Pub GOG Winter Sales : Flatter l'esclave.
Noyée dans la masse médiocre de publicités qui m’ont fait vomir ces derniers temps (j’ai cru que j’allais sortir de la salle avant le début de Star Wars IX tant la fange publicitaire propagandiste tirait à boulets rouges), l’une d’entre elles est parvenue à me prendre de court. Elle n’est ni pire, ni plus odieuse que les autres, c’est la même infâmie que le reste et je ne la choisis que parce qu’elle provient d’un vendeur de jeux vidéos que j’utilise et que le matériaux cible de ma critique est très limité, donc article plus court.
Depuis quelques temps, j’ai remarqué le pouvoir que GOG, Steam ou PSN ont d’attirer les joueurs dans leur catalogue à coup de promos fréquentes et innombrables. Il est toujours raisonnable d’aller faire un tour pour vérifier si tel ou tel jeu sympathique ne se trouverait pas à 33, 50, 75% et c’est d’ailleurs souvent le cas. Incroyable des promotions pareilles, on en oublierait presque que c’est une copie de fichier informatique que l’on nous vend. Du vent. Un produit qui, dans un système politique/économique qui ne serait pas tourné vers le profit illimité (vendre du vide), pourrait être distribué gratuitement à tout le monde sans que cela coûte quoi que cela soit à quiconque. Mais passons.
Lorsque j’effectue un de ces achats promotionnés, je suis évidemment bien content d’avoir évité de payer le jeu au prix fort. Certains jeux voient tout de même leur prix tomber de 10, 20, 30 euros. Hourra. Quelle satisfaction d’économiser en dépensant.
Fort naturellement, au milieu de la misère dans laquelle nous vivons tous (ou presque), la joie d’éviter de dépenser trop devient un sentiment bien agréable. Un sentiment auquel on peut développer une addiction. Rapidement, je me suis rendu compte que je naviguais sur PSN et GOG sans avoir un jeu précis en tête et rapidement également, j’ai identifié ce comportement comme étant malsain, peut-être après l’achat d’un jeu au prix dérisoire mais dont je n’avais également strictement rien à faire. Quand on commence à acheter des jeux auxquels on n’a pas l’intention de jouer ou alors qu’on n’avait pas l’intention de faire un achat, c’est qu’il y a un problème.
Ce que je critique c’est ce comportement de consommation auquel on me conditionne à coup de récompense/punition. Il est très facile de se retrouver à errer sur ces pages non pas en quête d’un jeu vidéo, mais en quête d’un achat qui nous procurerait ce plaisir de faire une affaire. Notre désir du jeu passant au second plan, remplacé peut-être par l’aura de celui-ci : Red Dead Redemption 2, Horizon Zero Dawn, GTA V. Les « jeux de l’année », les chefs d’œuvres, les classiques, les indispensables, autant de trophées qui viennent justifier l’achat automatique désincarné.
Il ne m’a fallu que quelques achats absurdes pour me calmer et fuir Steam, GOG et PSN, pas par décision mais par simple lassitude, dégoût pour ce sentiment d’asservissement conditionné que je me suis mis à ressentir alors que je parcourais les pages promotionnelles. Ce que cette mascarade nous offre, c’est le sentiment d’être capable de nous rendre nous-même heureux. Acheter un jeu (ou n’importe quel produit) que l’on désire, moins cher que le prix officiel normal, c’est pouvoir se dire que l’on est responsable à peu de frais. Se sentir actif, initiateur, libre. On peut aisément faire l’expérience du pouvoir que l’on a sur notre destinée. Si je n’avais pas surveillé les promos, je l’aurais acheté à 50 euros, ou je n’aurais pas encore put l’acheter mais là, je le possède in extrémis. Je peux y jouer malgré le destin, malgré les contingences et déterminismes. Les pages de jeux vidéo à prix réduits deviennent un espace de confort rassurant, un lieu où tout est moins cher un lieu où l’on n’est pas le dindon de la farce (ce que l’on est évidemment). Bref, la séduction des promotions fonctionne alors que tout cela n’est rien, une virtualité, une manière de faire croire aux gens que l’on prive de tout qu’ils trouvent encore le moyen de joindre les deux bouts grâce à leur perspicacité, une manière de leur donner l’illusion qu’ils ont un rôle à jouer dans leur vie.
C’est donc en voyant ce « Pistez les offres comme un véritable chasseur de promos ! » que j’ai été pris de nausée. Il y a deux choses ici. Déjà, l’identification du comportement pathologique désespéré de recherche d’une promotion transformé en quelque chose de positif, mais en plus la création d’une élite à l’intérieur de ce carnage, d'une vanité supérieure, d'une valeur. Un « Véritable » chasseur de promos, parce qu’évidemment, il y a de faux chasseurs de promos. Et pire, de faux chasseurs de promos qui se font passer pour de véritables chausseurs de promos. Et aussi, de faux chasseur de promos qui se font croire qu’ils en sont de véritables parce que dieu sait qu’ils aimeraient en être de véritables.
Ce paragraphe est complètement affligeant de débilité n’est-ce pas ? C’est pourtant comme ça qu’on nous traite, que l’on nous parle, que l’on nous considère, et surtout, c’est comme ça que l’on nous rend.
Aussi incommensurablement débile que cela puisse être de se valoriser au travers d’une quête de solde, de se percevoir comme malin ou habile dans celle-ci, je n’ai pas le moindre doute que la phrase de GOG trouve son public, maintenant ou dans le futur, peu importe.
On retrouve bien dans le terme « chasseur » cette notion d’initiative, d’agence, de pouvoir sur son environnement. Le chasseur, c’est le contraire de la proie. Qualifier un consommateur de « chasseur, » c’est appeler un esclave « maître. »
Cette contradiction est abjecte dans le sens où, seul un objet peut-être appelé son contraire sans que cela soit problématique. Je m'explique. La négation de l'essence d'une entité ne pose problème que lorsque celle-ci est vivante. Si l'on traite un cheval comme un chien, on peut plaindre ce cheval. Si l'on demande à un boxeur de faire un cours de sociologie, ou à un sociologue de faire un match de boxe, cela va également entraîner de la douleur. Mais dire qu'une table est une chaise ou une voiture un vélo ne posera problème qu'aux personnes qui utilisent ces objets, pas aux objets eux-mêmes. Mettre quelqu'un dans une position qui ne lui correspond pas à un niveau essentiel est très violent, forcer quelqu'un à prétendre qu'il se trouve dans la position inverse de celle dans laquelle il se trouve, c'est lui demander d'affirmer qu'il n'est rien, qu'il est un objet. C'est pousser cette personne vers l'acceptation que sa non-vie ne poserait pas problème.
Il serait naïf de ma part de faire croire que les pauvres petits consommateurs ne sont que des victimes impuissantes face à cette mécanique. C’est faux puisque l’on se retrouve devant la dynamique du « Loup et du Chien. » Ensevelis dans la compétition égotiste, les gens cherchent le moindre moyen de se distinguer et profiter de promotions c’est se valoriser, se sentir supérieur, sans trop avoir à se fouler. On dissimule, on oublie et l’on refoule les chaînes qui égratignent notre cou, pour se vanter de notre ventre bien plein. On abandonne la vie véritable et l'on se console dans une virtualité désespérée, ersatz vaniteux égocentré.
Les mots « pistez », « naviguez », « découvrez » ne sont évidemment pas choisis par hasard. Aventure, liberté, domination, témérité, récompense… il est très facile d’y associer beaucoup de notions célébrées dans notre culture. Comme avec le terme « chasseur, » nous nous trouvons toujours dans la flatterie ridicule. Vous êtes soudain un membre parfaitement adapté, voire une élite, de votre culture parce que vous parcourez une liste de jeux vidéo en promotions, classés pour vous dans l’ordre de votre choix. On vous infantilise, on vous traite comme un(e) handicapé(e) et comme un(e) imbécile mais c'est positif parce que cela atteste de votre supériorité symbolique.
« Genre préféré » cependant, s’attaque à autre chose. Il est question ici de personnalité. Avoir un « genre préféré, » c’est avoir une personnalité. Dans la culture des narcisses désespérés, avoir des goûts préférés c’est avoir une profondeur. La profondeur est devenu surface justement. Il ne s’agit plus d’aimer une œuvre parce qu’elle nous parle, parce qu’elle a un sens pour nous, aussi peu originale et commune puisse-t-elle être (ce qui ne suggère en rien qu'elle n'a pas une profondeur), mais d’avoir une préférence pour quelque chose d’absurde, d’excentrique et de ridicule, quelque chose d’ostensiblement unique pour pouvoir prétendre à cette unicité. La cohérence et, par extension, la profondeur deviennent ici un problème, il faut au contraire se ranger du côté du caprice : « J’aime ce truc absurde parce que j’aime ce truc absurde, parce que je suis comme ça. Laisse-moi sale étroit d’esprit. J'exerce mon libre-arbitre. » C’est exactement dans cette logique du caprice libertaire que l’on nous fait gober le mouvement LGBT. Quel bonheur pour un maître de voir ses esclaves construire une vanité autour de tout l’inverse de ce qu’ils sont, de les voir se vanter d’être parfaitement en forme lorsqu’ils sont fatigués, se vanter de trouver du bonheur dans tout ce qui rend malheureux, de se sentir libre dans l’asservissement, de se sentir qualifié dans un travail de singe, de se sentir vertueux dans la médiocrité, de les voir reconnaître l’intelligence dans la bêtise la plus profonde, l'étroitesse d'esprit dans l'intelligence… l’être humain normal qui aime ce qu’il est et aime l’humanité, se retrouve au bas de l’échelle puisque chaque pas vers le haut demande de prétendre que l’on est mauvais, inacceptable tel que l’on est.
Dans ce paysage d’auto-flagellation absolue où les gens ne sont jamais assez, il faut bien encore trouver un moyen de se valoriser, de se construire un égo, aussi fragile et déséquilibré soit-il, il reste les idiosyncrasies, les préférences arbitraires insensées. Nous y sommes déjà, ce qui fait de toi un humain intéressant c’est ton absurdité, ton acceptation volontaire d'abandonner toute forme de cohérence, la tête haute et l'attitude hautaine pleine d'auto-dérision. "Je sais qu'au fond je ne vaux rien mais je sais également que je vaux mieux que toi aux yeux de cette culture. Ma médiocrité me donne le pouvoir."
Et la société de consommation est là pour lui, elle range les jeux vidéo par genre afin que notre humain si unique et spécial puisse se retrouver et se reconnaître dans tous ces genres différents. Mais s’il peut « naviguer dans ses genres préférés » cela ne signifie-t-il pas que notre humain absurde est en fait totalement prévisible et absolument pas unique ou incohérent ? Si si. Qui a dit que tout cela avait une quelconque logique au-delà de la surface ? Il n’est ici question que de présentation et de surface, d’illusion. L’être humain libre et imprévisible a au contraire besoin de structure et d’un soutien disproportionné pour l'aider à maintenir l'illusion. On lui promet des jeux rangés mais en plus à quelques clics de distance. Oui parce que s’il doit écrire un mot ou faire une recherche, s’il doit penser à ce qu’il veut, formuler mentalement son désir, mon dieu, cela pourrait le faire renouer avec un minimum d’autonomie et d'individualité. Catastrophe.
Il y a aussi dans ces « quelques clics » la notion de domination. La vitesse d’un service mesure le degré de soumission du serviteur. L’immédiateté est réservée aux Dieux. Le claquement de doigt de l’omnipotence. La télécommande de la télévision. Ce que le consommateur cherche dans l’immédiateté d’un service, c’est l’impossible, le magique. Amazon vous livre en une journée. C’est impossible et l’on ne veut pas entendre parler du nombre d’esclaves qu’il faut pour obtenir un tel résultat car il y a dans cette rapidité quelque chose d’intensément séduisant. A-t-on besoin de recevoir notre livre deux jours plus tôt ? Non, mais ce sentiment que tout est à portée de main en un claquement de doigt, que d’une certaine manière, nous possédons tout, ce sentiment est confortable, appaisant, dans ce monde anxiogène au possible.
Ainsi, en deux pauvres phrases, les pubards engagés par GOG nous crachent au visage toute la misère de notre situation, cachée derrière une façade d’enthousiasme, de déférence et d’admiration à notre égard. N’a-t-on pas droit à un minimum de respect pour notre humanité ? Bien sûr que non.
Comment je fais pour monétiser mon blog déjà ?