Once Upon a Time in… Hollywood : Sharon Tate était la cible. (1700 mots)
Edit : étant donné que le film aura un director’s cut de 4 heures, cet article pourrait aussi bien partir à la poubelle si les nouvelles scènes viennent contredire mon analyse. Je pense qu’elles pourraient fort bien la consolider mais je ne peux pas deviner.
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Je suis assez ennuyé à l’écriture de cet article puisque le film est basé sur des faits réels et que je n’ai pas envie d’accuser des gens à tort et à travers, même si, pour ce qui est du meurtre il y a prescription de toute façon. J’aimerais néanmoins souligner que je parle d’un film. La Colline a des yeux également est tiré de faits réels et je ne pense pas qu’on en conclurait quoi que ce soit sur ceux-ci à partir du film. Dans mon article sur Tout l’argent du monde, je soutiens que c’est Gail Harris qui fait enlever son fils alors que je n’ai jamais entendu parler de la réelle affaire. Je parle du film et de ses personnages indépendamment de la réalité.
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Allons-y pour la lecture alternative. En discutant sur des forums j’ai remarqué une tendance parmi les spectateurs : celle d’interpréter et de juger le film à l’aune des événements réels. Beaucoup sont convaincus que Tarantino s’attendait à ce que l’on révise l’histoire du meurtre de Sharon Tate avant de se diriger vers la salle de cinéma et que c’est pour cette raison qu’il développe si peu d’éléments sur elle, son mari et sa vie privée.
Deux choses invalident cette approche interprétative :
1-Attendre du public qu’il se renseigne sur les faits afin de comprendre le film c’est faire un mauvais film. C’est une démarche absurde. Il n’y a pas la moindre chance pour que Tarantino considère son film comme étant partiel ou nécessitant que le public connaisse l'histoire du drame. Non. Le style énigmatique, le manque de détail, la focalisation sur Rick et Cliff plutôt que sur Sharon Tate et ses fréquentations sont le résultat de choix narratifs. C’est une approche qui a un but précis et qui se suffit à elle-même.
2-Croire qu’il y a besoin de se renseigner sur les faits pour comprendre le film, c’est s’enlever des chances de le comprendre justement. En racontant les choses de la manière dont il le fait, Tarantino fait bien plus que répéter l’histoire ou la modifier pour le fun. Il nous donne son point de vue, il glisse des corrections réelles qu’il cache derrière ses modifications grotesques et mine de rien, il déconstruit la version la plus connue du drame.
Prenons le passage avec Bruce Lee. Evidemment, la scène montrée est totalement fictionnelle puisque Cliff n’existe pas, il ne s’est donc jamais fritté avec Bruce Lee, de même que, selon sa fille, la vedette ne se serait jamais vantée de pouvoir briser Cassius Clay en deux. Pourtant, on se doute bien que derrière tout ça il y a quelque chose que Tarantino veut dire sérieusement : Bruce Lee était arrogant et antipathique. Personnellement, je pense que c’est vrai mais là n’est pas la question, ce qu’il y a d’important ici c’est de comprendre que, comme la scène avec Bruce Lee, la reconstruction fantasmée de l’attaque des trois tueurs peut contenir un message au-delà de sa claire fausseté.
Pour cette raison, connaître les faits "véritables" n’aide pas nécessairement, cela représente au contraire une barrière entre le spectateur et la signification du film.
L’une des idées qui peuvent venir très facilement à un spectateur qui ignore tout de l'histoire, c’est que Cliff et Rick vont rencontrer Sharon Tate et que l’un d’entre eux va avoir une aventure avec elle. Sinon, pourquoi nous présenter cette femme magnifique voisine de Rick, qui change de mari comme de chemise et passe des après-midis à aller au cinéma ou à se promener en voiture seule ?
Lorsque Cliff répare torse nu l’antenne sur le toit de la maison de Rick et regarde autour de lui, j'ai cru pendant un instant qu’il allait apercevoir Sharon Tate en bikini dans sa cour et qu’elle allait lui faire signe. Mais non, il y a trois personnages principaux dans cette histoire et ils ne se rencontrent que dans la dernière minute du film, ce qui est assez exceptionnel. (Correction: il jette un oeil à la maison et on voit Sharon Tate écouter de la musique en dansant dans sa chambre).
Cependant les différences vraiment importantes que l’ignorance des faits véritables peut apporter dans la perception du film se situent à un autre niveau.
Nous savons tous que le meurtre de Sharon Tate a été perpétré sous forme de rituel « satanique » : coups de couteaux en nombres largement disproportionnés, mot écrit avec le sang des victimes attachées par le cou, masques etc… Les assassins faisant partie d’une secte il est donc facile d’y croire. Un détail moins connu est que le mobile des meurtres serait que Charles Manson désirait se venger du précédent propriétaire de la maison Terry Melcher, producteur de musique qui avait refusé de le signer. Melcher ayant déménagé les sbires cinglés de Charles Manson ont massacré les nouveaux occupants qui n’avaient rien à voir avec l’histoire. (Heureusement qu'on a affaire à des suppos de satan débiles sinon on jurerait que cette histoire est ridicule).
Dans le film, rien sur Melcher, rien sur Manson et ses ambitions musicales, rien sur des tendances satanistes chez les assassins. Si ces éléments sont absents c’est peut-être pour une bonne raison.
Dans la bande-annonce on pouvait voir que la scène de réparation de l'antenne s'achevait sur le salut de Charles Manson à Cliff.
Charles Manson apparait un instant. Il passe à la propriété et explique qu’il cherche un ami. Je ne me souviens plus mais j’imagine qu’il s’agit justement de Terry Melcher. Donc, Tarantino instaure précisément dans son film une scène dans laquelle Manson apprend que le mec dont il veut se venger a déménagé. Le spectateur qui se sert de la réalité y verra un indice du mobile, mais le spectateur qui ne sait rien verra seulement un hippie louche qui prétend chercher quelqu’un et qui lance un regard très appuyé à Sharon Tate parce qu'elle est belle.
Ce que le film suggère, c'est que l’histoire de vengeance envers le producteur n’est qu’une excuse que Charles Manson utilise pour faire du repérage. Il sait très bien que Terry Melcher n’habite plus là. Il jette un long regard appuyé à Sharon Tate : c’est elle la cible.
Lorsque Cliff visite le repaire des hippies, la scène à l’ambiance délicieusement menaçante et grotesque nous apprend un certain nombre de choses. Même si George n’est pas mort comme on aurait pu le croire, il est clair que les hippies se servent de lui. Une fille paye de son corps pour que tout le monde puisse habiter là. Ce « tout le monde » c’est les membres d’une petite secte à la botte d’un gourou dont le nom revient constamment : « Charly. » On sent bien qu’il y a une violence sous-jacente forte à tout cela, un cynisme, une cruauté et également une misère (on a vu les filles faire les poubelles) et un désespoir qui peuvent pousser à tout. La fille qui propose une fellation à Cliff ne cherchait-elle pas à le mettre dans une situation dans laquelle elle pourrait lui extorquer de l’argent ou le manipuler à coup de chantage. Recrutons Cliff, le cascadeur tueur de femme... pour faire la lessive ? Ou pour tuer une femme ?
La pauvreté et le désespoir, ça n’est pas le satanisme. Aucun indice de culte ou de rituel sinistre, juste une communauté de miséreux qui exploitent un vieux et squattent sa propriété. Des satanistes auraient parfaitement pu être à l’abri du besoin, avoir un statut social, comme ceux de Rosemary’s Baby.
Ainsi, la visite de Charles Manson, la misère des hippies, l'invitation de Cliff, et la voiture qui suit* Sharon Tate construisent en creux l’idée d’un assassinat commandité. Pour pouvoir regarder le film de cet œil, il ne faut pas chercher à reconstruire la version officielle, au contraire, il faut accepter de la mettre de côté.
*Il me semble avoir aperçu une voiture qui la suivait durant la longue scène où on la voit conduire et je me demande s’il n’y aurait pas également quelque chose à remarquer dans celle où elle se balade et va soudainement au cinéma.
Si l’assassinat est commandité, il y a un commanditaire. Qui pourrait vouloir tuer Sharon Tate ? On ne nous dit rien sur elle… mis-à-part qu’elle change de mari comme de chemise. Elle était avec l’un, s’est mariée avec l’autre, et maintenant semble remise avec le premier à l’insu de son mari. On entend parler de cette histoire de la bouche de Steve MacQueen à la soirée au début du film. Pourquoi donner tant d’éléments sur Sharon Tate pour ensuite au contraire complètement laisser tomber sa vie sentimentale ?
Ça serait le mari de Sharon Tate qui l’a faite assassiner ! Mais voyons, un mari ça n’assassine pas sa femme… sauf Cliff. Ça ne vous a pas fait sursauter quand Kurt Russel s’exclame « He murdered his wife ! » On est choqué car jamais on aurait imaginé que Cliff puisse faire une chose pareille… c’est drôle de conditionner son public à être prêt à concevoir qu’un mari dont on imaginerait jamais ça de lui, puisse assassiner sa femme.
Bref, j'ai l'impression que le film suggère que c’est Roman Polanski qui est derrière le meurtre de Sharon Tate. Peut-être l’enfant n’était-il pas de lui ? J’ai cru qu’il s’agissait au contraire du mari bafoué qui voulait se venger d’elle mais il me semble qu’il est mort dans le massacre également non ? Sinon, cela pourrait être également lui. Cependant, il y a un dernier élément qui me pousse à croire que Tarantino suggère que c’est Polanski : le style du film.
Once Upon a Time in… Hollywood est fortement marqué par le style de Rosemary’s Baby de Polanski, dans la manière dont les détails en apparence les plus insignifiants deviennent menaçants. Ca vaut le coup de regarder le film de Polanski rien que pour pouvoir faire la comparaison.
Le meilleur exemple c’est la voiture qui suit Sharon Tate. Dans un film habituel, on nous montrerait explicitement que la jeune femme est suivie et c’est ça qui serait inquiétant. Mais l’approche de Tarantino qui recopie Polanski c’est de nous montrer Sharon Tate au volant pendant 5min sans que jamais la voiture qui est derrière elle ne change de route. Rien n’est affirmé, mais il y a clairement quelque chose d’inquiétant. Idem pour Charles Manson qui cherche son pote mais fixe Sharon Tate. Ou la cigarette de LSD à 50 cents que Cliff fûme alors que son personnage est introduit et développé comme quelqu'un qui fait très attention à sa santé, évite ce genre d'excès et a une discipline de fer. La visite chez les Hippies également fait bien attention à être très inquiétante sans pour autant dire quoi que ce soit d’explicite.
Tout ça, c’est du Rosemary’s Baby… et je trouve que tourner dans le style de Polanski toutes les scènes qui mènent à la tentative d’assassinat c’est très accusateur, surtout alors que le personnage du réalisateur n'est pas développé.
Et tout ça n'est que la partie émergée de l'iceberg parce qu'il est probable que le fil conducteur soit en fait l'interaction entre la préparation de l'assassinat et la vie de Rick Dalton. Mais il faudra que je revois le film pour explorer cette interprétation.
Je pense qu'il est possible que Tarantino ait construit le film de manière à ce que cela soit l'existence (niveau métaphorique) et la présence (niveau littéral) de Cliff et Rick qui constamment empêchent et reportent le meurtre.