Ten Meter Tower : Exténuante propagande misandre. (6000 mots)
Si vous n’avez jamais vu cette vidéo de personnes qui sautent d’un plongeoir de dix mètres à la piscine, regardez-là immédiatement elle est magnifique et hilarante. Quelle fraicheur de voir tous ces petits humains s’efforcer de trouver le courage de se lancer dans un plongeon qui les terrifie ! Leurs hésitations, leurs raisonnements et considérations puis la folie finale qui les pousse à se lancer sont d’une beauté et d’une douceur grandiose. Sans parler de la frayeur indirecte ressentie à s’imaginer confronté à la même situation. Oserais-je le faire ? N’oserais-je pas ?
J’ai découvert ce court métrage par l’intermédiaire de mon père qui le montrait à mon neveu et à ma nièce qui étaient morts de rire et ce fut un moment familial très agréable… jusqu’à ce que le sous-texte propagandiste misandre répugnant me saute à la figure. Quelle dégueulasserie misérable que la culture dans laquelle nous vivons.
(Je suis conscient que le film est suédois et que le New York Times est probablement un journal américain).
En général, je n’aime pas les caméras cachées, et même si cette vidéo n’en est techniquement pas une cela revient au même. La raison pour laquelle je n’aime pas ce type de spectacle c’est que premièrement, dans 90% des cas, je trouve les ressorts comiques des caméras cachées insensibles, stupides, insultants, agressifs et souvent platement dangereux et inacceptables. Au-delà de ça, les caméras cachées intègrent parfois une sorte de discours idéologique parfaitement déplacé puisqu’elles prétendent nous montrer une réalité en créant une situation totalement artificielle.
Etre capable de faire un plongeon de dix mètres ne signifie pas grand-chose. La description de la vidéo est pourtant : « Would you jump ? Or would you chicken out ? » (est-ce que vous sauteriez ? Ou est-ce que vous vous dégonfleriez ? »
L’idée de courage s’invite immédiatement à la fête, même sans ce questionnement adressé au spectateur. Il est tout de suite question de savoir si l’on oserait, si l’on trouverait le courage.
Ce n’est pas du tout le plus grave, mais on peut déjà soulever le problème : est-il vraiment question de courage ici ? Le geste de sauter dans le vide, de se lancer, est certes une métaphore commune et simple du courage, mais cela fonctionne-t-il d’un point de vue littéral ? Non.
Notez que le synopsys fait entièrement abstraction du sexe des participants. C'est tout-à-fait normal. Le problème c'est que le court métrage est entièrement focalisé dessus.
Le courage ça n’est pas vraiment surmonter une peur animale, réflexe, spontanée dans un contexte où celle-ci est artificiellement rendue illogique et où cela n’a aucun sens de le faire.
Le courage c’est plutôt surmonter une peur, qu’elle soit réflexe ou raisonnée, dans un contexte où elle est légitime et logique, où un danger réel pèse sur nous, cela parce que l’on considère que c’est le comportement que l’on doit adopter pour des raisons d’intérêt, de morale ou d’idéologie (ou autre).
Ce n’est pas se confronter sans raison à une peur absurde,
c’est se confronter pour une bonne raison à une peur justifiée.
Il est facile de voir comment n’importe qui pourrait faire dire ce qu'il veut à ce type de matériaux. Exactement comme avec n’importe quelle émission de télé réalité, ou n’importe quelle émission non écrite mais montée, la sélection des passages montrés au public échappe difficilement au filtre idéologique.
Je ne dis pas cela comme si c’était nécessairement mal. Je ne prétends absolument pas que si j’étais aux commandes, soudainement mon documentaire refléterait la réalité absolue objective, la vérité du monde et de l’univers tatata, bien sûr que non, et en plus tenter de le faire mènerait probablement à un résultat ennuyeux et triste. On est bien content de voir la vieille dame sauter après l’avoir vue abandonner et revenir sur sa décision, on veut voir nos attentes contredites, c’est amusant. Le problème n’est pas l’idéologisation ou la subversion, le problème n’est pas le jeu avec le public. Le problème c’est la misandrie crasseuse, la bassesse et la laideur, le désir de salir et de rabaisser tout en prétendant montrer les choses telles qu’elles sont, qu’on n’est pas là, qu’on n’a rien touché, que notre documentaire montre la réalité telle qu'elle est alors que l’idéologie est évidente, nauséabonde, hyper contemporaine et à la mode.
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La vidéo commence sur deux plans différents mis côte à côte nous montrant l’arrivée simultanée de deux femmes en haut du plongeoir. La caméra fixe, non dynamique, donne immédiatement ce sentiment de neutralité objective. Ce sont les personnes qui entrent dans le champs de leur plein gré, la caméra ne fait que filmer ce qu’il y a devant elle, qu’il s’y passe quelque chose ou non. Nous sommes devant un "moment de vérité."
Cette manière de filmer offre aussi aux spectateurs le loisir de se sentir plus près de la peur des participants, il n’y a pas de mise en scène, pas de gros plans pour souligner les émotions, on ressent les choses de manière bien plus directe et forte, non-filtrée, mais aussi encore une fois, la caméra fait croire qu’elle est entièrement neutre passive, absente, innocente. C’est un mensonge.
La première femme à faire face à l’épreuve porte un maillot de bain deux pièces assez particulier puisqu’il est clair comme sa peau à part au niveau de son sexe où il est d’une couleur bien plus foncée en forme de pétale ce qui rappelle immédiatement ses poils pubiens voire donne un instant l’impression aux spectateurs que cette femme ne porte pas le bas de son bikini.
Ainsi, dès le départ, l’attention est portée sur le sexe des participant(e)s. Deux femmes dont l’une porte un maillot de bain qui attire l’attention sur son sexe.
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L’image change et on nous présente deux autres femmes au physique moins conforme : une dame âgée et une jeune femme en surpoids léger.
Quatre personnes et déjà, quatre femmes. Le spectateur a peu de chance de passer à côté de cet élément de sens. La vieille dame et la petite grosse trahissent toutes les deux leur peur et nous commençons à comprendre ce qu’il se passe, à trouver la vidéo rigolote et à nous identifier.
Car le titre n’est pas encore apparut et le spectateur se demande encore le principe de l'expérience (il n'y a pas de plan large introductif). Nous ne sommes évidemment pas focalisés sur les rôles sexuels, nous qui ne sommes pas des débiles sexistes. D’ailleurs la manipulation est suffisamment subtile pour passer inaperçue, et c’est justement ça le crime, avoir créé une vidéo ultra sexiste mais sans que cela se voit, remplir le monde de saloperies propagandistes invisibles et tenter de modeler l’esprit des gens en fonction de nos valeurs nauséeuses sans se faire voir.
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Arrive alors le troisième « plan » qui met côte à côte un homme et une femme cette fois. Apparition du sexe masculin. Immédiatement, le jeune homme se penche et s’adresse aux témoins de la scène : « Don’t get me wrong but it’s higher than it looks. » Une phrase qui est déjà traduite du suédois et qu’il est difficile de faire passer de l’anglais au français. « Ne vous méprenez pas, mais c’est plus haut qu’il n’y parait. » En gros, ce jeune homme veut dire « ne vous mettez pas à croire que j’ai peur et que je vais me dégonfler, mais c’est impressionnant. » A côté de lui, l’autre fille reste silencieuse.
L’homme est apparu et déjà il s’occupe du regard que l’on pose sur lui. Il est obsédé par l’idée de se dégonfler, tente déjà de justifier sa peur et de la dissimuler etc… etc… alors que les femmes, elles, restent silencieuses, focalisées sur le défi.
On va essayer de nous faire croire que la femme moyenne est tellement forte de caractère qu’elle ne se préoccupe pas du regard des autres. Sérieusement. Quelle moquerie éhontée.
Encore une fois, le sexisme du film n'est pas apparent. Je ne me suis pas immédiatement focalisé sur le traitement fait des deux sexes en le voyant pour la première fois, c'est ce qui amplifie mon sentiment de "viol." De manière isolé, aucun de ces "clips" n'est sexiste ou ne pose problème. C'est le métrage final qui l'est.
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Plan suivant. Un jeune homme fait des étirements pour se préparer à sauter. Evidemment, le spectateur va trouver ça amusant et le soupçonner de vouloir gagner du temps. On vient de voir six personnes et l’on a compris que tout le monde flippe à mort, alors le petit crâneur qui cache sa peur en faisant des étirements pour un saut en bouteille nous fait bien rire.
Le métrage ne nous montrera pas si ce garçon a sauté immédiatement ou s’il a perdu confiance. Non non. On nous montre juste qu’en place d’admettre sa peur, il se la joue. Il va jusqu’à mimer un tir de pistolet du pouce et de l’index.
En parallèle, on voit une dame d’âge moyen, habillée sans style, avec un peu de surpoids, bourrelets et poitrine énorme, tenter de se lancer, changer d’avis et renoncer avec une véhémence rigolote.
Ainsi, pendant que monsieur se la pète et met des heures à se décider à sauter, une dame qui se préoccupe moins de ce qu’on va penser d’elle, se confronte au saut et renonce, toujours sans se préoccuper de ce qu’on va penser d’elle.
Le jeune crâneur est ridiculisé dans sa confiance, non pas parce qu’il a renoncé mais parce qu’il est sûr de lui, tout fier et n'en finit pas de se mettre en scène.
Il est inutile de souligner que les images comparées le sont par choix des réalisateurs. Il n’y a qu’un seul plongeoir, les sauts ont été fait un à un, les parallèles sont artificiels et le sentiment qu’on en tire est fortement influencé, et surtout, influencé à dessein.
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Cinquième plan, un homme au bord du plongeoir parfaitement immobile est mis en parallèle avec une fillette qui se parle toute seule. « Allez. Fais-le » se dit-elle. Elle se tient en retrait et finit par courir vers le vide et se lancer. Elle saute en quelques secondes alors que l’homme n’a pas bougé d’un cil.
Le jeu des oppositions homme adulte/petite fille, immobilité/mouvement, renoncement/saut sert encore une fois à humilier la masculinité. On rigole bien de voir la petite fille le faire alors que l’homme n’ose pas.
Le problème c’est que le message est sérieux, sexiste, répugnant de bêtise et qu’il est matraqué du début à la fin du métrage. Un enfant de huit ans comprendra ce qui est suggéré, mais surtout, cette vidéo traite les spectateurs réellement comme des enfants de huit ans.
Statistiquement, sur 100 hommes trentenaires et 100 petites filles d’environ 12 ans, quel échantillon verrait le plus de personnes oser sauter ? Les hommes, je pense. Et pourtant, on pourrait toujours en tirer ce parallèle entre la petite fille qui a sauté et l’homme qui ne l’a pas fait... pendant au moins 25 secondes.
Et cela ne prouverait toujours rien de plus sur l’idée de courage, ou de virilité, ou de quoi que ce soit. Aussi, on peut parfaitement faire des choses risquées et inconscientes quand on est enfant (rassuré par un adulte) que l’on ne ferait plus une fois adulte. Et on peut avoir peur, adulte, de choses qui n'effraient pas les enfants.
Cette expérience ne signifie que peu de choses. Et pourtant la mise-en-scène nous chuchote beaucoup à l’oreille.
La chute de la petite fille est coupée très tôt, un effet bien dégoûtant. L’accent est mis sur le fait qu’elle a sauté, pas sur son mouvement ou son plongeon. Son enregistrement disparait avant qu'elle soit sortie de l’écran et les yeux du spectateur se reportent obligatoirement sur l’homme qui n’a pas bougé d’un poil des 15 secondes dont la fillette a eu besoin pour se lancer.
Obtenir le plan d’un homme immobile pendant 25 secondes avant d’effectuer un tel saut est extrêmement facile, de même que montrer une fillette qui a sauté durant les 15 dernières secondes avant son saut. Mettre ces images en parallèle va forcément faire ressortir ce sens de « ah ah, le gros dur est paralysé de terreur alors que la petite fille saute pratiquement sans hésiter. »
Cette blague n'est pas une blague. Le métrage tient réellement à influencer le spectateur dans cette direction, tout en ne disant rien. "Bien sûr que non. Jamais nous ne prétendrions qu'une petite fille de douze ans a plus de cran qu'un homme adulte."
Le titre apparait alors à la place de la petite fille pendant que l’homme sur la gauche de l’écran ne bouge toujours pas. L’hypocrisie de cette apparition me dégoûte également. La mise en scène est à mes yeux clairement calculée pour humilier l’homme, mais l’apparition du titre dissimule cette malveillance.
"On avait besoin d'opposer une personne qui saute et une qui ne saute pas pour insérer le titre de manière significative. Promis, c'était pas du tout une manière d'appuyer sur l'opposition de manière moqueuse."
Introduire le titre en montrant quelqu’un paralysé de terreur est parfaitement pertinent : le plongeur est paralysé face à cette Ten Meter Tower. Cependant, l’avoir mis en parallèle avec une fillette qui saute change totalement la donne. L’homme ne représente plus tous les plongeurs confrontés à l’épreuve, mais un groupe bien précis dont la peur énigmatique va être explorée et surtout, ridiculisée.
Aussi, il y a une hypocrisie dégoûtante dans les éléments avancés. Ce saut fait-il peur ou non ? Nous nous trouvons exactement devant le discours mythologique décrit par Roland Barthes.
D'un côté, un saut de dix mètres, c'est terrifiant. Mais une petite fille le fait sans hésiter. Alors quoi ? C'est l'un ou c'est l'autre. Que nous dit-on ?
Et bien, on nous dit que la petite fille est super courageuses bravo mais que le mec est un loser. Le métrage joue constamment sur ce deux poids, deux mesures, en prétendant évidemment mettre tout le monde au même niveau en toute neutralité.
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Vient ensuite un grand maigrichon, lui aussi immobile. Celui que l’on s’attend à voir renoncer, par opposition aux trois précédents hommes. Pas parce qu’on est plein de vilains préjugés, juste parce qu’on est devant une vidéo et que l’on se moque bien de qui va sauter ou pas, que ça n’a pas d’importance mais que l’on a bien conscience que c’est la question que l’on doit se poser à chaque nouvelle personne présentée. Donc, on s’attendra à ce que les hommes à l’apparence sportive sautent et à ce que celui qui n’a pas l’air sportif ne le fasse pas. On accepte juste de participer.
Il va effectivement renoncer. Oui, parce que quand il s’agit de subvertir nos attentes envers les femmes, pas de problème, par contre qu’un maigrichon que l’on imagine passer sa vie devant un ordinateur puisse tout à fait sauter d’un plongeoir de 10 mètres, ça n’intéresse personne.
Cependant, le véritable problème vient surtout de la manière dont il va renoncer. On le voit plonger le regard dans l’abysse en silence comme si cela lui inspirait des réflexions philosophiques tout aussi profondes ou comme si le plongeon était une équation, qu’il pouvait la résoudre et sauter. Son attitude est évidemment rigolote et elle le deviendra encore plus lorsqu’au moment où il se décide à passer à l'action, il renonce et se met à battre des ailes pour rattraper son geste et ne pas basculer.
Ainsi, son comportement incarne et polarise un conflit interne et le montre sous son jour le plus ridicule : le jeune homme a peur, ne veut pas sauter mais est incapable de se l’avouer. Il a besoin d’une heure de réflexion, d’inspecter le problème sous tous les angles pour être sûr qu’il n’y aurait pas un moyen de sauter. Il a trop peur pour le faire mais il a trop honte pour renoncer cet imbécile. Ha la la, les hommes, y a jamais rien qui va avec eux !
On repense à la grosse dame qu’on a vu, 1min30 plus tôt, se lancer et renoncer sans hésiter. Que les hommes sont compliqués.
Après s’être ridiculisé en mettant trois heures à se décider à sauter, uniquement pour changer d’avis à l’extrême dernière seconde, le jeune homme déclare « c’est impossible » et fait mine de partir, puis change à nouveau d’avis, et rechange d’avis aussitôt.
A ce stade, le documentaire décide de passer encore un niveau dans la laideur en introduisant le prochain plan au travers d’une phrase de la fille suivante : « Just make a decision and stick to it. » « Décide-toi simplement et tiens-toi à ta décision. »
Elle s’adresse à son copain, mais son conseil fonctionne parfaitement avec le comportement du jeune homme que l’on regarde encore. Exactement comme avec l’apparition du titre ou la petite fille qui dit « fais-le », nous sommes devant un procédé faux cul pour dire quelque chose et prétendre immédiatement qu’on ne le dit pas.