Easy Rider: Wyatt est homosexuel. (1500 mots)

J’ai vraiment été très surpris lorsque j’ai regardé Easy Rider, cette année, pour la première fois. Je ne vais pas entrer dans les détails et me contenterai de dire que le film n’avait pas grand chose à voir avec la réputation qu’il a, les idées qui lui sont associées ainsi qu’à la chanson « Born to be Wild. »

Le fait que l’orientation sexuelle du personnage principal soit visiblement homosexuelle est un des éléments qui m’a surpris.

Je ne sais pas encore pourquoi, le trafic de drogue est souvent utilisé comme une métaphore de substitut à la reproduction. Je l’ai vu dans Lucie de Luc Besson mais également dans Police Story avec Jackie Chan ou dans Maria, Pleine de grâce de Joshua Marston. Dans tous les cas, je ne comprends pas le pourquoi final de ce lien, de cette métaphore, de ce parallèle. Je n’y avais pas pensé à l’époque où je l’ai vu, mais même Scarface pourrait fonctionner de cette façon, avec Toni Montana devenant obsédé par le trafic de drogue parce qu’il est secrètement amoureux de sa sœur. La sœur, c’est la femme avec laquelle la sexualité est proscrite, donc pas d’enfant. De même, la femme de Toni, Elvira, se révélera être stérile. Enfin, le criminel rencontre sa chute parce qu’il refuse de tuer des enfants. Le monde de la drogue perd un bras-de-fer avec la reproduction.

Pourquoi utiliser la drogue ainsi ? Ah ben, je comprends en fait, grâce à Easy Rider. La drogue est utilisée comme métaphore d’une vie purement récréative et de rapports sexuels récréatifs face à une vie productive, créatrice, utile et par extension, sacrificielle, une vie construite sur des principes.

Je ne comprenais pas pourquoi Wyatt semblait si intéressé par le spectacle d’un homme qui se drogue en comprenant bien qu’il y a là quelque chose de sexuel et donc, d’homosexuel dans ce cas. Ce qu’il y a dans ce geste c’est le renoncement à l’acte créateur, le fait d’accepter une vie purement stérile et récréative. Les personnages sont obsédés par un carnaval tout le long du film. Pour Billy c'est la fête interminable, pour Wyatt le jeu de rôle, le déguisement.

Mais bref, allons-y donc pour la petite liste d’éléments suggérant l’homosexualité de Wyatt. Je ne prétends surtout pas que chaque élément est une preuve en soi, je veux dire qu’il est inséré à l’intérieur du sous-texte homosexuel comme élément de sens.

Déjà, détail qui échappe à la réputation qui accompagne le film, Wyatt et Billy sont deux trafiquants de drogue, deux criminels « en cavale. » Même si plus aucune allusion n’est jamais faite à leur crime une fois qu’il a été commis, il n’en reste pas moins qu’ils seraient bons pour un séjour en prison d’une décennie au moins, s’ils se faisaient attraper.

N’importe qui n’entreprendrait pas une telle opération. Il faut tout d’abord un certain niveau de décrépitude morale ou de désespoir ; le sentiment de ne pas avoir sa place dans la société, qu’aucun avenir ne nous y attend et que la balance risque/récompense d’un tel coup de poker peut être positive. Les personnalités de Wyatt et Billy contiennent nécessairement des aspects expliquant leur entreprise et c’est justement une des dimensions du film qui semble échapper à beaucoup de ses fans. Billy n’est pas aimable. Billy est un imbécile, égoïste, irresponsable, sans conviction ni noblesse, un individu bas et bête qui fait juste ce qui lui passe par la tête. Wyatt, sujet de l’article, est motivé par une homosexualité qu’il a du mal à assumer et qui le fait se sentir inadapté. Si ce « road trip » est pour Billy une fuite vers une vie d’oisiveté, pour Wyatt elle est une dernière tentative de s’assumer. Les cheveux longs de son acolyte lui valent régulièrement d’être pris pour un homosexuel, Wyatt a probablement lui-même commis l’erreur. Il a accepté le crime non pas pour l'argent mais parce qu'il pensait que la proposition en cachait peut-être une autre. Ainsi, ce que Wyatt espère, c’est que ce voyage lui permettra de conclure avec son ami et d’enfin pouvoir explorer ou comprendre ses désirs.

L’une des choses qui m’a donc surpris c’est qu’une grande partie du public ait pu confondre ces deux hommes avec des héros virils indomptables et insoumis digne d’une admiration sans fin.

Je le disais plus haut, le rapport à la drogue est un rapport à une vie non-productive, sexuellement homosexuelle donc. L’homme à qui ils doivent remettre la drogue est maniéré et très coquet. En plein échange de drogue dure, il prend le temps de rajuster sa casquette, indice possible d’une homosexualité, surtout dans un film dans lequel il n’apparaît qu’une minute.

Wyatt le regarde tester la drogue non pas avec anxiété, il aurait peur que la marchandise ne convienne pas et qu’il y ait des problèmes, mais avec curiosité. Son sourire apparait avant le "résultat" du test, il est content de (s'imaginer) reconnaître un pair.

Après l’achat des motos, Wyatt jette sa montre. L’entrée dans la sexualité est souvent signifiée par une entrée dans la temporalité dans les films. Montre cassée de Joel dans The Last of US, puis réparée par sa fille Sarah (problème incestueux). Montre offerte à Steve Trevor par son père dans Wonder Woman mise en parallèle avec son sexe. Ici, Wyatt renonce à une sexualité normale puisqu’il décide de se tourner vers les individus de même sexe, il jette donc sa montre.

Première étape, un motel dont Wyatt et Billy se font brutalement refuser l’entrée. La raison n’est pas explicitée et l’on peut en supposer plusieurs : La nouvelle circule que deux motards en Harley sont des trafiquants de drogue, les motards sont mal vus, Billy et ses cheveux longs/homos/deux hommes qui voyagent ensembles.

Ils dormiront donc à la belle étoile et ne ré-essaieront JAMAIS de dormir dans un Motel.

Ce soir-là, Billy est totalement à l’ouest, sous l’effet de la drogue. Wyatt est pensif, comme s’il regrettait déjà de s’être embarqué dans ce périple. Ces moments de déceptions introspectives reviendront tout au long du film. Wyatt n’obtient pas ce qu’il est venu chercher.

Ce problème de désir non partagé et donc de perte de sens de l'escapade en moto pour Wyatt est traduit par un rebondissement immédiat: Sa moto a un problème et ils doivent la faire réparer. Dès le début du voyage celui-ci manque de prendre fin.

C'est en faisant réparer la moto qu'ils vont rencontrer une famille nombreuse habitant dans une belle maison, l'opposé du lieu dans lequel ils se sont réveillés.

Le lendemain, Wyatt prend un motostoppeur ; geste imprudent et hostile à Billy qui s’en agacera immédiatement.

Cette initiative est motivée par un dépit sexuel : « Tu n’es pas intéressé ? Très bien, je vais voir ailleurs. »

Ce soir-là, Wyatt fait passer le test de la drogue au hippie qui l’accepte. Mais lorsque Wyatt tente une seconde approche avec la question : « Tu as déjà voulu être quelqu’un d’autre ? » l’autre répond « Ouaip, Donald Duck » clairement pas un homosexuel tourmenté par sa sexualité.

La quête de Wyatt ne rencontre que des échecs. D’abord Billy et ses cheveux blonds qui induisent tout le monde en erreur, ensuite le père d’une famille « mixte » (Il est avec une mexicaine) extrêmement nombreuse, maintenant le hippie clairement hétéro. Toutes les personnes que Billy et Wyatt croisent vivent en marge de la société mais pour une raison autre que l’homosexualité.

Alors que Billy semble n’avoir qu’une idée en tête, trouver un partenaire sexuel féminin, Wyatt reste détaché. Il prend un homme derrière lui sur sa moto, il ne s’intéresse à aucune femme du clan hippie, même pas à celle qui est clairement intéressée par lui. Lorsqu’ils finissent par aller se baigner, il reste à l’écart de deux magnifiques jeunes femmes nues et souriantes. Alors bien sûr, ça ne constitue en rien une preuve de son homosexualité dans le monde réel, mais au niveau des signes symboliques cela reste assez fort, surtout lorsqu’aucune explication ne sera donnée à ce comportement rétissant.

Plus tard, lors d’un séjour en prison, Wyatt et Billy feront la connaissance de George Hanson, avocat alcoolique qui va les accompagner jusqu’à ce qu’il se fasse assassiner. Wyatt lui fera également passer le test du joint, durant lequel on pourra voir à quel point cet échange est vraiment porteur de sens pour lui… et à quel point George n’est pas intéressé.

Le lendemain, les trois hommes s’arrêtent dans un bar dont les clients leur sont très hostiles mis-à-part les jeunes vierges impatientes de vivre quelque chose avec des hommes.

Assez bizarrement, nos trois lurons finissent par justifier la méfiance du Shériff puisqu’ils seraient clairement partis avec les gamines s’ils l’avaient pu. Un renversement vraiment étrange. Les locaux ont des préjugés sur eux, se montrent extrêmement hostiles et bas et malgré cela, les personnages principaux sont à deux doigts de se lancer dans un détournement de mineures sous leurs yeux.

Le détail qui m’intéresse ici, est la manière dont Wyatt regarde Billy lorsqu’un des clients qui les arrosent d’insultes parle de deux hommes s’embrassant. Il veut voir la réaction de son ami.

Puis vient la Nouvelle-Orléans et le « mardi-gras. » Billy veut aller s’amuser dans un bordel, Wyatt est consterné. La prostituée que l’on propose à Wyatt s’appelle Marie (La sainte vierge, ce n'est pas innocent).

Elle est charmante et gentille mais Wyatt aura besoin de drogue pour s’approcher de coucher avec elle.

Le film entraîne le spectateur dans un trip sinistre au milieu d’un cimetière durant lequel la prostitué récite des prières et Wyatt exprime sa colère envers son père, envers Dieu et son amour envers sa mère, puis inversement. L’autre prostituée se plaindra de ne pouvoir porter un enfant. Drogue, homosexualité, procréation impossible.

Les deux motards quittent la ville et alors que Billy s’esclaffe en constatant qu’ils ont réussis, qu’ils sont hors d’atteinte en gros, que le pactole est à eux, Wyatt affirme énigmatiquement qu’ils se sont perdus, qu’ils ont échoué car pour effectivement, pour lui, toute cette épopée n'a été qu'un échec.

Le lendemain ils meurent tous les deux de la manière la plus anonyme et absurde possible.