La Parure (Maupassant): Mathilde ne sait pas tricher. (2800 mots)
Lorsque j’avais lu La Parure en cours de français au collège, la nouvelle m’avait traumatisé.
La Parure (de Guy de Maupassant) c’est l’histoire d’une femme du peuple (19ème siècle) qui emprunte un bijou d’une valeur inestimable à une amie avant d’aller à un bal, le perd et qui, par intégrité, garde la catastrophe secrète, s’endette pour racheter le même bijou et passe dix ans de sa vie à trimer avec son mari afin de rembourser ses dettes.
C’est un classique de la littérature française qui est bien utile pour illustrer un mouvement artistique et idéologique, d’une époque, en le reliant implicitement à la nôtre. Raison pour laquelle je l’ai croisé en cours de français.
Nous sommes devant un texte réaliste, qui dépeint les interactions et dynamiques sociales de la France de l’époque, avec l’idée commune de la petite bourgeoisie qui voudrait se faire plus riche et plus impressionnante qu’elle n’est ; la vanité, l’orgueil, la superficialité mais aussi les déterminismes écrasants et impitoyables de la société. On peut retrouver sur cette page ce que j’avais entendu dans mon cours de français:
=> Maxicours.
Mais les analyses du texte disponibles sur internet sont pléthores.
Cela faisait longtemps que j’avais l’intention de relire cette nouvelle, convaincu que j’en aurais une opinion bien différente. C’est arrivé cette année lorsque je suis tombé sur le recueil de Maupassant dans une boîte à livre.
J’ai régulièrement ressenti un certain malaise face aux classiques qu’on peut nous demander de lire dans les cours de littérature parce qu’ils sont utilisés pour illustrer le contenu d’un cours et que, par conséquent, les éléments que les professeurs vont en tirer ont besoin d’être explicites et objectifs. Or, dans la littérature, la part d’incertitude, de « non-explicite, » est très importante, dans les deux sens du terme.
Si l’on me dit que « La Parure » est réaliste, cela signifie d’une certaine manière qu’il faut prendre cette histoire au pied de la lettre. Le problème, c’est que si je dois prendre cette histoire au pied de la lettre, je dois bien admettre que je la trouve légèrement incohérente et idiote et que la morale qu’on lui attribue ne fonctionne pas.
On devrait y voir une dénonciation de la vanité, de la superficialité, une critique de l’absurdité du coût des objets et des inégalités de statut économique.
Cependant, tout ne tient à rien dans cette histoire.
Mathilde Loisel perd le bijou que lui a prêté son amie. Elle qui le croit véritable, et donc d'une valeur inestimable, ne s’imagine pas une seconde qu’on pourrait lui avoir volé. Aucune explication ne sera donnée au lecteur, le bijou s’est volatilisé. Il est, de manière générale, accepté que cela arrive de perdre quelque chose, mais je dirais d’expérience qu’en réalité, non, ça n’arrive pas. Plus précisément, c’est tellement rare que l’on perde quelque chose accidentellement que toute disparition se doit d’être considérée suspecte. Il arrive bien plus souvent qu’un objet disparu mystérieusement soit le résultat d’une agence extérieure que d’une coïncidence, d’un geste inconscient, d’un hasard.
Mathilde Loisel n’est pas particulièrement maladroite ou cruche. Une rivière de diamant est un bijou énorme. Est-il déjà crédible qu’elle la perde sans immédiatement sentir que le poids des pierres précieuses ne lui pèse plus ?
La probabilité que le pendentif se détache est infime.
La probabilité combinée que le pendentif se détache et qu'il tombe sans que Mathilde ou quelqu’un d’autre ne le voit et la prévienne est infime, pendant un bal, parmi une foule de personnes.
Enfin, elle que le pendentif se détache et tombe sans que personne ne le voit et sans que Mathilde ne le sente immédiatement est virtuellement inexistante.
S’ajoute à ces improbabilités, le fait qu’en plus, nous devrions croire que Mathilde a touché la rivière après le bal :
— Tu es sûre que tu l’avais encore en quittant le bal ?
— Oui, je l’ai touchée dans le vestibule du ministère.
— Mais, si tu l’avais perdue dans la rue, nous l’aurions entendue tomber. Elle doit être dans le fiacre.
La disparition de la rivière n’est pas qu’une catastrophe c’est également une énigme très sérieuse.
Cela pose un problème car cet événement est la base de l’histoire tragique. Tout repose sur lui, or, on nous demande de l’accepter tel quel sans chercher plus loin. Les Loisel vont passer leur vie à rembourser cette rivière de diamant dont la disparition n’a pas de sens.
Ce qui fait que le lecteur accepte cet élément c’est que l’on sait que Mathilde a été enivrée par le bal et par son succès personnel. On l’imagine être emportée et imprudente et cette image habilement construite par la narration devient la raison abstraite de la perte de l’objet: aucun besoin d’explication, Mathilde s’est laissée aller à cette joie narcissique, forcément, elle doit en subir un revers du destin.
Le mystère de la disparition de la rivière de diamant ne représente pas une faille impardonnable cependant, ce qu’il a de problématique c’est qu’on peut sentir en celui-ci, le désir de Maupassant de responsabiliser Mathilde à tout prix. Elle pourrait se demander si quelqu’un lui a volé le bijou… mais non, clairement elle l’avait en partant et elle l’a perdu pendant les trente secondes, bien pratiques pour l’histoire, où elle était dans le fiacre.
Bien plus difficile à accepter est l’inflexibilité avec laquelle les Loisel vont vouloir remplacer le bijou. Ils trouvent une autre rivière de diamant:
« un chapelet de diamants qui leur parut entièrement semblable à celui qu’ils cherchaient. Il valait quarante mille francs. On le leur laisserait à trente-six mille. »
Comment est-il possible qu’à cet instant précis, ils ne décident pas de s’informer du prix que Mme Forestier avait payé pour sa rivière ? Pourquoi n’envisagent-ils pas de la lui rembourser plutôt que de chercher à dissimuler la catastrophe ?
Il y a ici une dynamique intéressante. On nous dit que l’histoire nous parle de superficialité, d’image sociale, lorsqu’il est question de robes et de bijoux, mais l’incapacité des Loisels à admettre qu’ils se sont mis dans une situation catastrophique ne repose-t-elle pas, elle-aussi, sur une question d’image ? Si c’est la perte concrète de l’objet qui était problématique, ils pourraient en parler à Mme Forestier. S’ils ne parviennent pas à le faire, c’est parce qu’ils veulent pouvoir prétendre que rien ne s’est passé. C’est l’image de leur irréprochabilité qui les intéresse, pas la perte concrète du bijou prêté. Sans quoi, ils pourraient regarder en face que la riche Mme Forestier se moque bien du bijou et qu'elle accepterait probablement un remboursement partiel.
On voit que Loisel se compromet dangereusement pour obtenir la somme. « Il fit des billets, prit des engagements ruineux, eut affaire aux usuriers, à toutes les races de prêteurs. » A aucun moment, il ne se demande si le bijou d’origine valait bien, lui aussi, trente-six mille francs. Nous apprenons à la fin de l’histoire que la rivière était fausse et ne valait rien. Il est déjà difficile à imaginer que les Loisel ne se prennent pas à espérer une telle chose dès la perte du bijou. Mais il est encore plus ridicule qu’ils ne discutent pas de la simple possibilité que Mme Forestier l’ait payé largement moins cher que ce qu’ils s’apprêtent à dépenser. Le prix des pierres précieuses, même véritables, peut varier drastiquement sans que la valeur soit distinguable à l’œil nu. Maupassant nous décrit le renoncement atroce de leur confort « On renvoya la bonne ; on changea de logement ; on loua sous les toits une mansarde » et nous devrions croire qu’ils prennent toutes ces initiatives sans jamais se dire : « Si seulement ce fichu bijou pouvait coûter dix milles francs de moins ! Peut-être celui de Mme Forestier ne coûtait-il que vingt-mille francs ! Peut-être n’avons nous pas besoin de sacrifier tant ! »
La dimension tragique de l’histoire est ridicule et absurde. Les Loisel ne cherchent à aucun moment à échapper au cauchemar que devient leur vie.
Il y a également un problème dans la conclusion qui demande tout de même une sacrée suspension d’incrédulité. Mathilde croise son amie Jeanne Forestier sur les champs-Elysées, après dix années à trimer pour rembourser l’achat du bijou.
Si Mathilde et Jeanne étaient amies, comment se fait-il qu’elles ne se soient pas vues pendant dix ans ?
Maupassant veut nous offrir ces retrouvailles atroces durant lesquelles Jeanne constate la dégradation physique de son amie, qu’elle ne reconnaît d’ailleurs pas tant elle est « changée. » Alors il faut créer cette situation peu crédible où Jeanne n’a pas vu Mathilde depuis l’époque où elle était jolie.
Aussi, si Jeanne et Mathilde s’étaient fréquentées pendant ces dix ans, l’amie aurait également constaté son changement et se serait inquiétée. Et si Jeanne avait su pour le renvoi de la bonne, le déménagement, le labeur continuel, les problèmes financiers…. N’aurait-elle pas proposé son aide ? Son soutien ? Maupassant se débarasse de toutes ces dynamiques en faisant que Jeanne disparaît de la vie de Mathilde sans laisser de trace et sans qu'aucune question ne soit posée.
Mathilde a sacrifié sa vie pour rembourser une dette absurde envers une personne qu’elle n'avait plus l'intention de fréquenter ?
L'interprétation la plus commune de cette histoire n’a pas beaucoup de sens.
Il y a d'autres incohérences au-delà du fait que les Loisel semblent s'infliger eux-mêmes la torture dont on est censé les considérer victimes.
La lecture qui voudrait que Mathilde soit vaniteuse et superficielle est fausse. C’est une femme qui veut aller à une soirée habillée correctement. Elle se plaint de ne pas pouvoir passer pour une femme aisée, elle veut une belle robe et un bijou. Mais elle n’est pas condescendante ou colérique avec son mari, elle exprime juste sa frustration. Elle n'a pas envie d'être identifiée comme pauvre parmi les riches.
Lorsqu’ils décident de remplacer le bijou, on constate que Loisel avait des économies conséquentes. S’il avait pris un peu plus au sérieux le désir de sa femme de s’habiller joliment, rien ne serait arrivé.
Elle ne demande pas une énième robe et un énième bijou qu’elle ne porterait qu’une seule fois, elle n’a réellement pas de robe et de bijou qui la mettraient au niveau des autres invitées.
Aussi, et c’est un élément étonnant, Mathilde est réellement belle. La Parure se veut une œuvre réaliste. Comment se fait-il alors que la soirée soit digne d’un conte de fée ?
« Le jour de la fête arriva. Mme Loisel eut un succès. Elle était plus jolie que toutes, élégante, gracieuse, souriante et folle de joie. Tous les hommes la regardaient, demandaient son nom, cherchaient à être présentés. Tous les attachés du cabinet voulaient valser avec elle. Le ministre la remarqua.
Elle dansait avec ivresse, avec emportement, grisée par le plaisir, ne pensant plus à rien, dans le triomphe de sa beauté, dans la gloire de son succès, dans une sorte de nuage de bonheur fait de tous ces hommages, de toutes ces admirations, de tous ces désirs éveillés, de cette victoire si complète et si douce au cœur des femmes. »
Mathilde obtient ce qu’elle veut. Elle est heureuse. Ce n’est pas une éternelle insatisfaite. Elle avait besoin de se sentir belle, bien présentée.
Mais aussi, elle est décrite comme « plus jolie que toutes, élégante, gracieuse, souriante et folle de joie. Tous les hommes la regardaient, demandaient son nom, cherchaient à être présentés etc... »
Elle rencontre un réel succès. Un texte réaliste lui aurait, plus probablement, infligé une vexation. Elle n’aurait pas été la plus belle. Elle n’aurait pas été si séduisante et pas auprès des hommes à qui elle voulait plaire. On lui aurait fait une remarque déplaisante. Peu importe, le déroulement féerique de la soirée va dans le sens de l'idée qu’une vie de richesse et d’abondance n’est qu’à une robe et un bijou de distance de Mathilde.
D’ailleurs, ne serait-ce pas la raison pour laquelle son Mari ne lui achète pas ? Parce qu’il sait qu’il perdrait son épouse aussitôt ?
L’introduction de l’histoire n’est pas anodine puisqu’elle nous la présente comme l’illustration d’une idée bien précise sur la condition féminine :
« C’était une de ces jolies et charmantes filles, nées, comme par une erreur du destin, dans une famille d’employés. Elle n’avait pas de dot, pas d’espérances, aucun moyen d’être connue, comprise, aimée, épousée par un homme riche et distingué ; et elle se laissa marier avec un petit commis du ministère de l’Instruction publique.
Elle fut simple, ne pouvant être parée, mais malheureuse comme une déclassée ; car les femmes n’ont point de caste ni de race, leur beauté, leur grâce et leur charme leur servant de naissance et de famille. Leur finesse native, leur instinct d’élégance, leur souplesse d’esprit sont leur seule hiérarchie, et font des filles du peuple les égales des plus grandes dames. »
Je ne sais pas si je suis d’accord avec ces propos mais ça n’a pas d’importance. Si l’on prend cette perception au sérieux, on en conclut que Mathilde fait partie de ces femmes dont la qualité exceptionnelle est indépendante de sa classe. Elle représente donc une rivale potentielle pour les femmes les plus riches et éduquées.
Lorsqu’elle se rend à cette soirée, suffisamment bien parée pour passer pour une femme de la haute société, rien ne peut en réalité la trahir. Elle a toutes les cartes en mains (selon le narrateur).
Et nous arrivons donc à une lecture de l’histoire moins unidimensionnelle, plus problématisée.
Le narrateur se trompe. Mathilde est une femme du peuple, de part sa naïveté ou sa morale.
Elle ne perd pas la rivière de diamants, on la lui vole. Et peut-être même est-ce celle qu’on lui a volé, qu’on lui revend quelques jours plus tard.
Jeanne, l’amie riche, est jalouse de la beauté de Mathilde. Si l’on parle de statut social, elle lui est infiniment supérieure. Mais si l’on prend en considération l’idée de l’introduction, on comprend que Jeanne pourrait être privée de la grâce féminine dont Mathilde déborde. Jeanne sait qu’elle n’est pas la reine du bal et elle redoute le jour où Mathilde la deviendra. Elle redoute le jour où le monde s’agenouillera devant son amie et que Mathilde obtiendra tout.
Alors, elle lui tend un piège. Elle la fait inviter à un bal, consciente que Mathilde n’aura rien à porter pour s’y rendre et qu’elle viendra fort probablement lui demander une robe ou un bijou.
Le sort veut que cela soit pour un bijou. Les possibilités sont nombreuses. Jeanne peut avoir acheté tout un tas de faux bijoux, ou savoir parfaitement vers lequel Mathilde se tournera. Voire, la rivière pourrait parfaitement être véritable mais ne pas coûter si cher. Peu importe.
Jeanne fait voler le pendentif à Mathilde. Cela peu paraître difficile à faire, mais la perte du bijou est très improbable. Une intervention extérieure qui provoquerait l’incident volontairement rend la chose plus probable. Si nous devons accepter que le bijou pouvait se détacher et tomber sans que Mathilde s’en aperçoive, il devient plus acceptable encore que quelqu’un l’ait furtivement détaché à un moment propice.
Un autre élément peu crédible de l’histoire est résolu par cette hypothèse : le fait que Jeanne ne s’aperçoive pas qu’on ne lui a pas rendu le même bijou ou, dans le même ordre d’idée, que Mathilde puisse trouver une rivière de diamant entièrement similaire à la sienne.
C’est bien simple : soit c’est la rivière de Jeanne qu’ils rachètent, soit Jeanne sait parfaitement qu’il s’agit d’un autre bijou mais joue le jeu puisque son but est de faire du mal à Mathilde.
Cette idée d’une manipulation expliquerait également pourquoi Jeanne disparaît de la vie de Mathilde sans jamais poser de question et n’entend jamais parler des déboires financiers de son « amie. » Jeanne s’amuse bien du malheur de Mathilde.
A la fin de l’histoire, nous apprenons que Jeanne a eu un enfant :
« Or, un dimanche, comme elle était allée faire un tour aux Champs-Élysées pour se délasser des besognes de la semaine, elle aperçut tout à coup une femme qui promenait un enfant. C’était Mme Forestier, toujours jeune, toujours belle, toujours séduisante. »
Mathilde n’a pas d’enfant, elle si belle et désirée lors de cette unique soirée, est devenu laide et n’a pas transmis ses gênes. Ce n’était pas nécessairement le but de Jeanne Forestier, mais c’est un élément symbolique fort.
Le charisme naturel de Mathilde la destinait au succès et si elle ne le réalisait pas, elle avait déjà des rivales autour d’elle qui s’en rendaient bien compte. Des femmes qui trimaient pour obtenir un statut, qui peut-être, s’étaient mariées avec un homme qu’elles détestaient par intérêt et qui voyaient bien que tôt ou tard, toutes les portes s’ouvriraient pour Mathilde Loisel.
Alors, on lui a tendu un piège. Plutôt que de la voir devenir une personne publique qu’on s’arracherait aux soirées, on s’est assuré qu’elle n’en verrait qu’une seule de soirée.
Et au final, l’agression s’est insinuée jusqu’au plus profond des enjeux en place : Mathilde n’a pas distribué ses gênes. Son charisme naturel ne sera pas reproduit.
Lorsque je disais qu’elle est bien une femme du peuple, c’est que l’histoire semble suggérer que la différence entre les personnes du peuple et les riches, c’est que les uns ont des valeurs et une intégrité et les autres trichent et mentent. Jeanne n’a pas de mérite, ni de talent, elle a juste fait ce qu’il fallait pour obtenir sa position. Alors que Mathilde pense qu’elle pourrait entrer dans ce monde de richesse parce qu’elle le « mérite », parce qu’on la reconnaîtrait digne et qu’on l’intégrerait. C’est cette naïveté qui fait d’elle une femme du peuple. Si l’histoire de la parure n’avait pas détruit sa vie, un autre malheur provoqué lui serait tombé dessus peu de temps après sans qu’elle l’identifie comme une manipulation. Pour grimper dans les échelons de la société, il faut comprendre qu’il y a toujours des pourritures pour faire le pire, que toute qualité se paye toujours et qu'aucune bonne action ne reste impunie longtemps.
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