Call Me By Your Name : Elio est hétérosexuel. Oliver n'est pas étudiant. Les Perlmans sont des psychopathes. (4400 mots)
Les prénoms en miroir avec le miroir dans lequel Oliver efface le reflet d'Elio, et Elio qui efface son père dans la relation avec Oliver. Et la mère qui regarde tout ça en se léchant les babines.
Article déconseillé aux moins de 24 ans.
Lorsque j’ai vu Call Me By Your Name il y a quelques mois, le film m’a complètement retourné le cerveau. Pour être honnête je m’attendais à un film ennuyeux et sans profondeur psychologique. La belle histoire d’amour homosexuelle au soleil ça s’annonçait franchement chiant, surtout quand j’entendais les éloges en roue libre qu’on faisait du film. « C’est trop bien, il se passe rien. » « C’est trop bien, les décors sont superbes ! » « C’est trop bien, on se croirait en vacances à la mer !« C’est trop bien, la musique est sublime ! » « C’est trop bien il y a une histoire d’amour entre deux mecs ! » Ça sentait le film bien creux et opportuniste.
Quel ne fut pas mon choc de voir dès le départ que le contexte de l’histoire était complexe et douteux. Je suis sorti du film extrêmement troublé et mon cerveau a beaucoup transpiré depuis.
En essayant d’en parler un peu sur Youtube et au travers de plusieurs articles, j’ai vu qu’il fallait faire attention à ce qu’on disait sur ce film sous peine de se faire crier très fort et d’entendre des gros mots.
J’ai donc re-rédigé mon premier article plusieurs fois pour en arriver à ne viser qu’un but assez clair et peu ambitieux : remettre en question l’histoire d’amour entre Elio et Oliver. Démontrer que tout était trop douteux et compliqué pour qu’il soit acceptable de s’extasier devant les larmes du petit Elio déglingué à la fin du film sans se poser quelques questions.
Pour atteindre cet objectif, je creuse un peu la question de l’homosexualité paternelle qui a forcément une influence sur son fils et dont le jeune homme n’a pas conscience. Je soulève le problème de la position d’Oliver qui se trouve être horriblement proche d’un chantage du type « tu couches, tu as ta thèse, tu te refuses, tu es recalé. » Oliver se tournerait vers Elio pour se protéger du père ? Et enfin, je parle de la mère qui a toujours une cigarette allumée à la bouche bien compréhensible puisque son mari étant homo, il ne doit pas la satisfaire sexuellement et encore moins la faire se sentir attirante. (usage quasi systématique des cigarettes dans les films).
Ensuite, dans un deuxième article, je me suis acharné à démontrer en quoi l’histoire d’amour d’Elio et Oliver est en fait une histoire de manipulation complexe subtile et très violente.
Ce qu’il reste donc à développer c’est la rencontre de ces éléments qu’il m’aurait été très difficile d’analyser ensemble. Comment relier l’homosexualité du père, la frustration de la mère et l’histoire d’amour manipulation Elio/Oliver ?
Analysons la première scène du film qui dit tout.
--------------------------------
Marzia est allongée sur le lit d’Elio. Elle l’aime, elle est prête, elle veut faire l’amour. Call Me By Your Name commence à l’instant auquel Elio aurait dû perdre sa virginité et/ou entrer dans une relation amoureuse avec une fille.
Ce premier plan est absolument génial. Sur le lit voisin de celui sur lequel la jeune femme est allongée, nous voyons atterrir les vêtements d’Elio. Le malentendu dit tout. Le jeune homme devrait être en train de se déshabiller pour rejoindre sa copine, à la place, il déménage ses affaires pour laisser la place à l’ « ursupateur. » Au pied de Marzia, la guitare sèche dont Elio jouera plus tard pour séduire Oliver : nous nous situons après la sérénade, après le flirte, Marzia est réellement dans l’attente des baisers et de l’acte sexuel.
Elio apparait torse nu, il pourrait réellement être en train de se déshabiller. On entend la voix d’Annella, il va à la fenêtre et se rhabille. Gros plan sur le visage inquiet et pensif de Marzia qui sent que son amoureux lui échappe et que « something wicked this way comes. »
Nous sommes témoins de l’arrivée d’Oliver en vue du dessus, donc en vue subjective d’Elio.
Ce choix peut paraître anodin, insignifiant et platement logique, mais lorsque l’on voit à nouveau Elio à l’écran, la caméra le filme du niveau du sol et l’on entend d‘ailleurs à peine ce que lui et Marzia se disent.
Cette manière particulière de filmer suggère une mise en scène. Il est fort probable que les parents d’Elio savent que leur fils les regarde. Pourquoi feraient-ils semblant de ne pas le savoir dans ce cas ? J’y viens.
A peine les présentations faites, Annella demande à son mari « mais où est Elio ? » et son fils déclare « j’dois descendre. » Cette mise en scène met en avant la morbidité de la relation d’Elio et de sa mère. Les désirs d’Annella sont des ordres, et surtout, Elio les anticipe pour leur enlever leur violence. Il est dressé comme un petit chien.
L’anticipation est un mécanisme de défense, c’est-à-dire que pour garder un minimum de fierté et d’initiative, Elio prend les devants. Il dit à Marzia « J’dois descendre » de la même manière qu’il lui aurait dit « je dois rentrer. »
Le plan continue quelques secondes sur la réaction de Marzia qui exprime parfaitement un sentiment de « qu’est-ce que je suis censée faire ? » « Qu’est-ce que je fais là ? » « Et moi je dois disparaître ? » L’actrice assure magnifiquement sur ce quart de seconde.
Les lèvres de Marzia se scellent, elle n'a pas son mot à dire sur ce qu'il se passe. Et surtout, métaphore sexuelle, ses lèvres sont scellées.
Le plan suivant nous montre le père d’Elio lever la tête vers le ciel, ce qui ne prouve pas qu’il savait qu’Elio était à la fenêtre mais que cela aurait été logique dans les habitudes (habitus) de la famille. Ou alors peut-être qu’il le cherche dans un arbre ? Il lève la tête et étrange, il ne semble pas apercevoir Marzia. Et d’ailleurs, comment se fait-il qu’Annella ne sait pas « où est Elio ? » Pourquoi sa question n’est-elle pas « Où sont Elio et Marzia ? » C’est quand même étonnant que les deux parents ne soient pas au courant qu’Elio est dans sa chambre avec son amie, en train de préparer l’arrivée d’Oliver, c’est certainement l’endroit le plus évident et attendu dans lequel il pourrait se trouver.
Mon argument peut paraître forcé, mais si on y réfléchit bien on peut voir que la question d'Annella n'a pas le moindre sens et que ce regard du père sert probablement à le souligner. Ils savent qu'Elio est dans sa chambre. Ils savent que sa chambre donne sur ce chemin. Ils ont l'habitude d'interragir avec Elio de cet endroit alors qu'il est dans sa chambre. Mais soudainement, pendant un court instant, ils deviennent complètement inconscients de tout ça. Pourquoi ? Ils contournent la présence de Marzia. Ils ne veulent pas voir Elio et Marzia à la fenêtre avec un T-Shirt de la même couleur.
C’est un sentiment difficile à discerner et à décrire mais dès ma première vision du film, j’avais trouvé les présentations d’Elio et Oliver trop solennelles. Notre regard est biaisé par le fait que nous savons parfaitement ce qu’il va se passer, mais ce point de départ est assez étrange en réalité. C’est très subtil mais tout cela se passe comme si Oliver était là pour Elio. Comme s’il allait être son prof particulier par exemple. Il n’y a aucun élément qui positionne Oliver en étudiant qui rencontre son directeur de thèse, aucun échange sur le sujet, les goûts, aucun nom d’auteur n’est lancé. Et lorsqu’Elio rencontre Oliver, il est au centre de la pièce, entouré des trois autres personnages.
Elio aurait dû être en train d’échanger des baisers passionnés avec sa copine pendant que ses parents installent le nouvel étudiant dans une autre chambre. Il n’aurait pas dû se sentir concerné par ce mec de 25 ans qui de toute manière va passer son été à bosser comme un malade, la tête dans ses bouquins, terrorisé par l’échec et un sentiment d’infériorité énorme. D’ailleurs Elio s’étonne qu’Oliver soit si « confiant. » L’américain serait-il totalement différent des élèves des autres années ?
Lorsqu’il arrive en bas, Annella accueille Elio d’un « Mon amour. » Marzia devrait être en train de prononcer ces mots. Annella les utilise pour marquer son territoire.
Notre ados demande à sa mère « Ma chambre ? » elle tend l’index. Ses désirs sont des ordres et on doit lui obéir au doigt et à l’œil. C’est important, l’autorité de la mère ne passe pas par les mots, Elio devine ce qu’elle veut et le mettre en mot c’est déjà une insubordination.
Dans l’escalier Elio s’étonne « tu pars ? » lorsqu’il croise Marzia. Elle lance un « Hello. Enchanté » creux à Oliver et déguerpit immédiatement. Rien n’est dit, mais Marzia n’est pas la bienvenue chez les Perlman. Si les parents d’Elio n’avaient ne serait-ce qu’une once de respect pour elle, jamais ils n’auraient demandé à leur fils de céder sa chambre à Oliver. Ils se réjouiraient qu’il fréquente une fille aussi charmante. Tout ce qu’ils veulent c’est qu’elle disparaisse.
"Notre maison est ta maison ! Pas comme pour cette pouffe de Marzia qui devrait arrêter de tourner autour de notre fiston !"
--------------------------------
Si nous regardons cette première scène avec un peu de recul nous voyons deux parents arracher une fille du lit de leur fils et la remplacer par un homme. Les Perlman mettent un homme dans le lit de leur fils. Marzia était probablement là dans le but de faire obstacle, pour dire « Hey ! Je suis là ! J’existe ! Si une personne doit être dans le lit d’Elio, c’est moi ! » et que se passe-t-il dans cette introduction ? Marzia constate qu’elle est invisible dans cette maison.
Je pose donc la question choquante que je me suis posé dès la seconde où j’ai vu cette scène : Qu’est-ce que ça veut dire au niveau littéral que les Perlman mettent Oliver dans le lit d’Elio ?
A quel point sont-ils responsables de l’histoire qui se construit ensuite ?
Hum. Accrochez-vous. (Et lisez peut-être les deux précédents articles sur le films).
Oliver n’est pas étudiant.
Oliver est là uniquement pour coucher avec Elio.
Cette histoire n’est que l’histoire d’une manipulation démente. Et il n’est même pas difficile d'expliquer les motivations de chacun.
Le père Perlman méprise les femmes et souhaite à Elio de pouvoir vivre ce que lui n’a pas vécu lorsqu’il était jeune. Il voit en Elio un double de lui-même et souhaite lui offrir ce à quoi il n’a lui-même pas eu accès. Le problème c’est que ce type de relation ne véhicule aucun amour et qu’Elio souffre d’être délaissé par son père.
La mère est terriblement frustrée sexuellement et quelque part humiliée par l’homosexualité de son mari, elle s’est donc rabattue sur sa relation avec son fils. Le problème est donc que le père et le fils se partagent le rôle de mari et qu’Elio tout en étant obéissant comme un fils, doit la satisfaire comme un égal. Si Elio ne fait pas ce qu’Annella désire, elle ne le prend pas comme une mère mais comme une amante bafouée en quelque sorte (je ne prétends pas cependant qu'il y ait de rapport incestueux). On peut donc facilement comprendre comment elle pourrait être jalouse des jeunes filles qui fréquentent Elio et comment la sexualité de son fils pourrait devenir taboue.
Je trouve assez intriguant que Armie Hammer ressemble tant à Rocco Siffredi pour plusieurs raison. 1-Rocco Siffredi est Italien. Call Me By Your Name se passe en Italie. 2-Il couche avec la mère d'Elio dans un autre film. Ces similitudes coincidences seraient difficile à transformer en argument mais ça reste assez troublant je trouve.
Imaginez l’impact monumental de deux parents comme ça. D’un côté un père qui n’a d’attirance que pour les hommes, et une mère qui veut faire abstraction de la libido des femmes, et du fait que son fils peut attirer les filles etc… évidemment qu’Elio hésite avant de coucher avec une copine.
Enfin, Oliver a deux motivations, la première est l’argent et la seconde est que sa mission ne lui est pas désagréable. Elio l’attire.
Je suis bien ici en train de parler d’un complot visant à transformer un jeune homme hétérosexuel en homosexuel par traumatisme. Il est bien connu qu’un certain pourcentage d’homosexuels le deviennent suite à des abus. Nous sommes devant ce cas de figure. Elio est hétérosexuel.
Je viens d’utiliser le mot complot, mais je me demande si les choses ne seraient pas un poil plus subtiles. C’est-à-dire que chaque manipulateur aurait un but précis qu’il se garde bien de dire aux deux autres.
Le père fantasme sur la discussion finale de père à fils qu’il a avec Elio et qui est une pure projection de ce qu’il aurait aimé vivre avec son propre père. Ce discours magnifique qui a été porté aux nues par tant de spectateurs alors qu’il est, dans le contexte, d’une ignominie sans limite. Le père veut donner une chance à Elio de coucher avec un homme, mais en réalité, il fantasme sur ce moment où il pourra admirer l’effondrement d’Elio suite à cette déception amoureuse. Noter le verre d’alcool et la cigarette. Le père Perlman veut pouvoir admirer cette âme en peine errer dans la maison, incarnation en creux de l’histoire d’amour que papa Perlman aurait voulu pouvoir vivre. « S’il te plait Elio, ne t’en remet jamais, tu me feras plaisir. »
"ça te pose un problème si je bois et je fûme pendant que je t'explique ta souffrance sans te donner la parole une seule seconde ? Ah et je risque de me masturber un peu aussi, fais pas attention."
Ce qu’il ne sait pas, c’est qu’Elio est détruit d’une manière qu’il ne soupçonne pas. Il pense que son fils est malheureux d’avoir perdu l’amour, alors que les choses se situent à un autre niveau. Elio cherchait la reconnaissance de ses parents et il se remettrait de son histoire avec Oliver si son père était fichu de l’aimer correctement. Il n’y a pas de peine de cœur infinie dans cette histoire et papa Perlman ne sait pas qu’il voit chez son fils une douleur qui n’existe pas.
Cette situation, c’est la vengeance de Médée (Elio qualifie sa mère de sorcière). Annella s’est mise avec papa Perlman « charmée par sa détresse », convaincue qu’elle pourrait y remédier et que l’amour de M. Perlman serait d’autant plus grand que sa détresse était profonde. Le problème, c’est que cette détresse était une homosexualité non-assumée et insatisfaite qu’Annella ne risquait pas de pouvoir contenter. Tout comme Médée avec Jason, Annella a donc goûté à l’amertume de l’échec et de la trahison, et sa vengeance se situe dans le meurtre de leur enfant. Tue-t-elle Elio ? Non. Cependant sans son intervention manipulatrice, Elio n’aurait pas couché avec Oliver. Quand le père Perlman regarde son fils en se disant « au moins, il n’est pas passé à côté de cette histoire magnifique » il ne s’imagine pas que cette histoire magnifique, elle n’existe pas. Perlman s’imagine de l’amour et une alchimie qu’il n’y a pas entre Elio et Oliver. Il s’imagine quelque chose d’épanouissant et de beau (comme entre Elio et Marzia), ce qu’il a cru observer durant leur journée à la mer. Ce qu’il ne comprend pas c’est que ce qui a rendu la journée à la mer belle, c’est que pour une fois il a accordé du temps à son fils. Et donc au final, Annella met son grain de sel par vengeance, mais aussi pour être certaine de garder Elio auprès d’elle. Papa Perlman pense que si son fils a couché avec Oliver, c’est qu’il est homo. Il ne réalise pas qu’Elio a en vérité été manipulé par Oliver et Annella et abusé sexuellement.
Enfin, ce qu’Oliver ajoute à l’équation c’est ce « Appelle-moi par ton prénom et je t’appellerai pas le mien. » Les parents Perlman ne savent pas qu’Oliver va mettre cette ultime manipulation en place, c’est-à-dire qu’il s’approprie lui aussi Elio. Le père verra en son fils un double de lui-même mais en plus chanceux et se trompera, la mère verra en son fils son petit jouet lot de consolation mais elle se trompera car à chaque fois qu’ils appelleront Elio par son prénom, Elio souffrira du fait que ce qu’ils voulaient, c’est qu’il soit Oliver. A chaque fois qu’ils l’appelleront par son prénom, Elio se souviendra qu’il n’est pas ce qu’ils veulent, qu’il n’est pas à la hauteur.
Bref, il est fichu le gamin.
Repensez aux parents qui congratulent Oliver parce qu’il va se marier. Ça paraissait un peu bizarre non ? On comprend mieux maintenant leur insensibilité à la souffrance de leur enfant.
--------------------------------
"Oh, ça fait des mois que tu n'as pas donné de nouvelles et tu rappelles Elio juste pour lui dire qu'il était prévu que tu te maries dès le départ ! Très bien ! Broies-le ce sale petit hétéro !"
Passons maintenant en revu les éléments qui s’insèrent dans cette manipulation généralisée :
L’œuf à la coque du déjeuner m’a beaucoup pris la tête car l’œuf c’est le bébé, la production, la progéniture. Or, la production des Perlman qu’ils offrent à Oliver c’est Elio et il lui plait. Pourquoi faire qu’Oliver rejette les œufs à la coque ? Ensuite, Elio est en réalité métaphoriquement représenté par les abricots. Le délicieux fruit que l’on déguste, vocabulaire de pervers et de déviant sexuel (surtout lorsque l'abricot est offert par les parents alors qu'Elio tente de se l'approprier). Donc si Elio est l’abricot, il n’est pas l’œuf.
Sur l'abricot => Page 41 des Mille visages de l'arbre: "Considéré de très longue date comme la nourriture des dieux, l’abricotier symbolise aussi la passion et la sensualité. Les astrologues l’associent à la planète Vénus, car il renfermerait le pouvoir d’éveiller et d’évoquer les désir émotionnel et charnel dans ses formes les plus passionnées. Ainsi, dans certaines contrées, comme en Andalousie, les jeunes femmes mettent des fleurs et des feuilles d’abricotier sous leurs jupes ou leurs robes, lesquelles sont censées les rendre irrésistibles."
L’œuf des Perlman, c’est la proposition qu’ils font à Oliver. Lui, trouve ce qu’ils veulent faire "dégueulasse," mais il va se plier à leurs exigences = il mange l’œuf même s’il déteste ça. (L’image est répétée plus tard, à 31min, avec un plan du type « Oliver ne sait toujours pas manger un œuf à la coque »)
A 8min38, Oliver déclare en ce premier jour chez les Perlman, « je veux ouvrir un compte pendant que je suis là. » Hum. Il est dans le nord de l’Italie pour six semaines ridicules, chez son prof de thèse, il n’a pas de boulot, il est étudiant, nourri, logé, mais il veut ouvrir un compte en banque. Il dit ça lorsqu’il détruit le premier œuf => il rejette la proposition (l'oeuf) tant qu’on n’a pas versé l’argent sur son compte (nécessité d'un compte en banque qui ne devrait pas lui être utile).
Vient ensuite la scène magnifique de l’étymologie du mot Abricot. C’est cette scène qui m’a fait passer le cap de supposer qu’Oliver n’est pas un étudiant, parce qu’elle était trop incohérente à trop de niveaux différents.
Son principe même est problématique. Il est fort peu crédible qu’Oliver ait une telle connaissance de l’étymologie du mot Abricot alors qu’il semble travailler sur de la littérature/philosophie. De même qu’il est fort peu crédible que le père d’Elio dise quelque chose dont il n’est pas certain devant un étudiant, surtout que son explication est d’une précision remarquable et ne coule absolument pas de source. Celle d’Oliver au contraire est bien moins crédible même s’il la dit avec sa confiance provocante. Aussi, il place dans celle-ci les mots « to be precocious, to be premature » ; il parle d’Elio et transforme le mot Abricot en play cock (Jouer bite) et bary cocky (Bare cock, bite à l’air). Il se moque effrontément du père Perlman et de sa proposition.
A noter, Oliver et le père ne sont pas en train de travailler à proprement parler, ils ne font que classer des documents => Aucune activité universitaire sérieuse en vue.
edit 2020: J'ai vérifié les dires d'Oliver et sa réponse est correcte alors que celle du père Perlman est erronée. Chaque année, papa Perlman fait exprès de faire une faute pour voir si son étudiant le remarque. Un rituel parfait pour aisément faire croire à Elio qu'Oliver est étudiant puisqu'il suffit de prévenir Oliver de la question qui va lui être posée. Et ici, Oliver profite d'ailleurs de la situation pour faire son malin.
Vient la scène du bar, qui devient beaucoup plus suspecte. Et si Oliver était simplement quelqu’un du coin ? Ou un américain qui vient régulièrement en vacances dans la région ? Aussi, cette introduction des jeux d’argents (poker) auxquels le père refera allusion plus tard, amène le thème de la dette. Oliver se prostituerait-il pour payer ses dettes de jeu ? Et s’il est étudiant, a-t-il réellement le temps d'aller à un bal, de s’amuser d’un côté avec Oliver, de s’amuser de l’autre avec Chiara, de s’amuser au centre avec les gens du village alors qu’il n’est là que six petites semaines ? Non, il n’a pas le temps, il n’est pas étudiant.
Puis vient le repas durant lequel Elio donne ses impressions sur Oliver. C’est également un moment où la manipulation parentale est claire. Elio dit qu’il trouve Oliver arrogant et suggère qu’il le déteste. Le père excuse Oliver d’un « Je pense qu’il est timide. » Cette phrase est risible. On vient de voir qu’Oliver a déjà une vie sociale au bar du coin, en deux jours ?, et la scène d’avant, il humiliait papa Perlman en se la jouant. Il est plus confiant qu'un taureau qui charge.
Annella quant à elle, sous-entend qu’Elio devra faire avec « l’étudiant » qu’il le veuille ou non, et lorsqu’elle demande à sa servante de « débarrasser ses couverts » Elio se fige puis roule des yeux : Il a cru qu’Annella le privait de repas parce qu’il avait osé dire quelque chose de négatif sur Oliver. Ce petit malentendu montre bien la violence latente présente dans sa relation avec sa mère.
L’absence d’Oliver à ce repas est peut-être une rébellion. Il a tâté le terrain dans la journée (le massage) et sait qu’Elio n’est absolument pas intéressé. Il est toujours en désaccord avec l’initiative des Perlman. Il est également possible qu’il se prostitue réellement et que les Perlman lui payent chaque heure qu’il passe en leur compagnie ou avec Elio, d'où ses nombreuses absences. Il n'est là que lorsqu'on lui demande d'être là, et quelque part, il tente peut-être d'aider Elio (au contraire de ce que je disais dans mon précédent article que je voulais plus simple et entièrement focalisé sur Oliver).
Il revient à la charge le lendemain, après avoir passé la nuit à l’extérieur il semblerait, ce qui produit la scène de la baignade dans le petit bassin durant laquelle il appelle Annella à l’aide parce qu'Elio reste concentré sur son livre de partitions :
Oliver -Il ne veut pas me dire à quoi il pense.
Annella -Eliooooo…
La réaction de la mère est exactement celle qu’elle aurait donnée si Elio avait 4 ans et avait dit à Oliver qu’il avait un gros nez. Elle le prive de son droit à un espace, à un regard propre et à une intimité en l’infantilisant.
Le bal a un point commun avec la scène de Volley-ball : Oliver n’a aucune raison d’être là ! Il n’a pas l’âge des jeunes gens. Il n’a pas d’atome crochu avec eux. On ne voit pas d’échange en groupe, pas d’introduction. Juste Oliver qui se met en scène, à moitié avec eux, à moitié tout seul. Il est en décalage avec tout mais en même temps donne tellement le sentiment qu’il s’en fiche et que rien ne l’atteint qu’il se dégage de lui une sorte de charme. Je ne saurais pas comment expliquer à quel point c’est tristement typiquement le genre d'homme qui sera populaire auprès des filles, celui qui travaille l'image qu’il n’a rien à faire là et se moque totalement de ce qui se passe autour de lui.
L’atmosphère un peu contemplative et magique du film vient également de l’absence de toutes ces scènes introductives qui seraient nécessaires si Oliver était humain. Il joue au volley et est parfaitement intégré : pourquoi ? comment ? ça ne coule pas de source. Il dance au bal avec les autres. Qui l’a invité ? Est-il là seul ? Ou a-t-il de la compagnie ? Que dit-il aux autres ? De quoi parle-t-il ? Il n’y a rien de développé parce qu’Oliver ne fait que créer une image.
Le lendemain, on a une scène dans laquelle Oliver, Annella et le père sont tous les trois présents. Elio tente d’affirmer son hétérosexualité, il va se retrouver invité à la mer pour la journée et manquer son rendez-vous avec Marzia le soir-même. Ici, on retrouve les trois motivations égoïstes des trois personnages. Le père empêche Elio de revoir la fille le soir même pour conclure. Oliver, dit à Elio de retenter sa chance avec elle, pour apparaître comme le gentil, pour inspirer la confiance, et Annella police la proposition « Réessayer quoi plus tard ? » demande-t-elle, comme si la réponse était inacceptable.
Plus tard Elio trouve un livre qu’Oliver étudie. Il le laisse là où il l’a trouvé après en avoir lu une ligne et quelques notes. Si Elio devait tomber amoureux d’Oliver, pourquoi ne parlent-ils jamais ? Oliver est censé écrire une thèse, il n’a aucune opinion à partager ? En deux scènes Marzia expose plus de réflexions personnelles que lui et fait une étudiante en littérature bien plus crédible. Plus tôt dans le film, on a droit à un extrait de la thèse, mais justement il est souligné que ce passage n’a aucun sens. Oliver n’en dit rien et Elio non plus. Il n’y a pas de thèse et ce livre avec une jolie réflexion laissé en évidence pour qu’Elio le trouve n’est qu’un livre laissé en évidence pour qu’Elio le trouve et lise cette magnifique réflexion : « La signification de l’écoulement de la rivière n’est pas que toutes les choses changent de sorte que l’on ne peut pas les vivre deux fois mais que certaines choses ne peuvent rester elle-même qu’en changeant » Traduction => « deviens homo pour rester toi-même ! »
Une énorme intervention parentale arrive juste après, lorsqu’Annella lit à Elio une histoire de déclaration d’amour passionnée et désespérée, tirée d’un vieux texte français. Et quelle coïncidence ! Elio a juste besoin de dire « Ma mère m’a lu un passage d’un roman français du 16ème siècle » et Oliver sait de quoi il parle. « Celui avec le chevalier qui ne sait pas s’il doit parler ou mourir ? » Et ben, il en a des connaissances ce Oliver... ou alors il n'y a qu'un seul roman français au 16ème et ce roman ne contient qu'une seule scène. Ce qui ne l’empêchera pas, dans la scène suivante de s’exclamer : « Est-ce qu’il y a une chose que tu ne sais pas ? » simplement parce qu’Elio connait l’histoire de la statue du village voisin, érigée en mémoire à une bataille de la première guerre .
Je rappelle que je me focalise sur la manipulation triangulaire, donc je passe les quelques scènes où Elio et Oliver se rapprochent pour la première fois, déjà analysées dans les précédents articles, pour en arriver à leur retour. Et là, encore un grand moment de violence sourde. Elio vient d’embrasser un homme, il est certainement complètement paumé. Il doit se demander ce qu’il fait. Son père lui a dit sans le moindre contexte « tu sais que tu peux nous parler Elio. » quand sa mère lisait le livre. Et donc, il est légitime de penser qu’Elio voudrait certainement parler à ses parents de ce qui vient de se passer, sauf que manque de chance, ils ont invité les deux personnes les plus bavardes de la terre.
Elio ravale son malaise et se met à saigner du nez. Bien sûr ce que je veux dire ici, c’est que les parents savaient que c’était le grand jour et ont fait exprès de se rendre indisponibles. Les remarques des invités elles-mêmes soulignent à quel point ce repas représente une idée saugrenue, ils insultent les Perlman frontalement sans hésitation. Les parents ont poussé Elio vers Oliver, ils l'ont mis en confiance et une fois le passage à l'acte effectué, ils font comme si de rien n'était. Ils ne veulent pas en entendre parler.
Oliver disparait à nouveau. Sa thèse doit sacrément avancer dis-donc. Elio le cherche et se retrouve nez-à-nez avec sa mère qui lui sert un mensonge frontal éhonté, comme quoi Oliver lui aurait dit qu’il aimait bien Elio « il y a un moment. » Elle modifie son discours en trois phrases sans la moindre gêne.
De son côté le père s’occupe d’Oliver et lui passe des diapositives de beaux éphèbes nus, concluant sur « On dirait qu’ils te mettent au défis de les désirer. »
Ces deux fous vont même jusqu’à inviter deux amis gays qui ont offert une chemise au style typiquement associé à l'homosexualité (nous sommes en 1983) à Elio afin de pousser celui-ci à la porter et ainsi attirer Oliver plus facilement... et faire sentir à Elio ce qu'ils veulent de lui.
Le soir, alors qu'ils sont sur le point de coucher ensemble, Oliver claque la porte de la chambre sans se poser de question, Elio a un moment de panique. Plan sur la maison vide. Les parents sont partis, Oliver le sait.
Alors qu'Elio et Oliver auront la maison pour eux deux, et qu'Oliver dort dans sa chambre. Marzia et Elio devront se contenter d'un vieux grenier. Leur relation est taboue et malvenue.
Lorsqu’il couche avec Marzia, Elio met la radio et est immédiatement satisfait d’entendre la chanson : « Words. »
Words don't come easy to me Les mots ne me viennent pas facilement.
How can I find a way to make you see I love you Comment puis-je trouver un moyen de te faire voir que je t'aime.
This is the only way for me to say I love you C'est la seule façon que j’ai de dire que je t'aime.
Well, I'm just a music man Je suis juste un musicien.
Melodies are so far my best friend Les mélodies ont été jusqu’à présent mes seules amies.
But my words are coming out wrong Je suis maladroit avec les mots.
Girl, I reveal my heart to you and Ma belle, je te révèle mon cœur et
Hope that you believe it's true 'cause J'espère que tu me croiras parce que c'est la vérité
Words don't come easy to me Les mots ne me viennent pas facilement
How can I find a way to make you see I love you Comment puis-je trouver un moyen de te faire voir que je t'aime.
Peut-on faire plus clair ? Aussi, pourquoi couche-t-il avec Marzia ? Et ce jours précis ?
Mais voilà, l’objectif est atteint. Elio a couché avec un homme. C’était le contrat, la suite est un développement inattendu suggéré par la mère qui cherche à ce qu’Elio ressorte tellement traumatisé de l’affaire qu’il n’ose plus jamais se tourner vers quelqu’un d’autre qu’elle.
Ce qu’elle n’a pas prévu c’est le « Appelle-moi par ton nom ! » Et c’est ce qui fait rire Oliver dans le bus. Elio lui demande « what ? » Oliver n’en revient pas du niveau de bêtise de ces deux parents qui viennent de lui servir leur fils sur un plateau.
Annella invite Marzia et Chiara à manger. Première fois qu’elle prend en compte leur existence, pourquoi ? Parce qu’elle va leur annoncer victorieuse qu’Elio est homo et qu'elles doivent se faire une raison. "J'ai gagné les filles, maintenant du vent ! Il est à moi !"
Bref, voilà donc un film assez génial et dingue. Un des thrillers psychologiques les plus complexes et tordus que j’ai jamais vu et qui est très pertinent à notre époque d’esprits ouverts à la hache.
Maintenant, et puisque personne ne lira jusque-là, il y a un truc que j'aimerais dire parce qu'il me pose problème. Marzia est une fille irresistible dans le vrai sens du terme. Elle est sublime, elle est douce, elle est enthousiaste, elle ne juge pas, elle est intelligente et sensible, tout ça en ayant un instinct de survie et une personnalité etc... c'est un individu complet et parfait et la manière dont les spectateurs ignorent son existence comme si elle n'était qu'un égarement d'Elio alors qu'il prend des initiatives avec elle, qu'il est présent et doux, je trouve que cette manière de voir les choses flirte sévèrement avec la misogynie (La vraie, pas celle que les féministes s'inventent, plutôt celle qu'ils propagent). Au final, le seul défaut de Marzia, c'est d'être une femme. "Oui mais Elio est homo." Non. Les deux relations sont clairement en rivalité et d'ailleurs les choses se passent beaucoup moins bien avec Oliver qu'avec Marzia.
"Marzia, si tu m'aimes, tue mes parents." "T'inquiète Elio, c'est déjà prévu. Je vais pendre ton père par les testicules jusqu'à ce que mort s'en suive et brûler ta mère au bûcher." "Je t'aime."