30 Indices d'un sous-texte.
A force de lire et d’interpréter des films, j’ai évidemment fini par remarquer que les auteurs utilisaient régulièrement les mêmes signes pour véhiculer le même sens. Cela peut paraître évident mais ça ne l’est pas. Il n’y a aucune règle immuable dans la manière dont on décide de véhiculer du sens. Chaque film peut décider de dire les choses différemment, de réinventer son langage et il faut être prêt à décoder quelque chose de nouveau à chaque nouvelle œuvre. D’ailleurs, c’est un des plaisirs de l’interprétation.
1-Les Robots.
A la seconde où vous voyez un robot humanoïde/pensant dans un film, vous devez immédiatement vous demander en quoi il trahit le personnage principal. Le robot c’est le faux ami, le traitre parfait. Il peut être dévoué, sacrificiel, gentil, drôle, sensible, compréhensif, il peut absolument tout être et cela de la manière la plus crédible qui soit, et se révéler au final être un traitre depuis le départ. Le robot est un objet, un programme programmable à souhait, un esclave parfait et rien ne changera jamais cela.
Le fait que R2D2 se réveille subitement à la mort de Han Solo vous dit énormément de choses sur ce qu’il se passe secrètement dans la nouvelle trilogie.
Et K-2SO dans Rogue One ? Un traitre également. Son arc narratif “j’apprends à aimer Jyn Erso » est exactement le type de manipulation qu’un personnage robot permet : Un arc narratif qui est une entière illusion.
Il peut également y avoir le revirement intégral. Un robot peut être dans un camp puis passer dans un autre camp par simple reprogrammation. Par conséquent, la moindre absence/réapparition mystérieuse de l’intrigue peut contenir un retournement absolu de veste sans que le spectateur en soit averti.
Un robot peut en toute logique passer absolument tout le film à défendre nos héros, leur sauver vingt-cinq fois la vie et soudainement aller appuyer sur le bouton d’autodestruction du vaisseau, les tuant tous dans l’opération sans le moindre émoi, uniquement parce qu’il a été programmé pour le faire au début de l’histoire.
Il ne faut jamais oublier que le robot est toujours l’outil d’un humain. Il est l’extension d’une volonté extérieure à lui-même et il faut donc toujours se demander : de qui ce robot est-il l’extension ? On peut voir Ex Machina par exemple, ou le récent Detroit Become Human, ou encore Age of Ultron dans lequel le vilain robot philosophe sur son libre arbitre pompeusement du début à la fin de manière amusante et sans que cela prouve une seule seconde qu'il n'est pas platement commandé par Tony Stark. (Il l'est et pour le coup je suis moi même tombé dans le panneau). Et Jaarvis d'ailleurs ? Le bon Jarvis ? Libre ou pantin de Tony Stark ?
Il y a également un aspect sexuel aux robots que j’ai plus de mal à comprendre. Justement dans Ex-Machina mais également dans Terminator, Ghost in the Shell ou Imitation Game, la machine semble régulièrement incarner l’état de dégradation maximale de la pulsion sexuelle.
On rejoint ici le paragraphe numéro 7 sur la temporalité et le désir. Les robots n’ont pas de désirs propres. Leurs désirs sont l’extension de ceux d’une autre personne.
2-Les Cheveux des femmes.
Dans nos cultures, les longs cheveux sont fortement associés à la féminité et les cheveux courts à la masculinité. Avec évidemment, un certain degré de flexibilité.
Cependant dans les films, j’ai très très rarement vu une femme aux cheveux courts qui ne soit pas une lesbienne ou sous l’influence d’un homme homo.
Cliffhanger : Le film a un sous-texte homosexuel et hop, Jessie a les cheveux courts, elle cherche à plaire à Gabe qui est attiré par son pote.
Ghost : Molly non seulement a les cheveux courts mais ressemble même à un garçon, et il y a un sous-texte homosexuel entre Sam et Carl.
The Bourne Identity : Sous-texte homo, Jason Bourne n’est attiré par Marie Kreutz qu’à partir du moment où elle se coupe les cheveux et ressemble à un garçon.
Fatal Attraction : Sous-texte homo, la fille de Dan Gallagher a les cheveux courts pour plaire à son papa.
Dans chacun de ces exemples, je n’ai pas déduis des cheveux courts qu’il y avait un sous-texte homosexuel, j’ai réalisé qu’il y en avait un et j’ai ensuite noté « encore des cheveux courts. »
Au-delà de ça, le fait d’avoir les cheveux attachés ou détachés est extrêmement souvent utilisé pour signifier la disposition sexuelle des personnages féminins. Cheveux attachées, la femme est fermée ou « coincée », cheveux détachés, elle est ouverte ou elle vient de faire l’amour.
Dans Crawl, lorsqu'Haley s'attache le cheveux avant de descendre chercher son père dans la cave, cela souligne qu'il n'y a pas de relation incestueuse entre elle et lui ce qui a parfaitement sa place dans une histoire de crocodile mangeur d'homme. le crocodile pourrait facilement être la métaphore de l'impact d'un père incestueux sur sa fille. Sauf que surprise, non, ce n'est pas de cela qu'il est question ici.
Évidemment, ça n’est absolument pas valable dans tous les films. Mais si vous notez qu’un personnage féminin commence avec les cheveux attachés et termine avec les cheveux détachés, il est bon de se poser la question.
Cas extrême: Mad Max 4, dans lequel Furiosa a le crâne rasé = rejet absolu de sa féminité.
3-La Robe et la robe rouge.
Le port de la robe est régulièrement utilisé par les personnages féminins pour crier leur féminité. Par exemple dans Wonder Woman ou dans Spy. C’est-à-dire que la scène représente l’affirmation de la féminité du personnage. Diana Prince tout comme Susan Cooper galèrent à être perçues comme féminines et la scène de la robe est une tentative comme une autre de crier "Hey ! Regarde-moi ! je suis une femme merde !"
Par extension et plus fréquemment, c’est la robe rouge qui indique le désir sexuel que l’on croise (Jackie). La robe rouge est un outil quasiment systématique, je n’ai jamais vu un film dans lequel un personnage féminin en portait une sans que cela ne soit justement au moment où elle veut signifier un désir sexuel fort.
4-L’Eau, le lac, la mer, la rivière, l’humidité.
Aussi radicale qu’une telle affirmation puisse paraître, l’eau est dans 70% de ses apparitions, reliées aux femmes. Que cela soit le liquide amniotique de l’utérus dans lequel un personnage voudrait retourner ou l’excitation sexuelle féminine, il n’y a pas vraiment beaucoup de cas où l’eau n’est que de l’eau.
Aussi, si votre héroïne se retrouve pour une raison ou pour une autre trempée jusqu’aux os (« wet ») c’est certainement qu’elle est également terriblement excitée sexuellement.
Dans L’Ornithologue, le personnage principal commence le film dans une rivière utérus maternel.
Dans Batman V Superman, le bain de Loïs représente son intense excitation sexuelle suite à son passage près de la mort et à son sauvetage par superman.
Dans Libre et Assoupi, Sébastien a un problème d’ordre incestuel avec sa mère et s’y confronte métaphoriquement à la fin du film en plongeant dans la mer.
Dans Man of Steel, le bus coule parce que les filles mouillent devant Clark Kent.
Néanmoins, l’usage de la pluie signifie plus souvent l’absence d’espoir que quelque chose en lien avec la féminité.
L’eau peut également signifier le baptême, donc le retour au sacré, ce qui est souvent synonyme d’espace utérin de toute façon. Mais aussi, l’absolution, se laver des péchés.
Ou, je le rappelle, n’importe quoi d’autre si cela fonctionne.
5-Eviter la mort de justesse.
Peut-être pas dans les films d’action, mais dans la plupart des films qui s’ancrent dans un univers un poil réaliste, passer près de la mort déclenche un désir de faire l’amour chez le personnage, une explosion de la libido.
Comme je le disais, Loïs dans BvS est sauvée par Superman et a terriblement envie de sexe dans la scène suivante.
D’une manière bien plus intéressante, dans Brokeback Mountain, Ennis passe près de la mort (Attaque d’un ours) avant de se jeter sur Jack la nuit d’après. Cela représente un élément très suspect puisqu’en quelque sorte, il aurait donc aussi bien pu se jeter sur un mouton s’il avait été seul.
Dans Stand and Deliver, lorsque Jaime Escalante regarde la mort en face pendant une bonne minute (crise cardiaque) et se réveille à l’hôpital, le film suggère dans les attentes des autres personnages que Jaime devrait se jeter sur la première femme venue, or que fait-il ? Il retourne au lycée parce que sa pulsion sexuelle est dirigée vers ses élèves.
6-Le Soleil.
Pas grand-chose à dire ici, juste que le soleil est au père, ce que la mer est à la mère. Dans Call Me By Your Name, l’omniprésence de source, de baignade, de rivière, de mer et d’un soleil qui tape, représente l’écrasement d’Elio par la relation qu’il a avec ses parents.
Mars peut aussi être utilisé comme cœur de la masculinité (Ghost of Mars, The Martian)
7-Montre, temporalité, sexualité, naissance en tant qu’individu.
Le sexe est le désir autour duquel un individu se construit. Ce qui nous donne un « je » une individualité, ce sont nos désirs qui prennent tous racine dans le désir sexuel.
La naissance en tant qu’individu se fait donc en parallèle avec la naissance de la libido, c’est pourquoi, la libido est souvent représentée par la temporalité. Un personnage asexué est « Hors du temps » et n’est d’ailleurs pas un individu. On en revient au robot. Les films qui racontent l’entrée dans la sexualité, racontent également l’entrée dans la temporalité.
Régulièrement, la libido masculine sera représentée par une montre. Wonder Woman, The Last of Us, Call Me By Your Name, Heavy Rain.
Aussi, les jeux de voyage dans le temps sont généralement expliqués par un trouble liée à une sexualité non-conforme. Back to the future = homosexualité/Inceste. Terminator = Inceste. Source Code = Asexualité. Groundhog Day = Frustration sexuelle gigantesque. Philadelphia Experiment = Homosexualité. Wonder Woman = île des Amazones intemporalité/asexualité. Captain America = Homosexualité. The Flashpoint Paradox : L'Univers parallèle obtenu par voyage dans le temps est un univers dans lequel The Flash est homosexuel.
8-Première scène.
La première et la dernière scène d’un film ont cela de particulier qu’elles ne sont pas la première et la dernière scène de la vie des personnages. Ces scènes représentent donc un artifice narratif particulier.
Très souvent, l’ambiguïté de la première scène d’un film repose sur le sentiment qu’elle donne d’être une habitude alors qu’elle pourrait être une exception, un moment unique.
Par exemple, Call Me By Your Name commence sur Marzia et Elio seuls dans la chambre du jeune homme. Marzia est allongée sur son lit. A cause de la tournure que prennent les choses ensuite, nous la percevons comme un moment anecdotique dans l’amitié de longue date d’Elio et Marzia, alors que Marzia cherchait certainement pour la première fois à conclure avec lui et que cela aurait probablement fonctionné si Oliver n’était pas arrivé. Habitude VS première fois. Insignifiance VS importance. Le piège d’une première scène réside souvent dans le fait que nous ne nous imaginons pas qu’elle est le résultat d’un passé. Nous ne savons pas si elle représente une habitude ou au contraire la transgression d’une habitude qui va déclencher l’histoire.
Au-delà de cela, la première scène d’un film vous dit généralement tout sur le sous-texte. Si un film me laisse totalement perplexe, en général je reregarde sa première scène pour voir sa dynamique et je tente de comprendre comment le film pourrait fonctionner de la même manière.
Par exemple, la version cinéma d’Avatar a été paradoxalement privée de sa première scène, celle du bar sur terre. On y voit Jake Sully prendre la défense d’une fille que son mec vient de frapper. Sauf que la jeune femme reste du côté de son copain une fois que Jake s’est jeté sur lui. Elle était d’accord avec la gifle qu’elle s’est prise, elle s’estimait fautive (peut-être avait-elle simplement trompé son copain et se sentait coupable). Jake est en chaise roulante et se jette donc sur un costaud pour défendre une femme parfaitement capable de se défendre toute seule. Puis il se fait jeter du bar.
Le sens de ce passage introductif c’est que Jake se mêle de combats qui ne le regardent pas, pour défendre des victimes qui n’en sont pas et ne lui ont rien demandé, parce que c’est uniquement dans la violence, l’agression et la riposte de ceux qu’il agresse qu’il peut obtenir qu’on ne le traite pas comme un handicapé. Il veut oublier son handicap. L’histoire avec les Na’Vis suit la même logique. Des victimes pas si impuissantes ou victimes que ça. Un combat impossible. Une riposte qui promet de faire très mal et de lui faire oublier sa fragilité.
9-Les Yeux, miroirs de l’âme.
On pourrait croire que l’utilisation des yeux comme élément descriptif d’un personnage représente un outil limité. Et c’est le cas j’imagine, pourtant, ils reviennent régulièrement, parfois d’une manière classique parfois d’une manière un peu originale.
Call Me By Your Name : Les statues grecques repêchées n’ont pas d’yeux indiquant que la fascination du père d’Elio et d’Oliver pour le corps masculin est objectifiante. Elle détruit l'intériorité de leurs cibles.
Jurassic World : L’œil de l’Indominous Rex a une particularité par rapport à celui du T-Rex qui indique qu’il est une aberration (je ne sais plus laquelle).
The Mummy : La momie a deux pupilles, mais je n’ai pas vu le film, donc je ne sais pas ce que cela signifie.
Lego Batman : Batman se prend pour un Dieu, ses yeux deviennent blancs et lumineux. Il n’a plus d’intériorité mais n’est que lumière.
Alita, Battle Angel: Les grands yeux du personnage principal marquent sa grande sensibilité (je pense).
Bien sûr, il y aussi les yeux blancs ou teintés de tous les films de zombis. Les yeux de reptile ou de fauve donné à un humain. Le regard caméra de The Revenant, Le Petit Lieutenant ou Call Me By Your Name qui invite le spectateur à s’intéresser à ce qu’il se passe dans la tête du personnage.
Plus subtilement, les expressions et les regards gardent un sens très fort et si la caméra s’attarde sur ceux-ci, ça n’est pas pour rien. Des personnes qui se regardent dans les yeux, un regard fuyant, des yeux qui se baissent ou qui se ferment, sont souvent décidés par le scénario, le réalisateur voire l'acteur pour marquer un aspect important de l'interaction qui contredit peut-être la perception la plus évidente de la scène. "Il est triste." "Il a honte." "Il ment."
10-L’Intérioté blessée.
Régulièrement, un réalisateur trouve un nouveau moyen de nous montrer qu’un personnage endure une souffrance psychologique sérieuse qu’il ne verbalise pas. Ainsi, alors qu’on peut le croire indifférent, il trahira sa douleur intense malgré lui.
Dans Call Me By Your Name, Elio saigne du nez plusieurs fois.
Dans Three Billboards Outside Ebbing, Missouri Bill Willoughby tousse du sang sur le visage de Mildred.
Dans The Shape of Water, l’amphibien crache également du sang dans l’eau sa baignoire et perd ses écailles. Les écailles sont l'armure naturelle de son corps, ce qui le protège pour éviter qu’il ne meure. Ainsi, ce que ce passage signifie c’est que la blessure intérieure de l’amphibien (dépression) lui ôte l’envie de protéger son existence, l’envie de vivre.
Le protagoniste peut évidemment être retrouvé mort lorsqu’il laisse échapper cet indice qu’il était très tourmenté intérieurement.
11-La Mort.
Au même titre que les blessures, la mort d’un personnage elle-même renseigne presque toujours sur ce qui l’a tué au niveau métaphorique ou sur ce qui meurt avec lui.
La mort de Strickland dans The Shape of Water (égorgé) le met au même niveau que l’amphibien : il ne peut plus parler ni respirer « hors de l’eau. » Ainsi, Strickland meurt d’être poussé à se transformer en amphibien.
Dans Commando, Bennet, l’incarnation du désir sexuel homo de John Matrix termine empalé par un tuyau qui laisse ensuite échapper de la vapeur, menant notre héro à lancer une bonne blague « Let off some steam Bennet » = pénétration et éjaculation qui vont soulager John Matrix du désir qui le ronge.
Dans Kill Bill, Bill meurt (ou ne meurt pas justement) le cœur brisé.
Ce cœur maltraité n’est vraiment pas rare dans les films et lorsque notre héro tue le méchant en lui transperçant le cœur, il n’est pas difficile de voir que leur relation était peut-être un peu plus profonde que ce que l’on pouvait croire.
D’une manière générale le sens des morts n’est pas compliqué :
- Cœur transpercé : le personnage meurt d’une déception amoureuse.
- Étouffement, blessure au poumon : on a privé le personnage de la possibilité d’être lui-même.
- Décapitation : le personnage est privé d’un statut qui était tout pour lui.
- Démembrement : Le tueur rejette son attirance pour le corps de la victime.
- Coup de poignard : Le conflit entre le tueur et sa victime est privé ou intime.
- Coup de revolver : Le tueur n’assume pas son désir de tuer l’autre. Il veut rester propre.
- Strangulation : Il y a une dynamique sexuelle forte entre les deux personnages, le meurtre est peut-être même d’ailleurs une conséquence de cette dynamique et pourrait être évité.
- Maladies : Les maladies suggèrent très souvent la souffrance intérieure qui ronge le personnage principal. Cancer du foie : Anxiété et amertume de Bill Willoughby qui ne trouve pas le tueur d’Angela Hayes. Cancer du poumon : La vie de Walter White l’étouffe.
- Accident : Les accidents sont très souvent des suicides ou des meurtres que l’intrigue ne veut pas mettre trop en avant. Dans Nuit Blanche à Seattle, je suis convaincu que le personnage de Tom Hanks a assassiné sa femme. Il n’y aurait pas de film si les choses étaient avérées.
12-Rapport métaphorique au réel.
Et justement, il ne faut jamais oublier le rapport métaphorique au réel que peut avoir n’importe quel élément d’un film. Dans le monde réel une femme peut se détacher les cheveux sans que cela ne signifie qu’elle est prête à se faire prendre avec vigueur… mais dans un film ça sera au contraire très rarement le cas. Si l'on prend le temps de montrer un personnage féminin qui s’occupe de ses cheveux, qu'on veut nous dire quelque chose.
Un film c’est très court et il est parfaitement impossible de mettre au même niveau les indices réels de la vie de tous les jours et ceux qui sont insérés ça et là, pour nous aider à cerner les personnages et les dynamiques en jeu.
Dans Ghost, Carl prend Sam par le bras pour traverser la rue et les deux personnages ont l’air d’un couple pendant un instant. Ce geste pourrait parfaitement être anodin dans la réalité mais dans un film, on suggère aux spectateurs de se poser la question de leur attirance l’un pour l’autre. Et effectivement le sous-texte homosexuel est là.
Les nombreux critiques et youtubeurs passent souvent à côté de cet aspect, surtout lorsque l’on vente les vertus du réalisme sans réfléchir à ce que cela peut bien vouloir dire.
Dans Jurassic World 2 : un chasseur se fait tuer bêtement par l’Indoraptor. Certes la scène n’est pas la plus convaincante qu’on aurait pu trouver, mais il ne faut cependant pas oublier son sens. L’égo de ce chasseur est structuré autour de la perception qu’il a de lui-même comme étant le prédateur ultime. Il collectionne les dents des animaux exceptionnels qu’il parvient à capturer. Le problème c’est que cette fierté repose sur l’idée d’un règne animal. L’Indoraptor, qui est un monstre créé génétiquement, déconstruit totalement son échelle de valeur. Il n’y a aucune fierté à être la créature la plus évoluée du règne animal quand le règne animal lui-même n’a plus aucun sens. Nécessairement il se fera tuer par ce monstre. D’ailleurs il se fait arracher un bras : émasculation, destruction de l’agence. Ainsi, si la scène n’est pas la plus géniale possible, elle garde un sens profond et c’est ce qui est le plus important.
Le besoin de rapidité et de synthèse dans les films a tendance à rendre l’impact des comportements des personnages plus métaphorique que réaliste. Par exemple, la fille adolescente qui a besoin que son papa la reconnaisse comme une femme attirante à part entière. Cela prend une scène, mais dans la réalité c’est bien plus compliqué pour un père de reconnaître que sa fille a l’âge de faire l’amour.
Dans Call Me By Your Name, les nombreux indices qu’Oliver est un pervers narcissique sont néanmoins bien moins nombreux que dans la réalité car chaque nouvelle technique de manipulation est développée en tant que représentante de sa catégorie, cela simplement parce que le film ne peut pas durer 10 heures. Et surtout parce qu’ainsi condensées sur deux heures de temps, ces manipulations apparaîtraient comme grossières et évidentes. Or, un aspect important de l’œuvre est qu’Oliver se doit d’être aussi crédible que l’est un manipulateur narcissique dans la réalité. Le spectateur doit avoir la bonne dose d’indices et en même temps être tout autant exposé à la manipulation. Si Oliver passait son temps à rabaisser Elio, ça ne fonctionnerait pas. Le film est une bonne représentation de la réalité, mais ne peut pas être réaliste.
13- La Danse.
Dans le même ordre d’idée que le paragraphe précédent, la phrase « j’ai envie d’aller danser » est toujours utilisée pour signifier le désir d’une femme de faire des galipettes. Utilisé dans Phantom Thread que j’ai vu récemment. L’épouse de Reynold Woodock est frustrée sexuellement parce qu’il souffre d’un problème sexuel sérieux, et lorsqu’elle décide d’aller danser toute seule, leur couple est au bord de l’effondrement.
14- La Cigarette.
A côté de la robe rouge et de la danse, la cigarette qu’on allume est pratiquement toujours utilisée comme indicateur de l’excitation sexuelle d’un personnage.
Une fois encore dans Call Me By Your Name, la cigarette de la mère d’Elio est là pour signifier que, le père étant homosexuel, la mère est constamment frustrée sexuellement et excitée.
15- L’Information de dernière minute.
L'une des manières de donner de la profondeur à un film est d'amener son histoire à une révélation dans sa troisième partie qui doit nous faire remettre en question la perception qu'on en avait jusqu’à ce moment-là.
Un exemple assez gros est celui du mariage final de Call Me By Your Name. Oliver appelle Elio et le prévient qu’il va se marier, mais surtout, qu’il savait déjà qu’il allait se marier avant de rencontrer le jeune homme. La plupart des spectateurs ont totalement ignoré cet élément en le rangeant dans « il n’a pas le choix, c’est pas de sa fôôôôôte. » En réalité cette nouvelle finale est censée être la goutte d’eau qui fait exploser le vase, pousse le spectateur à se dire « Mouais… c’est quand même glauque là » et à reregarder le film en gardant en tête qu'Oliver est donc toujours conscient qu'il finira inexorablement par jeter Elio. Cette info finale ouvre la porte à la compréhension que l’histoire est inacceptable et qu’Oliver est une ordure qui se fout bien du jeune homme.
Dans le même film, il y a également la révélation finale du père d’Elio qui lui apprend qu’il est homosexuel. Évidemment, la propagande actuelle imposera que l’on se dise que ça ne change rien à rien, mais vraiment ? Elio est élevé par un père homosexuel qui ne le lui a jamais dit et qui prétend même que sa mère n’est, elle-même, pas au courant ? Cela me semble être une situation familiale très spéciale qui nécessiterait qu’on se demande l’influence qu’elle a pu avoir sur Elio.
Un autre magnifique exemple est B.B. la fille de Kiddo à la fin de Kill Bill. L’histoire de Kill Bill c’est Kiddo qui se venge du meurtre de son bébé. Si sa fille n’est pas morte, elle n’a plus vraiment de raison de massacrer tout le monde. Pourquoi personne ne le lui dit ? Pourquoi Vernita Green ne lui dit pas « ta fille est vivante » ? Sans doute parce que personne ne le sait… mais comment pourraient-ils ne pas le savoir ? Forcément ils savent si le bébé a survécu au traitement qu’ils ont infligé à Kiddo. S’ils ne savent pas que sa fille est en vie, c’est parce que l’existence de B.B. est un secret et qu’elle n’est pas la véritable fille de Kiddo. Elle n’est qu’une manipulation de Bill, qu’on sait être un manipulateur sans scrupule.
Plus souvent on nous révèle une motivation cachée depuis le départ, un lien de parenté, un amour, le simple fait qu’un personnage était au courant de quelque chose etc… peu importe, il y a toujours une information finale qui demande à ce que l’on revoit le film en la gardant en tête car elle change le sens des comportements des personnages et permet donc d’accéder à une autre perception de l’histoire.
16- Le Détail qui annule la vision apparente du film.
Dans le même ordre d’idée que "l’information de dernière minute," "le détail qui annule la vision apparente du film" est un élément qui, à lui seul, devrait amener le spectateur à réviser l’intégralité de ce qui semble être la manière dont le film demande qu’on le perçoive.
Dans Boulevard de la Mort, les trois femmes qui tuent Mike le cascadeur semblent un peu surexcitées par la chose mais sachant que Mike est lui-même un tueur psychopathe sadique le public n’aura pas nécessairement beaucoup d’état d’âme à le voir se faire mettre en pièce. Le problème est que ces mêmes donzelles ne savent pas que c’est un tueur, elles n’ont pas vu la première partie du film. Elles le massacrent juste parce qu’il leur a fait une petite frayeur alors qu’elles faisaient les andouilles. Une fois qu’on a remarqué ce détail, la vision vengeresse du film est caduque. Ca ne peut pas être un "Revenge flick" alors qu'il n'y a pas de revenge à proprement parler.
La vision du T-Rex qui est, parait-il, basée sur le mouvement alors que dans JP 1, 2, 4 et 5 le T-Rex voit régulièrement des choses qui ne bougent pas. L’important dans ce fait n’est pas qu’il soit faux, mais qu’il indique que Grant est un imposteur. Et si Grant est un imposteur, Ian Malcolm est le véritable héros de Jurassic Park. Découvrir que la vision du T-Rex n’est pas basée sur le mouvement donne accès à une nouvelle hiérarchisation des idées exprimées dans le film.
Call Me By Your Name ne peut pas être le titre d’une histoire d’amour. Le fait qu’Elio et Oliver échangent leur prénom est un sérieux indice qu’il n’est pas question d’amour entre eux mais fort probablement d’un trouble narcissique et cela indépendamment de tout le reste. Échangent-ils leur prénom quand ils s’envoient en l’air ? Oliver dit-il, « je t’aime Oliver ? » à Elio. Une telle idée fait sérieusement tache mais justement, elle est là pour ça. C’est le détail qui indique que ça n’est même pas la peine de chercher à y croire une seconde. L’amour est un sentiment qui est essentiellement tourné vers un « autre » si on essaye de s’aimer au travers de l’autre, il y a un truc morbide dans l'affaire.
D'ailleurs l'absence d'un "Je t'aime" entre deux personnages censés s'aimer est également très révélateur. Dans Brokeback Mountain, Ennis n'exprime absolument jamais la moindre affection et à la fin du film, la seule chose qu'il trouve à dire au fantôme de Jack c'est "je te jure que..." et il s'interrompt. Pas de larme lorsqu'il apprend la mort de son ami non plus. Indépendamment de tout ce qui peut se passer d'autre dans le film, ce genre d'élément annule la vision apparente des choses. L'histoire d'amour est, en un instant, radicalement contredite, qu'on le veuille ou non.
17- Le Point de vue des personnages.
Rien de bien compliqué ici. Comme je le disais plus haut avec Deathproof, les personnages peuvent parfois en savoir moins que le spectateur qui risque de juger leur comportement comme s'ils avaient accès aux mêmes informations que lui.
Ou au contraire, un personnage qui devrait s’étonner face à la tournure que prend une situation et qui ne s’étonnerait pas suggère évidemment qu’il en savait plus qu'il ne le prétend. C’est le cas avec le poison de The Hateful Eight et Marquis Warren.
18- Le Second rôle qui nous tend une opinion erronée sur un plateau.
Les personnages principaux de nos divertissements adorés sont très rarement des gens biens, des gens courageux, des gens moraux. Le problème, c’est que nous les voulons justement gentils, courageux et moraux. Nous les voulons parfaits alors que plus ils sont parfaits moins le film aura de choses intéressantes à développer.
Les scénaristes recourent donc à un certain nombre d’astuces pour que nous puissions regarder le film sans remettre en question ces héros. Ils enterrent leur amoralité, ils dissimulent leurs défauts, ou leur donnent des excuses rapides que l’on peut choisir d’accepter ou de rejeter.
L’une de ces astuces est de faire dire du bien du héros par un personnage qui n’est pas réellement en position de le faire ou dont l'opinion n'a pas d'importance.
Au début de The Shape of Water, le propriétaire de l’appartement qu’elle loue donne des places de cinéma à Elisa et une de ses collègues de travail lui réserve une place dans la file d’attente pour pointer. Ces deux initiatives bienveillantes donnent le sentiment que tout le monde adore Elisa justement parce qu’elle est adorable, douce et généreuse… nous sommes déjà prêts à la voir comme la sauveuse désintéressée de la créature. Sauf que les raisons de ces initiatives ne s’avèrent jamais être en lien avec le tempérament d’Elisa. Le proprio ne réapparaît pratiquement pas du film et il est fort probable que s’il donne des places de cinéma à Elisa et Gill, c’est parce qu’il a bien vu que Gill était homo et qu’il est intéressé. De son côté, si Zelda rend service à Elisa c’est parce que… parce que quoi ? Peu importe, on aura tout le temps de constater qu’Elisa ne mérite en aucun cas tous les services que Zelda lui rend. Ainsi, les deux comportements positifs sur lesquels reposent notre perception d’Elisa au début du film n’ont en fait pas de racine profonde. Ils créent une illusion plutôt qu’ils ne nous renseignent réellement sur son tempérament.
Dans Darkest Hour, on voit Winston Churchill se conduire comme un bon gros vieux con capricieux et avant même que l’on ne porte un jugement sur lui, sa femme vient lui faire la morale et lui explique qu’elle aimerait qu’il fasse un effort pour que les gens puissent voir le « vrai lui », celui qu’elle aime. Les spectateurs passent donc l’éponge et s’attendent maintenant à ce que derrière ses apparences antipathiques Churchill révèle une personnalité altruiste et douce alors qu’il reste le vieux con aigri en quête de vengeance qu’il était dès le début. A la fin lorsqu’il parvient à devenir populaire, sa femme qui devrait se réjouir devient au contraire de plus en plus distante et déprimée.
Dans Jurassic Park, Tim et Lex, de par leur enthousiasme pour leur grand-père, dissimulent un peu le fait que c’est une ordure sans scrupule (Il se moque totalement de la mort de l’ouvrier, il dépense sans compter sauf quand il s’agit d’assurer la sécurité des visiteurs du parc). Lorsque les enfants arrivent, il vient froidement de les qualifier de « public cible » mais comme il les a acheté avec des cadeaux, ils accourent vers lui fous de joie et noient les réticences du public à lui faire confiance.
19- Le Narrateur ment.
Dès lors qu’un film a un narrateur, ce narrateur ment. Il déforme le récit en fonction d’une motivation qu’il ne révèle pas. Rose dans Titanic, Kiddo dans Kill Bill. Ou alors, il ne comprend pas réellement ce qu’il s’est passé et nous spectateurs pouvons deviner des vérités qui lui échappent. Forrest Gump, Dirty Dancing et beaucoup de films noirs. Ou encore, il a simplement une particularité qui va déformer son compte-rendu.
La conclusion d’un film narré prend toujours un sens différent lorsqu’on a compris ce que le narrateur dissimulait.
20- L’Apprentissage utile. L’équation sans réponse. Le contour suggestif.
De temps à autre un film qui contient un sous-texte ou un secret va vous donner le moyen d’y accéder en développant des éléments d’intrigues parallèles ou préalables.
Dans Crooked House, on voit un couple être accusé du meurtre du père directement en lien avec une lettre dont tous les autres membres de la famille remettent en question l’authenticité. A la fin du film, la petite fille que l’on désignera comme le tueur voit la culpabilité retomber sur elle… à cause d’une lettre. Le film vous susurre à l’oreille qu’une lettre ne constitue pas une preuve suffisante pour la considérer coupable et que par conséquent, elle est probablement innocente.
Dans Star Wars, Obi Wan montre à Luke qu’il peut modifier les pensées de ses interlocuteurs à loisir. Il prouve également à Luke qu’il peut lui mentir sans le moindre scrupule et sur quelque chose d’extrêmement sérieux (Si Luke avait tué son père, il ne s’en serait certainement jamais remis). Puis soudainement, comme ça, alors qu’il est en compagnie d’Obi Wan, notre jeune héros se met en tête que Leïa est sa sœur alors que ça fait deux épisodes qu’ils flirtent avec l’idée de se mettre ensemble…
Ainsi, le scénario construit une opération du type 1+1= sans donner la réponse. C’est au public d’avoir l’idée, par contre une fois qu’il l’a eu, il est difficile de revenir en arrière car il devient apparent que la structure du film voulait la suggérer.
Dans Call Me By Your Name, l’excuse finale d’Oliver pour ne pas se mettre avec Elio est que ses parents ne comprendraient jamais son homosexualité. Et les spectateurs actuels sont trop heureux de goûter la tragédie pour vérifier cette idée, alors que l'intrigue a auparavant construit la situation la plus paradisiaque dont un homosexuel opprimé aurait pu rêver en 1983. Oliver s’enferme dans une vie d’hétéro dans une famille à qui il devra cacher qui il est, alors qu’il a trouvé en l’espace de six semaines, une famille de substitution riche, entièrement ouverte à l’homosexualité, un mentor intellectuel, un pays paradisiaque, une villa splendide, et un jeune amant fou amoureux de lui. Le film étale une liste extrêmement longues d’éléments dont la fin finale est de créer une incrédulité chez le spectateur… « vraiment ? Oliver n’a pas la force d’échapper à ce mariage parce qu’il a peur de dire à ses parents qu’il est homo ? Ce n’est pas crédible. » Et de là, il peut remonter les indices et découvrir qu’Oliver se fout bien du monde, de A jusqu’à Z. Simplement, c’est le spectateur qui doit faire le pas. Tout est mis en place pour l’accueillir dans cette direction, mais personne dans le film ne dit « Oliver est un manipulateur. »
21- Le Second rôle/méchant qui dit la vérité vite fait.
Puisque nos personnages principaux tout beaux tout propres sont rarement tout beaux tout propres, leurs ennemis ou ceux qui ne partagent pas leurs intérêts peuvent souvent offrir un regard non-biaisé sur leurs actes.
Lorsque Churchill, dans Darkest Hour, est accusé d'être motivé par son hubris par un de ses adversaires politiques, celui-ci a platement raison. Même chose quand ce dernier dévalorise le discours final d'un "il a mobilisé la langue anglaise dans l'effort de guerre" pour dire que tout ce que Churchill a apporté à la situation c'est du vent, mais qu'il est néanmoins parvenu à convaincre tout le monde qu'il fallait se battre.
Dans Rogue One, durant un conseil, un chef rebelle déclare qu'il ne faut pas aller chercher les plans sur Scariff, que toute l'histoire n'est qu'un piège de l'empire qui cherche à ce que les rebelles tentent une attaque massive sur l'étoile noire et se fassent massacrer. Jin Erso fait un beau discours et finalement les plans sont volés et l'étoile noire est détruite. Sauf que ce chef rebelle avait raison et que l'arme de l'empire est détruite par miracle par Luke et Han qui n'étaient pas prévus dans la mission. Le vol des plans était une mise en scène.
Ainsi, régulièrement, les scénaristes place la vérité dans la bouche d'un personnage sans importance ou au préalable discrédité. Dans Call Me By Your Name, Marzia aurait pu croiser Oliver et Elio par hasard et accuser Oliver d'être un sale manipulateur. La scène aurait juste véhiculé le sentiment qu'il était normal que la fille écartée blâme aveuglément l'amant d'Elio sans voir que si le jeune homme est homosexuel, elle n'avait aucune chance de toute façon. Elle aurait ainsi pointée la vérité du doigt, mais sans que le public la prenne au sérieux.
22-La Coïncidence qui n'en est pas une.
On se moque toujours de cette coincidence qui n'avait pas lieu de nous être montrée si elle ne signifiait pas quelque chose (l'empire veut que les plans parviennent aux rebelles).
Lorsqu’à la fin de Jurassic Park, alors que Grant, Sattler, Tim et Lex sont sur le point de se faire mettre en pièce par les vélociraptors, le T-Rex apparait soudainement pour les sauver, c’est proprement ridicule. Comment entre-t-il dans le bâtiment ? Ne fait-il plus trembler le sol à chacun de ses pas ? Il passait par hasard ? Pourquoi personne ne le voit arriver ?
Dans tous les films nous acceptons un certain nombre d’incohérences et de coïncidences simplement parce que nous sentons spontanément qu’il y a une logique derrière ça. Le T-Rex qui sauve les héros alors qu’il représentait une menace auparavant, c’est une des leçons de Jurassic Park : il n’y a pas d’animosité dans la violence de la nature. On peut être sauvé comme on peut se faire dévorer, il faut juste respecter la logique de l’estomac.
Très souvent, les spectateurs critiquent néanmoins les coïncidences qu’ils considèrent trop incroyables.
Pourtant, derrières les coïncidences, les plus visibles ou non, se cache parfois l’indice d’une autre agence. Si une coïncidence n’en est pas une, peut-être y a-t-il simplement d’autres êtres humains sur terre capable de prendre des initiatives et qui ont leurs propres motivations.
Dans A Most Violent Year, Abel Morales, entrepreneur hispanique qui fait dans la livraison de fioul, se retrouve sous le coup de plusieurs chefs d’accusations. Le jour de l’anniversaire de sa petite fille, la police débarque chez lui avec un mandat et exige de fouiller la maison. Pendant que sa femme s’explique avec Lawrence (Chef de l’intervention), et obtient cinq minutes pour demander aux invités de partir, Abel cache des dossiers qui pourraient être compromettants. Sans trop réfléchir, le spectateur accepte donc la belle coïncidence : les flics qui débarquent le jour de l’anniversaire de la gamine, excuse qui permet à Abel de cacher deux trois cartons. D’autant plus qu’à ce moment-là nous sommes tous convaincus de l’innocence d’Abel et ne voyons que l’acharnement de la police et l’anniversaire gâché.
Pourtant, il n’est pas difficile de trouver une raison pour laquelle il ne s’agirait pas d’une coïncidence. Le flic voit bien qu’Abel est une figure montante, mais en plus de cela, une figure montante qui se forge une réputation de « gars respectable. » Tout le monde voit bien qu’Abel Moralès va devenir quelqu’un d’important et de respecté, et tout le monde en veut une part. L’inspecteur ne cherche pas à coincer Abel, il veut au contraire montrer qu’il peut faire preuve de gentillesse ou lui mener la vie dure. Ce qu’il fait déjà en enquêtant sur lui alors qu’Abel est à la base venu réclamer son aide. A la fin du film, ils font un pacte : Le flic lui lâche la grappe si Abel (maintenant dans une position très avantageuse) lui ouvre les portes du monde politique. Pas de coïncidence.
23-Le Froid:
Neige, glace, hiver sont utilisés pour signifier la solitude intense et intérieure d’un personnage abandonné de tous ou qui ne trouve pas sa place.
Man of Steel est un parfait exemple de cela. Clark désespère de trouver une place parmi les humains et se retrouve en antarctique.
Call Me By Your Name se termine en hiver. La jolie source lieu secret d’Elio est congelée, alors que le gamin est détruit intérieurement.
Shining. Le labyrinthe final est une métaphore de la solitude de Jack qui est anéanti que sa femme et son fils lui aient tourné le dos.
24-L’œuf (Souvent à la coque):
Les œufs représentent un élément fort dans les films. Dans Game Night, Annie et Max ne parviennent pas à avoir d’enfant et se retrouvent à chercher un œuf de fabergé. La métaphore ne fait pas de différence en ovipare et vivipare, entre œuf et utérus. L’œuf c’est ce qui contient la progéniture, et s’il est souvent utilisé pour décrire la relation des personnages avec celle-ci c’est parce qu’il a l’avantage d’être accessible.
Dans le livre The Edible Woman, un homme raconte un cauchemar dans lequel sa mère le force à dévorer un œuf à la coque alors qu’il vient de découvrir un poussin vivant à l’intérieur. Ce cauchemar décrit sa relation avec sa mère qui lui demande de se dévorer lui-même : elle ne lui laisse aucun espace au-delà de ses exigences à elle.
Dans chaque œuvre, la métaphore peut être utilisée de manière différente. Dans L’Ornithologue, le personnage principal est d’abord fasciné par les œufs d’un oiseau (Il veut un enfant) et finit par devoir les manger pour sa propre survie. Ici, le fait de manger les œufs signifie l’abandon de l’idée d’une progéniture.
Alors que dans Call Me By Your Name, c’est le fait qu’Oliver n’aime pas les œufs à la coque qui suggère au contraire qu’il n’est pas intéressé par les enfants. Ici, manger l’œuf aurait été positif. La métaphore continue dans le rapport qu’il entretient avec le fruit. Le fruit, c’est le résultat de la fécondation, c’est Elio.
Dans The Shape of Water, le rapport de l’Amphibien avec les œufs d’Elisa est également une description de leur rapport à l’idée de se reproduire.
Dans Phantom Thread, l’omelette empoisonnée est le résultat du fait que Reynolds ne satisfait pas Alma sexuellement. Il ne la reconnait pas en tant que femme, et la frustration de celle-ci réapparait dans ce repas qui le rend impuissant face à elle. Résultat de cet empoisonnement final ? Alma tombe enceinte.
25-L’île.
Je l’avais remarqué pour la première fois en analysant Commando, mais aujourd’hui je me rends compte que c’est un usage plutôt récurrent que je ne l’aurais cru.
Très souvent, les îles sont utilisées pour signifier l’enfermement dans la matrice originelle, dans l’utérus, dans l’ovule.
Dans Commando, John vient féconder cet ovule final. Dans Jurassic Park, l’île de John Hammond est un ovule artificiel sur lequel il invite par accident Ellie Sattler, une femme qui veut un enfant. Et ça n’est pas du tout illogique qu’il soit suggéré que John était homosexuel dans Jurassic World 2. La franchise Jurassic Park respecte cette problématique de la maternité, dans chaque épisode, l’intrigue tourne autour d’une femme (ou d’un homme) dont le désir d’avoir un enfant est aliéné. Le Monde Perdu, Jurassik Park 3, Jurassic World, Fallen Kingdom.
Ici, je me dis que j’aimerais bien voir The Island, Seul au monde ou 6 Jours, 7 Nuits, histoire de voir si l’île y joue le rôle métaphorique du désir d’avoir un enfant par exemple, ou de l’enfermement dans l’influence d’une mère autoritaire.
L’île de Dolores Claiborne indique clairement que le personnage féminin a bien plus le contrôle de la situation qu’il ne le prétend, puisque tout se passe « sur son territoire. »
L’île de Wonder Woman est entièrement habitée par des femmes et paf ! Des hommes viennent crever l’ovuler étouffant exactement quand Diana atteint l’âge de la naissance de sa libido. Que c’est surprenant.
Je suis également certain que ça fonctionne avec Mamma Mia ! que je n’ai pas encore vu. Peut-être aussi pour la tripoté de King Kong, dont l’histoire originale raconte la rencontre entre une femme et un gorille dont elle tombe amoureuse.
Les îles de Shutter Island et Skyfall fonctionnent aussi en tant que description métaphorique de la relation du personnage principal avec leur figure maternelle ou la mère de leurs enfants.
26-La Trahison de notre crédulité volontaire (Suspension of disbelief):
Régulièrement lorsque nous regardons un film, nous acceptons des choses invraisemblables parce que la cohérence de l'histoire et son aspect divertissant sont bien plus importants qu'un prétendu réalisme surfait et ne serait, de toute façon, qu'un style réaliste lui-même factice.
Cependant, de temps à autres les scénaristes nous piègent en nous faisant accepter quelque chose d'incroyable en utilisant notre "crédulité volontaire" alors que nous sommes réellement face à une incohérence que nous devrions inspecter de plus près.
Dans Kill Bill, Kiddo tue Bill en lui donnant une claque sur la poitrine qui lui fait exploser le cœur lorsqu'il s'éloigne d'elle à plus de cinq pas. C'est impossible et ridicule. Pourtant nous l'acceptons comme nous avons accepté plus tôt dans le film que ses victimes au sabre ne tombent que lorsqu'elle frappe la garde de celui-ci, ou que son maître d'art martiaux de 120 ans fasse des sauts périlleux démentiels. L'astuce, c'est que tout ce qui se passe depuis le début du film est inclus dans une narration, c'est Kiddo qui raconte, elle peut mentir, elle peut déformer, elle peut exagérer. Alors que la scène dans laquelle elle tue Bill n'est plus racontée, elle est au présent. Il n'est plus question ici de nous faire gober des pouvoirs magiques. Bill accepte juste de jouer le jeu pour mettre fin à leur combat. Soit il ne veut pas se faire tuer (peu probable) soit il sait qu'il est plus fort que Kiddo et qu'il va finir par la tuer, douleur qu'il ne veut pas revivre. Comment commence cette scène ? Par Kiddo qui prétend mourir d'un coup de revolver jouet tiré par sa (prétendue) fille. Comment se finit la scène ? Par Bill qui prétend mourir d'un coup de poing sur la cage thoracique donné par la femme qu'il aime.
27-La Manipulation Intégrale par le gouvernement:
Dans la continuité du narrateur qui ment, je suis récemment plusieurs fois tombé sur un type de sous-texte qui modifie l'histoire entièrement en en faisant le fruit d'une opération gouvernementale, ou d'une organisation particulièrement puissante.
Un des indices possibles que l'on se situe devant ce cas de figure est l'exceptionnalité du personnage principal. Un scientifique chauve d'1m20 fait une découverte importante et soudainement il rencontre la femme (magnifique) de sa vie => la femme est un agent dont la mission est de garder le contrôle de cet homme, de le protéger ou éventuellement de mettre fin à ses jours s'il semble vouloir remettre le fruit de ses recherches à une puissance ennemie.
On trouve ce "partenaire corrompu" dans Monk, Supergirl, Starship Troopers ou encore Iron Man, films et séries dans lesquels il est mis en avant que le personnage principal ne devrait pas avoir de partenaire sexuel tant il est ridicule ou insupportable et pourtant en trouve un.
Mais au-delà du simple partenaire sexuel, le gouvernement ou la puissance occulte interessés par le personnage principale peuvent absolument transformer le film en mise-en-scène intégrale et qui perd donc son sens au niveau de l'expérience directe que le personnage fait lui-même de sa vie. Ce type de sous-texte est problématique car il justifie que l'on dise: "en fait, tout est faux dans l'histoire."
L'exemple qui me fait faire cette entrée c'est The Age of Adaline qui raconte l'histoire d'une femme tellement parfaite que l'on va la rendre immortelle contre son gré. Elle deviendrait la première "prostituée de l'humanité" qui existe et reste en vie uniquement parce qu'elle est irresistible.
Mais avant ce film, j'avais déjà noté War of the Worlds dont l'invasion extra-terrestre n'est qu'une mise en scène gouvernementale dans laquelle Tom Cruise joue le rôle de témoin parfait. Le bon père de famille étonnamment invincible et qui gagne le droit de retrouver ses enfants. Dans le même ordre d'idée de manière plus évidente, il y a John Rico de Starship Troopers, dont l'aventure est constamment modifiée par les interventions de la fédération qui veut faire de lui le héro inconscient de son film de propagande.
+ Bohemian Rapsody dans lequel Freddy Mercury est un pion qui sert une propagande et est entouré de traitres.
28-Les Aveux:
J’ai abordé, dans un article, le fait que dans la série Monk, le détective noyé sous les T.O.C.s se trompait régulièrement de coupable. La cinglante Vera se fourvoie elle aussi régulièrement.
L’une des manières de dissimuler la vérité au spectateur dans les affaires de détectives est de faire faire des aveux au coupable présumé.
Evidemment, si la personne accusée du crime répond à notre héro : « Oui, c’est vrai, c’est moi » c’est peut-être un indice du fait que c’est le cas.
Cependant, il existe des situations dans lesquelles une personne peut être prête à porter le blâme pour une autre.
C’est souvent ce qu’il se passe dans les épisodes de Vera. La vieille détective passant son temps à accuser tout le monde avec virulence, elle accuse des innocents dans 99% des cas et finit régulièrement par en accuser un qui va cependant croire que le coupable se trouve être l’un de ses proches -un fils, une fille, un compagnon aimé- et qui va donc faire des aveux pour couvrir cette autre personne.
Et donc, Vera fait régulièrement arrêter des innocents, passe à côté des coupables mais en plus, la complexité des histoires permet même que la personne pour qui l’on se sacrifie soit elle-même innocente et qu’au final la vérité soit intégralement enterrée.
Bref, dans les histoires policières, les aveux ne sont qu’un élément parmi tant d’autres.
29-La Maison:
C'est assez simple, la maison, ou ce qui sert de logis aux personnages principaux, est généralement une description de la structure qui régit la famille, de ses valeurs et du problème que l'histoire va explorer.
Dans Crooked House, c'est la famille qui est "tordue/corrompue" La Famille Addams a également une maison adaptée à son excentricité.
Cependant il ne faudrait pas croire qu'il ne s'agit que d'un lien descriptif ou esthétique. Il y a interaction avec la maison comme avec les personnages.
Par exemple, la chaudière de The Shining est la libido de Wendy.
La porte qui ouvre sur la pénombre complète de The House est une porte sur l'inconscient du personnage principal.
Le monstre bardé de tentacules phalliques qui surgit d'un mur dans le manga Spirale est le père monstrueux qui a violé Kirie des années avant.
Quel que soit le sentiment que véhicule un lieu de vie, il décrit les dynamiques entre les personnages et il agit avec eux.
Il n'est pas obligatoire de tout observer (même si les détails importants existent), mais plutôt de prendre au sérieux les choses que l'on nous montre ostensiblement.
Je viens de voir le film Smile. L'héroïne et son mari sont aisés. Leur mais est grande, propre. Elle respire le luxe et le confort mais donne un sentiment de vide, de perfection, de maison témoin. On constatera au fur et à mesure du film que sa relation avec son mari est creuse, superficielle, qu'ils sont ensemble pour se faire croire qu'ils ont une vie parfaite.
Dans Esther, la bébé mort né est enterré dans la serre. Il a une place dans la famille, il est en arrière plan mais la mère peut y passer du temps. Ce n'est pas innocent que la petite fille Max manque de se faire tuer.
30 - La Conspiration bienveillante:
Ma 27ème entrée était la manipulation complète de l’intrigue par une puissance extérieure à des fins malveillantes ou de contrôle.
Je me suis depuis rendu compte que ce type de construction existe également sous forme positive, lorsqu’une communauté entière se met au service du bonheur ou du rétablissement psychologique d’un personnage important, souvent simplement par amour.
L’intérêt d’une telle structure et d’explorer les mécaniques psychologiques d’un trouble, d’un traumatisme, d’une épreuve et de faire quelques hypothèses optimistes quant à la manière dont les choses peuvent être améliorées/résolues.
C'est une idée qui peut paraître un peu forcée mais qui en réalité ne s'éloigne pas de la structure habituelle des films dont l'intrigue ne se développe pas aléatoirement de toute manière. Nous sommes toujours devant une explication, une exploration. Le récent A Quiet Place n'a pas besoin d'être une manipulation bienveillante pour nous faire explorer la psychée de Samira au travers des événements de l'histoire.
Exemples :
Bedazzled. (Elizabeth Hurley n’est pas le diable mais une psy qui tente de "soigner" Brenda Frazer de la mort de ses parents dans un accident de voiture en utilisant de gros moyens, drogues, effets spéciaux, tours de passe-passe etc...).
The Game évidemment puisque la manipulation est explicitée.
Follow Me, même chose, la manipulation est admise à la fin. Le film explore bien la manière dont le personnage principal a rendu ses amis cinglés à force de leur donner l'impression que tout ce qui compte pour lui c'est ce que la caméra filme.
Le très récent The Fall Guy dans lequel tout n’est qu’une mise en scène pour aider Colt Seavers à être plus prudent, à retrouver confiance en ses capacités et enfin à faire accepter à Jody Moreno les risques qu’il prend pour son métier.
J’ai beaucoup aimé les répliques adressées aux spectateurs. La réalisatrice qui dit que le nihilisme de ses films n’est qu’une façade mais que derrière celui-ci, elle injecte de l’espoir et de l’optimisme. Ou la personne qui dit que le troisième acte du film qu’ils sont en train de tourner est moins bon et demande si cela allégerait le problème de le faire dire à un personnage (Le troisième acte de The Fall Guy étant réellement un peu fouillis).