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Les 12 Salopards: Le Major John Reisman est un espion allemand. Partie 1. (2500 mots)

Publié le par Kevin

Les 12 Salopards: Le Major John Reisman est un espion allemand. Partie 1. (2500 mots)
Les 12 Salopards: Le Major John Reisman est un espion allemand. Partie 1. (2500 mots)

 

(L'analyse commence après l'introduction/aparté en orange que le lecteur pourra, à loisir, passer).

J'ai été un peu agacé de voir The Suicide Squad comparé aux Douze Salopards de Robert Aldrich que j’ai également vu pour la première fois dans son intégralité cette année, sans lien avec la sortie du film de James Gunn.

Ce qui me gêne dans cette comparaison c’est que le film d’Aldrich a pour moi un positionnement entièrement opposé à celui de Gunn.

Dans les deux œuvres, on nous raconte l’histoire de criminels, de monstres, de sociopathes condamnés à la peine de mort ou à de longues peines de prison à qui l’on va donner une chance de se racheter en les faisant participer à une mission suicide.

L’idée racoleuse étant que ces hommes sont déjà des tueurs, des désaxés ou des sadiques et qu’ils seront donc plus efficaces dans leur mission de massacre. La violence et le sadisme devenant éthiques car justifiés est un fantasme commun d’un certain type de personnes que je ne saurais désigner sobrement.

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Cependant, le film d'Aldrich nous montre bien rapidement que ces hommes n’ont pas grand chose de spécial ou de monstrueux. Le seul qui corresponde à cette idée de fou furieux prêt au massacre c’est Maggot, le tueur en série en puissance qui pense être l’instrument d’un Dieu vengeur impitoyable. Mais les autres ont tous des désirs, des failles, des bons sentiments, de l’enthousiasme, du courage, de l’humour etc… difficile de les différencier de soldats normaux.

La mission finale apparait donc dans toute son inhumanité puisqu’on leur demande d’agir comme des monstres qu’ils ne sont absolument pas. On en verra un se montrer incapable d’exécuter les allemands qu’il tient en joue et ceux qui mettront en place le massacre infâme seront les trois véritables soldats : Reisman, Wladislaw et Jefferson. Les salopards réels n’y participent pas et l’impitoyabilité qu’on leur attribue arbitrairement au début du film n’apparait jamais.

Les 12 Salopards: Le Major John Reisman est un espion allemand. Partie 1. (2500 mots)

Je trouve donc inquiétant et déplacé que The Dirty Dozen apparaisse régulièrement dans les critiques de The Suicide Squad car les membres de la Suicide Squad sont réellement des monstres assassins insensibles. Il y a un problème d’humanité dans ce film où nous sommes censés nous attacher un minimum à un groupe d’individus détestables sous prétexte qu’à la fin, ils tuent un gros monstre et sauvent les habitants d’une ville.

Au-delà de l’histoire similaire, le sens profond du film est différent.

Dans un cas on nous dit que ce n’est pas parce qu’un homme commet un acte inhumain qu’il devient un monstre sans cohérence ni affect, capable de tous les crimes et indigne de toute considération.

Dans l’autre cas on nous dit que ce n’est pas parce qu’un humain est monstrueux, inhumain, insensible, profondément cynique, abject et répugnant, qu’il ne peut pas à un moment donné, développer une capacité à faire quelque chose de positif.

Le premier film pose un regard humain sur les humains. Le second est désespéré, nihiliste et moins intelligent.

Ce qui m’interpelle en écrivant ces lignes, c’est que The Suicide Squad correspond parfaitement au nihilisme de notre époque. Nous percevons les humains comme des pages blanches capables de tout, c’est l’effet de la croyance forcenée au libre-arbitre, et de ce fait devenons de plus en plus difficilement capables de percevoir une beauté et une bonté dans leur naturel. Les humains sont des monstres qu’il faut dresser, qu’il faut amener à l’inverse, le héros, pour conjurer l’abjection primordiale.

 

Les 12 Salopards: Le Major John Reisman est un espion allemand. Partie 1. (2500 mots)

Mais passons à The Dirty Dozen et à sa lecture alternative agréablement simple. Il arrive souvent que la lecture cachée d’un film soit la base explicite d’un autre et le fil conducteur secret de The Dirty Dozen est plutôt banal dans les intrigues de films de guerre.

On comprend bien que le Major John Reisman a des problèmes et que ses supérieurs veulent qu’il fasse ses preuves. On peut l’imaginer proche du conseil de discipline ou de l’éjection, en réalité la situation est bien pire : c’est la pendaison qui le guette.

Or, pour qu’un major se retrouve avec une telle menace pesant sur sa tête sans que son crime soit explicitement décrit, il n’y a pas cinq cent possibilités : Il est fort probable qu’on le soupçonne de trahison. 

 

-----------La Pendaison-----------

 

Le sujet de la peine de mort imprègne évidemment le film puisque cinq des douze soldats sont condamnés à la pendaison. Aussi, c’est la sentence qui les attend tous s’ils sabotent la mission une fois celle-ci acceptée et enfin, évidemment, lors d’une mission suicide, l’on risque sa vie.

Il n’est donc pas étonnant que le film commence sur une pendaison. On pourrait imaginer que c’est une entrée en matière ayant pour but de sensibiliser le major à la menace qui pèse sur la tête des hommes qu’il va avoir à son commandement. Oui, je sais, ce serait une bien faible justification mais il faut bien une raison pour que ce film ouvre sur cette scène. On comprendrait mieux si le détenu exécuté était une brute impassible dont un personnage expliquerait les crimes innombrables à Reisman. Mais non, c’est un jeune homme tout ce qu’il a de plus banal et qui nous inspire immédiatement de la sympathie et de l’empathie.

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Un autre détenu l’implore de continuer à crier son innocence.

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Le condamné demande pardon et explique « Je n’ai pas fait exprès. » L’exécution est atroce. Le major Reisman n’apprécie pas du tout d’y avoir été convié. En vérité, ce que cette scène dépeint, c’est ce que la prison militaire avait de plus proche de l’exécution d’un innocent. Reisman est invité à se présenter à l’établissement et on lui montre qu’il ne faut pas attendre de grâce ou de pardon ici, même le pauvre gamin le plus inoffensif est exécuté impitoyablement s’il en a été décidé ainsi.

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------------------La réunion----------------

 

Lorsqu’il entre dans le bureau du major Max Armbruster, clairement son ami, celui-ci agit comme s’ils ne s’étaient pas vu depuis des lustres. Armbruster prend ses distances pour se protéger parce que Reisman est dans une situation très sérieuse, ce qu’il lui confie la seconde d’après.

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De même son « Be nice. Take it easy. This time it’s serious John. » ressemble bien plus à une mise en garde portant sur sa vie en danger que sur une sanction pour manque de discipline.

Les incongruités continuent lorsque dans la pièce suivante Reisman tombe nez-à-nez avec le Colonel Everett Dasher Breed. Breed est sidéré de voir Reisman et clairement comprend quelque chose, l’on ne connaîtra jamais le sens de cet échange.  

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Lorsque Reisman entre dans le bureau du général, celui-ci le laisse saluer dans le vide, lui signifiant qu’il ne le considère plus comme un soldat. La menace pèse.  

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Il lui demande ensuite ce qu’il a pensé de la pendaison et précise ensuite, ce qu’il en a pensé « à un niveau personnel. » Le sous-entendu est évident. Les deux hommes échanges encore quelques remarques et il devient fort crédible que l’exécution a été organisée pour son impact sur Reisman. Le major général ne connait même pas le nom de l’homme qu’il a fait exécuter.

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La mission suicide est introduite à Reisman par la phrase « Moi aussi j’ai des ordres et j’ai ici une mission qui semble avoir été conçue pour vous. » Avant d’en expliquer la teneur, Worden se permet un commentaire qui trahit le fait que les choses se déroulent « derrière les lignes ennemies » et que Reisman pourrait avoir à porter un uniforme Allemand.

En d’autres termes, il lui dit : « Cette mission est faite pour toi parce que tu passes ton temps chez l‘ennemi et porte rarement l’uniforme américain. » Ce qui se rapproche beaucoup de « nous savons que tu es un traitre. »

La mission est expliquée d’une manière grotesque et c’est très important et agréablement subtil. Il y a une petite contradiction porteuse de sens dans tout cela. Reisman demande des spécifications, on lui répond qu’il n’a pas besoin de savoir. Une dispute éclate, à l’issu de laquelle on lui explique qu’il n’a pas le choix, qu’il « se porte volontaire. » Encore un indice que sa situation est très sérieuse. Une fois qu’il est avéré qu’on va lui assigner cette mission qu’il le veuille ou non, soudainement, on lui donne les détails qu’il a demandé une minute plus tôt. Quelle différence cela fait-il ?

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Reisman est un traitre, et deviner sa position compromise pourrait le faire se jeter maladroitement sur la première possibilité de satisfaire ses supérieurs. Or, accepter une mission débile sans broncher serait une preuve de plus contre lui. A la place, il se révolte et déclare que celui qui a imaginé une telle idiotie est un cinglé. Sa réaction excessive couvre le fait qu’il acceptera de toute manière, elle dissimule la misère de la situation dans laquelle il se trouve.

La manœuvre fonctionne, le général major et le brigadier général sont tous les deux convaincus de l’innocence de Reisman à la fin de la conversation. Peut-être l’étaient-ils au départ et ne faisaient qu’appliquer un protocole destiné à mettre Reisman sous pression, nous sommes devant des militaires habitués à suivre des ordres, un protocole, à malmener une personne pour la faire craquer.

Pendant toute la conversation un homme est assis devant Reisman, le regarde fixement d’un air menaçant et ne prononce jamais un mot. Il est là pour que le major pense qu’ils ont une preuve contre lui, un témoignage, et que lorsque cet homme mystérieux ouvrira la bouche, le piège se refermera sur le traitre découvert. A côté de cet homme est assis le capitaine Stuart Kinder spécialiste en psychologie qui le surveille et prend des notes. Il décrypte ses réactions pour savoir si Reisman ment.

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Au cours de la conversation, Worden laisse échapper une blague sur la pendaison et assez étrangement c’est à ce moment que Reisman se trahit légèrement puisqu’il pense qu’elle est tournée vers lui. Il se tourne par réflexe vers les autres membres de l’assemblée qui s’esclaffent innocemment. A ce stade, si l’un d’entre eux soupçonnait Reisman d’être un espion, il n’aurait pu s’empêcher de le regarder, mais aucun ne le fait. Leurs soupçons sont écartés.

Pourtant, Reisman est coupable et s’il a convaincu l’assemblée de son innocence, la mystérieuse hiérarchie qui tire les ficelles reste dans l’ombre et c’est à elle qu’il doit la prouver.

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--------------La Dynamique cachée --------------

 

Voici donc les bases de la catastrophe mises en place.

Reisman, s’il est un traitre, est donc dans le camp des Allemands. Il est hors de question pour lui de mener à bien la mission qu’on lui a attribuée. Evidemment, cela pose un problème. S’il ne la mène pas à bien, cela coûtera non seulement la vie aux hommes qu’il aura sélectionnés et il sera probablement lui-même exécuté, cette mission représentant pour lui une forme de dernière chance.

Mais s’il la mène à bien, il travaille contre son camp. Il devient un traitre du côté allemand également. Il doit donc naviguer dangereusement pour rater la mission de manière convaincante. 

Mais ce qu’il va faire en plus de cela, c’est tenter de prouver son innocence en défendant ses « méthodes. » C’est pour cette raison qu’il est si souvent question de changement de camp, d’uniforme et de manipulation dans le film : Reisman veut que ses exploits remontent jusqu’à la hiérarchie comme une explication de ses comportements douteux.

 

------------------Wladislaw le Juge-----------------

 

Lorsqu’il tabasse Victor R. Franko, Reisman le fait en s’assurant que Wladislaw est témoin de la scène. Il provoque la bagarre et en rajoute dans la violence une fois Franko à terre. Pourquoi ? Accrochez-vous.

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Reisman a sélectionné les prisonniers. Il connait la raison pour laquelle ils ont été enfermés. Il sait que Wladislaw déteste les gradés et est en prison parce qu’il a abattu un colonel qui s’enfuyait. Reisman a recruté un tel homme pour que la hiérarchie perçoive ce geste comme une preuve de sa bonne fois. Un traitre n’aurait pas osé recruter Wladislaw. Tabasser Franko devant lui rend le message plus clair encore: « La première chose que je montre au tueur de gradés, c’est la manière dont j’adore abuser de mon pouvoir. Si je suis un traitre, vous pouvez être sûr que Wladislaw me dénoncera ou me fera la peau. »

Cependant à la manière dont Jefferson et Wladislaw deviendront deux soldats autonomes, il est envisageable qu’ils reçoivent eux-mêmes des ordres de la hiérarchie secrète qui met Reisman à l’épreuve. Surtout lorsqu’on voit la manière dont Wladislaw sabote entièrement son entretien psychologique : il ne veut absolument rien trahir de ses préoccupations ou de ses motivations réelles. Il cache quelque chose.

 

-----------------Garder une mission secrète------------------

 

A ce stade on pourrait se demander pourquoi ses supérieurs prendraient tant de peine à tester Reisman plutôt que de l’accuser directement. Si John Reisman est un traitre, il a donc pu faire parvenir des informations aux allemands. Si une opération secrète d’envergure doit avoir lieu, il faut que chaque personne au courant soit dignes de confiance. Il est bien question d’une opération secrète d’envergure dans le film : les soldats doivent revenir grâce au débarquement allié en normandie, D-Day. D’ailleurs leur propre opération s’appelle « Operation Overleaf » contre « Overlord » pour le débarquement.

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Ainsi, toute cette mise en scène pourrait bien ne servir qu’à isoler un major que l’on soupçonne d’être un traitre, le débusquer, se débarrasser de lui ou le neutraliser le temps que les choses sérieuses se déroulent.

 

De son côté, Reisman se donne donc du mal à organiser « sa défense ». Lorsqu’il doit se rendre au terrain d’aviation du colonel Breed, il s’emporte sur la nécessité de garder la mission « Overleaf » secrète, ce qui n’a pas de raison d’être mais lui permet de mettre en place une mise en scène. Il demande à ce qu’on annonce à Breed la visite d’un général, puis à Vernon L. Pinkley de se faire passer pour ce général.

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Qu’est-ce que cette bêtise prouverait ? Que même le plus grand des imbéciles peut obtenir énormément de chose en se faisant passer pour quelqu’un d’autre, même sans uniforme. Mais Pinkley échoue et Breed comprend. L’insulte va créer une montée en tension que Reisman ne cherchera pas à atténuer. Breed fait d’abord tabasser Wladislaw pour obtenir des informations puis quelques jours plus tard, vient au campement de Reisman, toujours pour obtenir des informations.

Il suffirait que Reisman lui dise qu’il prépare une mission avec des détenus et Breed serait probablement satisfait, mais le major traitre veut envenimer la situation jusqu’à arriver à cette apothéose finale où il se retrouve à « devoir » ouvrir le feu sur des alliés uniquement pour protéger le secret de la mission (qui, encore une fois, n’avait aucun besoin de rester si secrète). C’est encore une démonstration envoyée à la hiérarchie : « Vous voyez, j’étais habillé en allemand, je tirais sur des américains mais c’était pour protéger l’intérêt d’une mission top secrète (Overlord ?). Je ne suis pas un espion allemand. »

Cette bataille avec Breed va même déboucher sur une aubaine plus grande encore : l’opportunité de prouver que ses hommes sont prêts pour la mission alors qu’ils ne le sont pas du tout. Les voit-on à un seul moment s’entrainer à tirer ? Le jeu de guerre contre Breed donnera à Reisman l’opportunité de démontrer ce qu’il avait déjà tenté de démontrer avec Pinkley en général : le fait que changer d’uniforme, prétendre être dans l’autre camp, est une approche efficace.

Bleu
Bleu

Bleu

Rouge

Rouge

Les 12 salopards remportent la bataille et montrent donc leur habileté… sans tirer une balle alors que leur mission réelle sera de tirer dans le tas et de tuer sans nuance.

Tout leur entraînement repose sur une idée d’infiltration et de furtivité alors que la mission doit nécessairement passer par la case « fusillade. »

 

 

Partie 2