Chanson Douce: Myriam obtient ce qu'elle cherche. (3900 mots)
Le visage qui se fissure, l'individualité qui s'effondre. Louise est présentée comme une victime dès le départ. C'est quand même sacrément osé. Si elle avait été souriante et resplendissante, j'y aurais vu l'idée du mal caché derrière la surface, mais là, non, on nous montre vraiment une pauvre femme fragile qui va être amenée jusqu'à sa destruction.
Je me suis trouvé un peu pris de court face à l’évidence de la lecture alternative de Chanson Douce, tant elle est osée et sombre… et pourtant très accessible.
L’histoire est celle d’une nounou d’abord parfaite, engagée par deux parents modernes moyens qui vont lui laisser beaucoup d’espace pour s’occuper de leurs enfants. Hélas, Louise leur a caché le drame qu’est son existence : on lui a retiré la garde de sa fille à la mort de son mari. La nounou traumatisée va s’attacher excessivement aux enfants dont elle doit s’occuper et devenir dépendante de son rôle auprès d’eux comme on souffre d’une addiction. Peu à peu, des comportements pathologiques vont apparaître chez elle, vexations, colères, initiatives sadiques auprès des enfants, jusqu’au drame final : lorsque son renvoi devient inévitable et imminent, elle tue les deux enfants et se suicide.
L’une des raisons pour lesquelles j’aime beaucoup développer ces lectures alternatives est qu’elles reposent souvent sur la mise en avant d’un biais réflexif extrêmement présent dans notre culture. Par exemple, il y a celui qui veut qu’une victime ait raison alors que parfois on peut être persécuté ou assassiné tout en défendant des idées arrogantes, nocives ou stupides. Un autre biais réflexif, l’idée qu’une personne qui souffre est la mieux placée pour expliquer sa souffrance. Pour Chanson Douce, nous sommes devant un biais bien plus vicieux, l’idée qu’une personne qui commet un acte abominable est nécessairement la seule responsable de son geste. D’ailleurs, même lorsque je le formule la faille n’est pas évidente.
Ce que je veux dire, c’est que Louise n’est pas le monstre du film. Elle tue deux enfants oui. C’est un monstre. Sauf qu’en fait le véritable monstre c’est Myriam, la mère.
L’histoire de Chanson Douce est celle d’une femme vaniteuse et superficielle qui va découvrir que des enfants ça demande un investissement de sa personne et que ça n’est pas nécessairement toujours gratifiant et reluisant. Elle engage donc un assassin pour se débarrasser de ses deux progénitures gênantes. Fin.
Evidemment, j’exagère. Cependant, et c’est ce qui m’étonne dans le film, il est difficile de ne pas voir que Myriam s’en fiche de ses enfants et qu’elle laisse passer un nombre incalculable de comportements morbides qu’une autre mère aurait immédiatement identifiés comme étant alarmants. La mère de Paul qualifiera Louise de « mère en solde inquiétante. »
Ce qu’il se passe c’est que le désir de Myriam d’offrir à ses enfants la meilleure nounou possible, son enthousiasme pour Louise, vient de son désir d’offrir une mère digne de ce nom à ses enfants, ce qu’elle n’est absolument pas puisqu’elle s’en fiche totalement d’eux. Au fur et à mesure des incidents et des problèmes il va devenir de plus en plus sourdement palpable que le travail de Louise est de décharger intégralement Myriam de son rôle de mère. Or, c’est exactement ce que la pauvre femme déglinguée demande. Si le message est « devient la mère de mes enfants » alors le message est également « je préfèrerais ne pas avoir d’enfants » et par conséquent « j’aimerais que mes enfants soient morts. »
Louise tue-t-elle Adam et Mila pour rendre service à Myriam ? Non absolument pas, elle les tue parce qu’elle a déjà vécu le cauchemar de se voir retirer la garde de sa fille et est incapable de revivre une telle horreur une seconde fois. Tuer ses enfants devient le seul recours qu’elle a de ne pas les voir lui être pris. Alors bien sûr, Mila et Adam ne sont pas les enfants de Louise, mais c’est justement la particularité morbide de cette situation, Louise se trouve face à une autre mère qui n’en veut pas.
Tout au long de l’histoire, Louise est heureuse de constater quelle bonne mère elle aurait été. Elle soigne une blessure et se venge de l’humiliation qu’on lui a infligé : lui retirer sa fille sous prétexte qu’elle n’avait pas d’argent. Comme si elle ne valait rien au-delà de ça, comme si son amour maternel ne valait rien.
La fin de son histoire avec Myriam et Paul la remet dans la même situation mais en plus ignoble encore. Elle a, cette fois, eu l’occasion de prouver sa qualité de mère, elle a été applaudie, célébrée, on lui a même pardonné tous ses écarts les plus inquiétants et morbides… mais on va la virer parce qu’elle a des dettes, ces mêmes dettes qui lui ont fait perdre sa fille et lui viennent de la mort de son mari. Ces dettes qu’elle ne paye pas parce qu’elles sont injustes et ignobles. Pire, on va la remplacer par une crèche et deux parents invisibles, indignes du mot lui-même, deux parents qui ont prouvé dans les faits, qu’ils se moquent bien d’avoir des enfants.
Ainsi, son talent et son amour de mère, cette fois reconnus dans toute leur grandeur, vont être à nouveau disqualifiés d’un revers de la main. Ils ne valent rien, on s’en fout. Ça et la perspective d’être privée des enfants provoque le suicide. Ce qui engendre l’infanticide, c’est que personne n’ait combattu le sentiment de Louise qu’elle est la mère de Mila et d’Adam.
Tout ce qu’il fallait, c’est que Myriam réaffirme sa position de mère, mais bien au contraire, elle ne le fait pas. Même lorsqu’à l’évidence il n’y a plus rien à sauver avec Louise, Myriam ne le fait pas et laisse donc la nounou enfermée dans son équation morbide : « Tes enfants vont être privés de leur mère et tu vas être privée de tes enfants. »
« Myriam, t’es avocate ! Tu sais bien qu’avec la manière dont on l’exploite elle pourrait se retourner contre nous et nous accuser de l'exploiter ! »
Ce qui fait de Myriam le monstre de cette histoire, c’est que son comportement se superpose parfaitement à celui d’une femme qui chercherait à ce que les choses prennent exactement la tournure tragique qu’elles prennent et qu’en plus, certains éléments sont vraiment très incriminants. Je reformule : derrière ses petits airs de femmes dépassées par la situation mais foncièrement bienveillante et charmée par la nounou, on dirait bien qu’il y a juste une folle manipulatrice qui organise l’assassinat de ses enfants.
Lorsque Mila parle d’un comportement qui devrait immanquablement faire virer Louise (uriner dans le pot sous les yeux de la gamine), Myriam disqualifie la parole de sa fille et l’envoie immédiatement au lit. Elle ne veut pas entendre de choses négatives sur la nounou, même alors qu’elle sait parfaitement qu’il y a des choses suspectes.
"Bon Mila, tu vas te coucher ? Allez ma chérie, tu veux quand même pas faire foirer le plan de maman !"
Autre exemple, Myriam est contactée à l’école par la professeure parce que Mila a frappé un élève avec une règle. Face à celle-ci, la mère est sérieuse, « confuse, » polie, compréhensive et à peu près crédible. Cependant, cet incident n’aura aucun écho. Myriam n’en parlera pas à Mila ou à Louise et ne se décidera pas à être plus présente comme le lui suggère la prof.
A la place, Myriam et Paul vont inviter Louise encore plus dans leur vie. Soirée surprise avec des amis à laquelle elle est conviée à participer moitié en servante, moitié en amie. Puis c’est en vacances qu’ils l’invitent. La mise-en-garde de la prof a été jetée à la poubelle.
Aussi, l'hypocrisie crasseuse de ces deux petits-bourgeois suintera joliment quand plus tard Paul s'exclamera "elle veut quand même pas qu'on lui paye des vacances !?!" "C'est pas notre amie ! C'est notre nounou !"
Mais prenons l’histoire dès le début et focalisons-nous sur l’ambiguïté douteuse de la bienveillance de Myriam et sur la laideur de sa personnalité :
« Ma fille n’allait pas encore à l’école quand j’suis retombée enceinte. J’ai toujours prétendu que c’était un accident mais en réalité j’l’ai fait exprès. Mon fils c’était la bonne excuse pour ne pas quitter la douceur du foyer. Mais avec deux enfants tout est d’venu plus compliqué. »
J’ai croisé nombre de personnes dans ma vie qui avaient fait des enfants par pur intérêt calculateur égoïste. J’ai vu la situation d’enfants qui servaient à enfermer un partenaire dans le couple du point de vue des deux sexes. Une femme tombée enceinte (arrêt dissimulé de pilule) pour capturer un homme à qui elle annonce la nouvelle une fois qu’elle ne peut plus avorter, un homme qui pousse sa copine à avoir un rapport sexuel sans moyen contraceptif (sans pilule du lendemain possible) dans l’espoir qu’elle tombe enceinte, sachant que l’avortement est quelque chose de très sérieux pour elle et la séparation une fois qu’on a un enfant également. Dans les deux cas, la personne qui s’est servie de l’enfant comme d’un moyen a à nouveau prouvé sa bassesse une fois ce qu’elle désirait obtenu. La première a quitté son homme au bout d’un an et lui a abandonné cet enfant qu’il n’a pas eu le choix d’avoir, le second, qui a capturé sa copine à coup de maternité tant il voulait s’assurer de ne jamais la perdre, l’a trompée deux ans après.
C’est ce que la magnifique maman de ce film confesse dès les premières secondes : Elle a fait un deuxième enfant pour récupérer le confort que le premier lui avait apporté. Et elle signe son crime puisqu’elle a prétendu que ce deuxième enfant était un accident. Elle l’a donc imposé à son mari. Et que dit-elle de la situation maintenant ?
« Les journées plus longues. Ils me dévorent vivante, j’étouffe. Depuis qu’ils sont nés j’ai peur de tout. Surtout j’ai peur qu’ils meurent. J’suis sûre que tout le monde a eu cette pensée. Quand on regarde son enfant dormir en se demandant c’que ça nous ferait si ce corps-là était un cadavre, si ces yeux fermés l’étaient pour toujours. J’n’y peux rien. Je rêve, la nuit de leur disparition soudaine, au milieu d’une foule indifférente. Je crie, « où sont mes enfants. » Et les gens rient. Ils pensent que j’suis folle. »
Le thème des [ethnies, nationalités, cultures, immigrants] revient très souvent dans le film et j'ai bien l'impression que le problème de Myriam c'est surtout que son petit Adam il ressemble un peu trop à son père. La mixité ça fait bien en soirée mais c'est moins sympa quand tu as l'impression que l'enfant qui est sorti de ton ventre n'est pas de toi.
Elle nous explique qu’elle n’en peut plus. Hoooo, la pauvre chérie. Elle a mis un enfant au monde pour avoir quelques mois de vacances supplémentaires et maintenant qu’il faut qu’elle l’élève, c’est trop duuuuuuuur. Adam a onze petits mois lorsqu’elle fait cette déclaration.
Ce qu’il faut immédiatement noter c’est que l’on est devant une histoire de parents qui prennent une nounou. Myriam essaye de nous faire croire que son problème c’est l’inquiétude, l’anxiété, mais pourquoi cette anxiété d’être mère deviendrait-elle insupportable au deuxième enfant et pas au premier ? Si Myriam était si dévorée par l’inquiétude, prendre une nounou serait exactement la dernière de ses envies, de même que de reprendre le travail. La première conversation avec le mari met également les choses au clair très rapidement.
Il l’embrasse : « Ça va ?
- Ça va. J’en ai juste marre d’avoir l’air épuisée alors que j’fais rien de mes journées.
- Bah ! T’fais pas rien. T’es incroyable, t’arrête pas avec les p’tits du matin au soir. »
On reconnait le « t’es incroyable » lèche-cul soumis hypocrite féministe. J’ajoute « féministe » parce que ce mouvement nous harcèle pour que l’on reconnaisse les accomplissements des femmes dès qu’elles lèvent le petit doigt ce qui crée une culture de compliments faux-cul insensés manipulateurs. Plutôt que de combattre ces bêtises qui détruisent le langage et les valeurs, des expressions vides de sens apparaissent. « T’es incroyable. » Un compliment excessif ridicule pour soigner/contenter l’égo de madame à peu de frais.
"T'es incroyable quand tu me laves les pieds et que tu sors les poubelles ! J'ai jamais vu quelqu'un le faire comme ça."
"Au fond ça t'rassure d'avoir ta p'tite femme et les gosses à la maison." Que c'est beau, que c'est noble et élevé comme attaque de la part d'une femme qui a fait un deuxième enfant pour rester à la maison et ça sans laisser le choix à son mari. Vraiment ce couple est glorieux.
Cependant, ce qui est réellement important ici, c’est ce « j’fais rien de mes journées. » Une fois encore, le film nous donne dès le début toutes les raisons d’abandonner toute considération pour Myriam. Elle a entièrement créée la situation dans laquelle elle se trouve et cela sans la moindre considération pour la vie des personnes que sa décision concerne, et elle ose venir se plaindre. En dégradant au passage le rôle de mère : s’occuper de ses enfants, c’est ne rien faire.
Myriam parle de vouloir reprendre le travail, Paul réagit mal, il n’est pas enthousiaste et le film embraye plus encore dans la tangente féministe dans toute sa splendeur : le mec ne disait rien mais il était bien content d’avoir sa petite femme au foyer traditionnelle qui s’occupe des enfants. Tous les mêmes ! Et lorsqu’il ose dire à Myriam la vérité, « c’était ton choix », vérité encore plus vraie qu’il puisse l’imaginer puisque l’enfant n’est là que parce qu’elle l’a voulu et lui a imposé, Myriam se vexe et se braque. Très amusant.
Le film pointe encore plus du doigt l’hypocrisie de cette femme lorsque Paul lui dit que s’ils prennent une nounou, tout le salaire du travail que Myriam va prendre passera dans les frais de cette nounou. Donc le travail ne servira à Myriam qu’à échapper à sa vie de femme au foyer. En gros, Myriam considère qu’elle a juste mieux à faire que de s’occuper de ses enfants. Elle a fait un enfant par caprice et ne veut pas en assumer les conséquences... qui, en plus, seraient une vie heureuse pour beaucoup de gens. Rester chez soi à s’occuper de sa maison et de ses enfants, ça n’est pas la pire des destinées.
Mais non, c’est pas juste, elle ne voulait Adam qu’un an ou deux avant de le rapporter au magasin.
L’ambiguïté de la phrase « Quand on regarde son enfant dormir en se demandant c’que ça nous ferait si ce corps-là était un cadavre, si ces yeux fermés l’étaient pour toujours » est assez terrifiante. Elle peut se demander ce que cela lui ferait convaincue que ça la soulagerait. Il n’est pas évident dans cette phrase qu’elle ne désire pas que ces yeux fermés le soient pour toujours. Or, cette femme n’est pas en train de nous parler du bonheur d’être mère mais bien du fait que depuis qu’elle a deux enfants, sa vie lui est insupportable.
Aussi, il faut rappeler que le deuxième enfant de Myriam est né depuis 11 mois. Comme le dit son mari en parlant d’une éventuelle reprise du travail de sa femme « là, c’est compliqué pendant qu’ils sont encore petits. » Comment Myriam ose-t-elle créer cette situation alors qu’elle a imposé cet enfant au monde ? Où trouve-t-elle cette présomption infinie non seulement d’imposer un deuxième enfant à son mari, de donner la vie à un enfant uniquement pour ses intérêts à elle et enfin de désirer qu’il disparaisse lorsqu’elle n’en a plus besoin ?
Le film ne laisse aucun doute sur le fait que Louise assure à tous les niveaux avec les enfants. Elle réconciliera Mila avec l’existence de son frère et sera même témoin des premiers pas de ce dernier.
Il est plus que suspect que cette mère, dont les deux enfants vont être assassinés par la nounou, soient décrite dès le départ, comme une mère qui voudrait bien voir disparaître l’un d’entre eux. D’ailleurs la grande sœur commence déjà à faire des passages à l’acte contre son frère. Elle sent qu’il n’est pas le bienvenu et se sent le droit de le harceler, de lui faire du mal.
De même, le rêve de Myriam qu’elle n’appelle pas « cauchemar » est ambigu : « Je rêve la nuit, de leur disparition soudaine, au milieu d’une foule indifférente. Je crie, « où sont mes enfants. » Et les gens rient. Ils pensent que j’suis folle. » Si Myriam redoutait uniquement qu’il arrive quelque chose à ses enfants, elle rêverait qu’il arrive quelque chose à ses enfants. L’intégration d’un regard extérieur est très étrange ici. Une foule indifférente qui rit et lui dit qu’elle est folle. Pourquoi ? Parce que le rêve de Myriam c’est de se réveiller et de ne pas avoir d’enfant, c’est qu’un beau jour, elle se balade dans une rue piétonne et soudain, sa fille et son fils ne sont plus là. Elle cri « Où sont mes enfants ! » et les gens rient parce qu’elle n’a pas d’enfant, elle se baladait toute seule. Ils la croient folle.
"Tu veux bien me regarder ? Des fois, j'ai le sentiment que notre couple ne tourne qu'autour de toi et de ton image.. un peu comme si t'étais juste une con***se narcissique."
La dynamique de Myriam est qu’elle se sent incapable d’être une mère, qu’en plus elle déteste l’être et elle déteste donc avoir des enfants et s’occuper d’eux mais qu’au fin fond de tout cela, elle ressent une sorte d’instinct maternel atrophié lointain qui veut qu’elle fasse ce qu’il faut pour eux.
Et donc, lorsqu’elle décide de prendre une nounou parfaite, c’est en partie pour protéger ses enfants d’elle-même. Après les nombreux entretiens d’embauche, on la voit fumer une cigarette dans un coin : elle a pris son pied à les faire passer.
Deux raisons possibles à ça : elle s’est retrouvée en position de pouvoir. Dans un rôle autre que celui de mère. Mais aussi, elle considère toutes ces femmes incompétentes et se dit que peut-être, elle n’est pas la pire elle-même.
Son mari lui demande : « T’es pas trop démoralisée ? » elle répond « Non ! Mais je pensais pas que ça allait être aussi crevant. »
Tiens donc, cette fatigue à nouveau. On remarque que c’est son mari qui s’inquiète de son bien-être, pas l’inverse. Tout est fait pour elle, tout se passe pour elle, mais cela ne lui inspire pas une once de gêne ou de culpabilité.
Malgré tout, il y a une différence entre être une femme égoïste irresponsable et faire assassiner ses enfants. J’en reviens à ce que je disais au-dessus, puisque ce que Myriam cherche réellement c’est une mère de substitution pour ses enfants, son initiative contient l’idée qu’elle aimerait juste que ceux-ci ne prennent aucune place dans sa vie, ou qu’ils ne soient qu’une image, qu’un mot, un symbole pour frimer devant les potes en soirée. Louise, dans les derniers moments avant le drame, maquille Mila. Paul s’exclame « on dirait une pute. » N’est-ce pas ce que ces parents font de leurs filles ?
D’ailleurs Louise prend différentes initiatives pour éviter la conclusion tragique. Le pot, le regard de mépris intense à Paul lorsqu’il lui dit que Mila a l’air d’une pute, le regard désespéré de détresse à la collègue, le squelette de poulet laissé sur la table… la nounou sait ce vers quoi tout cela l’amène. Elle sait qu’elle ne supportera pas de « rendre » « ses » enfants à ces deux parents qui la dégoûtent et elle tente de les faire réagir, de leur faire prendre des mesures honnêtes de réappropriation de leurs progénitures. Ce qu’ils ne feront évidemment pas. Paul fait un peu écouter de musique à Mila et se désintéresse d’elle dès qu’il voit qu’elle s’en moque.
Le jour de l’anniversaire de Mila. On ne la voit recevoir aucun cadeau de ses parents et sa mère s’éclipse durant la fête pour aller travailler un dossier et piquer un somme.
Là où les choses deviennent plus suspectes, c’est lorsque l’on voit que Myriam travaille sur des dossiers de divorce et d’obtention de garde d’enfant. Est-il possible un seul instant qu’elle n’ait pas fait de recherches sur Louise ? Qu’elle ne connaisse pas l’histoire tragique de sa nounou. Et la copine arabe de Louise qui l’aborde sans raison et devient sa copine sans raison, n’est-elle pas là par requête de Myriam ?
"Elle reviendra pas et ça sera pas la première fois qu'une nounou disparait du jour au lendemain. Des histoires comme ça, j'en ai entendu plein." Les considérations que Myriam a encore deux jours avant l'assassinat de ses enfants.
Il y a un décalage coupable, criminel, dans les réactions de la mère véritable qui devrait mettre fin au contrat de la nounou beaucoup de fois avant la fin tragique et ne le fait jamais. Plus étrange encore, elle se braque pour des bêtises (l’histoire de date de péremption sur les yaourts) et rabaisse Louise, et d’un autre côté, laisse passer des indices sérieux de la dépendance de la nounou à son job. Louise vient de plus en plus tôt, part de plus en plus tard, se vexe quand on lui dit qu’on a pas besoin de ses services mais la mémoire de Myriam semble terriblement courte quand il est question de tout ça.
La manipulation est un phénomène difficile à dénoncer car lorsque l’on accuse un manipulateur en mettant bout à bout comportements et objectifs, on fait facilement passer la personne pour un génie du mal qui calcule et contrôle tout alors que souvent les comportements de manipulation sont au contraire très spontanés, seulement partiellement conscients et que les manipulateurs ont au contraire une vision très simplistes à très courts termes. Lorsque l’on découvre le « pot aux roses » on peut mesurer la bêtise infinie de l’objectif pour lequel tant a été commis.
Lorsque je dis que Myriam engage un assassin pour se débarrasser de ses deux enfants, je la mets dans cette position de génie du mal, alors qu’en réalité c’est plutôt l’inverse. Elle ne se rend pas compte que c’est son désir de se débarrasser de ses enfants qui la guide et qu’inexorablement elle mène l’aventure vers cette conclusion funeste.
Toujours est-il que Myriam s’y connait en familles qui se séparent et en parents privés de leurs enfants et qu’elle est mieux placée que n’importe qui pour connaître le passé de Louise et pour mesurer la violence et le danger que représentent ce qu’elle demande à sa nounou. Paul lui rappellera même que Louise pourrait les attaquer légalement à cause du nombre d’heures qu’elle travaille pour eux. Myriam déclare « Louise ferait jamais ça. » Cependant, la question n’est pas de savoir si elle le ferait ou pas mais plutôt si elle n’aurait pas raison de le faire, si la manière dont Paul et Myriam traitent Louise ne rentre pas dans la définition du mot « exploitation. » Bien sûr que oui.
Les deux parents exploitent Louise sans vergogne, ils exploitent sa fragilité psychologique, ils utilisent le drame tragique qui a détruit sa vie et s’ils ne le savent pas, c’est parce qu’ils sont d’un égocentrisme égoïste gigantesque, persuadés d’être des gens biens qui n’ont pas besoin de se poser de question et qui ne s’en posent pas.
(edit 2021: le fait que Louise pourrait les attaquer légalement et ne le fait jamais est également un sérieux indice de sa détresse. Elle est ensevelie sous les dettes et a un moyen clair de se faire des sous mais elle ne le fait pas, parce que jouer à la maman est bien plus important pour elle).
La veille de l’assassinat, Louise laisse un squelette de poulet nettoyé à la perfection sur la table, clair symbole de mort. Myriam appelle Paul, paniquée, et lui annonce « c’est un poulet que j’avais mis à la poubelle, c’est pas la même chose là. » Une phrase insensée lorsqu’on voit tout ce que Myriam a laissé passer auparavant. Mais justement, ce « c’est pas la même chose » est la mascarade d’une réalisation. Myriam sait que c’est pour le lendemain et elle couvre ses arrières en prétendant prendre la décision d’en finir ce soir-là. Elle efface les traces de sa responsabilité auprès de son mec pour qui elle prend toujours les décisions. Sylvie, la mère de Paul, les a prévenus immédiatement que Louise était malsaine et il ne faudrait qu’un coup de fil pour qu’elle arrive en urgence pour garder les enfants toute la journée. Mais aucune initiative n’est prise et les enfants sont massacrés.
J’en reviens donc à ce dont je parlais au début de cet article. Il ne fait aucun doute que Louise est l’assassin. Cependant, s’il y a une personne dans cette histoire qui veut du mal aux enfants, c’est Myriam. Louise aime les enfants, son geste assassin n’est pas motivé par la haine. Aussi, il est fort probable que Myriam a sélectionnée Louise à cause de son histoire personnelle et qu’elle a donc construit brique par brique ce drame, c’est elle qui a le contrôle, alors que Louise elle, voit le piège se refermer sur elle, pas à pas. On la complimente, on la récompense, on soulage l’atroce douleur qu’elle transporte de ne pas avoir pu élever sa fille. Il faut aussi noter que ça n’est pas la première fois qu’elle fait la nounou sur le long terme, elle a déjà travaillé avec deux autres familles, pourquoi est-ce précisément avec celle de Myriam que tout bascule ? Les indices de son effondrement psychologique seront nombreux et visibles mais Myriam n’y fera pas attention.
La raison pour laquelle Mila devient violente à l’école, c’est parce qu’elle vit la présence de Louise comme l’indice qu’elle est une fille décevante, sans intérêt, que maman ne l’aime pas. Mila ne prend pas Louise pour sa mère. Il suffirait à n’importe quel moment que Myriam assume ses responsabilités et tout rentrerait dans l’ordre, elle n’aurait pas besoin de regagner l’affection de sa fille. Simplement, elle veut juste ne plus avoir d’enfants.
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