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She Shoots Straight: Sous-texte sexuel. (2300 mots)

Publié le par Kevin

Je pense que le titre Chinois se traduit plus par "Lethal Lady", ce qui fonctionne bien mieux. Mortelle parce que femme d'action brutale mais plus profondémment parce qu'elle répand la mort autour d'elle.

Je pense que le titre Chinois se traduit plus par "Lethal Lady", ce qui fonctionne bien mieux. Mortelle parce que femme d'action brutale mais plus profondémment parce qu'elle répand la mort autour d'elle.

She Shoots Straight: Sous-texte sexuel. (2300 mots)

C’est probablement en regardant « Enter the Fat Dragon » de Sammo Hung que je me suis rendu compte que les films hong-kongais, qui m’avaient toujours paru assez simples, pouvaient eux aussi avoir un sous-texte (métaphorique) volontaire ou que, de manière moins ambitieuse, leurs héros pouvaient être critiqués implicitement par l’évolution de l’intrigue.

Je me suis acharné il y a quelques années à rédiger une analyse de Police Story, de et avec Jacky Chan, dans lequel je pense que le personnage principal tente d’échapper à l’annonce de la grossesse de sa petite amie jouée par Maggie Cheung. Mon niveau de conviction est au maximum, hélas, il reste dans le film un certain nombre d’éléments auxquels je ne parviens pas à trouver un sens, résultat, pas de lecture alternative publiée.

J’ai donc regardé un peu aléatoirement quelques autres films hong-kongais dans l’espoir d’en tirer une analyse sympathique, Mr. Boo, A Simple Life, Yes Madam, Infernal Affairs, Ip Man, sans vraiment y trouver ce que je cherchais.

C’est grâce au récemment découvert She Shoots Straight que je vais pouvoir pointer du doigt quelques finesses d’écritures hong-kongaises. Le film fonctionne métaphoriquement exactement comme Police Story, c’est-à-dire que les éléments de l’intrigue policière sont une métaphore de ce qu’il se passe au niveau personnel parmi les personnages. Je ne prétendrai pas tout comprendre et n’ai, de toute façon, pas pour objectif d’analyser le film entier.

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Les dynamiques et variables psychologiques du film sont assez nombreuses.

Nous avons donc la famille Huang dont le père inspecteur a demandé avant sa mort que son fils suive ses traces. Le monologue que la mère tient à son autel est déjà bien métaphorique.

Elle explique avoir accompli sa tâche car leur fils Tsung-Pao vient d’épouser Mina Kao. J’imagine que le poids de la descendance pèse sur les épaules de l’homme car c’est lui qui va perpétuer le nom de famille alors que ses quatre sœurs prendront celui de leur époux.

She Shoots Straight: Sous-texte sexuel. (2300 mots)

A la description du thé, constitué de deux parfums, que Mina a déposé sur l’autel, on comprend que le métissage de Mina, sans nécessairement être un problème, est une question. La mère ne s’en formalise pas, mais une sœur insultera l’épouse de son frère de « bâtarde. »

La mère reproche au père d’avoir procuré des graines et pas grand-chose de plus. Il a fait cinq enfants avant de mourir et lui a seulement demandé de nettoyer son revolver tous les ans. Nettoyer le revolver est phallique, la mère doit continuer de lui être fidèle, de le vénérer. Elle n’a pas le droit de refaire sa vie avec un autre homme, ce qui aurait pourtant aidé les enfants à s’orienter psychologiquement.

Nous avons donc cette famille privée de figure paternelle, dont le fils n’a d’autre choix que de devenir flic pour se sentir digne d’être né, pendant que les quatre sœurs n’ont même pas ce luxe. Aux yeux de leur père, elles ne servent à rien. Elles vont donc suivre la même voie que le frère, la seule voie valorisée par la figure paternelle: devenir elles-mêmes flics.

Les jeunes femmes ont toujours besoin de l’approbation et du regard de leur père pour se sentir attirantes, pour se sentir des femmes légitimes. Les filles de la famille Huang sont flics pour se sentir des femmes et les éléments métaphoriques dépeignant les dynamiques sexuelles sont nombreux.

She Shoots Straight: Sous-texte sexuel. (2300 mots)

La meilleure flic des quatres, Chia-Ling, est la plus belle et la plus féminine. La moins qualifiée se trouve être la moins jolie, elle passe inaperçue. Une autre a les cheveux courts son comportement différent suggère qu’elle s’est extraite des dynamiques d’affirmation de sa féminité, elle est homosexuelle (cheveux courts symboliques, entre autres éléments).

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Leur première mission consiste à protéger une princesse. La princesse c’est la jeune femme éligible sexuellement, celle qui est en âge de se trouver un homme qui fera justement d’elle une princesse parce qu’elle sera l’élue de son cœur. Pas besoin de sang royal.

La princesse est capturée malgré tous les efforts des sœurs Huang et ce n’est que Mina qui parviendra à sauver la situation grâce à une implication, une ténacité et une prise de risque folle.

She Shoots Straight: Sous-texte sexuel. (2300 mots)

Elle reçoit une promotion ainsi que le commissaire qui la convoite. Il lui fait des avances éhontées et se sert de sa position pour lui mettre la pression.

Huang Chia-Ling est écœurée par la tournure des événements. Elle considère que la performance de Mina a injustement éclipsé la famille Huang.

A 15m16 on peut voir que la relation de Chia-Ling et son frère n’est pas appropriée. Le terme « incestueuse » serait trop fort mais l’on peut voir que Chia-Ling a reporté sur son frère le rôle paternel de faire d’elle une femme. S’il tombe amoureux d’une femme trop différente de Chia-Ling, alors elle sombre dans la désorientation sexuelle et son comportement risque fortement de ressembler à de la jalousie. La dynamique est d’ailleurs réciproque :

Je n’aime pas la compétition ou les récompenses. Je me moque de ce que les gens pensent.

C’est la raison pour laquelle tu es un exemple pour moi. Mais tu es un homme. Comment peux-tu accepter que ton épouse obtienne plus de louanges que toi ?

Ling, quand on était petit, tu voulais que je sois l’élève chargé de la discipline à l’école. Quand on est entré dans le monde du travail, tu voulais que je sois ton patron. Quand ai-je faillis à tes attentes ?

She Shoots Straight: Sous-texte sexuel. (2300 mots)

Leur attachement n’est pas celui d’un frère et d’une sœur et le mariage de Tsung-Pao entre en conflit avec cet enchevêtrement des rôles.

Mina Kao n’a pas les cheveux longs, pas de poitrine, pas de formes et pourrait aisément passer pour un jeune homme. Le sauvetage de la princesse par cette femme superflic, asexuée et qui a épousé leur frère représente un symbole destructeur, « efféminant », pour les sœurs Huang. Si elles veulent être de bonnes flics, elles doivent abandonner leur féminité, si elles veulent être de véritables femmes, elles doivent abandonner l’idée d’être flics, et donc abandonner l’idée d’être dignes de leur père et donc abandonner l’idée d’être des femmes légitimes, éligibles.

Lors du briefing de la mission suivante, elles s’élèveront contre le fait de devoir se faire passer pour des « prostituées » pour s’infiltrer dans un bar…. sauf celle aux cheveux courts qui se retrouvera d’ailleurs à l’entrée, en gardien, rôle masculin.

Le sens précis de l’insulte que représente cette couverture n’est pas aisément déchiffrable, mais c’est plutôt au niveau de la problématique que je regarderai les choses. Une prostituée implique sa vie sexuelle dans son travail. Puisque les sœurs Huang relient leur identité de femme avec leur profession, elles impliquent leur vie sexuelle. Cependant, ce ne sont pas des prostituées, au contraire, elles trouveraient une excitation et une satisfaction sexuelle dans le feu de l’action. Elles feraient ça pour le plaisir, pas pour l’argent, si l’on peut dire.

She Shoots Straight: Sous-texte sexuel. (2300 mots)

Alors que de son côté, Mina est bien plus critiquable. Elle donne vraiment l’impression d’avoir abandonnée l’idée d’être satisfaite sexuellement et utilise donc son corps et son charme comme un moyen d’accéder à la promotion. Pourquoi le commissaire est-il si lourd avec elle ? Elle le rejette avec une cuillère de sucre dans les cheveux, on est loin de l’affirmation de son amour profond pour son époux, de la gifle ou de la dénonciation. Il n’est pas certain que le pouvoir qu’elle exerce sur cet homme lui pose problème ou soit involontaire.

Je pense que la dimension métaphorique de personnages archétypaux comme la princesse ou la prostituée n’est pas difficile à percevoir. Le film n’est pas à prendre uniquement au sens littéral.

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J’aimerais maintenant me focaliser sur un passage bien plus amusant : à 15m20, Tsung-Pao s’efforce d’entraîner Mina dans un rapport amoureux. Elle l’humilie, salit l’acte de remarques cyniques et au final lui impose un préservatif. Elle veut être commissaire avant d’être mère. Tsung-Pao lui explique qu’il est le seul fils de sa famille et que sa mère veut absolument être grand-mère. Évidemment, Mina n’est pas là pour satisfaire les désirs de la vieille, mais je pense honnêtement qu’un des non-dits de l’histoire est que Tsung-Pao veut être père. Son propre père a laissé derrière lui une situation tellement catastrophique qu’il n’ose pas s’avouer son désir mais on peut voir qu’être policier ne le transcende pas.

A la fin de la scène, Mina tend un préservatif à Tsung-Pao, c’est la condition à remplir pour que l’acte soit accepté. Elle quitte la pièce et son époux perce alors le préservatif une multitude de fois à l’aide d’une aiguille. Le jeu de l’acteur est clownesque mais cela ne signifie pas que le scénario ne prenne pas en compte la gravité de ce geste. C’est un des aspects contre-intuitif du cinéma en général mais plus encore du cinéma hong-kongais : ce n’est pas parce qu’un élément est développé avec humour et légèreté qu’il n’est pas en fait perçu comme profondément grave par le film.

La scène suivante représente l’exemple parfait que je recherchais et qui me permettrait d’aborder le cinéma hong-kongais à son niveau métaphorique.

Elle nous montre l’évasion d’un criminel. Nous venons de voir un homme désireux de mettre sa femme enceinte percer un préservatif avant de la rejoindre au lit.

Ce criminel qui échappe à sa prison, c’est le spermatozoïde audacieux qui va tenter de mettre Mina enceinte. Son évasion est une métaphore de la fécondation de l’ovule.

Elle commence sur un plan qui nous montre un bâtiment, un grillage barbelé et une étendue d’eau. Le spermatozoïde est retenu, concentré, dans un bâtiment avec de nombreux autres criminels comme lui.

She Shoots Straight: Sous-texte sexuel. (2300 mots)

Il ne faut pas trop se choquer de la disparition de la morale dans les métaphores sexuelles ou les métaphores qui dépeignent les dynamiques plus profondes des individus car justement, ces dynamiques échappent au Surmoi, donc à la morale. Le spermatozoïde veut féconder, l’ovule veut être fécondé, rien d’autre ne compte. Donc le spermatozoïde est un criminel impitoyable parce qu’il n’a qu’un seul but unique auquel il est prêt à tout sacrifier.

Il y a un grillage autour du bâtiment que l’on peut interpréter comme étant le préservatif. Le grillage au premier plan sur la droite représente la réticence de Mina, les obstacles qu’elle dispose pour ne pas tomber enceinte. Le chemin au centre est l’espace qui sépare les deux corps. Ou plutôt, les grillages représenteraient la limite des corps et les barbelés le préservatif et les obstacles.

Le prisonnier s’échappe en se faufilant le long d’un mat fait de tuyaux. La tuyauterie est régulièrement utilisée pour représenter les organes sexuels féminins, cependant, un tuyau est également phallique et dans cet exemple, ce mât se trouve chargé des deux signifiés. Il y a pénétration et le mât est tout autant le sexe masculin pénétrant et le sexe féminin accueillant avec guirlandes et cotillons.

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Yuen Hua, le petit spermatozoïde courageux, se faufile le long du mât. Cette démonstration d’agilité n’est pas anodine, c’est la qualité par laquelle il doit se distinguer pour atteindre son but existentiel.

Arrivé en haut du mât, nous pouvons situer le spermatozoïde dans les trompes de Fallope.

She Shoots Straight: Sous-texte sexuel. (2300 mots)
She Shoots Straight: Sous-texte sexuel. (2300 mots)

Il est alors temps de chercher l’ovule. Le criminel se jette à l’eau et l’on peut voir que la mise-en-scène pointe du doigt cette interprétation abstraite: Yuen Hua plonge et une femme sans identité portant un chapeau rond, l’invite à la rejoindre.

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L’éclairage particulier et l’absence de lien logique font ressortir ce geste de l’action, il est hors de l’espace temps, abstrait, c’est l’ovule qui appelle le spermatozoïde.

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Mais cette femme ôte son chapeau et devient la sœur de Yuen Hua. Le spermatozoïde ne peut pas féconder l’ovule de sa sœur. Alors apparaît un second détenu, dont l’évasion n’a été ni annoncée ni suivie, cet homme qui peut donc coucher avec la sœur de Yuen Hua, c’est l’homme civilisé qui instaure le tabou de l’inceste et autres interdits sexuels sur lesquels se construisent la société.

Cette conclusion problématise la fécondation de Mina. En mettant sa femme enceinte, Tsung-Pao enseigne à Chia-Ling, sa sœur, le taboo de l’inceste.

Mina est une métisse, je ne sais pas quelle nationalité elle partage avec la nationalité Chinoise mais il est en fait question de sang ici. Mina est extérieure à la famille et à cause de la mort du père, les Huang se sont repliés sur eux-mêmes au point que Chia-Ling pense pouvoir légitimement porter les enfants de son frère. J’ai esquivé le sujet de l’inceste plus haut mais il est bien question d’une telle dynamique finalement. Inutile de s’imaginer que Chia-Ling désire consciemment coucher avec son frère ou que cela pourrait arriver, il s’agit plutôt d’un problème de structuration psychologique. Chia-Ling s’est construite en fonction de son frère, elle veut un homme comme lui et elle se retrouve en rivalité avec son épouse.

Le dédoublement de Yuen Hua lorsqu’il reconnaît sa sœur, c’est la découverte de Chia-Ling que Tsung-Pao ne sera jamais son amant. Tsung-Pao ne peut pas être le même type d’homme pour elle qu’il le peut avec les autres femmes.

La soeur révèle son identité, un deuxième prisonnier apparaît immédiatement. La soeur révèle son identité, un deuxième prisonnier apparaît immédiatement.
La soeur révèle son identité, un deuxième prisonnier apparaît immédiatement. La soeur révèle son identité, un deuxième prisonnier apparaît immédiatement.

La soeur révèle son identité, un deuxième prisonnier apparaît immédiatement.

Chia-Ling reçoit un choc et aurait besoin de temps pour comprendre quel genre d’homme serait l’équivalant de son frère, sans les aspects qui découlent de la dimension filiale de leur relation. Aucun homme n’aura la bienveillance désintéressée d’un frère pour elle. Tout homme paraîtrait plus égoïste et plus superficiel puisqu’il cherche une femme qui lui convienne.

D’ailleurs, cette perception outrée des hommes apparaît dans la scène suivante dans laquelle un des clients de la boîte de nuit explique que les femmes les plus « aimables » (Je pense qu’il est ici question d’attirance sexuelle) sont celles qui sont belles et stupides et les plus ennuyeuses (les moins attirantes), les plus moches et intelligentes. Il est lui même très antipathique, peu séduisant et se permet des attouchements obscènes.

She Shoots Straight: Sous-texte sexuel. (2300 mots)

Je pense que c’est une bonne représentation de ce qu’une fille habituée à son frère peut avoir des hommes en général ; avoir le sentiment qu’ils aimeraient qu’elles soient le plus belle possible et la plus sotte, la plus facile à impressionner.

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L’objectif de cet article était la description de l’évasion du spermatozoïde que je voulais utiliser comme argument pour souligner que le cinéma hong-kongais a une profondeur d'écriture. Cette description est maintenant faîte.

La métaphore du film ne s’arrête évidemment pas à ces premières scènes, je vais continuer mon analyse pour le plaisir.

 

Suite et fin de l'article.