King Richard : Venus et Serena ne sont pas des filles. (1500 mots)
Il y a une rumeur sur les sœurs Williams, que j’ai entendu sur Serena il y a quelques années, c’est qu'elles seraient en fait des hommes.
Je n’ai jamais réellement cherché à creuser la question. Il est certain que lorsqu’on regarde Serena Williams en se disant que c’est un homme, on lui trouve des traits masculins et une allure masculine, mais ça fait ça avec beaucoup de femmes. Les hommes et les femmes se ressemblent, il est facile de voir une femme dans un homme et inversement si l’on se met en tête de forcer cette perception.
En attendant, il n’est pas difficile de voir que King Richard adhère à l’idée sans jamais la prononcer, ce qui en fait un très bon exemple de film qui dissimule intégralement son élément central et qui laisse donc au spectateur le soin de comprendre. Et surtout, cela donne l’opportunité de voir comment un tel élément peut être dessiné en creux sans jamais être dit.
Par où commencer ?
Peut-être par le plus évident : Venus Williams est exceptionnellement bonne au tennis, pas juste bonne et d’ailleurs, pas exceptionnellement bonne, bonne à un degré incroyable. Donc, difficile à croire en gros. Parfois, quand quelque chose est incroyable c’est pour une raison.
Tout le long du film, on la voit écraser ses adversaires alors qu’elle fait très peu de matchs. Elle affiche, à côté de ça, une confiance sereine incroyable dont un journaliste lui parlera. Il lui demande comment elle peut affirmer sa capacité à battre les meilleures avec un tel naturel. Richard s’interpose immédiatement.
Très régulièrement, Richard produit des comportements inattendus, agressifs, incohérents qui épousent parfaitement cette possibilité que la famille Williams ait quelque chose à cacher. Il éloigne Serena et Venus des filles de leur age, du bord de la piscine, des compétitions « junior », des vestiaires avec adolescentes en gros.
Il infligera également une leçon d’humilité à ses filles après la première victoire de Venus « il faut rester humble. » Il ne fait que se la péter perpétuellement, il interdit à ses filles d’être fières d’avoir remporté leurs matchs. Ce qu’il redoute, c’est que la fierté n’attire l’attention sur la réelle invincibilité de Venus. Dire « Je suis contente d’avoir gagnée mais mon adversaire a bien joué » est bien moins risqué que « Je l’ai écrasée, elle n’avait aucune chance. »
Pour enseigner l’humilité à ses filles, il leur fait regarder Cendrillon. Histoire d’une fille qui se déguise pour atteindre un but, une fille qui a l’opportunité, grâce à de la magie, de prétendre être une personne qu’elle n’est pas.
Lorsqu’un producteur répète deux fois « Honnêtement, c’est incroyable », Richard s’énerve et se lance dans une mesure intimidatrice. Il ne faut pas se montrer sceptique.
Il empêche même l’entraîneur qu’ils sont parvenus à dégotter à grand coup d’incruste déplaisante de donner ses cours sans être dérangé. Richard vient expliquer à Venus qu’elle doit garder les jambes écartées.
On pourrait croire à une technique secrète qui expliquera la supériorité de sa fille. Cependant, si c’était le cas, le film appuierait sur ce fait. Quelqu’un recopierait cette approche, ou elle serait reconnue par un autre personnage. Ici non. Elle devient une sorte de tabou. Venus continuera à jouer de la sorte mais plus personne n’en parlera. Il me semble pourtant qu’à un tel niveau, un mauvais positionnement n’est pas un détail, soit cette approche est meilleure, soit elle est moins bonne. Dans un cas, comme dans l’autre une conclusion aurait dû être prononcée. Ça n’est jamais le cas parce que cette position sert en fait à dissimuler le sexe de Venus.
En parallèle des victoires écrasantes, on voit les adversaires s’effondrer psychologiquement. L’arrivée d’une joueuse au niveau si élevé détruit le sens de la compétition. Tout devient ridicule et on voit les joueuses retourner contre elle leur frustration, ou simplement snober Venus, possiblement parce qu’elles ont compris.
"You're so stupid !" Insulte vers elle-même ou vers Venus ? Dans les deux cas c'est révélateur de la violence de l'écart de niveau.
Et ben, il n'y a que des mauvaises joueuses ou quoi ? Le résultat du déséquilibre est dévastateur. Soit les adversaires détestent Venus, soit elles se détestent, elles se sentent profondément nulles. C'est horrible.
A la fin du film, dans les vestiaires, les femmes n’applaudissent pas Vénus, ne la complimentent pas. Elle est obligée de s’isoler pour crier de joie… et est interrompue par une femme qui passe, couverte d’une serviette. Le corps, le sexe, de cette femme interrompent la joie de Vénus. Elle n’a pas droit à cette célébration parce qu’elle ne devrait pas être là.
Si l’on doit considérer la possibilité que Vénus et Serena soit des garçons, il faut qu’une sacrée motivation soit développée du côté des parents, Richard et Brandi. C’est le cas. Richard est omniprésent, invasif, tyrannique et lunatique et le film prend le temps de montrer l’implication profonde de Brandi dans leur projet, leur « plan. »
Jeu de mot très sympathique, Richard prononce « playing » et « plan » exactement de la même façon. Donc, lorsque Venus joue un match, c’est en fait un aspect du plan. Quel plan ? Faire de ses fils des championnes de tennis ? Non.
Je ne sais pas à quel moment Richard décide d’aller jusqu’au bout, mais on dirait qu’en réalité, tout n’était à la base qu’une arnaque. (Dans le générique, le véritable Richard Williams prononce des mots terriblement révélateurs).
L’idée était de parvenir à faire passer un de leurs fils pour une fille extrêmement bonne au tennis et d’obtenir un soutien financier, ce qu’ils parviennent à obtenir de Rick Macci que Richard mettra à genoux entièrement tant le pauvre homme croit à l’exceptionnalité de Venus.
De lui ils obtiennent une maison, des revenus, des repas gratuits, une vie de luxe en Floride. Ils peuvent envoyer leurs enfants dans de bonnes écoles.
C’était le but de l’arnaque. Richard parle plusieurs fois de son enfance et il est très compréhensible que cet homme soit près à tout et surtout à n’importe quoi, pour ne pas offrir à ses enfants la même vie de misère qu’il a lui même eu. Il est fou et détestable, mais on peut comprendre sa motivation, et on peut donc comprendre qu’il se soit laissé aller dans une idée folle, avec son épouse.
Brandi elle, a ce glissement des mères cinglées actuelles qui mutilent leurs enfants et se font croire qu’elles leur donnent l’opportunité d’être réellement eux-mêmes.
Certaines personnes du quartier comprennent ce qu’il se passe. Une voisine les dénonce aux services sociaux qui viennent frapper à leur porte. Les filles Williams seraient battues, maltraitées. Si la police cherche à voir des bleus, elle verra peut-être autre chose.
Après la visite désagréable, Brandi va chez la voisine pour lui mettre les points sur les "i". Lui affirme-t-elle qu’elle aime ses enfants et qu’elle les traite bien ? Non. Ce qu’elle lui affirme, c’est qu’elle a CINQ filles.
A la fin du film, avant le grand jour du match de Venus, Brandi rappelle à ses filles qu’elles sont des femmes, ce qui fait d’elles des femmes et conclut de manière hilarante « Tout comme vous les gars. »
On peut y voir un lapsus, mais c’est également le film qui nous pointe du doigt le problème, purement et simplement. (Précision: On peut utiliser "guys" pour s'adresser à des filles en anglais. Je commente le contexte de l'apparition du mot).
Richard quant à lui, ne parvient pas à appeler Venus par son prénom. Il utilise "Junior." Il me semble que c’est plus un fils qu'un père peut appeler ainsi.
A un moment donné, quelqu’un dit que Venus est le prochain Michael Jordan. Richard ne s’arrête pas à la différence de sexe des athlètes, et surenchérit : "Les deux prochains Michael Jordan." Je trouve ce détail amusant parce que WIll Smith a le même rôle glauque de père narcissique égocentré obsédé par le succès qu'il avait dans The Pursuit of Happyness et dans ce film, il avait un fils qui voulait faire du basket et dont il détruisait probablement les chances d'y parvenir.
"Ne laisse jamais quelqu'un te dire que tu ne peux pas accomplir ce que tu veux.""Papa, je pense que vivre dans la rue risque d'être un obstacle à mon développement et c'est pas génial pour devenir un sportif de haut niveau.""Arrête de geindre, tout n'est qu'une question de volonté.""
A mesure que les choses « avancent » une tension se met en place. Beaucoup de gens se rendent compte du problème, mais tant qu’il n’explose pas au grand jour, Venus représente également un sacré paquet de pognon.
Je ne saurais pas déterminer qui sait quoi, je ne sais même pas ce qu’il se passe dans la tête de Venus et Serena.
La fille qui s'entrainait avec Venus tombe dans la drogue. Toute célébration du mensonge et de la tricherie est une attaque directe à la valeur et au talent réel.
Il est beaucoup question de drogues dans le film. Ici, une personne encourage les personnes qu'on pourrait potentiellement pousser à prendre des drogues à dire non...
Mais le match final représente une prise de risque colossale car si Venus l’emporte, cela fera exploser la bulle. On n’acceptera pas qu’un jeune garçon remporte un match pro. Sa victoire serait probablement la fin de l’affaire.
Richard parle beaucoup de la ségrégation et du Ku Klux Klan. Il va même jusqu'à faire allusion aux cagoules blanches de ses membres. A la fin du film, c'est sa fille qui est devenu le membre d'un culte.
Le problème c’est que son adversaire refuse de perdre et fait une pause « pour aller aux toilettes. » Elle va probablement prendre des anabolisants et détruit ensuite Venus. Elle prouve donc que c’est uniquement son sexe qui lui donne le dessus, Venus n’est pas une meilleure joueuse qu’Arantxa Sanchez Vicario.
Comme toutes les autres joueuses confrontées à Venus, il ne vient jamais à l’esprit d’Arantxa d’admirer son adversaire. Joueurs comme entraîneurs sont simplement incrédules et voient bien que ça ne va pas.
Rick Macci continue d’y croire jusqu’au bout mais exprimera son incrédulité très fortement et d’une manière un peu inquiétante en fait.
"On dirait une tueuse professionnelle." Qui est tué ? Les joueuses blanches ? Ou les femmes ? Eradication raciale ou sexuelle ?
Le film se conclut par un coup de marteau sur le clou.
Venus est attendue à l’extérieur du stade de tennis par plein de petites fans qui l’admirent et scandent son prénom « venus, venus, venus, venus, venus, venus »
Lorsqu’on cri, la consonne voisée sonne exactement comme une explosive. Le « v » sonne comme un « p ». En anglais, « Venus » est phonétiquement pratiquement le même mot que « penis. »
Le film se termine sur le mot qui résume tout.
Richard le reprend et la similarité des prononciations se fait plus forte encore.