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Piranha 3d (1900 mots)

Publié le par Kevinion

Piranha 3d (1900 mots)

Piranha 3d: tout en profondeur

Il n’est pas rare que dans les films d’horreurs le « monstre » qui menace les personnages soit l’incarnation d’autre chose, un trait de caractère, la société ou une émotion. Un exemple assez pur est celui de King Kong (celui de 1933) qui n’est qu’un véhicule pour montrer les êtres humains dans une position d’impuissance face à la force de la nature. Cooper et Shoedsack avaient été les témoins de l’attaque d’un village (africain il me semble) par un troupeau d’éléphant et avaient voulu inspirer au public les mêmes émotions que celles qu’ils avaient ressenti. Dans Cowboys Vs Aliens, l’obsession des extra-terrestres pour l’or, la manière dont ils interrompent l’histoire du western (et donc de l’Amérique) et plusieurs autres détails les rapprochent d’actionnaires ou d’adhérents à l’idéologie capitaliste néo-libérale. Cette méthode allégorique de représentation est présente dans Piranha.

Une fois cela dit, il n’est pas difficile de trouver ce que les poissons dentelés représentent. La déclaration de Christopher Loyd à 44min04 donne un indice. Il explique comment les piranhas préhistoriques ont pu survivre dans un lac sous-marin clos pendant plusieurs millions d’années. « Par cannibalisme ! Ils se sont probablement battus entre eux pour survivre ! » Des piranhas cannibales sont des piranhas qui mangent des piranhas. Si l’on suit cette logique, elle nous amène à une lecture intéressante du film : les jeunes du « spring break » sont des piranhas.

Cette allégorie permet de montrer indirectement la violence qui se cache derrière la bonne humeur, la légèreté et le pseudo épanouissement sexuel présents à la fête. La plupart des participants sont atteints d’une fascination morbide pour la chair qui est assez logique puisque tel qu’il est représenté, le « spring break » n’est qu’une célébration du corps capitaliste. Le corps vendu par les magazines. Le corps qui respecte tous les critères de beautés du moment. C’est parce que la fascination pour ce corps est extrême et qu’elle ne considère pas la vie intérieur de celui qui l’habite qu’elle est nocive. L’allégorie avec les piranhas se justifie ainsi. La fascination ambiante pour la chair et le corps détruit la vie intérieure des jeunes gens présents à la fête.

Les personnages sont développés dans cette optique. On voit dès le début du film en quoi l’attirance sexuelle peut être dégradante quand un jeune fait du rentre-dedans au shériff qui est en train de lui coller une amende. Il ne prend pas en considération ce qu’elle est et ne la regarde que comme un objet sexuel, voir, il pense qu’elle devrait s’estimer heureuse qu’il la regarde comme ça et se montrer plus conciliante.

Les deux héros sont Kelly et Jake, deux jeunes gens qui veulent tous les deux être de la fête sans pour autant être des « piranhas. » Evidemment ils ont des sentiments non-déclarés l’un pour l’autre, ce qui les désigne comme un peu plus profond que les autres personnages et fait ressentir la violence qu’il y a à regarder Kelly comme un simple corps ou à voir Jake se transformer en obsédé sexuel. C’est cette transformation qui les menace sur le bateau de Dick le réalisateur de film porno. Kelly monte à bord parce qu’elle comprend que des arguments sexuels ont mieux fonctionnés que son simple enthousiasme envers lui pour attirer Jake au « spring break ». Elle s’adonnera également au jeu d’alcool plus tard dans le film parce qu’elle se sent rejeté par lui et pense que c’est parce qu’elle ne se conduit pas d’une manière aussi provocante que les autres filles du bateau. Jake de son côté découvrira qu’il peut être attiré par une fille superficiellement mais qu’il ne veut pas considérer de cette manière une fille pour qui il a des sentiments. Les différentes scènes sur le bateau marquent leur évolution. Jake ne plonge pas avec les filles nues mais n’hésite pas à plonger quand il s’inquiète pour Kelly. Il regarde nager les deux actrices pornos nues au travers d’une vitre au fond du bateau. Vitre par laquelle rentreront les piranhas qui menaceront de dévorer Kelly à la fin du film. Quand ils font le jeu d’alcool et sont prêts à s’embrasser « pour le fun » la jeune fille vomit. Jake s’élèvera finalement contre la fascination de Derrick quand celui-ci montrera plus d’intérêt pour les seins d’une fille qui fait du parachute ascensionnel que pour les deux enfants bloqués sur l’île.

L’intrigue du bateau se termine avec la confrontation avec les piranhas. Les deux actrices pornos sont dévorées. Dès le début, elles étaient désignées d’office comme de la chair à piranha. Un des poissons carnivores sort de la bouche de celle qui a embrassé Kelly et l’avait ainsi amené plus prêt de la négation totale de ses ressentis. La seconde tombe de la corde à laquelle ils sont tous sensés s’accrocher pour atteindre le bateau qui leur porte secours. Avant d’entamer la traversée, elle compare l’exercice à une danse à la barre. Une danse où les femmes exposent leur corps de manière à exciter les hommes. Une activité où justement, la vie intérieure, l’aspect spirituel de la personne est totalement nié. La mort de ces deux personnages est donc reliée à leur rapport à leur corps. Le réalisateur porno se fait dévorer la bite, le symbôle est assez clair. Alexandre Aja a déclaré que c’était ce personnage le véritable piranha du film.

L’histoire des deux héros met donc en avant les mécanismes qui menacent les jeunes hommes et femmes qui s’égarent dans un environnement aussi superficiel. Mais si Kelly et Jake trouvent un moyen de s’extirper du piège psychologique qui se referme sur eux, les autres jeunes gens se prennent la violence du « Spring break » de plein fouet. On peut noter que la première victime du film est un vieux pêcheur. Évidemment, la vieillesse est la première cible d’un monde où seul le physique et la disponibilité sexuelle comptent. L’endroit où la fête se déroule devient le théâtre d’un massacre ahurissant. Les piranhas/gens dévorant les gens/piranhas est donc l’allégorie de cette célébration fascinée des corps. La scène flottante où les jeunes femmes sont amenées à exposer leurs seins devient un magnifique garde-manger qui se déverse directement dans la bouche des piranhas. Un cable de cette scène lâche et vient ôter le haut du bikini d’une pom-pom girl… en la coupant en deux. D’ailleurs l’actrice qui joue cette pom-pom girl est une actrice porno renommée. Il y en plusieurs dans le film, ce qui souligne encore l’aspect purement en surface des personnages. Ils ne sont que des images. Ils sont en deux dimensions. Oui, c’est drôle pour un film en 3D.

Au début du film, un jeune DJ arrogant, Tod, interrompt la conversation de Kelly et Jake d’un agressif « viens et monte ! On est en retard ». Il vient de surgir en 4x4. Il est sensé avoir des places pour voir un groupe en coulisse. C’est pour cela que Kelly le suit, elle invite Jake qui décline, les garçons du 4x4 le traitent avec mépris ouvertement. Il s’avérera plus tard que ces places pour les coulisses n’étaient qu’un mensonge pour convaincre Kelly de venir. On voit que l’arrogance du jeune homme lui enlève ses scrupules. C’est le stéréotype du mec populaire qui obtient toutes les filles qu’il veut. Pendant l’attaque des piranhas, on le retrouvera à bord d’un petit bateau à moteur. Il traverse de nouveau une foule de gens pour aller « pêcher » une fille mais cette fois, c’est pour lui sauver la vie. Pour l’atteindre, il percute et découpe (avec l’hélice du bateau) un grand nombre de personnes qui se débattent déjà pour échapper aux piranhas. Si on met les deux scènes en parallèle, on y voit un commentaire sur une hiérarchisation à l’intérieur du groupe. Tod est évidemment un beau gosse musclé, mais en plus il est DJ et il a un 4x4. S’il est populaire c’est parce qu’il est l’incarnation des valeurs adulées par le groupe. Cette position lui donne accès à tout ce qu’une position supérieure peut offrir: respect, confiance (en lui-même), admiration, amis, contact sociaux… Une position supérieure hiérarchiquement dans un groupe donné est toujours désirable. Être apprécié par une personne qui représente les valeurs du groupe, c’est voir ces valeurs rejaillir sur soi. Bref, Tod traverse la foule, choisit Kelly et humilie Jake (qui porte un T-shirt en décalage par rapport aux goûts du DJ). La violence du groupe est soulignée dans la scène où il va rechercher la jeune fille dans l’eau. Les jeunes du « spring break » se dévorent tous du regard, il choisit d’élever une personne proche de son statut et rejette les autres. Le groupe se voit comme une élite, et ses membres se conduisent en élitistes.

On peut ici parler du film « Die Welle » qui raconte comment un prof d’histoire va transformer sa classe en groupuscule fasciste. On y voit l’attrait et l’impact que peut avoir l’appartenance à un groupe qui se positionne comme « supérieur » aux autres. Des mécanismes approchants sont montrés chez les jeunes du « Spring Break ». Au début du film, une femme échange quelques mots avec une fillette :

La femme - Joli trombone (le vêtement)

La fillette - Jolis nichons

On voit ici les seins être mis au même niveau qu’un vêtement, comme si la femme les portait et qu’ils n’étaient pas une part d’elle-même. Tout comme les vêtements, le corps peut-être un signe d’appartenance à un groupe. Mais si son corps n’est qu’une possession, il peut aussi appartenir à quelqu’un d’autre. C’est dans cette direction que va le film. La mécanique du groupe force l’exposition du corps, il appartient au groupe.

Piranha est au final un film assez étrange. Il ne dure que 1h20 et c’est très regrettable car son propos aurait pu devenir largement plus profond avec quelques scènes supplémentaires pour détailler un peu mieux les mécanismes. Son style est très « série B » année 80, ce qui empêche un peu de le prendre au sérieux alors que d’autres aspects l’approche d’un film intello comme « La Piel que Habito ». Le discours sur la chair et le sacrifice de la vie intérieure est précis, subtil et ne semble pas surajouté. Il n’empiète pas sur l’ambiance légère et potache du film. Pourtant, il est difficile de ne pas prendre l’œuvre au sérieux au final. Ce discours sur la chair est très présent dans l’art à notre époque et également dans les ouvrages qui traitent du rôle qu’on donne aux femmes dans notre société. La scène de carnage est tellement violente qu’on ne peut s’empêcher de sortir de l’ambiance « film gore rigolo » par moment. La fréquente apparition de squelettes inspire un sentiment de sérieux et rend le film comparable à une vanité. Par instant, la violence de la destruction des corps parvient à faire stopper le regard fasciné que le film donne à son public. L’illusion gigantesque de « paradis sur terre », de « perfection » que renvoie la fête au début du film n’est pas détruite, elle est balayée. Quand on voit tous ces jeunes gens se faire dévorer, on ne pleure pas leur corps endommagé, on a peur pour leur vie et on imagine leur choc. La fête du début n’appartient pas au passé, le voile a été levé, elle n’a jamais existé de la manière dont elle était montrée.

Bizarrement et malgré les revendications affichées du film de n’être qu’une grosse blague sans trop d’ambition, il s’avère sérieux, subtil et sa violence justifiée. Le discours sur l’invasion de la pornographie et la soumission du corps aux valeurs capitalistes n’est pas simpliste ni bête, piranha 3d ne peut pas être considéré aussi légèrement qu’il le veut.