Les 12 Salopards: Le Major John Reisman est un espion allemand. Partie 2. (2500 mots)
--------------Chaque soldat est utilisé de manière inadéquate----------------
Je soutiens donc l’idée que Reisman fait tout ce qui est en son pouvoir pour que la mission échoue ou soit un semi-fiasco. Il y a l’entrainement inadéquat qu’il fait suivre à ses douze salopards, mais le plan appris par cœur absolument ridicule ainsi que la manière dont il compte utiliser chaque homme trahissent aussi fort clairement son désir d’échec.
Lorsqu’il entraine Jimenez à grimper à la corde, il est déjà convenu que c’est lui qui devra grimper sur le toit du château. Reisman force cependant les autres à s’entrainer également au cas où Jimenez serait déjà mort à ce moment-là. Surprise, Jimenez sera effectivement le seul mort au moment de grimper sur le toit du château, quelle coïncidence troublante. Aussi, la méthode d’enseignement de Reisman est ridicule. Il ouvre le feu sur un Jimenez terrorisé qui parvient à grimper la corde uniquement à la force de la terreur… chose qui ne pourrait pas être répété dans les circonstances de la mission.
Ce qu’il faudrait c’est que Jimenez ait un entrainement spécifique, qu’il se muscle les bras, rien de miraculeux. Ce que fait Reisman en lui tirant dessus c’est créer une situation dans laquelle Jimenez a prouvé qu’il était capable de grimper à la corde dans l’absolu mais se montrerait probablement incapable de le faire le jour J. Reisman prépare l’échec de la mission.
Dans le même ordre d’idée, on verra Wladislaw se montrer incapable de lancer un grappin pendant l’entrainement. Au point que les autres se fichent de lui. Comme par hasard, c’est lui qui se retrouvera à devoir lancer un grappin sur le toit en pleine nuit sans se faire repérer. Il s’y reprendra trois fois avant d’y parvenir, et surtout, il le fera sous les yeux de Reisman qui, à aucun moment, ne pensera à le faire.
Et Pinkley l’imbécile qui n’est pas parvenu à se faire passer pour un général plus de trente secondes, c’est lui qu’on enverra prétendre être un garde allemand et qui échouera lamentablement, sans conséquence mais uniquement par miracle. Pourquoi aucun homme n’a-t-il été désigné pour apprendre une vingtaine de phrases en allemand du type « Oui » « non » « laissez-moi » « à vos ordres. » ?
Quant à Maggott, le fou assassin de femmes, il est envoyé dans le bâtiment en premier… croise une femme, la tue et donne l’alerte. Quelle superbe organisation. Jefferson se retrouve à l’abattre, et mourra lui-même plus tard d’être celui qui devra déclencher les explosifs pour tuer les allemands prisonniers du bunker. C’est exactement le genre d’horreur qui correspondait à Maggot, commettre un génocide équitable dans la répartition des sexes, c’était pour lui. Massacrer ces allemands bien habillés qui se donnaient à la débauche.
-------------------Le Plan foireux-------------------
Ainsi la répartition des tâches suggère une volonté de faire échouer la mission. Il y a aussi le moment auquel Reisman laisse une corde attachée à la rambarde du balcon et que c’est uniquement par miracle qu’un garde allemand passe à côté sans la voir. (Un miracle bien suspect d’ailleurs et pas le seul avec ça).
Mais, il n’y a pas que dans l’attribution des rôles que Reisman se montre particulièrement mauvais. Le plan d’attaque lui-même est médiocre.
Un des aspects de ce plan qui fonctionne incroyablement c’est la manière dont quatre des douze soldats suffisent à retenir les renforts allemands. Ils sont bien positionnés et bien armés. Leur exploit souligne une chose : l’alarme ne représentait pas un gros problème. Surtout que l’accès au château se fait par un pont qu’il était facile de faire sauter. Mais comment nos soldats auraient-ils pu espérer prendre la fuite sans ce pont ? Deux d’entre eux nous le montrent : sous le pont il y a un cours d’eau et sur le cours d’eau des bateaux à moteur.
Je sais que tout cela ne ressemble qu’à des conjectures mais ces éléments sont bien trop significatifs pour être disqualifiés d’un revers de la main. Le fait est que l’arrivée de renforts était à craindre et que face à cette éventualité, n’importe quel militaire aurait considéré la présence d’un pont comme une aubaine. La décision de ne pas détruire le pont est suspecte. D’autant que la fuite en véhicule à roues se fait laborieusement, par deux fois un véhicule bloque le passage et doit être écrabouillé/poussé hors du chemin. Aussi, fuir en véhicule à roues n’était pas le genre d’idée qui pouvait paraître viable lors de la conception du plan, ils auraient pensés immédiatement aux renforts allemands en chemin qu’ils ne manqueraient pas de croiser.
Non seulement faire sauter le pont et partir en bateau était la meilleure idée, mais le film nous permet d’y penser, de voir que c’était possible et de constater que c’était la meilleure idée. (Surtout que le salut des soldats se trouve du côté du débarquement, donc vers la mer. Où va le ruisseau ?).
Du côté du massacre, là encore Reisman fait n’importe quoi. Jimenez doit détruire une antenne (la radio), Franko couper le téléphone mais personne n’est chargé de l’alarme (je vérifierai ce fait). Or, la radio et le téléphone n’ont aucune importance puisque logiquement les soldats américains devraient prendre le bâtiment d’assaut en tirant sur tout ce qui bouge. Si la mission était approchée « correctement » Reisman chargerait deux soldats de prendre la pièce de la radio et du téléphone.
Et donc, on s’occupe de la ligne téléphonique et de l’antenne radio, mais par contre l’alarme sonne pendant une demi-heure jusqu’à ce que le sergent Bowren s’en charge d’une rafale de mitraillette. C’était aussi simple que ça.
Tout cela n’a aucun sens et ça ne s’arrête pas là.
Six soldats parviennent à entrer dans le bâtiment incognito. Reisman et Wladislaw prennent part à la fête pendant que Jefferson, Maggot et deux autres se baladent librement à l’étage.
Wladislaw exécutera le soldat qui s’occupe de la radio d’une balle de silencieux. Il n’y avait aucun besoin d’envoyer quelqu’un sur le toit. Aussi, personne ne cherche à utiliser le téléphone, aucun besoin de charger Franco de la ligne téléphonique.
Ainsi, sans la moindre difficulté, Reisman aurait pu avoir huit hommes à l’intérieur du château et deux surveillant la seule issue et mettre en place le carnage (atroce et ignoble évidemment) qu’on lui a demandé d’organiser.
La mission était plutôt facile en réalité.
Et pourtant, au moment où Maggot lance l’assaut exactement de la manière la plus logique, Jefferson l’abat. Bien sûr, dans le contexte on comprend son geste, Maggot est cinglé, terrifiant et il a pété les plombs. Le problème c’est qu’il est exactement en train de faire sa part du travail. Cet élément montre bien que Reisman n’est pas en train d’accomplir la mission comme on l’attend de lui, qu’il y a un problème, une incohérence.
Tout comme Wladislaw lui sert de témoin, Maggot lui sert de preuve qu’il avait bien pour objectif de faire un carnage.
Suspicieux également, Reisman lui-même ne tue quasiment aucun allemand durant l’opération. Il laisse Wladislaw faire le sale boulot la plupart du temps et finalement ouvre le feu dans les dernières minutes lorsqu’il n’a plus le choix.
Aussi, la tournure des événements, les allemands se réfugiant dans le bunker, maintient la mission au point mort pendant pratiquement toute sa durée. S’ils parviennent à faire sauter le bunker, la mission est un succès total, s’ils n’y parviennent pas, la mission est un échec total. Il n’y a pas d’entre deux. Si Maggot était descendu dans la salle de réception et avait ouvert le feu, appuyé par Wladislaw, Reisman et Jefferson, chaque nouveau nazis abattus auraient représenté un pas de plus vers le « succès. »
Ce que je veux dire ici, c’est que le déroulement de la mission est douteux. Reisman repousse au maximum le moment de tuer des gradés allemands. La fusillade est évitée, puis on laisse les allemands s’enfermer à l’abri, un développement des plus problématiques. Ensuite, des prisonniers allemands sont épargnés (ceux avec les servants français). Puis on jette des grenades dans les tuyaux d’aération mais on ne les dégoupille pas. Elles ne sautent donc pas. Enfin on verse bidon d’essence sur bidon d’essence sur ces grenades dans ces tuyaux. Il ne reste plus qu’à allumer… ah ben zut, il n’y a plus personne pour le faire, tout le monde est mort.
Les allemands paniqués se hâtent vers le bunker. C'est le moment ou jamais comme on dit. C'est en même temps la meilleure opportunité possible mais, en plus, fort probablement la dernière.
Lorsque Reisman commence à verser l’essence, Bowren lui lance un « are you sure ? » choqué. Comme pour le coup de pied au visage de Franko, Reisman en rajoute une couche pour choquer et convaincre de l’honnêteté de son geste, alors que c’est une manipulation au contraire. Reisman verse de l’essence pour se couvrir, pas pour être plus efficace ; pour l’impact symbolique et non le concret.
Voici donc ma lecture alternative explorée :
1-Reisman est un traître.
2-La mission est une mascarade mise en place pour le tester.
3-Reisman doit donc jouer serré entre convaincre la hiérarchie américaine qu’il fait tout pour accomplir la mission tout en évitant de réellement tuer des gradés allemands.
4-Dans l’opération, il tentera de donner des arguments pour s’innocenter. Pour expliquer comment le comportement qui a fait qu’on le soupçonne pourrait en fait n’avoir été qu’une extension de son rôle d’espion.
Passons maintenant au délire ultime.
------------Pourquoi Reisman serait-il le seul à se déguiser ?--------------
A 1h50, à l’intérieur du château, Reisman tombe nez-à-nez avec un allemand. Tous les deux sont surpris, gênés et prétendent bien vite ne pas se connaître. Qui est cet homme ? Pourquoi Reisman le connait-il ? Est-ce un Américain sous couverture lui aussi ? Ou est-ce réellement un Allemand que Reisman connait ?
Cette rencontre fortuite jette le doute. Le doute est jeté ! :p
C’est-à-dire qu’il est en fait difficile de savoir qui est allemand et qui est américain dans ce chaos et que si la mission débile organisée n’importe comment dans un but falsifié avec des soldats qui n’ont aucune envie de l’accomplir et que son propre commandant veut voir échouer, si cette mission se termine en un festival d’absurdités, c’est tout-à-fait normal.
Lorsque Wladislaw et Reisman tentent d’entrer dans le château, ils ne sont pas inscrits dans la liste des invités… et ne parlent même pas suffisamment allemand pour donner une excuse. Wladislaw renverse un encrier bien pratique sur le cahier et hop on les laisse entrer. Cette scène est impossible. (Tarantino la parodie d’ailleurs dans Inglorious Basterds.)
J’ai d’abord pensé que l’allemand à l’entrée était un soldat américain sous couverture, placé là pour tester Reisman ainsi que pour protéger sa mission. Il est fort question de changement d’uniforme dans le film et il me semble inévitable que dans le dénouement un personnage ou deux ne soient pas dans le camp qu’on l’imagine.
Ainsi, il est fort probable que quelques agents américains se trouvent parmi les allemands, pour 1-aider à la mission mais aussi 2-éviter qu’un des soldats de Reisman ne revienne vivant.
Je pense que Jimenez, qu’on retrouve la nuque brisée après son saut en parachute, est assassiné ; soit à l’atterrissage, soit son parachute a été volontairement mal replié.
Le soldat allemand qui passe à deux centimètres de la corde attachée au balcon sans la voir, la voit très bien.
Cependant, tous les soldats allemands ne peuvent pas être des américains sous couverture, l’idée est surtout celle d’une sérieuse confusion finale. Cette confusion peut également être renforcée par le fait que les allemands sont au courant de l’intervention.
Surtout quand il échange un regard avec Reisman comme s'il attendait un signal et baisse les yeux pendant que la major regarde ailleurs. En l'air ? Indique-t-il que ses hommes sont à l'étage ? Qu'il faut envoyer une pauvre femme droguée là-haut pour que Maggot la trucide ?
La vie d’un agent infiltré gradé vaut son pesant d’or, surtout quelques jours avant le débarquement. Il est donc fort probable que Reisman a prévenu les allemands et qu’on a décidé de lui prêter main forte en attendant sa petite opération de pieds ferme.
Pour sûr, si Reisman a vendu la mèche, les allemands auraient pu attendre la petite équipe à l’atterrissage. Sauf qu’il est plutôt décidé que l’on va « jouer le jeu » pour protéger sa couverture, le garder lui en territoire ennemi, quitte à sacrifier quelques soldats.
Ainsi, le garde allemand qui passe devant la corde attachée au balcon la voit très bien et sait ce qu’il se passe. De même que celui à l’entrée. Ou celui qui va demander du feu à Pinkley sans s’apercevoir que l’autre ne parle pas un mot d’allemand. Ou ceux qui interpellent Wadislaw dans l’escalier. Et que dire de l’allemand qui fait une blague extrêmement douteuse et dédramatise lorsqu’il entend une femme pousser un cri terrifiant mais qui réagit en moins d’une seconde au premier coup de feu ? De vieux officiers dégaineraient leurs armes et tiendraient à savoir ce qu’il se passe, quitte à envoyer de jeunes soldats en première ligne. Mais non, celui-ci se lève immédiatement et hop ! « Tout le monde dans le bunker. » Il sait ce qu’il se passe.
Evidemment, si les allemands ont étés prévenus, la conclusion de l’opération, le massacre monstrueux, n’a aucun sens. Mais justement, comme je le disais au-dessus, la mission est toujours à un doigt de l’échec. Le compte de gradés allemands abattus est à zéro jusqu’à ce que Jefferson fasse tout sauter. Il suffirait que l’explosion soit un simulacre et au final l’opération ne serait plus qu’un coup de glaive dans l’eau.
Bon, elle n’est pas un simulacre et réellement, une cinquantaine de personnes se font massacrer par Reisman et ses soldats d’une manière abominable. Il me faut donc expliquer comment les allemands prévenus parviennent à être assez stupides pour s’enfermer dans la gueule du loup.
Le plan est de laisser Reisman l’opportunité de prétendre qu’il est de bonne foi jusqu’à ce que « ho malheur » les américains se fassent repérer et qu’en trois secondes tous les gradés allemands se soient réfugiés dans le bunker. Arrive ensuite des renforts conséquents pour exterminer l’ennemi en plus des soldats déjà présents.
Les deux premiers soldats allemands à se faire tuer, ceux que même prévenu par Reisman, il aurait fallut sacrifier, ces deux soldats allemands sont comme par hasard ceux qui détestent leur poste, la guerre et parlent de vacances et de mariage. Ils ont été mis à ce poste parce qu'ils sont des quantités négligeables pour l'armée.
Le problème c’est qu’aux côtés de Reisman se trouve Wladislaw le tueur de traitre, devant lequel le major n’a pas intérêt à faire trop de choses absurdes s’il ne veut pas se faire descendre. OR, au moment précis auquel il devrait donner l’ordre du massacre, Reisman l’interdit d’un « Not Now ! » Ce geste ne peut surtout pas devenir celui qui ferait de l’opération un fiasco sinon c’est la pendaison pour trahison assurée.
Cette apparition des réserves de munitions à côté du bunker est en fait un rebondissement tragique. C'est l'élément qui fait que Reisman n'a plus aucune chance de sauver les allemands. S'il rejetait l'idée de profiter de cette aubaine pour faire sauter le bunker, Wladislaw l'accuserait immédiatement d'être un traitre.
Ayant permis aux allemands de se réfugier dans le bunker où ils se trouvent relativement en sécurité, Reisman va devoir remuer ciel et terre pour prétendre qu’il avait une raison de laisser les choses prendre cette tournure. Balancer des grenades et du kérosène dans les conduits d’aération n’est pas un plan magnifique, c’est un geste désespéré. Les 4 « cheminées » se trouvent au milieu de la cour, à découvert, et les soldats se font tirer comme des lapins. Reisman retarde au maximum le moment de déclencher l’explosion et charge quelqu’un d’autre de la tâche. Il donnera l’ordre de bien loin.
Ainsi, à force de vouloir éviter de tuer des allemands, Reisman se retrouve à créer une situation abominable où il va les massacrer jusqu’au dernier pour parvenir à cacher qu’il a tout fait pour éviter d’en tuer un seul.
Cette ironie tragique n’est pas gratuite. C’est parce que Reisman est privé de camp qu’il ne peut plus se sacrifier pour la cause. Il perd le sens des réalités, ses actes sont produits pour l’impression qu’ils vont renvoyer à Wladislaw et Bowren.
Bref, bref.