Little Miss Sunshine: Le Numéro final n'est pas une blague. (1200 mots)
La manière dont Little Miss Sunshine pousse, à la fin du film, les téléspectateurs dans la dissonance cognitive est vraiment rigolote.
Alors que depuis dix minutes nous nous plaçons en critiques acerbes du concours de beauté qui déguise les petites filles en femmes et les sexualise de manière grinçante, en un instant nous nous retrouvons à soutenir la petite fille qui produit le spectacle le plus obscènement sexuel de la compétition : Olive.
La petite Olive nous fait un pur strip-tease avec vêtements qu’on déchire, démarche féline et pose déhanchée. Les spectateurs sont horrifiés et quittent la pièce, nous sommes inquiets pour elle qui va vivre la pire humiliation de sa vie et s’en remettra d’autant moins que son père la harcèle avec son obsession pour la victoire.
Ainsi, soudainement, il faudrait acclamer la petite fille qui fait un strip-tease et les spectateurs indignés seraient les méchants coincés qui devraient prendre un tel numéro à la légère… !?!
Evidemment, c’est parce que l’on considère le spectacle d’Olive comme étant innocent qu’on veut la voir protégée. Elle ne se rend pas compte. Et l’on se dit que si tous ces gens sont si dégoûtés, c’est parce qu’elle leur renvoie une image trop directe de ce qu’est réellement leur concours. On repense au grand-père coach caractériel, à ce qu’il aurait pu penser de ce genre de célébration, et l’on en conclut que c’était son objectif : se moquer de tous ces gens malsains qui jouent à la poupée avec leur petite fille.
Hélas, ce n’est vraiment pas l’hypothèse la plus probable du tout. Surtout lorsqu’on prend la peine de simplement retracer le déroulement des événements.
Olive est allée passer deux semaines chez sa tante Cindy qui l’a faite participer à un concours de beauté auquel la petite fille est arrivée deuxième.
Olive porte des lunettes, a les dents de travers et est déjà boudinée à moins de dix ans. On lui a probablement attribué le deuxième prix par gentillesse, parce qu’elle est adorable. Loin de moi l’idée d’être méchant ici, je m’aligne simplement sur ce que je pense être les critères d’un concours de beauté.
Ainsi, lorsqu’elle se met en tête de préparer un numéro pour le concours « étatique », il n’y a en réalité aucune raison de penser qu’elle y participera. Elle n’est pas arrivée première.
On peut déjà percevoir plusieurs problèmes dans ces quelques faits. Tout au long du film, on est amené à percevoir Edwin comme le coach/initiateur de la participation au concours de beauté. Il entraine Olive et juge de la qualité de son numéro. Sauf que ça n’est absolument pas lui qui l’a poussée dans tout ça, qu’elle est arrivée deuxième sans son aide et que la période durant laquelle il l’entraine est précisément celle dans laquelle il n’y a aucune raison de penser qu’Olive aura, un jour, l’occasion de donner sa représentation.
S’ajoute à ça, le fait qu'encourager une petite fille à se ridiculiser n'est pas très cohérent. Si l'on prend un peu de recul il n'est pas difficile de voir que jamais une personne comme Edwin ne pousserait Olive vers les concours de beauté.
Cela fait beaucoup de choses.
Les parents appellent Olive trois ou quatre fois sans jamais monter la chercher pour qu'elle vienne manger.
Pourquoi Edwin entrainerait-il Olive à un numéro de danse provocateur pour « insulter » les gens qui organisent des concours de beauté au moment où il n’a justement aucune raison de penser qu’elle participera à nouveau à un tel concours ? Pourquoi devenir son coach exigeant qui lui apprend ses mouvements de danse et qui refuse qu’elle montre son numéro aux autres membres de la famille plutôt que de la dissuader de se lancer dans ce genre d’univers néfaste ?
La vérité, c’est qu’Edwin a appris à Olive à danser et à se déshabiller pour satisfaire sa libido. Il n’abuse probablement pas d’elle physiquement mais voilà, il regarde une gamine lui faire des strip-teases, comme le spectateur glauque qui applaudit la performance à la fin du film.
L'histoire de la fille éliminée qui cède la première place à Olive pour une raison ridicule n'est probablement pas vraie. Ce qu’il se passe c’est que la tante Cindy a compris qu’il y avait quelque chose de malsain dans la relation que sa nièce entretenait avec un de ses proches. Elle appelle donc et prétend qu’Olive a gagné le concours pour une raison quelconque afin que le prédateur sexuel soit acculé et doive avouer son crime ou que la famille demande simplement à voir le numéro d’Olive et découvre la vérité.
L'inscription chaotique finale ne fait mention d'aucune vérification. Le retard de la famille détourne l'attention du spectateur du fait qu'Olive devrait déjà être inscrite ou présenter une preuve de sa précédente victoire.
Je ne rentrerai pas dans les détails mais on peut voir dans la première scène exactement comment l’abus a pu se mettre en place puisque tous les membres de la famille souffrent de sérieux troubles psychologiques et sont centrés sur eux-mêmes. D’ailleurs Edwin n’est pas du tout le seul à faire du mal à Olive. Ils la détruisent tous par leur égocentrisme et leurs attentes inappropriées. On lui parle de suicide, d’homosexualité, de dépression, d’obsession pour la victoire et l’accomplissement. La pauvre petite fille est exposée H24 à des sujets et des dynamiques dont elle devrait être tenue à l'écart.
Toujours est-il que l’on peut simplement voir dans cette scène comment chaque réplique d’Edwin sert à dissimuler son sinistre méfait.
Il est seul avec Olive dans la chambre mais ne répond pas aux questions de la mère. Il s’efface et laisse la gamine parler. Il descend bien après elle. Il empêche qu’elle montre son numéro de danse et s’énerve immédiatement au sujet du repas pour changer de conversation.
Lorsqu’il apprend qu’elle a remporté le concours, il n’exprime aucune joie, aucune satisfaction et ne congratule pas Olive. Il reste de marbre. C'est en réalité une catastrophe pour lui.
Ses interventions suivantes servent à faire obstacle à la possibilité d’emmener Olive pour qu’elle participe. Il ne veut pas conduire… mais il veut à tout prix venir. Il se montre réticent mais soudain rappelle que c’est lui le coach. Son discours n’a aucune logique mais personne ne s’en soucie.
Il est également probable que la panne de la voiture sera le résultat de son intervention, ainsi que le klaxon qui déconne après sa mort (qu'il ait prévu le coup avant son suicide, ou qu'il intervienne sous forme d'esprit, les films n'ont pas besoin d'être fantastiques pour véhiculer du sens en suggérant l'influence post-mortem d'un personnage).
Au fur et à mesure du voyage, on va le voir faire ses adieux aux autres personnages. Il encourage Dwayne à faire l’amour à un maximum de femmes. Il fait un geste de tolérance et de gentillesse envers Frank en lui payant un magasine pornographique. Il exprime sa fierté et son amour pour son fils Richard et il couvrira Olive de compliment le soir de son suicide par overdose.
"Maman, je peux coucher avec mon grand-père drogué et obsédé sexuel ce soir ?" "Bien sûr ma fille. Rien n'arrive jamais au pays des bisounours."
Nous savons qu’il a l’habitude de se droguer. Il se drogue dans la salle de bain de l’hôtel à côté de la pièce dans laquelle dort sa petite-fille. Cette scène est un climax d’irresponsabilité tragique. Toute la famille a livré Olive au déviant sexuel drogué. Or, la drogue fait exploser la libido. Cette famille d’irresponsables est une famille d’irresponsables, heureusement Edwin met fin à ses jours plutôt que de commettre l’ignominie ultime.
Olive ne sera pas violée, et ne sera pas traumatisée.
Mais le spectacle final n’est pas une blague provocatrice, c’est la révélation de ce qu’il se passait entre elle et son grand-père.
Tout de même, le frère homosexuel prof de littérature fait une tentative de suicide parce que son jeune amant l’a quitté pour un autre vieux… que fait son andouille de sœur ? Elle lui offre de dormir dans la chambre de son propre fils, dépressif en pleine période philosophique.