La Pub Mercèdes Classe B. est abjecte. (4000 mots)
C’est en ouvrant le Télérama de la semaine du 23 au 29 Mars que je suis tombé sur cette abjection (et je vous promets de justifier ce mot):
Peut-être vous demandez vous pourquoi tant de violence envers un papa qui se déguise en princesse pour faire plaisir à sa petite fille ? N’oubliez surtout pas que vous êtes devant une publicité pour une voiture.
Commençons par le sens (présumé) de cette publicité :
« Ce papa beau et viril qui ressemble un tantinet à Russel Crowe, n’a pas hésité à ranger sa virilité au placard et cela pour faire plaisir à sa petite fille. Ce papa est moderne, progressiste, ce n’est pas un macho débile qui rechigne à exprimer sa douceur ou qui se laisse influencer par le regard que porte sur lui la culture patriarcale rétrograde. Quel bon papa. Vous vous identifiez à lui ? Vous aussi êtes progressiste, moderne, ouvert d’esprit, courageux et indépendant ? Vous vous moquez du regard des autres parce que vous êtes un véritable individu fort qui valorise l’amour de votre enfant plus que les regards plein de jugement ? Alors la Classe B. Mercèdes est faîtes pour vous. »
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On peut immédiatement voir que j’incorpore l’idéologie LGBT féministe dans mon interprétation. J’imagine que personne ne serait assez bête pour me dire qu’il n’est pas question de cela ici mais peu importe, car justement le langage de la publicité est, par essence, lâche et hypocrite. On peut toujours prétendre qu’il ne s’agit que d’un papa qui se déguise pour faire plaisir à sa petite fille, qu’il n’y a pas d’idéologie, juste des bons sentiments, il ne faut pas tout prendre au sérieux. Après tout, c’est juste une publicité pour une voiture.
Cependant, l’idée du papa déguisé en princesse surfe bien évidemment sur les idées féministico-LGBT synonyme de progressisme actuelles. Des papas qui se déguisent pour faire plaisir à leur enfant il y en a depuis longtemps ; en père-noël, en dinosaure, en pirate, le problème c’est que tout ça ne frappe pas ni n’interpelle, or pour que le pauvre consommateur qui ouvre innocemment Télérama voit son attention captée par la publicité, il faut un truc qui colle une baffe : un gladiateur en tenue de princesse. Et au second plan la voiture de merde qu’on veut lui refiler.
On peut déjà voir ici le rôle d’une idéologie pour la publicité : capter l’attention. L’idéologie est utilisée avant tout comme bruit, mais pas uniquement. Elle est également utilisée comme signe mythologique du progrès.
J’utilise ici la définition de Roland Barthes du mot mythologie. Si l’homme avait été déguisé en pirate, nous n’aurions vu qu’un papa déguisé qui emmène sa fille à une fête d’anniversaire, mais mettons-lui un costume de princesse et soudainement, nous sommes devant le progrès, la modernité, l’ouverture d’esprit, le rejet des rôles sexuels, le courage d’être vrai, l’abandon de valeurs désuètes etc…
D’ailleurs la légende de la photographie est édifiante à cet égard:
Nouvelle Classe B.
Ne vous justifiez pas. N’écoutez que vous-même et profitez du plus avant-gardiste des monospaces premium. Place à la connectivité grâce à l’écran digital tactile WIDESCREEN. Place à l’intelligence avec l’assistant vocal « Hey Mercedes » de séries qui s’adapte à son conducteur jour après jour. Place à la sécurité avec les systèmes d’aide à la conduite issus de la Classe S. Place à la liberté. Place à la famille. Place à vous.
Mon Dieu que c’est dur de devoir lire un tel monceau d’immondices insensés et nihilistes. Pauvre, pauvre humanité.
Donc en gros, le bonhomme habillé en princesse fait écho aux mots « avant-gardiste,» « liberté » et « famille » j’imagine. Même si de toute façon, le lien pourrait être intégralement arbitraire, la publicité se passant parfaitement de cohérence.
Et donc, nous voici devant cette publicité qui se sert de l’idéologie LGBTPZ/Féministe pour se construire un signe mythologique porteur de plusieurs significations telles « progrès,» « courage, » « ouverture d’esprit » etc… à associer à la poubelle dont elle fait la promotion. « Qu'y a-t-il de si grave là-dedans ? » me demandera-t-on. Beaucoup de choses.
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Il n’est pas difficile de constater que le comportement d’un tel père n’a strictement rien à voir avec la voiture qu’il conduit. L’arbitraire du lien peut donner l’impression que la publicité est inoffensive, beaucoup d’autres choses auraient pu être mises à la place de ce père, d’ailleurs la publicité a justement plusieurs versions différentes.
L’un des problèmes est donc que celle-ci, de par son besoin de trouver un signe mythologique du « progrès, » se doit de célébrer un comportement nouveau, récent et déjà perçu comme tel. La publicité n’est jamais subversive, elle est nécessairement complaisante. Le comportement qui va être montré comme une avancé subversive courageuse et isolée comparable à celle que représente la voiture ne peut pas être une avancée, bien au contraire, il est nécessairement populaire et subtilement démagogique. Il y a un abysse entre le français qui dit détester les nazis en 1941 et celui qui dit la même chose en 1946. La pseudo subversion est en réalité flatterie indirecte.
La publicité va chercher une valeur, un concept à mettre en scène que le public va immédiatement reconnaître et auxquels il aura envie de s’associer parce qu’ils le feront se sentir supérieur ; supérieur à la moyenne, supérieur à la masse indifférenciée, supérieur au voisin.
La publicité joue toujours sur le besoin des gens de se distinguer, elle ne vend pas une normalité, elle vend une supériorité. Ainsi, ce père est supérieur à un autre père dessiné en creux. Lequel ? Le père qui aurait rejeté la requête de sa petite fille qu’il se déguise en princesse, le père qui se serait déguisé en dinosaure, en pirate ou pour être plus précis, en roi. Car ce qui frappe, ce n’est pas le déguisement, c’est le fait que cela soit un déguisement de princesse qui enraye sa virilité.
"Il est temps que les temps changent." Encore du non-sens profond. Notez cette saveur particulière du signe mythologique qui n'a aucun sens mais dont on comprend la signification. On voit "engagement politique," "courage," "rébellion," "avenir" dans cette phrase qui a néanmoins oubliée d'avoir un sens. Et les individus de la société de consommation subissent le même sort, ils ne sont plus que de grandioses silhouettes en carton sur lesquelles il est écrit "Individus."
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Ainsi, ce papa qui se déguise en princesse est mieux que celui qui se déguise en roi. Mais déjà, existe-t-il une petite fille qui veut que son père se déguise en princesse ? Je suis sûr que des papas l’ont déjà fait, mais j’imagine bien mieux une situation où un père s’achète une panoplie de La Reine des neiges pour chanter « Libérée, délivrée » et agacer sa petite fille qu’une situation où celle-ci veut voir son papa en robe et paillettes.
Si une petite fille demande un jour à son papa de se déguiser en princesse, pourquoi pas ? Si elle lui demande de le faire tout le temps, il faudra bien un jour lui expliquer que papa n’est pas une fille ni un enfant et qu’elle ne peut pas s’identifier à lui. Oui, car la petite fille qui se déguise en princesse s’identifie à celle-ci, si elle demande à son père de le faire également, c’est qu’elle s’identifie à son père sans comprendre la différence. Il y a un apprentissage à faire, qu’il faudra bien qu’elle fasse.
En tant qu’exception insignifiante, le comportement que montre la publicité est parfaitement acceptable, mais également totalement sans importance.
Par contre, en tant qu’exemple à suivre, réponse progressiste et moderne, en tant que véhicule de valeurs sérieuses qu’on veut associer à la voiture et à la marque, le comportement du père est ridicule et inacceptable. Non, il n’y a rien de supérieur ici, il n’y a rien de plus courageux, de plus sensible ou de plus adéquate ; ce père n’est pas un meilleur père pour sa petite fille que celui qui aurait refusé.
Il n’est pas rare que le comportement progressiste de la publicité soit intégralement détaché de la réalité, c’est le cas ici. Le problème c’est qu’il ne l’est pas tant que ça. La personne qui tombe sur la publicité reconnait immédiatement l’idéologie LGBT. On se retrouve devant une mise-en-scène absurde mais qui porte le masque de la cohérence.
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On pourrait se dire que je prends les choses trop au sérieux, que la publicité ne se prend, elle, pas autant au sérieux. Mais c’est ce que j’essaye d’expliquer dans cet article et dans le précédent : nous sommes réellement devant une propagande idéologique, même si elle ne prétend qu’être un outil pour nous vendre un produit.
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Le fonctionnement fondamental de la publicité n’est pas libertaire, mais bien fasciste. Derrière la mascarade de choix se cache une injonction de la part d’un dominant. Cette publicité fait comme si le public allait s'identifier à ce père et adhérer aux valeurs automatiquement et que par conséquent, la voiture associée aux valeurs serait perçue positivement. Mais ce qu'il se passe c'est que la publicité impose les valeurs autant que la voiture.
La supériorité du père-princesse sur un autre est défendue au premier degré puisqu’elle est mise au même niveau que celle de la Classe B. sur les autres voitures. Je disais plus haut qu'une pub ne peut pas être subversive, elle ne choisira donc pas de nous imposer une idéologie impopulaire. Ce qu’il se passe, c’est qu’elle sélectionne un courant de pensées à la mode qu’elle s’accapare et qu’elle radicalise en injectant cette dynamique de supériorité et d’infériorité.
Le personnage d’un film subit toujours une évolution au cours de l’histoire. Si on le désire, on peut se dire qu’il est « meilleur » à la fin qu’au début, mais en réalité ça n’est jamais la manière dont les choses sont construites. Le personnage principal, à la fin de son arc narratif, a compris des choses ou s’est remis de quelque chose, il s’est rapproché d’un équilibre ou d’une vérité. Ce qui importe, c’est le sens et la cohérence. Les œuvres littéraires développent notre profondeur. Il n’y a pas d’idée de « supériorité par rapport à » ou d’augmentation de sa valeur et certainement pas en comparaison aux autres personnages.
Dans la publicité tout est intimement relié à la valeur intrinsèque computable de l’individu, et donc à l’égo et à l’estime de soi du public. Tout ce que l’acteur de la publicité fait le barde de symboles positifs, de trophées. S’il fait ça, il est plus malin, il est plus intelligent, il est plus attirant etc… La publicité offre la possibilité de s’associer à des qualités à peu de frais. Elle va avec cette mode anglophone d'attribuer une note aux gens en fonction de leur pouvoir d'attraction.
Si le père-princesse est supérieur, la voiture est supérieure. Mais puisque la voiture est supérieure, le père-princesse l’est forcément aux yeux de la publicité. Nous ne sommes pas devant une publicité qui se sert de valeurs reconnues par la culture pour les associer à la voiture, nous sommes devant une culture consumériste qui impose des valeurs par nécessité pour imposer ses produits avec.
Imaginez un roi expliquant à sa cours qu’à partir de maintenant, il aurait une estime toute particulière pour ceux qui porteraient leur slip sur la tête. Tout le monde sait cette idée ridicule, mais il y aura forcément des personnes qui s’infligeront de s’aligner sur la suggestion pour s'attirer les faveurs du roi.
Devant la publicité de la Classe B. le public masculin ressent bien que ce comportement de déni de sa propre virilité est à la mode et voir une marque comme Mercedes l’utiliser comme argument de vente pèse d’un poids indéniable. Nous savons que tout cela n’a aucun sens, mais nous sentons d’autant plus la force de l’idéologie, ce que la société de consommation attend de nous et surtout nous ressentons la radicalité du message : « si tu n’es pas comme ça, tu appartiens au passé. »
Il n’est pas difficile de se dire que rien ne force le spectateur à se soumettre à cette logique. En voyant cette publicité, je ne me suis pas immédiatement rué dans un magasin pour m’acheter un costume de princesse et une Classe B. Pourtant, oserions-nous encore prétendre que la publicité n’a pas un impact colossal sur la perception qu’ont les individus les uns des autres.
Peut-être n’y a-t-il aucun homme qui trouvera cette représentation juste, il me semble d’ailleurs que récemment une campagne de publicité Gillette s’est pris les pieds dans le tapis et a tenu un discours tellement inadéquate qu’elle a été boycottée et remise au placard par la marque. C’est tout ce qu’il se passe en cas d’échec, la pub part aux oubliettes, où elle partira de toute façon tôt ou tard. Mais en cas de réussite, un certain nombre de femmes suffisamment naïves où dont le cerveau a été correctement lavé plus blanc que blanc, trouveront l’homme de cette pub Classe B. réellement plus mignon, plus désirable, plus attachant que celui qui refuserait de s’attifer en princesse. A la vue de cette pub, les hommes doivent donc se demander si ce comportement débile mais écho d’idées à la mode devrait maintenant faire partie de leur répertoire, s’ils vont être jugés négativement parce qu’ils le trouvent ridicule, et avec ce comportement, d’autres peut-être moins radicaux, le message étant que l’anti-virilité est plus attirante que son opposée, qu’accepter de se rapprocher de l’homosexualité ou de la transsexualité, car les connotations sont bien là, est positif.
La publicité s’empare de courants d’idées et les radicalise. Ce qui était une exploration, une direction que la culture aurait pu emprunter ou non, devient l’avenir flamboyant dans lequel nous devrions déjà nous trouver sans ces boulets à la ramasse.
Et ne croyez surtout pas que vous allez vous en sortir en mettant votre slip sur la tête. Tout heureux de vous promener avec ce sentiment d’avoir l’aval du roi, de pouvoir prendre de haut ces présomptueux qui ne portent pas de slip sur la tête mais qui le payeront de leur ostracisassion, tout confiant et optimiste et populaire auprès d’une belle proportion de la gente féminine qui sait reconnaître un vainqueur, vous serez bien vite paniqué d’apprendre que le roi aime maintenant ceux qui se mettent une carotte entre les fesses. Vite ! Où sont les jardins ?
Avec son produit, la publicité vend de l’orgueil, un statut, et instille subtilement une anxiété. L’homme qui regarde la pub Classe B. et ne se reconnait certainement pas dans l’idéologie abrutie qu’il y voit, reçoit quand même le message qu’il n’est plus le bienvenu, que sa normalité est passée de mode et qu’il ferait bien de s’adapter sans quoi le regard des autres sur lui deviendra progressivement négatif. Doit-il se présenter habillé en princesse à son prochain entretien d'embauche ? Comme si ça n'était pas déjà le cas.
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J’espère que la violence de ce mécanisme est visible. Je ne parle pas ici que d’une seule publicité, car des pubs il y en a pour tous et toutes tout le temps. Nous sommes absolument tous concernés et bombardés à chaque instant de notre vie, accompagné par notre petite propagande fasciste sur-mesure qui nous susurre à l’oreille ce que nous devons être ou éviter d’être et le moyen magique, l’achat d’un produit, qui nous fait échapper à cette dynamique. Car c’est également ce que peut être la classe B. un moyen d’échapper au déguisement de princesse, puisqu’un équivalant symbolique.
Il est très important de regarder en face que tout cela fonctionne. A toute époque, il existe un certain nombre de modes insensées qui vont dominer nos vies et passeront en priorité sur le bon sens, l’honnêteté et le réel. Nous critiquons tous fermement les Iphones, pourtant nous sommes terriblement nombreux à en posséder un, terriblement nombreux à l’utiliser constamment, terriblement nombreux à le sortir en soirée pour vérifier un mot, une date, ou montrer une vidéo ou une appli sympa. Bien sûr, nous sommes contre, mais il semble également ridicule de s’enfermer dans un rejet total qui nous ferait du tort, et aussi, on a tous de petits moments de faiblesses. Et c’est justement ça le problème, c’est que la publicité exploite notre faiblesse. Allez-vous sortir votre Iphone pour montrer à votre voisin la vidéo de Lézard qui pète dans la baignoire quand tout va bien ? Quand on s’occupe de vous, qu’on vous trouve intéressant et drôle ? Ou allez-vous le faire quand, totalement certain de votre total manque d’intelligence et d’intérêt, vous allez décider de laisser youtube ou apple vous en donner ?
C’est la même chose pour papa-princesse et la Classe B. Les produits et idées-produits servent à nous valoriser à peu de frais. Ce sont des raccourcis symboliques vers une valorisation de notre personne… tant que nous acceptons de nous soumettre à l'idéologie capricieuse de la société de consommation. D'abord le slip sur la tête, puis la carotte entre les fesses et après ?
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C’est là que nous entrons dans l’abject que j’ai promis de justifier au début de cet article. L’abject (Ou l’horreur), selon Derrida il me semble (Edit: Kristeva), c’est le flirt entre le vivant et le non-vivant, entre l’objet et le sujet. Par exemple, un cadavre les yeux ouverts (ou un zombis, une poupée, un mannequin) confronte à ce sentiment de dégoût puissant parce que nous sommes face à un objet sans vie qui est cependant très proche du vivant. Le même phénomène se produit face à une blessure dont jaillit du sang. Le sang n’est pas vivant, le sang n’est pas moi et pourtant il s’échappe de mon corps et il faisait partie de moi il y a un instant. Beaucoup de ce qui flirte avec les limites de l’individu, les limites du corps et les limites du vivant peuvent facilement revêtir ce pouvoir d’abjection (excréments, vomis, sperme).
Au niveau psychologique (et selon moi), la négation du vivant c’est le refoulement ou l’acceptation de nier son agence, sa volonté de vie. L’abject apparait lorsque l’on flirte avec les limites de l’individualité, par exemple une personne particulièrement soumise ou encline à des comportements masochistes. Une personne dont le comportement suggère que sa vie n’a pas d’importance, ou est moins importante que celle d’une autre.
Le Gollum du seigneur des anneaux est un bon exemple d'une individualité tellement soumise qu'elle en devient abjecte. La manière dont la psyché du personnage est intégralement dévoré par l'anneau l'objectifie et le rend répugnant.
Dans cette publicité pour la Classe B. l’abject explose dans le comportement du père et dans la phrase Justify Nothing. "Ne vous justifiez de rien." Ce cri d’indépendance, cette déclaration effrontée de liberté est abjecte parce que la publicité nous montre exactement l'inverse. Nous sommes ici devant l’imposition vicieuse et sévère d’une perception terriblement hostile, toxique, nocive à l’homme et au genre humain, introduite sous la forme d’un choix courageux de l’individu lui-même. La violence est extrême et ce parce qu’elle se situe à trois niveaux différents, chacun poussé à un degré extrême :
1-On prétend que la négation du sexe des individus est quelque chose de sain. Notre sexe est au cœur de notre individualité. Prétendre qu’il ne signifie rien est très très proche d’affirmer que rien ne signifie rien, qu’absolument rien n’a d’importance. La publicité nous vend cela comme du progressisme.
2-On demande donc, mine de rien, aux individus de renoncer à une des bases de leur construction psychologique et cela sous peine de devenir sans valeur, des ringards, des attardés, des mauvais pères, des hommes de Cro-Magnon. Le comportement auto-infligé est dévastateur et la menace qui pèse sur la cible est gigantesque, mais la pub n'a aucun problème à nous dire que cette auto-déconstruction c'est la progression.
3-Le tout doit être fait avec le sourire. La victime doit prétendre qu’elle est en fait en plein épanouissement, en pleine rébellion, qu’elle exprime sa vérité profonde et cela envers et contre tout. Elle est courageuse. Elle doit se sentir supérieure et regarder de hauts ceux qui n'ont pas le "courage" (LOL) de faire comme elle, alors que son comportement se rapproche fortement de la soumission absolue et intégrale.
L'homme n'est-il pas l'inverse de la petite fille ? Plus encore, le père est ce qui permet à sa petite fille de se sentir une petite princesse. Elle est sa petite princesse. S'ils partagent le déguisement, celui-ci n'a plus aucun sens.
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Justify nothing. Soyez ce que vous êtes sans une seule seconde réfléchir à ce qu’en penseront les autres. A ce niveau-là, il pourrait aussi bien sod****ser la gamine (Mais ça Mercedes le garde pour la campagne de publicité suivante).
Le signe mythologique porteur de l’idée de progrès est ici un père déguisé en princesse, mais dans la même campagne de pub, on a un homme et une femme enceinte clairement excités sexuellement qui se touchent en public (D’ailleurs, la main qui caresse le ventre gonflé le fait exactement comme si elle caressait le sexe de la jeune femme). Ici, ce sont les idées de pudeur, d’intimité et de respect des autres qui sont balayées d’un revers de la main. La publicité se permet même une blague assez glauque puisque c’est une petite fille qui va demander à la voiture de leur trouver un hôtel. Encore un enfant exposé au sexe. Puisque je vous dis que la pédophilie est dans la prochaine campagne.
Se permettre de dire absolument n'importe quoi sans être inquiété est une des joies du pouvoir. Le non-sens n'existe qu'à partir du moment où quelqu'un ose le pointer du doigt.
Pour en revenir au papa qui ne se justifie de rien. La publicité invente un environnement hostile fasciste qui interdirait à l’individu d’être lui-même, d’exprimer son être profond qui nécessairement n’est qu’amour et douceur. Elle nous vend un monde édenté, un monde dans lequel la violence n’est que le produit de la culture (patriarcaleux) et où l’on peut la faire disparaître pour que les humains redeviennent de petits anges… asexués… donc pédophiles. Encore une fois, je reviens à ce terme. Désolé. Vous ne voyez pas le lien ? La pédophilie est la quête d’une sexualité innocente ou d’une sexualisation de l’innocence (entre autres). Une culture qui n’accepte plus de se salir les mains, une culture qui n’assume plus que vivre c’est aussi parfois blesser, c’est prendre une place, une culture obsédée par l’innocence est une culture qui ne voit plus de différence entre l’adulte et l’enfant, et ne perçoit plus pourquoi le sexe entre un adulte et un enfant se doit d’être interdit car l'adulte attiré par les enfants prouve qu'il a une âme innocente (Je décris une perception erronée ici, que cela soit clair). Une petite vidéo qui ne dit pas la même chose mais montre pourquoi il me semble important de ne pas éviter d'aborder cet aspect de la publicité.
Ce père qui ne se justifie donc de rien, qui rejette le droit des autres à porter un regard sur lui, crée en réalité un monde où l’on doit se justifier d’une chose parfaitement normale : Un père qui explique à sa petite fille qu’il n’a pas envie de se déguiser en princesse parce qu’il est un homme et qu’il est adulte… lui enseignant par la même deux notions, deux limites qui permettraient à cette petite fille de se construire psychologiquement. Et bien non, ce père maintenant devra se justifier de ne pas être un gros con rétrograde pendant que le papa pédophile est un héros et vient de gagner une Classe B. On l’applaudit tous ensemble.
Ce monde que crée la publicité où l’on doit constamment adapter son comportement et son être à toutes les modes les plus insensées possibles car aucune compréhension ni tolérance, ni compassion n’est offerte à l’être humain normal, est donc un monde dans lequel on doit constamment se justifier d’exister justement, tout en prétendant de toutes ses forces faire exactement ce que l'on veut.
Cette agression constante produit La Culture du narcissisme dont parle Christopher Lash. Les consommateurs sont des personnes qui ne parlent qu’en termes d’adaptation et de supériorité, terrorisées par le regard des autres, démontées par une anxiété existentielle qui leur rappelle qu’ils ne sont jamais à la hauteur, ils produisent tous les signes mythologiques possibles porteurs de la signification de leur valeur et de leur supériorité, sans jamais ne toucher du doigt le moindre naturel.
Le papa-princesse qui se rebelle contre l’ordre établi plein de jugement, est en fait le sous-homme le plus misérable que l’humanité puisse connaître. Il a renoncé absolument à toute forme d’agence ou de statut. Et c’est à cette chose que la publicité voudrait que l’on ressemble. Caché derrière le prétexte de faire plaisir à la petite fille, il y a réellement l’empereur, le tout-puissant disant aux hommes du peuple qu’il domine : « Déguisez-vous en petites filles et vous aurez du pain » A la différence près que l’arme de coercition n'est plus la nourriture mais le regard des autres, la nourriture spirituelle, l'approbation existentielle. Le média qui, bienveillant et flatteur, t’exhorte à ne pas prendre en compte le regard extérieur te soumet grâce à celui-ci.
Le maître détruit la notion de déterminisme en imposant la liberté et se dissimule dans les déterminismes devenus inconscients chez les sujets trop fragiles pour regarder leur soumission en face.
Ainsi, le papa-princesse te dira qu'il fait ça sans se soucier des regard extérieurs plein de jugements, qu'il le fait pour sa fille et qu'il est libre.
Alors qu'il fait ça pour lui, sans penser une seule seconde à sa fille et entièrement phagocyté par les regards extérieurs (indirects) qu'il a intégré qui valorisent la pseudo-rébellion et la destruction des genres et lui permettraient éventuellement de faire abstraction des regards extérieurs (direct) qui pourraient être réprobateurs.
Il est utilisé comme symbole de courage = il est la lâcheté.
Il est présenté comme un père doux et sensible = Il ne conçoit pas l'existence des autres au-delà de l'image qu'ils lui renvoient de lui-même. Sa fille n'est rien pour lui que le signe linguistique "fille."
Il est utilisé comme symbole de l'indépendance au regard des autres = Il incarne l'intégrale soumission à celui-ci.
Il est utilisé comme symbole de liberté = Il donne forme à son être intégralement en fonction des attentes de ses maîtres qui n'ont pour lui qu'un mépris sans limite et l'égorgerait avec aussi peu d'hésitation qu'ils le célèbrent du moment que cela sert leurs intérêts.
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Sartre était le parfait philosophe de la société de consommation. L’existentialisme qui se moque de celui pour qui « l’enfer c’est les autres », de celui qui a peur du regard extérieur et du jugement, est la philosophie parfaite pour soumettre en utilisant précisément ce regard extérieur, car bien sûr les humains sont influençables et sensibles à ce que les autres pensent d’eux. Il est normal de vouloir être aimé, apprécié et reconnu, et c'est beau et doux car cela repose sur le fait que les autres sont importants. Ce qu’il faut désirer, c’est une culture peuplée d’individus sur l’intelligence desquels on peut compter, une culture dans laquelle on peut concevoir que l'on pose sur nous un regard sensible, compréhensif et doux. Un environnement bienveillant évite d'être concentré sur soi et évite de fantasmer un humain (malsain) qui serait entièrement indifférent au regard que l'on pose sur lui. Au contraire la publicité nous plonge dans un environnement saturé d’imbéciles qui jugent à l’emporte-pièce, de façon arbitraire, incohérente, capricieuse et qui de toute façon sont intégralement obsédés par l’image qu’ils renvoient d’eux-mêmes et donc incapables de la moindre empathie ou compassion.... même lorsque leurs comportements mythologiques hurlent leur empathie et leur compassion parce que ces qualités sont à la mode.
L'ultime niveau de cette soumission étant la rébellion de surface. C'est-à-dire qu'évidemment, beaucoup de gens ne copient-collent pas ce qu'ils voient dans les publicités. Ils prétendent même se rebeller contre celles-ci et contre la société de consommation, cependant, beaucoup le font en narcisses. Ces personnes ne sont pas rares, surtout à la télévision; des gens qui ne peuvent pas s'empêcher de se distinguer, de multiplier les idiosyncrasies capricieuses ostentatoires (Un papa qui se déguise en princesse pour crier au monde "vous avez vu quel bon père je suis, et je me moque de ce que vous pouvez penser."). Il y a à peine cinq minutes, je voyais une émission culinaire dans laquelle l'invitée goûtait un navet qu'elle venait de déraciner encore couvert de terre. Toute personne mentalement équilibrée qui fait un jardin, qui aime jardiner et qui aime un bon navet ira justement le passer à l'eau parce qu'elle veut l'apprécier mais la narcisse a besoin de montrer que sa terre c'est du bio et qu'elle est naturelle jusqu'au plus profond d'elle-même, donc vas-y que je te mords dans la racine et que j'avale de la terre avec.
Notre quotidien est saturé de fous qui fond absolument n'importe quoi pour envoyer les signes mythologiques de leur supériorité, de leur distinction, de leur progressisme et de leur modernité tous ces termes définis en fonction de la société consumériste. C'est le monde de la société de consommation, c'est le monde de la publicité et dans ce monde, l'être humain normal, l'être humain sain, est haï et constamment agressé parce que justement il est indépendant du système de valeur consumériste mais pas du regard des autres qui est donc utilisé pour le briser, l'humilier, l'effrayer et lui faire manger des navets avec de la terre dessus ou enfiler des robes de princesses, le faisant à son tour devenir un relais de l’idéologie démente.
Je pense avoir maintenant atteint et dépassé l’endroit où l’on pouvait comprendre mon dégoût profond pour la double page de la Classe B. dans Télérama.
La publicité complète change le lien entre la voiture et le papa-princesse qu’il y a dans celle du magazine. Ce qu’il s’y passe c’est que la papa est tellement obnubilé par les bêtises de sa gamine à l’arrière qu’il manque d’écraser un môme qui passait en vélo. Heureusement la voiture du futur freine d’elle-même.
"Grâce à la Classe B. vous pouvez être une grosse merde irresponsable c'est pas grave. D'ailleurs, soyez une grosse merde irresponsable et prenez de haut les gens qui ont la présomption de vouloir être adultes."
Ainsi, le "Ne vous justifiez de rien" est synonyme de « soyez totalement irresponsables, » « remettez-vous en intégralement à nous. » Le papa-princesse accepte d’être infantilisé, c’est ça être un homme aujourd’hui… euh… accepter de euh… d’être un crétin émasculé irresponsable. Et ne vous fiez pas aux regards extérieurs, ils sont vilains et critiques parce qu’ils sont jaloux de votre supériorité et qu'ils vivent dans le passé, ils n'ont pas encore accepté l'inéluctable, ils n'ont pas encore reconnu leur maître.
Bref, voilà pourquoi je n’écris jamais d’article sur les pubs. 11 pages pour une image. J’avais déjà rédigé un truc sur les folles (et fous) qui font du vélo et boivent contrex pour voir un strip-tease masculin, ainsi que sur la représentation de théâtre prince de Lu, mais simplement la complexité de la violence prend un temps fou à décrire et c’est juste trop abject et déprimant.
Au moins, j’en aurai fait une. C’est ce qui compte.
Précédent article sur la publicité: La Propagande Fasciste Publicitaire.