Rambo V: La Psyché du vétéran du Vietnam. (7200 mots)
J’ai été agréablement surpris par Rambo 5. Pas dans le sens où le film serait excellent de manière impressionnante mais dans le sens où il mérite tout de même son appellation de film. Je ne lui trouve rien de honteux. Le gore est ignoble mais ça c’est une autre histoire.
Le piège obligatoire de toute énième suite est de ne rien avoir à dire de plus sur le personnage principal, de ne pas lui trouver de dynamique spécifique pour cette nouvelle aventure et donc de faire un film vide de toute substance puisque l’exposition se retrouvera n’être que : « alors voilà, on retrouve Rambo quelques années plus tard. C’est ce même bon vieux Rambo comme nous le connaissons tous. »
Une telle approche pose deux problèmes. Premièrement l’exposition du film n’aura donc rien à mettre en place, aucune dynamique intéressante à décrire, pas de début d’arc narratif et sera donc ennuyeuse, insipide et oubliable. Deuxième problème, puisque notre personnage reste égal à lui-même, puisqu’il n’a rien à apprendre, cela signifie indirectement que le film le considère comme étant parfait. Ce genre de construction donne souvent le sentiment de se trouver devant un scénario écrit par un enfant qui joue avec des figurines. Le héros évolue dans un monde qui lui est hostile et intrinsèquement inférieur. Les personnages de Stallone donnent souvent cette impression que son entourage ne le mérite pas, lui qui est si parfait et infaillible.
Mais alors qu’il faisait la promo de Rambo 5, j’ai vu l’acteur expliquer dans une interview qu’il se voyait beaucoup plus comme le personnage de Rocky et que John Rambo était un pessimiste. Nous ne sommes pas devant une profonde analyse psychologique mais cette simple remarque m’a fait penser que Stallone ainsi que l’autre scénariste qui a travaillé sur le film pouvaient parfaitement ne pas trouver le comportement de leur personnage principal acceptable, que l’on peut regarder Rambo : Last Blood et ne pas être dans le camp du vétéran du Vietnam, ou au moins, ne pas le considérer un héros. Si le pessimisme de Rambo est un problème, alors quel rôle joue-t-il dans l’histoire ? Quelles conséquences va-t-il avoir ? Et quels autres défauts du personnage peuvent être pris en compte dans le développement de l’intrigue du film ?
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A la 20ème minute du film, lorsque Gabriella quitte le ranch, je me suis surpris à constater que j’avais beaucoup apprécié toute cette introduction et que je ne m’attendais même pas, à la base, à ce que le film m’offre ces 20 minutes de plaisir.
La clef que représente le pessimisme de Rambo m’a permis de voir que celui-ci ne se comportait pas correctement avec Gabriella. Il est parfaitement normal que la jeune femme veuille revoir son père. C’est une mauvaise idée de le faire seule mais s’opposer à son désir est également clairement une erreur et la tragédie qui s’en suit a pour point de départ le comportement de John et de sa compagne Maria.
D’ailleurs, quelles sont les dynamiques de cette famille recomposée ? Maria est la grand-mère de Gabriella dont la mère est morte et John possède le ranch et les héberge gentiment. Pourquoi John et Maria ne sont-ils pas ensemble ?
L’actrice qui joue l’amie a 63 ans, Stallone en a 73. Il est difficile d’imaginer notre gros balourd lui passer une gentille main aux fesses pendant qu’elle lui prépare des fajitas, il n’empêche, un petit câlin sur le porche n’aurait tué personne.
C’est devant Rambo IV que je me suis demandé pour la première fois si John avait des motivations sexuelles, grâce au personnage de Sarah Miller ; une jolie blonde incarnation de l’innocence (et de la naïveté suicidaire). Il y a également Co Bao dans Rambo II mais je n’en ai aucun souvenir. Par contre dans Rambo III, John commence reclus dans un monastère tibétain et le vœu de chasteté ne semble pas si loin.
Ainsi, devant ce non-couple Maria/John, je me suis dit qu’il y avait quand même quelque chose d’intriguant. Ce qui est rapidement venu s’ajouter, c’est la réticence avec laquelle John accueille le désir de Gabriella de faire la fête avec des amis.
Ce qu’il se passe en apparence dans la vie de ces trois personnages, c’est que John se retrouve dans le rôle du père « protecteur » qui estime que le sexe c’est mal et ne veut pas regarder en face que sa fille veut avoir des expériences sexuelles.
Il y a dans cette dynamique des notions de pureté, d’innocence et l’idée que dans les jeux sexuels l’homme est dominant, agressif et coupable et fait du mal à la femme passive, pure, innocente et victime. En gros, John Rambo a lu Simone de Beauvoir et a tout gobé.
Ce qu’il y a d’important dans cette perception, c’est qu’elle va se révéler tragiquement véritable. Gabriella va en boîte, est droguée, enlevée, violée et se retrouve esclave sexuelle.
Bien sûr, cette histoire est très ancrée dans le réel puisque l’on parle d’un cartel mexicain. Cependant à un niveau plus métaphorique, cela signifie que la jeune femme a tellement de respect pour Rambo qu’elle se met à percevoir sa sexualité comme inacceptable et sa libido va donc la pousser vers une manière de perdre sa virginité sans s’attirer le jugement de John. Il faut que cela arrive contre son gré dans des circonstances violentes et dégradantes.
John a une part de responsabilité dans la tragédie dans le fait qu’il ne reconnait pas à Gabriella le droit à une vie sexuelle. Il l’enferme dans une image de pureté angélique asexuée (Gabriel) et, parce qu’elle l’aime comme un père et ne veut pas le décevoir, elle se retrouve dans une situation terriblement difficile.
Cette dynamique structurelle est similaire à celle de Taken au début duquel on voit Bryan acheter une mini-chaîne avec micro pour sa fille de 18 ans alors que son beau-père lui offre un cheval. Le film nous laisse nous imaginer qu’il est question d’un bras-de-fer de portefeuille et de séduction mais le véritable problème vient du fait que Bryan perçoit toujours sa fille comme une petite fille, alors que le cheval est bien plus connoté sexuellement et ados/adulte.
John et Bryan interdisent implicitement, indirectement, peut-être involontairement, à leur fille de s’épanouir sexuellement, de se tourner vers un autre homme. Le désir des deux jeunes femmes d’être prises, de faire l’amour, devient une trahison de leur père et est donc associé à de la culpabilité, de la honte, le sentiment d’être indigne d’être aimée.
Gabriella rappelle à John que la seule fois où elle est venue avec ses amis au ranch il avait dévisagé son copain pendant plusieurs minutes d’une manière tellement menaçante qu’ils n’ont plus jamais voulu revenir.
Dans la boîte de nuit dans laquelle Gabriella se fait enlever, John retrouve le coupable et le fixe très maladroitement pendant plusieurs minutes au point qu’il se fait repérer par Carmen Dalgado, une journaliste qui enquête sur les cartels.
C’est en cela que l’histoire d’enlèvement a un côté métaphorique. John perçoit tous les hommes comme des monstres en puissance et confronté aux jeunes qui veulent très certainement coucher avec Gabriella, il les traite comme les hommes de main d’un réseau de prostitution. Il ne voit plus la différence et tient à Gabriella des discours très vagues et pessimistes sur le cœur noir des hommes. Il est terrorisé et perd le sens des réalités.
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Ainsi, le drame de l’histoire de Rambo V est en réalité pratiquement entièrement déclenché par la morbidité de la psychologie de l’ancien soldat. Bien sûr, les méchants du film sont des monstres, pas de doute là-dessus, mais Gabriella n’est pas une demeurée, elle sait bien où elle habite, elle a une amie mexicaine, elle connait les dangers qui pèsent sur les jeunes femmes dans la grande ville. Surtout si elle a été élevée par John et Maria. Lorsqu’elle va en boîte toute seule, alors que personne ne sait où elle se trouve, et boit un verre offert par un inconnu, elle est parfaitement consciente des risques qu’elle prend, elle joue avec le feu volontairement. Elle laisse le destin décider pour elle mais elle sait très bien ce qu’elle risque.
Cette imprudence elle en aurait fait preuve n’importe où, dans n’importe quel pays, dans n’importe quel état des Etats-Unis, elle est la conséquence du fait que Rambo, Maria et son père sont allés au bout de leur maladresse. Le cartel est un instrument, rien de plus.
La différence qu’il y a entre Taken et Rambo V, est que John est bien plus profondément malsain que Bryan et que la situation psychologique de Gabriella est bien plus sérieuse que celle de Kim.
Gabriella ne connait pas son père, elle n’est pas née d’une histoire d’amour mais probablement d’une histoire de sexe. Lui dire que le sexe c’est mal, que les hommes sont des monstres qui avilissent les femmes, c’est la priver de la dernière possibilité de se faire croire que sa naissance a quelque chose de beau. En faisant l’amour pour la première fois, Gabriella va faire l’expérience de la raison principale pour laquelle elle est en vie. Elle aurait besoin qu’on lui dise que l’attirance entre un homme et une femme c’est beau et que parfois ça peut mener à des situations problématiques mais que l’acte originel reste beau. Rambo lui en dresse la perception la plus absolument négative qui soit.
L’accueil que son père réserve à Gabriella est expressément écrit de manière à discriminer de manière brutale le sexe et la paternité. Il me semble qu’il dit à Gabriella qu’elle est belle, elle aurait besoin qu’il lui demande si elle a un copain, si elle s’en sort, si elle est heureuse. Elle ne cherche pas à ce qu’il « prenne ses responsabilités », elle veut juste qu’il confirme qu’elle a le droit de rechercher le bonheur, le droit de vivre. Elle voudrait déconstruire l’idée que sa naissance était une erreur mais évidemment le père lui dit exactement le pire et confirme ce que Rambo disait, même si Rambo a tort.
Ainsi, contrairement à Kim, on peut s’imaginer que Gabriella se rapproche sérieusement du suicide et que si elle fait aveuglément confiance à l’amie contre laquelle John et Maria l’ont mise en garde, ça n’est pas parce qu’elle est plus naïve que Bambi mais bien parce qu’elle a d’autres priorités en tête et se moque des risques qu’elle prend.
J’ai beaucoup aimé que Gabriella meurt sur le chemin du retour alors que John lui dit tout ce qu’il peut pour ne pas qu’elle se laisse mourir. Elle meurt quand il lui parle de son innocence. John s’est construit une idée fausse de sa fille/nièce et condamne avec une virulence illimité ce qu’elle pense être en réalité et sans oser lui dire. Il la voit comme l’incarnation de l’innocence et s’accroche à cette idée de manière existentielle, alors qu’elle se sent comme la mal incarné. Elle meurt parce qu’elle l’aime, parce qu’elle n’a pas la force de le décevoir, de le priver du soutien psychologique qu’elle représente pour cet homme qui l’a adoptée elle que son propre père n’a pas voulu. Si au lieu de tout ramener à ce qu’elle représentait pour lui, si au lieu de l’enfermer dans les tunnels de son esprit, John avait dit un truc aussi simple que : « tu dois vivre pour l’homme qui t’aimera et que tu rendras heureuse, tu dois vivre pour les enfants que tu mettras au monde, tu dois vivre pour devenir une architecte, une sociologue… désolé je sais plus quelles études tu prévois de faire à la fac je ne t’écoute jamais quand tu en parles. Tu dois vivre pour vivre ta vie. » S’il s’était retiré de l’équation, Gabriella aurait trouvé le courage de rester éveillée.
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Tous ces éléments font déjà du film, un film regardable, un film digne de cette appellation.
Là, où les choses deviennent plus sympathiques, c’est que nous sommes devant le cinquième opus de Rambo. C’est-à-dire que le personnage principal est John Rambo, vétéran du Vietnam parfaitement traumatisé.
Sans jamais me l’avouer, j’ai toujours apprécié l’exotisme de Rambo II (Vietnam), III (Afghanistan) et IV (Birmanie) et situer l’action dans un ranch (Texas) m’a gêné, comme beaucoup de spectateurs. Rambo Cowboy, ce n’est plus tellement Rambo et la critique est facile : le film n’a rien à faire dans la franchise, il ne se distingue en rien d’une quelconque série B à l’histoire simpliste. (Edit : je l’avais oublié mais Rambo arrive au ranch à la fin du IV ce qui est plutôt efficace pour la continuité).
Cependant, si l’on a envie d’être gentil, on peut prendre un peu plus les deux scénaristes au sérieux et également se rappeler que le premier Rambo se passe également en Amérique. Rambo ce n’est pas James Bond ou Ethan Hunt, dès le début il n’est plus en service (en plus d’être un soldat et non un espion). Il est essentiel au personnage que la violence et « l’action » c’est du passé. Chaque intrigue est une résurgence, aucun film Rambo ne peut vraiment être optimiste car chaque histoire est une défaite du personnage principal, une rechute. Le véritable territoire du conflit intérieur du personnage principal c’est les Etats-Unis. Lorsqu’on le retrouve à l’étranger, c’est qu’il n’a pas encore guéri.
Quand on en est au cinquième film, le schéma de la rechute est devenu lourdingue et lorsque John jette sa boîte de pilules (calmants ? ou plus sérieux ?) par terre en criant « z’en ai marre ! Y a que des messants partout ! Ze veux plus être calme » la scène est tellement attendue et évidente qu’on ne sait plus trop ce qu’elle représente. Evidemment que John allait balancer ses calmants et sortir la sulfateuse.
Pourtant, cela fait une différence avec la plupart des films d’action/vengeance. Le personnage principal n’est pas sain d’esprit. Il est en constant conflit avec lui-même, son jugement est brouillé, et ses actes ou ses motivations peuvent tout à fait n’avoir rien d’acceptable.
Bien sûr, on pense à la manière dont Rambo met les hommes du cartel en charpie à la fin du film, mais ça c’est justement ce qu’il y a de moins intéressant. Serait-il possible que ses troubles psychologiques jouent un rôle plus important dans l’histoire ? Certains critiques se sont moqués du réseau souterrain qu’il s’est entêté à creuser uniquement pour que la scène d’action finale puisse y avoir lieu. J’ai trouvé au contraire que c’était une très bonne idée. Rambo rumine, il a des pensées obsédantes, il est constamment perdu dans les méandres de son cerveau ou de sa mémoire. Le film contient plusieurs éléments et répliques qui soulignent l’importance de ces troubles psychologiques que l’on peut choisir d’interpréter comme expliquant uniquement sa sauvagerie à la fin, ou que l’on peut prendre bien plus au sérieux.
Je me suis assez vite demandé si Rambo, plutôt que de se voir comme un père, ne serait pas amoureux de Gabriella. Après tout, il fixe tellement son copain que celui-ci ne veut plus jamais remettre les pieds au ranch et de son côté, Gabriella rejette les avances d’un homme lorsqu’elle est dans le tunnel. Sa relation avec John l’empêche de se tourner vers un autre homme.
Moi j'ai plutôt l'impression que ce verre contient exactement ce que Gabriella veut de tout son corps. (Le produit d'une éjaculation).
J’en suis devenu convaincu lorsque John lui explique qu’il est parti pour le Vietnam lorsqu’il avait à peu près son âge. L’âge de Gabriella est très précis, c’est l’âge où l’on a envie de trouver l’amour (autant physique que romantique). John voit en Gabriella son innocence perdue. Sur le poster de Platoon (Un des films classiques sur la guerre du Vietnam) on peut lire : « La première victime de la guerre, c’est l’innocence. »
Alors bien sûr, quand je dis que Rambo est amoureux de Gabriella, je ne veux pas dire qu’il veut la tringler dans un coin de sa grotte, il a 73 ans, ou qu’il rêve de vivre avec elle dans son ranch et de dresser de beaux cheva… en fait si. C’est exactement ce dont il est question. L’aspect sexuel mis à part, on peut tirer des conversations que Rambo n’aime pas l’idée que sa fille aille à la fac, que lui et Gabriella font souvent des balades à cheval ensemble, qu’il a son cheval à lui et elle son cheval à elle. Lorsqu’il accepte qu’elle entre dans sa « caverne » pour y faire la fête avec ses amis, les basses de la musique que les jeunes écoutent résonnent dans le désert, Maria compare celles-ci à du bruit, John déclare qu’il pourrait s’y habituer. Maria fait alors remarquer que John ne l’a jamais invitée dans ses tunnels… elle conçoit de la jalousie de sa remarque sur la musique. John s’imagine prêt à changer pour Gabriella, à faire des efforts, à s’adapter pour qu’elle reste et qu’ils vivent leur idylle au ranch, quelle que soit la forme qu’elle prendrait.
Maria n’est qu’une vieille amie, « vieille » dans les deux sens du terme car Rambo se sent encore jeune. Pas parce qu’il serait dans la négation de son âge par caprice, mais parce que réellement son horloge intérieure s’est arrêtée lorsqu’il est parti au Vietnam et que sa vie a été détruite. Au niveau psychologique, il cherche toujours à retrouver le John Rambo d’avant et à reprendre les choses là où il les a laissées.
Lorsque j’ai entendu parler du film et d’une « fille » je me suis immédiatement dit que ça n’allait pas fonctionner tant Rambo ne donne pas le sentiment d’avoir une vie sexuelle. Mais voilà, sa fille est adoptive. Cela fonctionne, et l’idée qu’il aurait pu apprendre qu’il avait une fille après l’épisode en Birmanie est évitée. Rambo n’a jamais de rapports sexuels. Dans le précédent film, on pourrait se dire qu’il est attiré par Sarah Miller, incarnation de l’innocence et qui revendique un pacifisme entêté. Au final, l’embrasse-t-il ? Non, il lui fait un petit coucou enfantin de la main après lui avoir sauvé la vie et il rentre chez lui (au fameux ranch) sans même lui adresser la parole.
Si Rambo s’était senti l’âme d’un père pour Gabriella il aurait accepté qu’elle rencontre son père naturel et lui qui est si conscient de la noirceur du monde et si certain que le fameux vrai père est une ordure, il aurait proposé de l’accompagner pour sa sécurité.
Sa réaction est celle d’un amant bafoué. Il a laissé Gabriella faire la teuf dans les tunnels en croyant qu’il allait marquer des points et bam, uppercut, elle annonce au contraire qu’elle veut rencontrer son père naturel. J’aime beaucoup le fait que Gabriella change d’avis plusieurs fois après avoir discuté avec John à ce sujet. Elle n’est pas hypocrite, elle se laisse réellement séduire dans une direction pour ensuite réaliser que réellement, elle a besoin de rencontrer son père et ses parents adoptifs ont tort de s’y opposer. Ce n’est pas un simple malentendu, John a eu l’opportunité de comprendre que Gabriella irait avec ou sans son accord et qu’elle allait donc se mettre en danger.
Lorsqu'on lui demande qui est Gabriella, Rambo ne sait pas quoi répondre. "ma nièce" "ma fille" "ma copine". En tout cas, il a un problème à ce niveau, la question lui donne un tic nerveux.
De son côté, la grand-mère, elle aussi, se trompe de priorité. Probablement vexée par la nette préférence que John entretient pour sa petite-fille (Maria espérait probablement former un couple avec John lorsqu’elle est venue s’installer au ranch), elle inflige à celle-ci un discours moralisateur et culpabilisateur du type : « en te conduisant ainsi, tu ne mérites pas l’amour qu’il te porte. Tu te rends indigne du père qu’il est pour toi. » Elle a peut-être même d’ailleurs extrêmement envie de prononcer cette phrase, de remettre tout le monde à sa place légitime.
Et c’est ainsi que Gabriella se retrouve entièrement seule, sans personne pour considérer son intériorité et ses intérêts véritables, bonne pour le suicide. A la place, elle va en boîte.
Un autre élément qui va clairement dans la direction de sentiments amoureux de Rambo pour Gabriella, c’est la mise-à-mort qu’il inflige au méchant de service. « Je vais te faire ce que tu m’as fait. » Et il lui arrache le cœur. Si Rambo s’était senti un père, il se serait plutôt orienté vers la torture (puisque nous sommes dans les extrêmes) que vers ce geste métaphorique d’arracher le cœur.
On peut donc reconnaître le traumatisme de Rambo dans la sauvagerie finale, dans les tunnels, flashback, ruminations mais aussi dans la structure et les dynamiques internes de la famille qu’il s’est construite.
D’ailleurs, même si l’on s’attendait tous à la boucherie du troisième acte, il ne faut pas pour autant trop la sous-estimer en termes de sens. Dans Rambo IV, John massacre environ 70 soldats à la mitrailleuse lourde pour sauver une poignée de missionnaires religieux. La scène était ultra-violente mais d’une manière entièrement différente. Ici, Rambo met ses ennemis littéralement en pièces et surtout, surtout, il les achève alors même qu’ils sont hors combat et condamnés et va même jusqu’à tirer sur les cadavres.
C’est une fois encore le comportement d’un amoureux, pas d’un père. Il ne veut pas uniquement tuer ces hommes, il veut détruire leurs corps, corps qui ont potentiellement servit à abuser/donner du plaisir à sa fille… qui se trouvait dans un tel cul-de-sac que se faire violer paraissait être la seule solution pour savoir ce que c’était que le sexe et pourquoi elle était venue au monde.
Ainsi, lorsqu’il massacre tous ces hommes, Rambo pense essentiellement à sa pomme. Tout comme lorsqu’il arrache le cœur du « méchant. » Il se venge de ce que cet homme lui a infligé à lui, il ne venge pas Gabriella, en tout cas pas en priorité. L’analogie donne même le vertige quand on repense à la fête du début du film qui a eu lieu dans le même endroit. Est-ce que John ne fantasme pas qu’il est en train de tuer tous ces beaux jeunes hommes qui faisaient la fête avec Gabriella et ont jouis du privilège de pouvoir l’envisager sexuellement ?
Est-ce qu’indirectement, Rambo ne sacrifierait-il pas sa fille ? Est-ce que la dynamique sous-jacente de leur relation ne serait pas « tu es à moi ou tu ne mérites pas de vivre », cela de manière inflexible et pratiquement consciente ?
Certains spectateurs ont trouvé débile la manière dont l’intervention de John au Mexique empire les choses, la manière dont il se fait voir, attraper, tabasser. Il se retrouve avec une balafre sur la joue, la même que Gabriella, comme si elle lui appartenait. Peut-être ne désire-t-il simplement pas sauver sa fille si rapidement, peut-être a-t-il besoin de confirmations avant d’être sûr qu’il veut la sauver. Par exemple, a-t-elle été enlevée avant ou après s’être offerte à un inconnu ?
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Une autre bonne surprise, et qui se trouve être la raison pour laquelle je voulais voir le film, c’est qu’il est fort envisageable que Rambo soit ici utilisé comme une arme. Je ne sais absolument plus dans quel film le personnage est décrit de la sorte (peut-être déjà dans First Blood par le commandant Trautman) mais le sens de cette description m’est apparu dans toute son ambiguïté il y a quelques mois.
L’aspect deshumanisant de comparer Rambo à une arme peut être facilement perçu comme bad-ass : il n’a pas de ressenti, rien ne l’arrête, il est précis, mécanique, ne connait pas la peur, c’est une arme.
Cependant, à force de voir John déprimer grave parce que la vie le ramène toujours au même point où il se retrouve à dessouder des centaines de personnes en file indienne, j’ai fini par me dire que peut-être, réellement, John Rambo faisait ça totalement contre son gré et qu’il était réellement utilisé comme une arme par un tierce parti qui reste dans l’ombre.
Pour dire les choses plus simplement, lorsque j’ai lu le synopsis : « Rambo entre en guerre contre un cartel mexicain qui a enlevé sa fille adoptive. » Je me suis dit « Donc quelqu’un utilise Rambo pour détruire le cartel mexicain. »
De ce point de vue, je trouve que l’intervention de la journaliste Carmen Delgado qui a déjà perdu sa sœur aux mains du cartel est très suspecte. Il me parait fort probable que c’est elle qui a retrouvé le père de Gabriella et a demandé à Alejandra d’organiser l’enlèvement de sa copine.
Le recours à une star pour jouer un rôle si insignifiant me fait me dire que le personnage pourrait bien être un peu plus important qu'il n'y parait.
Au-delà de cette dynamique d’utilisation de Rambo comme d’une arme sans le moindre égard pour sa vie intérieure, ce qui me convainc que Carmen est une manipulatrice c’est que c’est une femme, bienveillante, douce, attentionnée et engagé dans un combat pour la justice et que nous sommes dans Rambo V. C’est-à-dire que John, de la même manière qu’il croit que Gabriella est une angeresse immaculée, va croire Carmen absolument au-dessus de tout soupçon. Elle se doit logiquement, comme Gabriella, de ne pas être intégralement passive, désintéressée et sacrificielle. Tout en tenant des discours ultra pessimistes et parano qui se veulent de la maturité à Gabriella, John est en réalité d’une naïveté enfantine. Ses considérations tournent fort probablement autour de concept comme « le bien/le mal, » « les gentils/les méchants. » Dans le premier film, il justifie son départ en guerre contre le Sheriff de la ville par la phrase « They drew first blood not me. »* Une logique de maternelle « c’est eux qu’ont commencé. C’est pas moi. »
*Ils ont versé le premier sang.
C’est dit avec beaucoup de compassion et de douceur mais John Rambo est un peu idiot. Il ne comprend pas ce qu’il se passe autour de lui. Déjà dans le premier film, c’est une victime, bien plus qu’un héros ou un guerrier redoutable, c’est une victime. Peut-être même est-il incapable de percevoir la vérité par mécanisme de défense. Les atrocités qu’il a vues ou perpétrées lui sont tellement insupportables qu’il a besoin de s’imaginer l’existence d’une innocence absolue pour laquelle tous les crimes valent d’être commis. Je ne sais pas, ce qui est clair c’est que Rambo est dépendant de cette idée d’innocence et qu’il a donc besoin de se voiler la face pour pouvoir maintenir l’illusion de son existence (celle d'une innocence absolue).
Gabriella et Carmen dans le V, Sarah dans le IV, le temple tibétain dans le III, Co Bao dans le II, probablement ses potes vétérans dans le premier, dans chaque film Rambo cherche à associer à une entité l’idée d’innocence. Il a besoin de cette base, de ce point de repère pour trouver un équilibre.
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Et c’est là que nous arrivons au cœur du personnage. John Rambo est un vétéran du Vietnam, c’est son trait central. Le reste de sa personnalité n’est qu’une extension de cela et nous décrit donc en creux ce qu’était la guerre du Vietnam.
Il est souvent dit que First Blood est une attaque tournée vers le gouvernement américain qui a totalement délaissé les vétérans après la fin de la guerre. Rambo rentre au pays pour découvrir que la plupart de ses camarades d’armes sont morts, introuvables, oubliés ou confrontés à la misère la plus totale.
Cependant, ce qui est pris pour une critique littérale est également un élément plus profond. Comme le dit John dans Rambo II : « I’m expendable. » Accessoire, superflu, sans importance.
Les soldats de la guerre du Vietnam sont des soldats sans importance. Des personnes que l’on sacrifie (Ce que confirment d’autres films sur le sujet comme Hamburger Hill ou L’échelle de Jacob). On n’aurait pas ce trait de caractère chez un soldat de la seconde guerre mondiale ou de la guerre du Golfe.
Dans la continuité de ce trait psychologique, on trouve l’obsession pour la survie. Rambo n’a pas de flashback des combats. Il ne se souvient pas de missions précises avec un objectif précis, de victoires ou de défaites, d’avoir risqué sa vie pour un objectif valable et en accord avec des valeurs. Non, c’est un expert de la survie en forêt, il manie le couteau et l’arc avec expertise. Dans le premier film on le voit se recoudre une blessûre, se faire une torche, se terrer dans une caverne. Dans ce cinquième épisode, il se creuse un terrier et fabrique des pièges.
Rambo est habité par une terreur absolue que l’on puisse soudainement décider de venir lui faire la peau. C’est également ainsi qu’est décrite la guerre du Vietnam dans Hamburger Hill. Les soldats américains doivent prendre une colline sans savoir pourquoi, sans qu’on leur explique l’aspect stratégique ou que l’on essaye de limiter les pertes dans l’opération, bien au contraire, la méthode d’approche semble être la pire et les soldats conçoivent peu à peu le sentiment qu’on veut leur peau et que finalement l’attitude la plus appropriée est de se focaliser sur le fait de rester en vie… et lorsque la paranoïa devient trop forte, trop insupportable et que l’individu craque, que se passe-t-il ? Il pète les plombs et se jette à corps perdu dans la bataille sans plus réfléchir aux risques qu’il prend. Il veut éradiquer la menace qui pèse sur lui ou mourir mais il est hors de question de rester une seconde de plus dans l’attente incertaine et la peur.
Ainsi, il semblerait qu’il y ait chez le vétéran du Vietnam, ce sentiment que la guerre est faite contre lui, qu’elle n’existe que par et pour lui. On peut également voir ça dans Forrest Gump où la guerre du Vietnam ressemble à un long tour de garde absurde qui se termine par une fusillade sans ennemi. Les soldats se baladent sans savoir le but de tout cela et conçoivent peu à peu que la guerre du Vietnam c’est eux.
Ils la transportent avec eux, elle est intimement liée à leur être. Ce que suggère également First Blood. John rentre au pays et ramène la guerre avec lui. Dans Rambo II, il prononce la phrase détournée dans Gremlins 2 : « Pour survivre à la guerre, il faut devenir la guerre. » Une phrase que l’on interprète comme virile et bad-ass alors qu’elle décrit précisément un sentiment complexe. La guerre du Vietnam est intime, elle fait corps avec les soldats, elle les poursuit et les menace au point qu’ils ont le sentiment de ne pouvoir s’en débarrasser qu’en se l’appropriant. Leur instinct de survie, de survie, les pousse à devenir les agresseurs.
Ce schéma psychologique extrêmement singulier n’est pas adaptable à toutes guerres et John Rambo est donc bien plus qu’un simple vétéran traumatisé par l’horreur des combats. Il est spécifiquement aliéné par l’expérience particulière de la guerre du Vietnam.
Dans cette structure complexe, l’innocence symbolique qu’il cherche à défendre et qui revient constamment dans sa vie, c’est originellement l’innocence de la nation pour laquelle il se bat.
John est torturé par ce besoin de remettre en question les motivations de son pays mais en même temps l’idée d’avoir été réduit à un pion sacrifiable à loisir cela sans la moindre raison honorable derrière, lui est insupportable et son équilibre psychologique ne tient donc qu’à la croyance qu’il y a une pureté et une innocence derrière tout cela.
Du moins tant qu’il ne trouve pas le moyen d’être heureux.
Je ne sais pas si c’est évident mais notre capacité à comprendre certaines choses ne tient pas souvent à notre intelligence mais à notre histoire et à notre environnement. Si ma copine dont je suis fou amoureux me trompe durant l’intégralité de notre relation, il se pourrait que je ne le comprenne que bien des années plus tard lorsque je me suis retrouvé une autre copine que j’aime tout autant et donc que je serai devenu capable de supporter la vérité de ma première relation.
Ce dont John a besoin c’est de se pardonner, ce qu’il fait dans Rambo IV en sauvant Sarah Miller, mais également de retrouver un sens à sa vie. C’est ce qu’il tente de faire dans Rambo V.
Lorsqu’il massacre une armée de soldat Birmans pour sauver les petits missionnaires religieux pacifistes (qui ne sont certainement là que pour pousser Rambo à massacrer les soldats Birmans), John trouve un exemple de situation dans laquelle un acte ignoble, le mini-génocide, peut trouver sa justification dans la valeur de ce qu’il défend. Cette expérience lui permet de faire la paix avec ce qu’il a fait au Vietnam. Ses intentions étaient toujours innocentes et pures, quoiqu’il ait fait, il croyait faire quelque chose de similaire à ce carnage justifié en Birmanie.
Ayant trouvé cette paix, il retourne en Amérique prêt à reprendre une vie civile et donc à trouver l’amour.
Problème, il va spontanément se tourner vers un symbole d’innocence et vers une femme bien trop jeune pour lui. Sa triste existence n’a été qu’une obsession et maintenant qu’il désire revenir à la vie, ses désirs sont en parfait décalage avec son âge.
S’il parvenait à accepter Maria comme compagne, le problème serait réglé. Mais s’il parvenait à accepter Maria comme compagne, cela signifierait justement que le problème est réglé, or il ne l’est pas.
La paix que Rambo trouve dans l’idée que ce qu’il a fait au Vietnam partait d’une bonne intention et qu’il conserve donc un peu d’innocence est une illusion. Elle lui permet de ne pas regarder en face la réalité au-delà de l’aspect moral de ses actes ; la réalité politique, la réalité idéologique. Celle-ci continue de le tourmenter, il est dans le déni.
L’histoire de Rambo V dépeint une dégénération de son intervention dans le précédent film. En Birmanie il était arrivé au dernier moment, quand la situation ne lui laissait plus le choix et l’ensemble du massacre restait tout de même une forme de combat. Si un soldat ennemi voulait survivre il lui suffisait de jeter les armes et de se mettre ventre à terre.
Le massacre des membres du cartel mexicain est une éradication vengeresse, l’innocence n’est plus qu’une idée lointaine qui sert à justifier celui-ci. Personne ne sera sauvé et surtout le mini-génocide est perpétré sans nécessitée directe.
Cependant, il y a quelque chose de positif dans tout cela. Car si Sarah Miller se voulait et se revendiquait innocence, Gabriella désirait de toute son âme que Rambo lui lâche les baskets avec ça, qu’il réalise qu’elle avait des désirs propres et qu’elle n’était pas un ange. Ainsi, pour réellement venger Gabriella, pour réellement lui montrer du respect, il devra en venir à admettre qu’il est en partie responsable de ce qu’il s’est passé, que Gabriella son petit ange qu’il aimait tant voulait en réalité lui échapper. Son amour pour elle va donc lui permettre de remettre en question cette notion d’innocence et de pureté. Surtout alors que le film se termine sur l’idée de mémoire.
John est assis dans son rocking chair et repense à sa vie, à ses amis tombés au Vietnam et à Gabriella et promet de ne pas les oublier, d’honorer leur mémoire. Or, ce désir honnête contient la possibilité de comprendre que Gabriella n’était pas innocente et pas un ange,* et comprendre ça, c’est également comprendre que Carmen Delgado l’a probablement manipulé, que l’innocence de Sarah Miller est irresponsable et critiquable… tout cela menant doucement Rambo à comprendre que ce survivant génocidaire terrorisé qu’il est devenu n’est pas le résultat d’un malentendu, d’une erreur de sa nation grandiose, innocente et pure dans ses intentions mais bien le résultat direct et assumé d’une guerre mascarade qui n’avait pas de raison d’être.
*Il y a ici une similarité amusante avec Three Billboard Outside Ebbing, Missouri dans lequel Mildred Hayes pousse sa fille dans les mêmes retranchements que Rambo le fait : seul le viol est acceptable. Coïncidence qui n’en est pas une la fille de Mildred s’appelle Angela. Angela, Gabriella, deux prénoms reliés à la pureté, à l’innocence et à l’absence de vie sexuelle.
La psychologie de Rambo a été construite volontairement et il représente un véritable succès dans le sens où il transporte la guerre avec lui, il transforme ses conflits intérieurs en conflits guerriers extérieurs. Pas besoin d'ennemis, pas besoin de mission, pas besoin de conflits. Comme le chante Marilyn Manson « Nous tuons des étrangers pour éviter de tuer ceux que nous aimons. » Ou qu’il aille, Rambo trouvera la guerre car c’est la seule manière dont il parvienne à appréhender ce qu’il se passe dans sa tête.
Rambo fonctionne comme si vivre et apprécier l’existence devait nécessairement se solder par un glissement vers un statut de victime. Il ne faut pas respirer, il ne faut pas être insouciant, il ne faut pas chercher le bonheur, il faut se terrer, se cacher, s’isoler et rester à l’écart de la société humaine. Cela peut fonctionner pendant des années, pendant une vie même mais chaque nouvelle aventure de Rambo raconte le moment où son approche échoue évidemment, puisqu’elle est condamnée à échouer. C’est-à-dire que toute personne qui va aimer Rambo, ou développer une relation avec lui, va se retrouver enfermée dans cette bulle de passivité écrasante, cette injonction à ne pas vivre, à ne pas profiter de la vie, à ne pas aimer, à ne pas être heureux, sans quoi la mort va surgir. Rambo est existentiellement terrorisé. Et toute personne qui veut son amour ou son bonheur (ou lui échapper) ne trouvera donc qu’une seule manière de le faire sortir de sa coquille, se mettre en danger. La peur qui aliène Rambo entraîne un comportement de rébellion : « Tu as peur que tous les hommes soient des monstres. Regarde, je vais faire exactement ce qui devrait me mettre en danger et il ne m’arrivera rien. Et s’il m’arrive quelque chose, je sais que tu viendras ma sauver et je reconnaîtrai peut-être que tu avais raison. »
Sarah Miller se mettait probablement en danger parce que Rambo n’admet pas qu’il est attiré par elle. Il pouvait la sauver en acceptant de l’aimer mais il en est incapable, alors il la sauve en faisant ce qu’il pense être la seule solution : massacrer à tour de bras. Le massacre en Birmanie est probablement ce que Rambo peut offrir de plus proche de l’acte sexuel.
Ainsi, tout tourne toujours à la même chose dans la vie de Rambo, pour susciter son intérêt, il faut se mettre en danger, être la victime d’un groupe guerrier. Lui offrir la possibilité de régler les choses par la guerre, et donc en créer une. Indirectement, John Rambo fait naître la guerre partout où il va. Elle fait partie de lui. Bien sûr, ce n’est pas n’importe qui qui se laissera entraîner dans ce genre de spirale psychologique, mais ceux qui tombent sous son influence répondent à des critères particuliers. Les films ne vont pas raconter toutes les fois où une femme a rencontré Rambo et s’est dit « quel crétin », ils racontent le moment où sa psychologie est entrée en résonnance avec une autre et a provoqué un désastre.
Evidemment, cette idée peut sembler terriblement grotesque quand on voit l’extrême violence des personnes que Rambo combat mais il n’est pas question de dire ici que notre vétéran est plus nocifs que ces adversaires. Ce que je veux dire c’est que Rambo va toujours « régler » ses problèmes personnels en allant chercher des méchants absolus quelque part pour les éradiquer. Ces méchants absolus sont intégrés dans la psychologie de Rambo. Il ne parvient pas à penser le monde sans eux et décide de tout en fonction d’eux.
C’est exactement comme une mère qui redouterait que ses enfants se fassent renverser sur la route non loin de chez eux et qui serait tellement sévère et tellement virulente dans ses interdictions que les enfants finiraient par vouloir arpenter cette route, jouer dessus pour combattre la peur qu’elle leur inspire et qui les paralyse, et également reprocher à leur mère la manière dont elle les a traité au nom de leur sécurité.
Et donc, Rambo V intègre bien la psychologie du vétéran du Vietnam et dans un nouveau contexte, celui du retour véritable à la vie.
Rambo I était le constat du problème mais également le refoulement de ses racines véritables.
Rambo II était probablement la guérison de l’échec -Il sauve des soldats toujours prisonniers au Vietnam- mais également la première utilisation manipulatrice de Rambo en tant qu’arme. On va le récupérer en prison pour le renvoyer en mission cela avec une motivation affective alors qu'on veut probablement juste qu'il extermine tout le monde.
Rambo III représente une seconde manipulation froide plus directe : Trautman est capturé, Rambo doit quitter sa retraite dans un temple tibétain. Il cherche déjà à fuir mais on le ramène en utilisant ses sentiments et pas ses convictions.
Rambo IV est un retour à la confiance envers la possibilité de la légitimité de certains actes de guerre (même si Rambo est encore impliqué dans un conflit contre son gré et en utilisant les sentiments). Il retrouve la confiance en son pays et peut rentrer. Finalement, c’est cet épisode qui serait le plus « propagandiste. »
Rambo V dénonce l’échec de la direction précédente prise par le personnage. L’innocence était factice et Rambo doit grandir, abandonner ses œillères et comprendre qu’il n’est pas normal qu’il traine la guerre avec lui.
**Je trouve que Stallone parvient parfaitement à véhiculer cette naïveté, cette détresse et cette fragilité chez Rambo ce qui est plutôt cool étant donné qu'il est virtuellement invincible physiquement.**
Ainsi, assis dans son rocking chair finalement entièrement habité par les fantômes de son existence, Rambo va pouvoir faire le constat ultime que si l’innocence pour laquelle il croyait se battre n’existe pas, sa psychologie est donc une mascarade. Il pourra constater que son comportement récent était dirigé vers son désir à lui et que tout en croyant que ses motivations étaient pures, il s’est en réalité conduit de manière égoïste. Il pourra comprendre comment tout aurait pu être évité et en quoi le massacre des hommes du cartel fait de lui un monstre, pas un héros ou un justicier mais qu’il représente également un premier pas vers l’acceptation d’agir pour lui-même. S’il a été égoïste, c’est peut-être la première fois qu’il l’est de sa vie. Confronté à la facticité de la logique en laquelle il croyait jusqu’à présent, les tunnels de son esprit vont pouvoir s’effondrer pour laisser place à la réalité de la guerre qui a formaté son esprit de la sorte:
Débrouillez-vous. :p
Voili, voilà. J'ai bien aimé ce film qui n'a pas grand chose d'exceptionnel et avait peu de chances de briller aux vues de ses premisces de départ mais réussi l'exploit de rester honnête. Je trouve que même la boucherie finale est parfaitement justifiée au niveau scénaristique. J'ai beaucoup aimé le sentiment étrange que Rambo tuait bien plus de mexicains qu'il y en avait à leur arrivée. De même que la gradation dans la violence jusqu'à l'abstraction, l'abandon de toute forme de narration avec Rambo qui apparait disparait et des pièges qui se déclenchent en veux-tu en voilà sans que rien n'ait de sens, j'ai trouvé qu'il y avait quelque chose d'assez satanique et d'infernal dans cette représentation. Et je pense que cela correspond bien à l'état dans lequel se trouve John à ce stade, il devient l'incarnation du mal, or il ne s'est jamais perçu de la sorte. Il ne se bat plus au nom de l'innocence. Gabriella l'a transformé.
Détails bonus : l’introduction du film montre Rambo confronté à l’impossibilité de l’innocence quand il doit choisir entre sauver un homme qui met sa vie en péril pour son épouse, et une femme elle-même en danger. Cette femme va donc être indirectement responsable de la mort de l’homme car si elle n’était pas là, Rambo l’empêcherait de mettre sa vie en danger et le sauverait. Rambo découvre que la personne qui est en danger, n’en n’est pas pour autant moins « égoïste », elle peut parfaitement être indifférente au sort des autres. Sa morale basée sur une vision aussi terriblement simpliste que victime/détresse = innocence est secouée.
Rambo voit également sa logique mise à rude épreuve lorsqu’il vient « délivrer » les prostituées du cartel et que celles-ci refusent de bouger de leur chambre. Evidemment, on se dit immédiatement qu’elles ont peur des représailles, cependant, on peut aussi s’imaginer que pour certaines, ce qui les attend à l’extérieur est pire, qu’elles sont là de leur plein gré.
La nièce de Rambo préfère-t-elle être une esclave sexuelle plutôt que le jouet de son oncle ? Je ne devrais pas poser cette question mais… qu’est-ce qu’il s’est passé avec tonton Rambo dans les tunnels quand elle avait dix ans ? Réponse : elle a fait des dessins. Fiou. Je vous ai fait peur hein ? Et puis bon, c’est pas comme si l’obsession pour la pureté et l’innocence était un trait commun aux pédophiles. Passons.
La fin du film est donc comparable à celle de Three Billboards Outside Ebbind, Missouri. On laisse le personnage principal à ses réflexions, il a maintenant toutes les cartes en main pour résoudre son problème psychologique et ça grâce à une jeune femme qui s'est sacrifiée. Tristesse, tristesse.