A Quiet Place Day One: Dynamiques identitaires (1400 mots)
J’ai oublié les deux précédents A Quiet Place. Le premier était sympathique il me semble mais je n’en ai que peu de souvenirs et encore moins du second qui était assez mauvais (seule chose dont je me rappelle). Je ne suis pas fan de cette franchise, je trouve que la nécessité de ne pas faire de bruit qui s’impose aux personnages n’est pas un élément intéressant ou original.
En réalité, il est déjà présent dans de nombreux films dans lesquels un protagoniste doit exécuter une action, traverser un lieu, sans faire de bruit, sans se faire repérer, sans réveiller un garde ou se faire repérer par un monstre.
La dynamique est déjà très régulièrement exploitée dans les films d’aventure/espionnage/horreur sans pour autant parasiter tout le film. Les personnages qui doivent écrire, chuchoter, trouver des sources de bruit pour couvrir le son de leur voix ça peut donner une ou deux bonnes scènes mais quand cela conditionne tout le métrage, ça endort. Je dis ça parce que je me suis endormi au cinéma, assez bizarrement pendant la scène durant laquelle un monstre poursuit les deux héros dans le métro puis sous l’eau. Une scène bruyante et mouvementée, mais je me suis endormi quand même pendant cinq minutes avant de me réveiller pour la suite.
Bref.
Samira a le cancer. Le père de Samira est mort du cancer. Il était pianiste à New York et Samira conserve une nostalgie colossale de la vie qu’elle menait avec lui. Elle est admirative, avalée par son amour pour son père divin, coincée dans sa bulle.
Son cancer c’est ça. Elle suit son père, se fait un écho amoureux de lui et rejette le restant de l’humanité. Il n’est pas difficile de comprendre que pour elle « tout est de la merde » elle le dit si bien au début du film. Eric lira une feuille qui décrit l’évolution d’une maladie incurable sans que l’on sache s’il est en train de lire l’histoire du père ou de la fille. Samira est prisonnière d’une fusion identitaire.
Son enjeu c’est donc de parvenir à faire le deuil de son papa tant aimé et de se tourner vers la vie.
Puisqu’elle doit se distancer de son père, on va se demander où se situe sa mère, qui est-elle ? Et ben euh… on ne le sait pas. On plonge donc dans les structures plus profondes de la psyché pour retrouver cette mère inexistante. La mère de Sam, c’est l’Afrique. Et son père, c’est New York dans ce cas.
Cette quête d’identité est au cœur de l’arc narratif de Samira, ne comptez pas sur moi pour l’expliquer en détail, j’ai vu le film deux fois, ça me suffit, je ne vais pas le presser comme un citron, il est bon mais juste un peu soporifique à mon goût.
Donc. Au début, on comprend qu’il ne reste à Sam que peu de temps à vivre (Même si je suis convaincu qu’elle pourrait s’en sortir en réalité, que son cancer pourrait stopper du jour au lendemain). S’il ne lui reste que peu de temps à vivre, sa visite à New York est à prendre comme la dernière, son ultime chance de faire le deuil de son père. D’où son désir profond d’aller manger une pizza comme celle qu’elle mangeait avec lui.
Reuben, l’infirmier qui s’occupe des malades du cancer donne l’impression d’avoir beaucoup d’affection pour elle. Il supporte son comportement infecte, il la soutient, l’encourage, lui fait une promesse pour parvenir à la traîner à NY. Sam s’agace lorsqu’elle comprend qu’elle va voir un spectacle de marionnette. Coïncidence, le spectacle est un parfait écho de sa situation :
Un pantin s’envole grâce à un ballon. Il vit une expérience magique, poétique, superbe. Mais soudain, le ballon éclate et le pantin tombe. On y voit le cancer de Samira qui mettrait fin à son insouciance mais aussi la mort de son père qui tuerait le rêve de la petite fille. Deux choses qui n’en font qu’une.
Le pantin ne s’effondre pas, il se réceptionne, se redresse et regarde Samira. Reuben veut lui suggérer de se battre, d’accepter sa tragédie intime et de continuer à vivre.
C’est lorsqu’on la force à remonter dans le bus sans avoir eu sa pizza que les monstres apparaissent. Donc clairement, ces monstres sont une métaphore de l’hostilité de Samira envers le monde. L’attrait du silence, la haine du bruit, c’est le désir de s’abîmer en soi lorsque l’extérieur est devenu insupportable. Samira veut retourner dans sa bulle avec son père et chaque indice incontrôlable de l’existence du monde l’insupporte.
Il y a cependant une dynamique qui m’échappe dans l’attaque des monstres. Ils ne peuvent pas uniquement incarner le désir de silence de Samira. Ils se doivent d’obéir à une règle supplémentaire, je pense.
En attendant, la ville est attaquée et soudainement, Samira noire de peau devient moitié blanche, moitié noire, puis entièrement blanche.
Elle est partagée, déchirée, elle se dédouble, elle doit faire un choix.
Je pense que la blancheur, c’est le père, le citadin New Yorkais, la civilisation capitaliste occidentale. La noirceur, la couleur naturelle de la peau de Lupita Nyong’o, c’est le naturel justement, l’Afrique, la mère.
Ainsi, Samira devrait retrouver ses racines pour parvenir à s’échapper de New York, de sa bulle.
Détail amusant. A la vue d’un pont se faisant détruire, un blanc panique alors que les noirs qui l’entourent, non. Le blanc voit le pont comme l’unique moyen de s’enfuir, alors que les noirs ont dans le sang la traversé d’un océan. Aussi, la psyché du blanc repose/dépend de la civilisation, la construction, alors que les noirs ne voient pas l’obstacle naturel comme un obstacle.
Je ne prétends absolument pas dire de vérité générale ici, je ne fais que discuter les dynamiques du film.
La seconde attaque répand à nouveau de la blancheur partout, cette fois Samira y échappe.
La première attaque c’est le désir d’être laissée seule dans New York, avec son père. L'abandon du naturel pour s'enfuir dans la bulle blanche culturelle paternelle.
Dans cette seconde attaque, Samira parvient mieux à supporter la présence des gens. Elle supporte leur existence, mais elle continue d’aller dans une autre direction et ils deviennent un obstacle, jusqu’à ce qu’à nouveau, elle veuille les voir disparaître tous.
Son chat noir et blanc s’enfuit. Le chat, c’est la pulsion vitale, la pulsion sexuelle. Le désir le plus profond et inextinguible de Samira. Il va lui trouver un compromis. Un humain qui veut partir mais qui ne s’oppose pas à ses désirs à elle. Eric.
Le visage trouble se précise. Après le chemin sous-marin, Samira vient au monde en tant qu'individu.
Elle tente de le semer jusqu’à ce qu’il explique : Je ne veux pas mourir ici. Il est une bouée de sauvetage, un chemin tracé avec des petits cailloux. Samira veut plonger jusqu’au cœur de sa douleur, faire son deuil, et s’échapper.
Cela fonctionnera jusqu’à un certain point. Eric va la sauver plusieurs fois. Samira aura droit à une scène de renaissance. Eric lui donnera concrètement accès aux substituts réalistes auquel le pantin du début faisait allusion. Elle n’obtient pas la pizza qu’elle désirait, mais elle a droit à une pizza. Elle n’entend pas la magie au piano de son père virtuose, mais Eric la fait rêver d’un tour de cartes. Il lui fait même imaginer un public et elle se prête au jeu. Il lui redonne espoir.
Mais alors… pourquoi échoue-t-il ? Pourquoi Samira reste-t-elle à New York. Et ben je sais pas !!!
Elle lui donne son chapeau, sa veste, son chat et il parvient à s’enfuir. Que reste-t-il de Samira à New York dans ce cas ? Et pourquoi survit-elle à l’attaque des monstres si c’est pour mourir dix secondes plus tard dans la scène suivante ? Et si elle devait mourir, pourquoi ne faire que nous le suggérer ?
Aussi incroyable cela puisse-t-il paraître, je miserais plutôt sur sa survie. Je sais, c’est ridicule mais tout est possible dans une fiction, c’est le sens qui gagne, pas le réalisme. Je pense que son cancer se stabilise lorsqu’elle fait le deuil de son père et que sur le dernier plan du film, Samira est enfin prête à partir. Elle devient donc la cible d’un monstre parce qu’elle fait donc maintenant « du bruit. »
Mais les monstres n’étant apparus que parce qu’elle ne supportait pas la vie, cela se mord la queue. La menace devrait prendre fin. Le bruit final est d’ailleurs particulier puisqu’il s’agit d’un son qui met fin au bruit. Samira coupe la musique qu’elle écoute.
Si elle était en train de rêver à l’hôpital, c’est là qu’elle se réveillerait.