillarde, sexuée, sensible, qui prend des initiatives malgré son lourd handicap etc… et un vilain homme blanc hétéro fasciste, dominateur, colérique, sadique, méchant, pas gentil, qui mérite bien de se faire émasculer et qui n’oubliera pas d’être ultrasensible aux charmes de l’héroïne, ça fait jamais de mal à l’égo de voir son pire ennemi avouer son attirance pour soi.
La vie est bien plus compliquée que ces clichés et le film l’est aussi.
Richard Strickland acculé par son épouse abusive, silhouette inquiétante d'impatience d'être satisfaite sexuellement. Je rigole... à moitié.
La lecture que je m’apprête à développer me vient à la base d’une amie qui est allée voir le film et m’a ensuite supplié de le regarder parce qu’elle y avait vu quelque chose que personne ne semblait remarquer dans les reviews officielles, ou dans les critiques non-officielles. Nous l’avons donc revu ensemble et je suis immédiatement tombé d’accord avec elle… et je comprends également pourquoi elle devenait folle de ne voir écrit cette idée nulle-part :
Elisa Esposito n’est pas humaine. Elle est de la même espèce que l’amphibien. (Pour être plus précis, elle doit en fait avoir un parent de chaque espèce).
Ce que mon amie avait remarqué c’est qu’à la fin du film, lorsqu’Elisa est sous l’eau avec la créature, on peut voir (assez clairement) que la soi-disant blessure qu’on lui aurait infligée alors qu’elle était un bébé, c’est des branchies. En plus, il est clairement dit (Zelda l’explique) qu’elle a été découverte abandonnée au bord d’une rivière DANS L’EAU.
De mon côté, ce qui m’a immédiatement frappé c’est qu’Elisa se masturbe dans sa baignoire. Sa sexualité est reliée à l’eau dès le départ, avant même d’avoir rencontré le monstre. Donc le monstre est son partenaire sexuel naturel. (En plus, un environnement aquatique n’est pas propice à la masturbation féminine).
C’est tellement clairement suggéré qu’Elisa est un amphibien qu’il me paraît possible que des critiques officiels aient décidé que cela représenterait un « spoil » d’en parler. Et c’est vrai après tout, puisqu’on n’obtient un indice réel que dans le dernier plan du film, cette idée serait une forme de révélation finale.
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Cependant, ce qui me donne le sentiment un peu oppressant que « personne n’a rien vu » c’est que tout le monde parle de ce film comme d’une ode à l’amour de la différence, à la défense des innocents, à la générosité, à l’ouverture d’esprit, au sacrifice de soi etc…
Ça serait déjà faux si Elisa était humaine, mais ça l’est encore plus si elle est de la même espèce que la créature.
Du début à la fin du film, Elisa n’est motivée que par son désir de trouver un partenaire sexuel (et de se reproduire). Elle n’est pas particulièrement sensible ou profonde, ou généreuse, elle est même d’ailleurs particulièrement égoïste en réalité. Elle ne voit pas « au-delà des différences. » Elle n’est pas compréhensive etc… etc… en gros, tout ce qui est dit officiellement sur elle, tout ce que le personnage est censé représenter et pour quoi il est célébré, est faux. Et c’est très drôle.
Lorsqu’Elisa voit un danseur noir faire des claquettes et qu’elle répète immédiatement ses pas, on voit bien que la couleur de peau du danseur lui est parfaitement égale. Cela prouve-t-il qu’elle est sensible ? Engagée ? Profonde ? Qu’elle a une conscience sociale ? Non. Cela prouve juste qu’elle s’en tamponne de sa couleur de peau. Ce qui est d’ailleurs d’autant plus compréhensible puisqu’elle n’est pas humaine, les humains sont tous des humains pour elle. Blancs ou noirs. Elle n’est pas sensible à ces différences.
La misogynie, l’homophobie ou le racisme, résultent (principalement) de conditionnements ou d’apprentissages. Une personne qui n’a pas été conditionnée, une étrangère, n’aura pas besoin d’être sensible ou consciente de ces dynamiques pour les dépasser.
Il y a un passage dans le film qui veut bien dire ce qu’il veut dire : lorsqu’elle regarde les émeutes raciales à la télévision, et que Giles lui demande de changer de chaîne, Elisa le fait à regret. Ooooh, elle s’intéresse tellement au sort de ces pauvres noirs opprimés… Non. Elle regarde les tuyaux d’arrosages surpuissants utilisés pour repousser les manifestants parce qu’ils l’excitent. On la voit clairement changer de chaine, le plan qui nous montre « ce qu’il y a à voir » est un gros plan sur les jets et lorsque l’émission revient sur l’oppression des noirs (chiens féroces), l’attention d’Elisa n’est plus portée vers l’écran et elle se mord la lèvre de frustration. Elle ne trahit aucune empathie ni aucun désarroi face au spectacle des noirs opprimés. Elle regardait les infos pour voir les jets d’eau.
Ce que cette lecture nous dit, c’est qu’Elisa n’est pas réellement sensible à l’oppression que subissent les noirs, mais aussi que même si elle y était un peu sensible, c’est surtout sa libido qui dirige ses gestes avant tout. (Mais de toute façon, elle se moque bien du sort que la société réserve aux noirs).
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L’intrigue du film met bien en valeur cet égoïsme et cet égocentrisme pratiquement pur du personnage.
Dans les 10 premières minutes du film on voit Elisa se préparer et se rendre à son travail… auquel elle arrive en retard. Heureusement, Zelda, la copine black, l’a attendue pour pointer. Derrière elle, une douzaine de personnes qui font la queue voient donc une retardataire passer devant eux… et les mettre en retard comme nous l’indique clairement le plan qui se termine sur l’horloge dont les aiguilles indiquent exactement minuit. Elisa et Zelda auront donc pointé à 11h59 et les autres se retrouveront avec des 00h01, 00h02, 00h03 etc… uniquement à cause d’Elisa et de Zelda le bon toutou. L’une des personnes qui attendent les menace même parce qu'elle redoute d’avoir des ennuis de leur faute.
Or, si l’on prête attention à la journée d’Elisa, on ne la voit se presser à aucun moment. Comme elle travaille de nuit, il est difficile de voir à quel moment il devient l’heure de se préparer à aller travailler, en attendant elle fait des claquettes dans le couloir, elle « discute » avec le propriétaire du cinéma et va ensuite faire du shopping avant de s’endormir dans le bus après avoir pris le temps de siffloter avec insouciance.
En réalité, elle n’arrive pas en retard, elle arrive juste à l’heure. Ce qui devrait la mettre en retard, c’est de respecter la file d’attente… d’accepter sa place parmi les autres humains, de penser au fait que d’autres personnes vont également travailler en même temps qu’elle. Cette introduction montre qu’Elisa ne prend pas en compte l’existence des autres... je ne plaisante absolument pas.
Je pense cependant, que ce qui est vu dans cette scène, c’est qu’elle a une amie noire qui est prête à se mettre des gens à dos pour elle parce qu’Elisa est tellement douce et ouverte d’esprit et gentille etc… la couleur de peau de la copine devient porteur de la signification : « ouverture d’esprit. » C’est un préjugé arbitraire basé sur une couleur de peau.
Il faut noter que JAMAIS Elisa ne remercie Zelda pour quoi que ce soit. Le plus drôle étant que la collègue noire se retrouve emportée dans l’histoire de sauvetage simplement parce qu’elle ponctionne la carte de notre héroïne et devient donc complice spécifiquement à cause de sa manie de lui rendre ce petit service quotidiennement. Elle s’oppose même physiquement à l’initiative jusqu’à ce qu’elle se retrouve obligée de s’en mêler par Hofstatter, le scientifique espion russe.
Plus drôle encore, Zelda passe son temps à se plaindre de son mari, de la manière dont elle fait tout pour lui (elle lui beurre ses tartines), et dont il ne lui donne rien en retour, déclarant volontiers qu’Elisa montrerait bien plus de gratitude… sauf qu’elle a en réalité développé exactement le même relation malsaine avec cette dernière. C’est-à-dire qu’elle cherche la gratitude d’une personne qui ne la lui donnera jamais… problème sans doute hérité du fait qu’elle est fille unique car sa mère est morte à sa naissance (il me semble). Zelda se sent redevable car elle a privé ses futurs frères et sœurs de leur existence et son père de sa femme et de ses enfants futurs.
Zelda est terrifiée, à juste titre, par les retombées possibles de leur opération de sauvetage illégale (qui ne lui apporte rien). A côté d'elle, Elisa se moque éperdument du bien être de sa collègue, pourquoi ? Parce que son appréhension du monde se limite à ses propres désirs égoïstes et qu'en cet instant, ils sont satisfaits.
A côté de Zelda, il y a Giles, le copain homo, lui-même entrainé contre son gré dans l’aventure. Giles rejette l’intégralité de l’argumentation d’Elisa. Il lui tient tête, lui dit « Non ! » et conclut même qu’il ne veut plus jamais entendre parler de cette histoire. Je souligne « il lui tient tête » parce que cela signifie qu’il assume ses paroles. Il assume son positionnement. Ce n’est pas de la peur, de la lâcheté ou de l’égoïsme, il n’est idéologiquement pas d’accord avec l’initiative d’Elisa. Lorsqu’il retourne sa veste, ça n’est pas parce qu’il épouse soudainement la cause de notre héroïne, ce n’est pas parce qu’elle a tiré de lui le « meilleur », c’est parce qu’il est entièrement désespéré. Il le dit lui-même : « Tu es tout ce que j’ai en ce monde et tu sembles avoir besoin de cette chose alors… que veux-tu que je fasse ? » Il n’y a rien d’idéologique dans son retour, uniquement du désespoir pur qu’Elisa va utiliser sans scrupule pour le faire mettre sa vie en danger. On vient de le voir perdre les deux dernières choses qui le maintenaient en vie à part elle dans ses deux précédentes scènes.
Enfin, il y a Dimitri « the good man. » Le sort réservé à Dimitri est terriblement significatif pour ce qui est de l’égoïsme d’Elisa. C’est entièrement grâce à lui que la créature est sauvée. Sans lui, la mission de sauvetage proprement RIDICULE d’Elisa les aurait tous menés à la mort. Cet élément est extrêmement important.
Lorsque Giles tente de s’introduire dans le labo secret déguisé en ouvrier (?), le soldat qui monte la garde fait, pas de chance, bien son boulot et ce n’est que l’intervention de Dimitri qui évite à Giles de se prendre une balle en pleine tête.
Ce soldat va mourir tué par l'injection qui était destinée à la créature. A quel moment sa vie est-elle devenue moins importante que celle de l'amphibien ? Je ne sais pas... mais c'est pas grave parce que tout ce qui compte c'est qu'Elisa trouve un partenaire sexuel !
Sans l’élément autonome, imprévu, indépendant, incontrôlé et largement-plus-efficace-qu’eux qu’est Dimitri, l’opération devenait : Giles prend une balle dans la tête. Zelda et Elisa se font chopper par Strickland qui abat Zelda d’une balle dans la tête (leur initiative fait d’elles des traitres au niveau militaire ce qui est passible de la peine de mort) et laisse une chance à Elisa parce qu’elle lui plait et qu’elle est muette. La créature est disséquée comme prévu. Voilà la fin du film sans Dimitri.
Lorsque le chef de la sécurité du labo décrit l’opération d’extraction comme extrêmement précise et requérant une dizaine d’hommes surentrainés, nous rions parce que nous savons qu’il s’agissait de deux laveuses et d’un peintre… et d’un gentil scientifique insignifiant auquel on ne pense même pas parce qu’il n’est pas à la base de l’initiative ni invité à y prendre part à aucun moment, il donne juste un p’tit coup de main. Le fait que Dimitri comprenne absolument tout à partir d’indices infimes et que ses interventions soient rapides, ultra précises et parfaites, passe à la trappe. C’est pourtant lui qui, en réalité, inspire le sentiment que tout était préparé à la perfection. Giles, Zelda et Elisa ont été exactement aussi incompétents qu’un peintre et deux laveuses qui tentent une opération d’infiltration militaire.
Giles se fait repérer par le soldat. Elisa ne réfléchit même pas à un moyen de faire croire qu’elle est rentrée chez elle, à un alibi. La première chose que Strickland vérifie c’est si leurs cartes ont été pointées. Elisa ne se pose même pas de question sur l’implication obligatoire de Zelda… qui à la fin finale de l’histoire se ferait TUER par Strickland si son mari ne la « trahissait » pas. Zelda se serait faite tuer à cause d’Elisa sans que cette dernière ne serait-ce que pense une seule seconde à sa responsabilité dans la mort de sa collègue.
Mais surtout, que devient Dimitri ?
Si Elisa avait une idéologie, si Elisa avait des convictions, si Elisa n’était pas uniquement motivée par son attirance sexuelle amphibienne, elle se serait tournée vers Dimitri le mec courageux, qui risque tout, qui tient tête à Strickland, pour sauver la créature. Au passage, Dimitri décide de sauver la créature lorsqu’il voit qu’Eliza est amoureuse de celle-ci. Je pense qu’il croit en ce qu’il fait, mais en même temps, il croit agir pour les mêmes raisons qu’Elisa, il pense avoir trouvé en elle, une âme sœur. Il se trompe. Il aura droit à la magnifique médaille asexuée « you’re a good man » et comment finissent les « good men » ? Ils finissent trahis par leurs pairs, abattus comme un chien dans une allée lugubre, sombre, sous la pluie… puis torturé à mort par leur pire ennemi. Le fait que Dimitri passe ses derniers instants en compagnie de Strickland n’est absolument pas innocent, c’est une accusation violente vis-à-vis d’Elisa. Si elle avait eu un positionnement idéologique, elle aurait fait le nécessaire pour empêcher que son plus bel allié ne meure de la main de quelqu’un qui prend plaisir à le torturer et à le tuer.
Un détail qui m’avait intrigué, c’est la remarque de Strickland sur le fait que Dimitri a pris une balle dans les entrailles et qu’il est donc condamné. La réplique attendue de l’espion est donc : « Tu peux me faire ce que tu veux, je sais que je ne m’en tirerai pas, pourquoi je te dirais quoi que ce soit ? » Mais non, Dimitri souffle la réponse à Strickland (« They just clean »). Pourquoi ? Parce que sa situation lui souffle qu’il a été trahit par Elisa. Et d’ailleurs, elle l’a trahit. Lorsque Strickland lui demande si elle a remarqué quelque chose d’inhabituel, même de trivial, dans le comportement du Dr. Docteur Hofstatter, elle répond « non… rien de trivial. » Ce n’est pas une accusation directe, mais c’est une réponse simplement ambiguë qui sert à ce que Zelda ne réagisse pas.
Je ne l’affirme pas, mais il est envisageable que dans cette scène Elisa vende l’espion russe (en pointant simplement dans sa direction) pour que Strickland la laisse tranquille. L’espion russe qui a tout fait pour elle et la créature.
Et quel sort réserve-t-elle à Giles ? Il se fait griffer par la créature. Un de ses chats se fait bouffer. Il se fait frapper par Strickland et Elisa disparait de sa vie avec Aquaman. Et bien sûr, elle est toujours terriblement désolée de ce qui lui arrive. Ça ne l’empêche pas de remplir sa salle de bain d’eau et de prendre le risque qu’il se fasse jeter à la rue par le proprio.
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Histoire d’aller un peu plus loin dans l’égoïsme de notre héroïne sensible et génreuse qui voit au-delà des apparences, il y a non seulement le fait qu’elle ne pense qu’à elle et ses intérêts, mais aussi le fait qu’elle ne voit strictement pas où se situent les intérêts des autres.
Elisa est muette et métaphoriquement, elle attire les personnes qui ont un secret et qui sont attirés par le fait qu’elle saura le garder.
Son job au labo secret est lié à son mutisme.
Richard Strickland est attirée par elle parce qu’il a un désir impérieux de silence.
Giles et Zelda, que ne veulent-ils pas entendre ?
Les doigts arrachés de Strickland sont évidemment phalliques. L’existence de la créature l’émascule. Mais avant cela, il a déjà un problème de virilité. Lorsqu’il fait l’amour avec sa femme, elle lui dit « Tes doigts saignent. » Si l’attention de sa femme peut être si facilement détournée lorsqu’ils font l’amour, c’est parce qu’il ne lui procure sans doute que peu de plaisir. Strickland n’est pas membré généreusement. D’où la matraque, la grosse voiture, la famille « parfaite », signes compensatoires de sa virilité. Cependant, il ne faudrait surtout pas rater l’aspect métaphorique de cet élément. Strickland est en compétition avec une idée de la virilité, de la domination absolue qui lui est imposée par l’American dream. Il se sent nécessairement « insuffisant. »
Le secret qu’il voudrait confier à Elisa c’est « je suis faillible, je suis imparfait, j’ai des sentiments, j’ai des peurs, j’ai besoin d’amour. Je suis un petit garçon terrifié à qui l’on donne trop de responsabilités. » Il veut le silence car tout l’oppresse, il veut le mutisme car il désire avouer ne pas être ce qu’on le force à être.
De son côté, on peut penser que Giles est un paria à cause de son homosexualité. Cependant, je n’en suis pas si sûr. L’homme à qui il apporte ses tableaux lui dit de passer à la photographie. Je n’ai pas le sentiment que ça ait un quelconque lien avec son orientation sexuelle. Alors oui, on pourrait systématiquement refuser son travail parce qu’il est homo, sauf que l’homme qui refuse son travail semble bien être son ex et s’inquiète honnêtement de sa situation. Donc, peut-être que Giles s’enferme simplement dans ses peintures alors qu’il devrait passer à autre chose… comme il s’enferme dans l’époque où il était jeune.
De même, le jeune serveur homophobe dont Giles est éperdument amoureux, s’exclame « What are you doing old man ? » lorsque celui-ci lui touche la main. « Old man. » Et si le serveur était bel et bien homo et que c’était la différence d’âge qui lui posait un problème si sérieux ? Car Giles est clairement développé comme un homme qui a bien plus un problème avec son âge qu’avec son homosexualité.
S’il voulait un compagnon, il en trouverait un (le proprio du cinéma qui tient tant à lui payer des places pour un Péplum ? Et que l'on retrouvera seul devant le film ? Alors qu'on sait que Giles adore ce genre de film ? Vous avez besoin de plus d'éléments pour considérer qu'Elisa vole à son ami son droit au bonheur ? Moi non). Ainsi, la « correction » dont il a besoin est toute indiquée, Elisa devrait lui pointer du doigt à quel point son obsession pour son âge est en train de détruire sa vie.
Il est assez amusant de constater que le personnage qui nous donne le plus le sentiment qu'Elisa est aimée universellement car universellement positive, n'apparait pas plus de 20 secondes dans le film. Sans parler du fait qu'il s'adresse à elle probablement parce qu'il est intéressé par Giles. Aaah, les apparences...
Au contraire, il me semble possible que ça soit son homosexualité non-assumée qui est en train de détruire celle de Zelda. Je n’en suis pas sûr, mais un certain nombre d’éléments développés vont dans ce sens. L’un de leur collègue masculin noir est clairement attiré par elle mais il ne se passe jamais rien, alors qu’elle pourrait facilement tromper son mari, voire le quitter. Elle se plaint de lui h24. Mais non rien. Par contre, elle sacrifie volontiers ses chances avec ce collègue pour sa relation avec Elisa. C’est donc une homosexualité honteuse qui la pousserait vers la collègue muette… d’ailleurs, une femme semble s’agacer de voir Zelda passer son temps à sauver la mise d’Elisa. Une autre lesbienne ? Je ne sais pas. En tout cas une personne que Zelda ferait bien d’écouter.
Je n’ai pas besoin d’avoir entièrement raison sur chacun de ces sujets pour pointer du doigt qu’Elisa ne dit jamais rien à personne. Elle ne suggère jamais rien, ni ne donne jamais son opinion à ses « amis » alors qu’elle est en position de le faire et de les aider.
Lorsqu’elle décrit la créature à Giles, elle ne se rend cruellement pas compte qu’elle donne une description qui correspond à son ami. En disant à Giles : « Enfin quelqu’un qui me prend comme je suis. Enfin quelqu’un qui ne trouve pas qu’il me manque quelque chose ! Enfin quelqu’un qui est heureux de me voir arriver ! » Elle lui dit : « tu ne comptes pas pour moi. »
Au passage, au début du film, Zelda se demande comment les hommes parviennent à mettre de l’urine au plafond des toilettes (Confondrait-elle avec du sperme ? ça me semble plus probable). L’eau de la salle de bain représente l’excitation sexuelle d’Elisa qui a enfin ce qu’elle voulait depuis le début. Et cette eau, arrose le propriétaire dans sa salle de cinéma et lui coule même dans la bouche. En gros, Elisa a aussi peu d’égard pour les autres, dont le pseudo-ami qui pourrait bien se faire virer à cause d'elle, que « la société patriarcale masculine » en a pour les femmes. Pas dans un sens de rébellion, mais dans le sens où elle ne fait pas mieux que ceux qui l'oppriment.
D'ailleurs, la scène des toilettes est géniale. Zelda et Elisa parle de sexes masculins sans aborder l’aspect sexuel. Elle parle d’urine. Strickland entre, leur dit de continuer à parler et qualifie leur conversation de « commérage, discussion de bonnes femmes. »
En réalité, nous avons ici deux femmes qui veulent parler de sexe, qui veulent parler de leur désir du sexe masculin. Entre alors, un homme qui veut entendre que les femmes aiment les hommes et leur sexe. Elles se demandent pourquoi il y a de l’urine partout. Richard leur donne la réponse : « Un homme qui se lave les mains avant et après avoir uriné fait preuve de faiblesse. » Il urine donc sans les mains et répand son liquide un peu partout. Ce que cela signifie, c’est que cette urine répandue est une tentative désespérée de pousser les femmes à reconnaître l’existence du sexe masculin et de leur désir pour celui-ci.
Le comportement de Strickland est parfaitement comparable à celui d’un enfant de six ans qui court à moitié nu pour montrer son « zizi » à tout le monde. C’est pratiquement la même chose. Il parle de sa « matraque » parce qu’il veut que ces femmes reconnaissent qu’il a une belle matraque. Le problème n’est pas de son côté, le problème se situe du côté des femelles de son espèce qui prétendent s’en moquer, être totalement indifférentes à l’organe reproducteur de leurs mâles qui en deviennent donc totalement aliénés.
Cette aliénation, c’est la fabrication de signes mythologiques superflus portant la signification de la capacité à avoir une érection, à pénétrer, à féconder. Le sang sur la matraque de Strickland est le sang de la perte de virginité et celui du premier crime commis, de la chute du paradis, de la découverte du bien et du mal, de l’entrée dans l’individualité.
Bien sûr, littéralement c’est le sang de la créature, mais cet aspect métaphorique fait de la créature la victime originelle de l’acceptation du désir sexuel. Dans le sens où, lorsque l’on accepte sa sexualité, lorsque l’on accepte ses désirs, sa présence au monde, on accepte de prendre une place, de prendre quelque chose aux autres. Le sang sur cette matraque, est le sang de cet autre anonyme, invisible que l’on peut concevoir comme notre victime à chacun de nos actes. Si je prends une part de pizza, quelqu’un d’autre ne l’aura pas. Si je vais au cinéma, il y a un siège de moins de libre. Si je trouve un emploi, personne d’autre ne peut plus l’avoir. Si j’entre dans une relation de couple avec une femme, elle n’est plus disponible aux autres. La créature devient une vision radicalisée et exacerbée de cet autre, victime de l’existence terrestre impitoyable que les hommes représentent. Accepter d'exister ne coule absolument pas de source.
Un autre détail : Richard a pour diminutif Dick, donc le sexe masculin. Si Dick doit mourir pour qu’Elisa suive la créature sous-marine, il me semble donc logique de penser que l’amphibien n’a pas de sexe et qu’Elisa ment lorsqu’elle en parle à Zelda. Surtout que leurs ébats dans la salle de bain sont exempts de tout élément qui suggérerait une pénétration. Non pas que j’ai eu envie de voir ça, mais simplement, Elisa met en place un environnement pour qu’ils puissent s’ébattre confortablement et cet environnement contredit l’idée de pénétration. Sa sexualité est donc en fait, une extension pathologique de l’acte masturbatoire. (On l'a vu se masturber avec frénésie à mesure que sa frustration augmentait au début du film).
Et si la créature porte sur elle le poids de la culpabilité d’être au monde, cela ne fait-il pas d’elle le messie ? Jésus Christ ? Dieu. Celui qui naît de la reproduction asexuée par l’opération du saint esprit. Celui qui hum… guérit du touché de ses mains ? Aïe aïe… ça sent mauvais tout ça n’est-ce pas ? La femme qui tombe amoureuse de Jésus, de Dieu, de l’origine du monde, et donc littéralement de son propre sexe, le vagin. Oui oui. Elisa tombe amoureuse de la fascination pour elle-même. Elle entre dans une boucle narcissique infinie, prisonnière de la contemplation de son pouvoir de procréation innocent face à l’ignominie de l’acte de pénétration. La créature c'est la fascination pleine de gratitude de celui qui doit la vie.