Basic Instinct: Petite introduction (1300 mots)
Lien à l'article terminé depuis => Partie 1
Je n’ai jamais fait ça pour aucun de mes articles mais j’ai envie de parler de l’analyse en cours, ou plutôt des deux analyses en cours. Je bosse en ce moment sur Esther et Basic Instinct. Tous les deux suggérés. Pourquoi ai-je envie d’en parler avant même de publier les articles ?
En fait, c’est de Basic Instinct que j’ai envie de parler mais Esther s’invite à la fête.
Je me suis sérieusement plongé dans Esther le mois dernier, j’ai trouvé un angle d’analyse, tout va bien. Je comptais d’ailleurs publier l’article le mois dernier, puis ce mois-ci, mais les choses se sont compliquées et je viens de regarder Basic Instinct qui m’a totalement absorbé.
Les deux films ont un point commun qui me touche personnellement. Ils parlent tous les deux de manipulation psychologique et, en gros,
de Pervers narcissiques/Pervers manipulateurs/Psychopathes.
Je ne suis pas suffisamment expert pour bien faire la différence.
J’ai croisé pas mal de pervers manipulateurs dans ma vie et analyser ces films a quelque chose d’intense pour moi dans le fait de constater le consensus sur l’anormalité psychologique de ce type de personne. La manière dont on ne peut pas comprendre de quoi ils sont capables simplement en plaquant notre propre fonctionnement psychologie sur le leur. Ce fait les rend très dangereux car les gens ne peuvent pas aisément concevoir leurs manipulations.
Je viens de stopper Basic Instinct environ à 1h02m lorsque Nick est mis en congé pour troubles psychologiques. Il va voir son boss et leur échange… je ne sais pas… me fait froid dans le dos ?
Curran — C’est elle qui l’a tué.
Walker — Beth ? Maintenant tu voudrais que Beth soit une tueuse ?
Curran — Catherine Tramell, C’est un de ses jeux.
Walker — D’abord tu voudrais qu’elle ait volé ton dossier, maintenant elle tue Nilsen ? Prends des vacances, va faire un tour au soleil ! Sors-toi la de la tête !
Curran — T’y crois pas une seconde, n’est-ce pas ? Elle savait parfaitement que personne n’y croirait. Elle savait parfaitement que je l’accuserais et que personne n’y croirait.
Walker — Elle est en train de te rendre cinglé ! Ne t’approche plus d’elle.
J’ai déjà goûté à cette situation atroce. C’est-à-dire, devoir accuser quelqu’un de quelque chose d’absolument débile et inconcevable et sentir à quel point personne ne me croira parce que non seulement, l’accusation est difficile à prendre au sérieux, mais en plus, le coupable a préparé le terrain pour que je sois immédiatement discrédité. C’est très désagréable à vivre.
Il y a donc une chose que j’aimerais dire sur Basic Instinct en amont de la publication de mon analyse.
Déjà, c’est Catherine Tramell. Tout est Catherine Tramell dans cette histoire. Et plus il y a d’éléments qui incriminent quelqu’un d’autre, plus elle parvient à glisser entre les mailles du filet et à prouver qu’elle est innocente… plus c’est elle. J’ai envie de dire : ne cherchez pas. Ce qui est paradoxal et hilarant, une enquête qui se résout en abandonnant les preuves, la logique, en abandonnant l’enquête. C’est pourtant la vérité impitoyable.
Je ne m’attendais pas à ce que le film représente une description si rigoureuse des manipulations d’un pervers narcissique. J’en suis à plus de vingt pages d’analyse, je vais devoir faire une pause d’une semaine donc je me sens assez frustré, je ne pourrai pas finir l’article au rythme que je l’espérais, et je vais sans doute devoir réécrire tout parce que je l’ai commencé en pensant qu’il serait bien plus court et que les articles qui s’allongent indéfiniment sont illisibles.
Ce qui me fait écrire cet article introducteur, c’est ce sentiment étrange de toucher à quelque chose d’extrêmement sombre et complexe. C’est cette position dans laquelle se trouve Nick de dire « Elle est coupable et elle savait que j’allais dire ça et que personne ne me croirait ». Il y a une sorte de pattern temporel avec les pervers manipulateurs qui veut que chaque révélation arrive un temps en retard. Alors bizarrement, j’ai envie de dire les choses en avance. Avant de les expliquer, avant d’entrer dans le vif du sujet. Ne cherchez pas, c’est Catherine Tramell. Fiez vous à votre instinct le plus élémentaire. Les preuves sont sous son contrôle, elles la disculperont toujours.
Il y a une deuxième chose que j’aimerais dire sur les pervers manipulateurs, un préjugé que j’aimerais contredire, affaiblir, que j’aimerais voir disparaître. Les pervers manipulateurs ne sont pas (particulièrement) intelligents. Même Basic Instinct qui produit une description très correcte des dynamiques manipulatrices véhicule cette idée fausse. Beth le dit à la fin « Elle est maléfique, elle est brillante. » Et les critiques de cinéma se jettent sur le plaisir de le dire « ce film est intelligent ». Il y a toujours ce désir complaisant d’associer le mal à la distinction, à l’intelligence.
Le problème, c’est que cela crée une illusion qui aide les manipulateurs.
Je vais donner un exemple très simple.
Bill aime les échecs. Ses potes lui présentent un certain Roger qui devient un membre habituel du groupe d’ami. Petit copain d’une copine ce genre de chose, présent régulièrement aux soirées et sorties. Lors d’une soirée, Roger fait une partie d’échecs avec Bill et le bat. Bill digère mal cette défaite, lui pourtant si bon perdant en général.
Puis, dans un autre contexte, Roger le bat à nouveau. Puis, c'est le tour d'un autre pote, puis d'un autre et petit-à-petit, il se fait au sein du groupe la réputation d’être le meilleur joueur d’échecs. Alors qu’en plus, selon ses dires, il n’aime pas vraiment ça. Il ne propose jamais de partie, n’a jamais rien demandé et a même avoué à plusieurs des filles qu’il ne comprenait pas comment il avait gagné -quelle humilité- et qu’il trouvait les échecs « trop sérieux, un poil chiant ».
Penser qu’un pervers manipulateurs est intelligent, c’est comprendre que Roger est un tricheur tout en continuant à croire qu’il est le meilleur aux échecs. (Au passage, je ne veux pas dire une seule seconde que échecs = intelligence. Je prends juste un exemple d'activité compétitive.)
Son talent n’est pas de comprendre ce jeu et d’être meilleur que les autres, c’est de connaître une manière de détourner l’attention des joueurs pour déplacer les pièces de manière à ce qu’ils ne le remarquent pas mais également de se faire percevoir comme quelqu’un qui ne ferait jamais une telle chose parce qu’il n’en a strictement rien à faire de ce jeu, qu’il n’a rien demandé. Il se construit une image sociale, une persona, entièrement contraire à l’idée qu’on se ferait d’un tricheur. Et ça fonctionne… un certain temps. Inexorablement, il se fera prendre… sauf qu’il ne va pas jusque-là. Au premier indice que ça ne fonctionnera plus très longtemps, il se désiste. Il se moquait des échecs à la base, ça ne l’intéresse plus d’y jouer, surtout alors que Bill semble tellement prendre les choses au sérieux et mal digérer sa défaite. Il discrédite en amont celui qui se doute qu'il triche et il se sert de la propension énorme des gens à ne pas vouloir de tensions, de conflits et à fuir le moindre besoin de choisir un camp, ce qui favorise toujours le manipulateur. La personne qui subit le préjudice va vouloir qu'il paye, va vouloir que la vérité soit rétablie, mais cette vérité, le manipulateur s'est bien assuré qu'elle n'intéressera personne et sa défense consistera simplement à ne pas faire de vague et faire écho aux pensées et désir du groupe. "On s'en moque des échecs, oublions cette histoire. Je n'y jouerai plus et voilà." Il pourra même se permettre d'être bon prince, ce qui énervera encore plus la personne qui sait qu'il triche.
Toujours un temps d’avance, mais ça n’est pas de l’intelligence, c’est un décalage par rapport aux humains normaux. Une manière différente de se conduire et d’aborder les rapports humains qui repose entièrement sur l’abandon de toute honnêteté et la soumission intégrale à l’image sociale. La vie du pervers se situe au niveau du regard des autres, il n’est que l’illusion qu’il parvient à donner (à 95%). Sa substance ne se construit qu’à partir de celle des autres, qu’au dépend de celle des autres.
Être un bon joueur d’échec, c’est parvenir à faire croire à son entourage qu’il est un bon joueur d’échec, peu importe son niveau réel, il n’y a pas de réalité. Et s’il parvient si facilement à manipuler tout le monde, c’est grâce à un certain savoir faire oui, mais c’est surtout parce que personne ne s’imagine que quelqu’un puisse être aussi ridiculement, aussi pathologiquement, puéril et dénué de scrupule. C'est pour cette raison qu'associer les manipulations du pervers manipulateur à de l'intelligence c'est empêcher cette réalisation qu'on est face à un individu qui présente un grave retard de développement psychologique.
Tricher et mentir, ce n’est pas être intelligent ou plus intelligent que la moyenne, c’est contourner la difficulté, c'est se conduire comme un enfant qui ne comprend pas le sens et les conséquences de ses actes. Gagner une course en prenant des stéroïdes ce n’est pas être meilleur à la course, c’est contourner les règles, cela disqualifie la qualité que l’on prétend avoir. Tricher c'est immédiatement priver la compétition de son sens. Gagner en trichant comprend toujours énormément d'avantages mais la victoire perd immédiatement son sens profond, intime, gratifiant.
Bref, j’entrerai plus en profondeur dans les manipulations de Catherine Tramell dans Basic Instinct. Ce film est vraiment une très bonne description des ravages de la manipulation narcissique sur la vie de quelqu’un.