Fall: Naissance d'une tueuse en série. (1800 mots)

La récente évolution de ma perception de ce qu’il est acceptable de remettre en question dans un film m’a donné envie de trouver une illustration de ce mouvement dans ma pensée analytique.

J’ai déjà parlé de la franchise Die Hard, d’Esther, qui m’a poussé dans cette évolution justement, de Destination Finale et de Adrift. Je cherchais cependant un film plus cloisonné, un film dont le sens repose plus clairement sur cette nouvelle perception sans qu’il ait participé à cette évolution de mon point de vue.

Je l’ai trouvé en Fall.

Fall nous raconte l’histoire de deux jeunes femmes qui vont se retrouver coincées au sommet d’une antenne de transmission de 600 mètres au milieu d’un désert, pendant environ 48 heures. L’une des deux ne s’en sortira pas vivante.

Nous sommes donc face à une histoire de survie, comme pour le film 127 heures. Ce genre de film trouve toujours un moyen de transformer un drame en leçon de vie et se donne la peine d’amplement développer l’histoire personnelle des personnages. Je dis ça positivement, j’ai vu cet aspect de Fall critiqué mais sans lui, le film serait bien moins intéressant.

Becky est mariée à Dan. Dan la trompe avec sa meilleure amie Shiloh Hunter. Ils font une excursion d’escalade à trois.

Dan meurt dans un accident horrible. Un an après, Hunter pousse Becky à escalader une tour de 600 mètres au milieu du désert, pour se faire peur, pour se donner la force de passer à autre chose, pour reprendre le goût à la vie, pour la faire passer si près de la mort qu’elle se donne la force d’accepter celle de Dan et de ne pas partir avec lui.

C’est beau, c’est émouvant, on veut y croire, j’aimerais y croire, mais hélas, je n’y crois pas.

Lorsque le générique de fin apparaît à l’écran, nous sommes censés accepter que le mari de Becky est mort d’un accident d’escalade et qu’un an plus tard, sa meilleure amie, avec qui il la trompait, est, elle aussi, morte d’un accident d’escalade… également en compagnie de Becky. Accident qui aurait lieu la première fois que Hunter et Becky refont une sortie ensemble.

Cette simple suite de drames juxtaposés est suspecte.

S’ajoute à cela le fait que Dan trompait Becky avec Shiloh. Un mobile.

Mobile auquel s’ajoute la promesse de Becky à son père à la fin « Je vais aller mieux » avant qu’elle regarde le corps de Shiloh qu’on emmène sur un civière. La mort de sa meilleure amie ne devrait-elle pas l’empêcher de dire une telle chose ? Elle n’a même pas l’air triste ou d’avoir du mal à s’imaginer un avenir sans son amie. Elle ne prononce aucune phrase du type « D’abord Dan, maintenant Hunter. C’est trop dur ! »

Ce n’est même plus suspect à ce niveau, Becky va mieux parce que les deux personnes qui lui ont fait du mal sont maintenant mortes.

Le dernier élément qui suggère la possibilité du double meurtre, c’est le lien que Becky entretient avec son père. Dan est très proche de « Dad. »

Je ne me souviens plus des détails mais il est aisé de voir que Becky a grandi sans mère et que son lien avec son père peut aisément entrer en conflit avec sa relation amoureuse. Elle s’est jetée à l’eau en se mariant avec Dan. Elle a peut-être le sentiment d’avoir trahi ou abandonné son père. De l’avoir quitté comme s’il était son amant. Il y a clairement quelque chose de difficile pour elle.

Son mari se doit d’être à la hauteur. Dan la trompe et lui démontre qu’il ne l’était pas.

Becky est donc annihilée et honteuse et ne peut retourner vers son père qu’une fois l’affront lavé.

Ce qui fait de Fall un film comparable à Esther du point de vue de l’espace qu’il donne à l’interprétation, c’est que tout est donc potentiellement faux. Comme dans Titanic, sauf que dans l’histoire du bateau qui coule, la narration est explicitement introduite. Ici, ce n’est pas la voix off qui nous dit qu’il faut tout prendre avec des gants, c’est le simple fait qu’il ne reste que Becky à la fin de l’histoire, ou qu’elle est seule témoin de certaines actions.

L’accident de Dan n’est qu’une version de ce qu’il s’est passé que personne ne peut confirmer. Hunter est bien trop loin pour observer l’accident en détail. D’ailleurs toute son attention est focalisée sur la nécessité de se rapprocher pour porter secours.

Becky a parfaitement pu tirer sur la corde pour entraîner son mari en arrière. Il lui demande de lui donner du mou, elle détache la corde qui le retient, il tombe de quelques mètres et l’attache cède.

Cette description épouse la possibilité que c’est Becky qui a simplement fait tomber Dan, qu’il n’a pas imaginé une seule seconde qu’elle aurait pu le faire volontairement et que parce que Hunter venait rapidement à la rescousse, Becky a sectionné sa corde voire détaché la prise de la roche pour que Dan tombe dans le vide.

Bien sûr, certaines initiatives aurait nécessairement fait crier à Dan, « Mais qu’est-ce que tu fais !?! », cependant, le déroulement du drame nous le montre tentant de se balancer pour atteindre la roche. Becky pouvait aisément arracher la prise alors qu’il ne regardait pas.

Fall est donc, selon moi, un exemple de film dans lequel ce que l’on voit à l’écran est toujours à interpréter, sans qu’il y ait pour autant d’indicateur direct constant de la fausseté des événements que l’on observe ou de vérité finale accessible vérifiable. Il est simplement indéniable que c’est Becky qui est au contrôle de la narration.

Il y a quelque chose de sadique dans la construction de cette histoire car si l’on assiste à une vengeance, si Becky a assassiné Dan et Shiloh, sa reconstruction des événements ne servira pas uniquement à l’innocenter mais aussi a réécrire ce qu’il s’est passé pour soigner son égo blessé. Au travers de l’histoire qu’elle construire, elle va se renarcissiser. Et il est facile de voir pourquoi une personne comme Becky pourrait se retrouver entraîner dans ce type de dynamique de correction des événements, d’incapacité à accepter ce qu’elle vie, car son père la met sur un piédestal. Il l’a surestime ou plutôt, lui donne trop d’importance. Elle ne se sent pas digne de cet amour ou de cette admiration, de ce soutien inconditionnel. Elle a besoin d’échouer dans son coin sans avoir à se sentir responsable de la peine et du sentiment d’échec que son père éprouvera.

Shiloh n’a probablement raconté la réalité de l’accident de Dan à personne. Selon elle, ils n’avaient pas uniquement couché ensemble, ils étaient restés ensemble pendant 4 mois avant le mariage de Dan avec Becky. Shiloh aurait mis fin à leur relation avant le mariage, parce que Becky lui a demandé d’être sa dame d’honneur.

Cette version n’a pas besoin d’être fausse, mais il n’y a pas de raison de la croire non plus.

La vérité peut aussi bien être que Dan a continué à tromper Becky avec Shiloh après leur mariage et même que Shiloh était tombée enceinte de lui. Dan s’apprêtait peut-être même à quitter Becky qui sait ?

L’idée de la grossesse de Shiloh me vient de la fin sinistre que lui réserve Becky : un smartphone inséré dans une chaussure inséré dans l’estomac.

Le rebondissement qui m’a le plus spontanément fait douter de la version des événements qui nous est donnée, c’est le vol de la voiture des deux jeunes femmes. Elles parviennent à attirer l’attention de deux hommes en camping-car, ils trouvent leur voiture… et la vole.

Des gens qui profitent sans scrupule du malheur des autres ce n’est pas rare. Mais la manière dont l’incident se déroule ne le rend pas crédible et surtout, il dessert l’intrigue. Il eut été bien plus simple de faire que Becky et Shiloh s’arrangent pour garer leur véhicule à un endroit où il n’est pas visible. La raison serait toute trouvée, ce qu’elles font est illégal, elle ne veulent pas attirer l’attention sur elles.

Le fait que deux inconnus lambda soient prêts à profiter de leur situation pour leur voler leur véhicule est trop difficile à avaler. Ils ne font pas que leur voler leur voiture, ils les abandonnent à leur mort. D’ailleurs… Becky parle-t-elle d’eux à la fin du film ? Est-il question de les retrouver et de leur faire payer leur crime ? On est censé croire que Shiloh est morte à cause d’eux. Où est la colère de Becky ? Son désir de justice ?

Les choses ne se sont pas passées comme elle le prétend. Le plan de Becky était de les coincer en haut de la tour. Elle savait que leur véhicule risquait de les faire repérer et d’entraîner leur sauvetage. Les deux hommes qui viennent le voler, le fond à sa requête préalable... ou ils n’existent pas, le camping car non plus, et c’est une autre personne qui est venue chercher le 4x4. La description donnée par Becky servirait à s’assurer que personne ne retrouve jamais le voleur de voiture.

C’est elle qui dévisse l’échelle évidemment.

Elle filme la dernière vidéo de Shiloh qui explique pourquoi elle est devenue « youtubeuse » à la base. Faire passer le message qu’il faut profiter de chaque instant de sa vie. Une vidéo qui fera accepter aux gens sa mort puisqu’elle-même semble l’avoir accepté.

Parmi les éléments troubles, il y a la chute mortelle étrange de Shiloh qui est dissimulée par sa fausse survie.

Je m’explique.

Shiloh tombe et s’écrase miraculeusement sur une antenne qui retient son corps. Si le film nous demandait directement d’accepter ce déroulement, il donnerait probablement le coup de grâce à notre suspension d’incrédulité. Mais à la place, il nous fait gober que Shiloh survit miraculeusement, ce que nous acceptons plus simplement parce que nous sommes toujours plus prêt à accepter des bêtises si cela permet aux personnages de survivre.

L’aveu de la mort de Shiloh est un retour à plus de réalisme et nous acceptons donc que son corps ait été retenu par l’antenne car nous prenons cet élément comme un désir de mettre en scène la révélation d’une manière sympathique.

Mais au final, si l’on démêle un peu tout ça, nous sommes censés croire que Shiloh Hunter est parvenue à faire une chute du haut de cette tour sans tomber jusqu’au sol et à mourir d’hémorragie.

Becky ne pouvait pas tuer Shiloh d’une chute dès sa première sortie après la mort de son mari, d’une chute.

Elle a poignardé son amie dans le ventre et a escaladé le temps de la laisser se vider de son sang.

L’histoire du drone que personne ne remarque était une manière d’éloigner l’arme du crime (un couteau).

La technique qui permet de recharger le smartphone sur une lampe et le drone en haut de la tour, cette astuce, ce n’est probablement pas Shiloh qui l’apprend à Becky. Becky l’a apprise (une petite recherche internet), demande à la serveuse du dîner si elle peut recharger son téléphone, elle crée ainsi un témoin du fait que son téléphone allait être déchargé et qu’elle ne savait pas comment le recharger sans une prise conventionnelle… mais au final, elle n’est pas montée en haut de cette tour sans s’assurer qu’elle pourrait maintenir un smartphone chargé.