L'Enfant qu'on m'a volé : Tamara n'est pas la mère d'Aubrey (3865 mots)
C’est sous la requête enthousiaste et hilare de ma copine que j’ai jeté un œil à « L’Enfant qu’on m’a volé », téléfilm qui raconte l’enlèvement d’un bébé de sexe féminin, retrouvé 13 ans plus tard par sa mère qui va tout mettre en œuvre pour arracher sa fille des mains d’un père kidnappeur odieux. Ma copine voulait à tout prix que je vois la scène de l’enlèvement qu’elle trouvait ridicule. Et elle l’est bel et bien.
J’aime bien les téléfilms. Evidemment, comme tout le monde, je grince des dents devant la mièvrerie, les blagues gluantes, les déclarations d’amitiés fidèles, de gratitude infinie, d’amour filial fier et les histoires de gonzesses qui ouvrent leur boutique sans intérêt et rencontre un succès phénoménal on ne sait pas pourquoi. Enfin si, justement, on sait pourquoi, parce qu’elles tombent amoureuses du bon pigeon qui va tout arranger sans le leur dire. Je rigole, ça n’est pas toujours comme ça.
Bref, inutile de m’égarer dans une argumentation vaine, les téléfilms ont souvent un style de téléfilm mais ils peuvent cacher tout autant de lectures cachées horribles, atroces ; mariage sans amour, manipulation, inceste, meurtre, folie et patati et patata et le fait qu’il y ait un mariage à la fin ou un pseudo happy end avec violons, ne change pas grand-chose à l’équation. Très souvent les héroïnes qui rencontrent le prince charmant sont des horribles égoïstes écervelées qui détruisent tout sur leur passage, les mecs sont des imbéciles, des manipulateurs ou des désespérés, et c’est pas parce qu’ils sont beaux et riches que le reste tourne rond.
Mais revenons-en à « L’enfant qu’on m’a volé » dont voici un résumé plus détaillé :
L’histoire commence sur l’enlèvement de la fille de Tamara alors que celle-ci la promène dans un parc.
"Je marche à découvert, la la la. Je me volerais bien un petit bébé aujourd'hui." Il suffit que Tamara se retourne et elle comprend immédiatement qu'un truc louche se trame.
Le parc est quand même exceptionnellement vide. Je dis ça, dans le sens où c'est une (re)construction mentale de Tamara. Cela reste en réalité peu probable.
La mère se trouve à moins de 20cm de son enfant qui se fait enlever pendant qu'elle tourne la tête 10 secondes. Non seulement, sa vision périphérique l'aurait avertie mais aucun kidnappeur n'aurait tenté le coup à ce moment là.
Le bébé ne pleure pas. Connaitrait-il son ravisseur ? Tamara serait-elle une kidnappeuse folle ? L'homme à la cagoule serait-il le véritable parent ?
Sa réaction n'est pas une réaction du type "Où est mon enfant !!!" mais "Tiens, où est mon bébé, je l'avais laissé là et il n'y est plus." Il n'y a pas d'urgence dans sa réaction juste de l'incompréhension.
Autre élément hilarant: le kidnappeur s'éloigne en marchant et c'est Tamara qui déclenche la poursuite. C'est une erreur crédible mais ça fait beaucoup. Surtout que...
...le kidnappeur a dix mètres d'avances et un bébé dans les bras. C'est peu. Je pense sincèrement que si Tamara crie, c'est qu'elle considère que l'homme n'est pas suffisamment loin pour lui échapper. Alors que si elle le ressentait comme "déjà loin", elle retiendrait son cri par réflexe. De même que, comme je le disais au-dessus, le parc est totalement vide. Elle crie et appelle à l'aide mais elle sait parfaitement que la seule personne qui va l'entendre c'est le kidnappeur. Je m'emmêle les pinceaux. En gros, son cri, tel qu'il est représenté, ajoute au ridicule de la scène.
Pas de complice, pas de voiture. Et pourtant elle ne parvient pas à le rattraper. (Elle ne coupe même pas par la pelouse c'est hilarant). Evidemment, le rattraper n'aurait pas tout résolu. Il aurait pu la frapper et partir avec l'enfant. Sauf que devinez quoi. S'il l'avait frappé et qu'il y avait eu des gens dans ce parc, il y aurait eu des preuves de ce qu'il s'est passé.
Plan rapide sur le doudou abandonné qui rend une fois encore l'absence de pleures du bébé remarquable. Mais surtout, ce doudou, C'EST le bébé. Tamara a abandonné son enfant parce qu'elle était seule pour l'élever, et ne s'en sentait pas capable sans un homme. Ce souvenir de grand méchant loup qui rôde et surgit de derrière un arbre c'est le déplacement de la culpabilité d'avoir abandonné son enfant sur l'individu fantasmatique pioché dans l'inconscient collectif à qui elle l'a confié.
Puis nous faisons la connaissance d’une ados du nom d’Aubrey, 13 ans plus tard.
Aubrey a de sérieux problèmes relationnels indéniables avec son père Richard. Il est froid, autoritaire, exigeant et injuste. Aubrey est persuadée qu’il la déteste.
Madame Brent, sa prof de maths, va l’identifier comme étant la fille disparue de sa grande amie, Tamara. Cela pour une question de ressemblance physique.
La prof de math identifie Aubrey dès le premier jour et est totalement bouleversée. Elle est convaincue que son élève est la fille enlevée de Tamara. Donc, tout ce qui se passe dans ce cours de maths est potentiellement le résultat de cette croyance, surtout qu'on verra que la prof fait largement passer son métier et son éthique, derrière les intérêts de Tamara.
Aubrey étant nulle en mathématiques (Tiens c'est bizarre), Brent utilise cette ouverture pour introduire Tamara Thompson dans l’équation. La mère éplorée se fait donc passer pour une prof de maths qui donne des cours particuliers gratuitement à l’intérieur d’un programme du lycée.
"Papa, je veux pas aller à mon contrôle de maths." "Je m'en moque tu y vas." "Je savais bien que tu me détestais."
Elle profite de ces cours donnés à Aubrey pour se rapprocher de sa « fille. » Tamara ne cache pas son affection, largement excessive pour un prof particulier, elle invite Aubrey à passer du temps avec elle, cherche à devenir son amie. Elle construit sa place dans la vie d’Aubrey d’une manière insidieuse.
Richard est rapidement méfiant puis hostile envers Tamara, il ne reconnait son impact positif sur Aubrey qu’avec réticence. Il fait immédiatement des recherches sur elle et découvre qu'elle n'est absolument pas prof de maths.
"Elle ne s'appelle pas Tamara Thompson. Son Vrai nom c'est Christina Miller. [...] Elle n'a pas de diplôme d'anseignante. Elle est diplômée des beaux-art."
"D'accord. Je n'vois rien de très choquant." Richard n'est pas le monstre d'intolérance qu'il semble être. Aubrey s'est améliorée en maths, c'est tout ce qui compte pour lui.
Il mettra fin à leur accord sans hésitation et sans demander leur avis à Aubrey ou Beth. Cette histoire viendra à bout du reste de patience dont Beth et Aubrey pouvaient encore faire preuve avec lui.
Aubrey fait une fugue. Beth le quitte (le vire de la maison plutôt) après l’avoir insulté de monstre, d’individu dénué de cœur et d’autres choses bien violentes. « Ne reviens pas tant que tu ne seras pas redevenu un être humain. »
Chez la mère de Tamara, Mère et filles montrent à Aubrey les preuves de leur filiation.
Richard arrive trop tard pour empêcher la discussion, s’en suit bagarre et confrontation entre le père et la fille. Aubrey le rejette. Il en vient même à braquer son arme sur elle, un geste qu’un père ne pourrait pas faire, et prouve qu’il n’est donc pas son père.
L'échange qui amène Richard à pointer son arme sur Aubrey est très bien écrit. Tamara parvient à détourner l'attention d'elle et à ce qu'il se tourne vers sa fille. De la superbe manipulation. Et dès qu'elle voit qu'elle gagné, elle s'éclipse pour laisser le poison faire son effet.
Même s’il n’avoue jamais avoir enlevé sa fille. On l’arrête. Le téléfilm se conclut sur Aubrey grandissant avec deux mamans, Beth et Tamara. Hourra.
Récemment, influencé par les recherches du site Intercripol, j’ai relu Œdipe et j’ai noté une forme d’approche narrative particulière pour les lectures alternatives : la démonstration. On connait tous Œdipe, le roi qui assassine son père et partage la couche de sa mère. Ce que l’on découvre en lisant la pièce de Sophocle c’est qu’on ne nous raconte pas comment tout ce foin a lieu, non, la pièce est une démonstration du fait qu’Œdipe est bel et bien le fils d’un homme qu’il a assassiné et que la femme qu’il a épousé et à qui il a fait des enfants est sa mère. C’est une enquête sur l’identité de quelqu’un. Ainsi, l’histoire que l’on raconte n’est pas l’histoire que l’on raconte. Ce n’est en fait qu’une démonstration désincarnée, un tour de passe-passe, que l’on peut à loisir trouver convaincant ou non. Du point de vue interprétatif, à la seconde où l’on ne trouve pas la démonstration des faits convaincante, il n’y a aucune raison de s’éloigner de la perception initiale : Œdipe n’a pas tué son père et Jocaste n’est pas sa mère.
C’est la même chose pour « L’enfant qu’on m’a volé. » Le film fait la démonstration du fait qu’Aubrey est la fille de Tamara. La conclusion accepte cette idée comme une vérité, Richard le kidnappeur croupit en prison, Aubrey appelle Tamara « maman. » Cependant, si cette démonstration ne nous convainc pas, il n’y a pas à chercher plus loin : Par défaut, Aubrey n’est pas la fille de Tamara. Peu importe si l’on peut invalider la démonstration de Tamara ou non. Du moment qu’elle n’est pas suffisamment convaincante à nos yeux, il n’y a pas de raison de l’accepter.
Voici un exemple : à la fin du film, Tamara sort un test ADN de derrière les fagots. Aubrey n’a pas eu le temps d’y consentir que déjà, elle l’a sous les yeux. Madame Brent lui aurait subtilisé des cheveux. Et d’où sort l’ADN de la petite fille enlevée avec lequel il faut comparer celui d’Aubrey ? Aucune idée.
C’est là que le « biais de démonstration » apparait. Oui, un test ADN est une preuve de lien filial crédible. Le spectateur attend exactement cette preuve depuis la seconde où Brent a reconnu la fille de Tamara dans sa classe au début du téléfilm. « Est-ce vraiment elle ? Il faudrait qu’elles lui demandent un test ADN. » Le problème c’est que rien ne prouve que ce test ADN final tant attendu est authentique. Le signe « test ADN » a perdu sa dimension concrète. C’est devenu un symbole. Un papier intitulé « test ADN » est présenté à la fin du film, avec deux prénoms sur celui-ci et un pourcentage. Voilà, emballé c’est pesé, Aubrey est la fille de Tamara. Hourra. Le fait que pour falsifier le test ADN Tamara n’avait besoin que d’internet et d’une imprimante passe à la trappe.
"Tu vois ce nounours ? Il est beau n'est-ce pas ? Si tu acceptes de prétendre que tu es ma fille, il est à toi."
Dans l’abstrait, les preuves apportées à la fin du film constitueraient des arguments logiques convaincants, mais rien ne prouve que ces preuves ne sont pas forgées de toute pièce dans le contexte de l’histoire.
Mais assez blablaté, passons à la vitesse supérieure. Tamara n’est pas la mère d’Aubrey.
On peut déjà en avoir la forte intuition pour des raisons de cohérences narratives. Richard, le père d’Aubrey est insupportable. Il est autoritaire, dur et exprime le désir de voir sa fille devenir indépendante le plus vite possible. Il veut se débarrasser d’elle, c’est un méchant.
De son côté, Aubrey suggère beaucoup de choses sacrément problématiques dans sa relation avec son père. On ne sait jamais de quoi il est question mais elle parle de vouloir sa mort, elle dit qu’il a toujours été infect avec elle, qu’il la déteste et que son enfance a été horrible. Hélas, le téléfilm ne nous donne jamais le moindre exemple de cette maltraitance qui nous permettrait de juger de son degré d’objectivité. Je ne remets pas en question la souffrance d’Aubrey, simplement, sa manière de parler ne permet pas de déterminer si son père a abusé d’elle sexuellement, s’il l’a frappé, ou s’il n’est simplement pas aussi chaleureux et encourageant qu’elle le voudrait. Assez étrangement, Aubrey fréquente un garçon qui est clairement dans une situation bien pire mais ne s’en plaint pas et dédramatise.
l'ère #metoo inculque rapidement et sûrement aux garçons comme aux filles, que lorsque deux ados de sexe opposé s'entendent bien, le garçon ne devrait surtout pas croire qu'il serait logique que la fille ait de l'attirance pour lui. Nan, nan. Si tu crois ça, tu rêves mec, l'attirance est une aggression, tu es un p.o.r.c.
Encore une fois, je ne veux pas dire que la souffrance d’Aubrey est factice, je veux plutôt dire qu’elle n’invalide pas nécessairement le fait que son père l’aime. Le garçon maltraité voit en Aubrey un espoir d’avenir, Aubrey devrait voir la même chose en lui. Echapper aux parents, partir loin, faire sa vie comme elle l’entend. Mais bien au contraire, elle rejette son amoureux violemment.
Ces deux « psychologies » n’ont aucun sens dans le contexte de l’histoire. Si Aubrey était la fille enlevée de Tamara, alors Richard le voleur d’enfant serait au contraire un père relativement bon. La froideur de Richard est exactement la dernière des attitudes qu’on s’attendrait à trouver chez un kidnappeur. S’il voulait un enfant, ça n’est pas pour le détester et le pousser immédiatement vers la porte de sortie aussitôt. Or, c’est exactement ce que dit Aubrey. Il s’est trouvé une femme pour s’occuper d’elle et lui, ne s’en est jamais préoccupé. Nous devrions croire que ce mec a enlevé un enfant sur un coup de tête et qu’il s’en est lassé dans la soirée. C’est ridicule mais aussi incohérent car si vraiment Richard avait changé d’avis, il aurait « rapporté » Aubrey à Tamara, quelques mois plus tard, voire quelques années. Pourquoi chercher une mère de substitution pour s’occuper de l’enfant plutôt que de le rendre à sa véritable mère ?
La situation familiale problématique d’Aubrey invalide entièrement la possibilité de l’enlèvement.
Ce qu’il y a de drôle cependant, c’est qu’à un niveau de « sensibilité téléfilm » on comprend la logique. Le kidnappeur est un méchant, donc il est nécessairement un père méchant et mauvais. Et sa fille en vient forcément à se demander s’il est son père.
C’est ridicule et hilarant. La fillette enlevée qui grandit et finit par avoir l’intuition qu’elle a été enlevée parce que son père se conduirait comme si elle n’était pas sa fille. Toute cette dynamique « ça ne va pas avec mon père donc peut-être que ça n’est pas mon père » est totalement grotesque, surtout que Richard montre dans chacun de ses choix un réel sens des responsabilités et une implication sérieuse vis-à-vis d’Aubrey. Le problème c’est qu’il est absent physiquement et affectivement. Mais il fait ce qu’il peut pour la protéger, pour la voir réussir et il crache les billets s’il le faut. Sa compagne quant-à-elle n’est qu’amour dégoulinant. En gros, Richard la veut pour ça, pour qu’elle joue ce rôle de distributeur d’affection.
Le problème c’est qu’Aubrey a 15 ans, qu’il est l’heure biologique de se trouver un garçon duquel tomber amoureuse et qu’à ce niveau, elle a de sacrés problèmes. A cause de sa relation déséquilibrée avec son père, elle ne sait pas ce qu’elle veut chez un homme ou ce qu’elle peut attendre d’un homme.
Bref, la vie de famille d’Aubrey traverse une période difficile, la jeune femme se pose de sérieuses questions et se cherche. Il y a un problème mais les symptômes ne correspondent absolument pas à une fillette enlevée et élevée par un homme qui n’est pas son père.
Du côté de Tamara, on a la même vérité intuitivement accessible. Comment cette femme pourrait-elle supporter de se retrouver nez-à-nez avec l’homme qui lui a enlevé son enfant et ne pas perdre sa contenance ? Bien au contraire, elle est tout-à-fait décontractée et va jusqu’à lui expliquer comment jouer son rôle de père.
Cette confiance est exactement celle d’une psychopathe en plein délire. C’est-à-dire que si Tamara se croyait réellement en présence d’un homme qui a enlevé sa fille, elle serait terrifiée et surtout, elle préviendrait la police. Elle chercherait un recours légal, elle se renseignerait sur la marche à suivre.
La démarche qu’elle choisit est celle d’une personne qui sait qu’elle n’est pas dans son droit mais qu’elle n’est pas non plus en danger. Au fin fond de son esprit décompensé, Tamara sait que Richard est bien le père d’Aubrey, simplement elle n’a plus la force de regarder cette vérité en face. Alors, elle s’accorde de croire qu’Aubrey est sa fille enlevé il y a treize ans mais elle se conduit d’une manière qui trahit la conscience profonde que Richard est réellement le père.
Lorsqu’elle lui fait la morale sur la manière dont il devrait élever et comprendre sa fille : « C’est une adolescente, son cerveau n’a pas terminé sa croissance. Ses hormones sont en pleine ébullition. Elle peut pas se contrôler c’est plus fort qu’elle. Et il est donc impératif que les adultes qui l’entourent se montrent patients. »
Lorsqu’elle lui fait la morale dès leur première rencontre donc, elle le fait comme dans un fantasme. Un homme lui a enlevé sa fille, ce traumatisme lui donne envie de prouver à quelqu’un qu’elle aurait été une bonne mère, à cet homme qui devient donc celui qui lui a volé son enfant mais sans la dimension menaçante d’un individu qui risquerait de comprendre qui elle est et de décider de prendre des mesures pour se débarrasser d’elle.
D’ailleurs, elle lui facilite la tâche en usurpant un rôle de professeur alors qu’elle n’a aucun diplôme. Plus grave encore, c’est son amie la prof de lycée qui l’introduit comme faisant partie d’un programme pris en charge par l’établissement.
Alors, bien sûr, on se dit que face à un crime aussi abominable qu’un enlèvement d’enfant, une petite usurpation d’identité ce n’est pas grand-chose, et c’est vrai, la dimension morale est ambigüe puisque si Aubrey est la fille de Tamara alors on se moque bien des mensonges que Tamara met en place pour l’approcher. Le problème vient plutôt de ce que ce comportement a de révélateur. Tamara a déjà fait de la prison en lien avec l’affaire de l’enlèvement de sa fille. Elle a pénétré un commissariat par effraction et a volé son dossier. Aligner les délits ne risque pas de jouer en sa faveur si elle veut récupérer son enfant.
Il ne s’agit pourtant pas là de l’histoire d’une femme qui se serait fait retirer la garde de son enfant mais bien d’un kidnapping. Sauf que justement, Tamara se conduit exactement comme si elle s’était faite retirer la garde de son enfant et que son initiative envers Aubrey n’était pas légitime.
En parallèle de cette approche douteuse, on voit tout de même Tamara suivre Aubrey en voiture la nuit. Qu’est-ce que ça vient faire là ? Au tout début, la jeune fille est espionnée par une vue subjective du style Halloween. Sans parler du fait qu’une voiture menaçante se met à suivre son copain, qui finira dans le coma à l’hôpital suite à un accident de voiture.
Cette menace latente n’a rien à faire dans l’histoire d’une mère qui cherche à récupérer sa fille. Même chose pour le fait qu’avant la révélation finale chez les femmes Thompson, Aubrey décide de repartir. Elle a peur, se sent menacée et veut retourner vers son père et sa mère. Trop tard.
Autre détail douteux. Nous constatons que le professeur Brent ne recule devant rien pour servir Aubrey sur un plateau à Tamara. C’est elle qui invente l’histoire de professeur particulier pour pallier à ses faiblesses en maths… le problème c’est que Brent repère Aubrey le premier jour de l’année scolaire. L’histoire fait une ellipse de deux mois pour nous montrer l’adolescente paniquée à l’approche d’un contrôle de Maths. Est-ce que c’est sa prof qui la sabote pour pouvoir introduire l’idée des cours particulier ? Je le pense. Et par conséquent, la remonté de niveau incroyable d’Aubrey vient du fait qu’elle n’a jamais été réellement nulle mais aussi du fait que Brent booste ensuite ses notes.
Une folle irresponsable bienveillante qui se croit tout permis parce qu'elle se croit motivée par de bons sentiments dégoulinants. L'un des plus sérieux fléaux actuels.
Pire, la crise que traverse la famille d’Aubrey est en partie déclenchée par ses difficultés scolaires. Ça commence à sonner sacrément machiavélique, malveillant et malsain tout ça.
Un des éléments qui pour moi valide la folie de Tamara c’est qu’elle ne s’assure pas que les mauvaises notes en maths d’Aubrey ne sont pas créées par son amie. On ne la voit pas décider de recourir à une telle mesure, mais on ne la voit pas non plus en parler. Cette abstraction faite d’éléments importants c’est le refoulement de Tamara qui a perdu contact avec la réalité.
Réellement j’aime beaucoup l’écriture de ce téléfilm, tout est niais, maladroit et grossier comme il se doit mais en réalité, je trouve que les dynamiques psychologiques sont magnifiquement étalées.
J’adore la manière dont l’histoire nous montre l’instinct maternel de Tamara prendre le dessus, « ma puce » « je voudrais te protéger et te garder avec moi » « je t’aime », mais dans un contexte délicieusement grinçant.
C’est-à-dire que, si Tamara n’était pas une pauvre femme qui a perdu la raison, ses maladresses seraient remplacées par des phrases rationnelles qui enverraient à Aubrey des indices. Elle ne lui dirait probablement pas immédiatement « je pense que tu es ma fille » mais elle la préparerait à cette révélation. Or, là, on voit Tamara se laisser dépasser et oublier le « je » qu’il y a en face d’elle. Elle sert Aubrey dans ses bras contre son gré. Elle efface l’individu qui se tient devant elle, pour y voir sa fille et Aubrey offre une réponse positive simplement par empathie, faiblesse et inquiétude.
Dans les derniers instants avant la révélation Aubrey sait que son moi est menacé. Elle prendrait d'ailleurs la fuite si Tamara ne l'appelait pas.
C’est très bien amené je trouve. La mère adoptive d’Aubrey sent d’ailleurs très rapidement la menace qui traine. Un autre élément de thriller psychologique.
Le petit copain se fait évincer. Les copines deviennent distantes et s'énervent. L'entourage complet d'Aubrey s'effondre. Ces éléments ne seraient pas dans le téléfilm si Tamara étaient réellement la mère.
Ce qu’il se passe en réalité c’est qu’insidieusement Tamara propose à Aubrey de devenir sa fille. Elle la soutien, elle lui prouve sa bienveillance (fausse), elle lui apporte ce que son père ne parvient pas à lui donner… elle instaure des dynamiques maternelles de soutienet de compréhension dont Aubrey a été privée et le but final n’est pas qu’Aubrey soit réellement convaincue que Tamara est sa mère, mais que l’annonce de cette révélation la mette dans la position psychologique insoutenable de devoir prendre la défense de son père qu’elle déteste et qui semble la détester, pour rejeter cette femme qui prétend être sa mère véritable et qui l’aime, la comprend et la soutien.
L’approche de Tamara est similaire à celle d’une technique de vente. Faire dire des choses positives à la cible, la faire s’exposer, s’engager afin que le fait de dire « non, je ne veux pas de votre télé » semble être en complète contradiction avec son attitude précédente. Toutes les confessions que fait Aubrey tout au long de l’histoire la fragilisent face à ce coup de grâce final. Elle traversait une période de crise durant laquelle elle avait besoin de rejeter son père, de prendre de la distance, et elle avait besoin d’une figure maternelle pour lui tenir tête… mais elle ne voulait pas qu’une mère l’arrache littéralement à son père.
Vraiment, je trouve cette intrigue agréablement inquiétante. Je peux dire d’expérience que les confidences et le temps passé avec eux sont des armes gigantesques pour les manipulateurs et qu’il ne faut surtout pas les sous-estimer.
Tout le long de l’intrigue, le comportement de Tamara continue d’indiquer en creux qu’elle se sait illégitime, qu’elle sait qu’elle n’est pas la mère d’Aubrey et l’un des grands moments de ce comportement révélateur survient lorsque Richard annonce à Aubrey et Beth que Tamara a menti sur son identité et qu’elle a déjà été arrêtée.
Aubrey et Beth se moquent totalement de ces informations et prennent la défense de Tamara, ce qui comptent pour elles c’est que le niveau en mathématique d’Aubrey soit remonté en flèche (probablement une manipulation) et que Tamara soit si gentille, qu’elle soit devenue une amie d’Aubrey. C’est à ce moment que Beth et Aubrey rejette Richard le plus violemment.
Le problème, c’est que Tamara assiste à la scène. Elle entend tout de la pièce d’à côté et s’offre même le luxe de passer près d’eux en quittant la maison. Si elle était réellement la mère d’Aubrey, c’est le moment qu’elle choisirait pour le dire. Ce n’est pas uniquement une occasion parmi d’autres, c’est l’occasion parfaite mise-en-place par le scénario. On a déjà vu Tamara faire la morale à Richard, lui tenir tête sans hésiter. Elle n’a pas peur de lui. Il a fait des recherches sur elle et Tamara a vu son dossier dans sa valise mais en quoi cela devrait-il poser un problème s’il a des preuves que la fille de Tamara a été enlevée et qu’elle a été arrêtée parce qu’elle avait volé les résultats de l’enquête de la police ? Tout cela ne ferait que consolider sa position lorsqu’elle dirait à Aubrey « tu es ma fille. »
Autre chose, si Richard était un enleveur d’enfant, ferait-il faire les recherches sur Tamara par une de ses collègues ? Ne devinerait-il pas à qui il a affaire ? D’ailleurs, énorme élément, à aucun moment il ne trahit la moindre familiarité avec l’affaire ou la personne de Tamara. Ni en sa présence, ni lorsqu’il est seul.
"Toi ! Tu as manipulé ma fille." accuse-t-il Tamara qui ne nie pas. S'il mentait, il s'adresserait à Aubrey "elle te manipule."
Mais bref, au lieu de profiter de cette situation de crise parfaite pour révéler le pot aux roses, Tamara s’enfuit et hurle « Et merde ! » dans la voiture, folle de rage.
C’est uniquement l’initiative d’Aubrey qui retourne la situation mais à ce stade, Tamara pense qu’elle a perdu la partie, que sa fille de substitution vient de lui filer entre les doigts. Elle n’a jamais eu l’intention de se servir du fait qu’Aubrey serait sa fille pour la récupérer. Parce qu’Aubrey n’est pas sa fille.
Et surtout. L’élément qui n’a besoin de rien d’autre pour tenir sur ses deux petites jambes et qui dans un magnifique silence dit absolument tout :
A 1h21m08s
Richard — S’il te plait, tu ne me parles pas comme ça. Je suis ton père.
Aubrey — Tu n’as jamais été mon père, c’est faux.
Richard — Qu’est-ce que dirait ta mère si elle t’entendait ?
Aubrey — Tu parles de la sainte que tu as épousée ?
(Gros plan sur le visage de Richard qui reste silencieux).
Aubrey — La femme que tu n’as pas respecté pendant dix ans ?
Alors voilà. C’est simple. La mère d’Aubrey est morte à sa naissance. Aubrey « a tué » sa mère. Richard souffre horriblement parce qu’il aimait sa première femme de tout son cœur et il en veut à sa fille de l’avoir privé de la femme qu’il aimait. Sa fille qui en plus ressemble à sa femme comme deux gouttes d’eau. La photo que Tamara montre à Aubrey est fort probablement une photo de la véritable mère d’Aubrey qu’elle a volé chez Richard. Et Richard, malgré sa douleur, fait tout ce qu’il peut pour sa fille qu’il aime malgré tout, tout en restant froid et distant. Traumatisé. Absolument toutes les descriptions qu’Aubrey fait de sa maltraitance correspondent à cette rancœur paternelle contenue et secrète qu’elle ne comprend pas. Elle aime son père et il l’aime, mais la tragédie qui a frappé leur famille déforme tout, et Tamara va en tirer parti.
Ce que Richard fait de plus courageux, c’est de ne jamais révéler à Aubrey que sa mère est morte en couche. Il veut protéger leur fille à tout prix de cette responsabilité atroce.
C’est beau, c’est triste. Voili, voilà. Vive les téléfilms pourris.