Esther: Introduction (1700 mots)
Cela fait une paire d’années que je veux analyser Orphan, Esther, que j’avais vu au cinéma à sa sortie (2009) et que j’avais beaucoup aimé.
Le problème c’est que j’ai toujours été stoppé par un certain nombre d’éléments énigmatiques qui ne se laissaient pas insérer dans une lecture alternative.
En général, l’idée d’une lecture alternative me vient facilement lorsque je remarque un détail qui me la suggère et la vérification n’est pas difficile, qu’elle confirme ou qu’elle infirme l’idée. Les choses restent assez bidimensionnelles, l’histoire se lit d’une manière ou d’une autre.
Exemple récent : Je suis allé voir Trap au cinéma. L’histoire d’un père qui emmène sa fille à un concert et se rend compte que le concert est en fait un piège tendu à un tueur en série dont la police sait qu’il doit justement se rendre à ce concert. Le père se révélera être l’assassin.
Bien, j’aurai besoin de revoir le film mais j’ai l’intuition très forte que ça n’est pas lui. Cette lecture ne sera pas difficile à faire. Si c’est lui l’assassin alors il y aura des incohérences dans tout ce qui semble prouver le contraire, et si je ne peux pas déconstruire tous ces éléments, alors il est fort probable que ça sera parce que ma lecture ne fonctionne pas. C'est soit l'un, soit l'autre.
///Pour ceux qui ont vu le film, je sais que ça peut paraître incroyable que Cooper ne soit pas l’assassin tant cela semble absolument évident et assumé. Mon idée est exprimée dans Seven il me semble, c’est-à-dire qu’il arrive que des personnes isolées, fragiles, déséquilibrées se dénoncent comme étant les coupables de crimes qu’elles n’ont pas commis. Je pense que Cooper est quelqu’un de très instable psychologiquement, qui a subi des sévices graves lorsqu'il était enfant et qui vit une double vie afin de parvenir à offrir une part équilibrée et normale de lui-même à sa famille. La tension psychique que provoque chez lui la présence de la police au concert réveille sa culpabilité, il fait une décompensation et se met à croire qu'il est l'assassin. Un coupable universel. => après relecture j'en suis encore plus convaincu. Ce film raconte le combat d'archetypes de l'inconscient collectif.///
Devant Esther, il est déjà difficile de mettre le doigt sur le centre de l’histoire. Il y a trop d’éléments secrets gravissimes qui pourraient être le centre caché.
Il y a évidemment, Esther qui est adulte mais se fait passer pour une enfant. On peut se demander ce que cet enfant adulte pourrait bien signifier au niveau métaphorique.
Il y a Kate qui a perdu un bébé. Kate qui a été alcoolique et ne parvient pas à faire le deuil de cet enfant mort né. Kate qui semble avoir de sérieux problèmes relationnels avec sa belle-mère. John, le mari qui l’a trompée il y a longtemps et qui pourrait bien le refaire. Maxine la fille sourde suite à un grave accident.
Il y a vraiment beaucoup de dynamiques "parasites" et cela rend difficile le fait de contredire l’interprétation la plus évidente de l’histoire qui a l’avantage d’être cohérente dans le sens où elle se déroule « comme ça. » On ne sait pas trop en quoi une histoire de tromperie avait besoin de pointer le bout de son nez mais il est indéniable que ces éléments viennent jouer leur rôle dans les tensions qui vont déchirer la famille et qu’Esther va utiliser.
Mais une lecture qui se voudrait plus profonde se doit de comprendre pourquoi cette histoire de tromperie joue réellement un rôle dans ce qu’il se passe. Idem pour la surdité de Maxine. On se dira que toute famille a ses tragédies, oui, mais le film ne peut pas les avoir sélectionnées à la roulette. Pourquoi ces tragédies précises pour la famille adoptive d’Esther ?
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Dans ce premier article, je voudrais seulement regarder de près l’introduction du film.
Kate fait un cauchemar en lien avec la perte de son bébé mort-né, Jessica.
Chose assez rare, le métrage commence sur une image entièrement blanche.
Difficile de ne pas y voir quelque chose de positif. La pureté, le paradis. Lorsqu’elle arrive à l’hôpital, Kate est sur un nuage.
Est-ce que cette apparition signifie que le couple John/Kate n'existe pas en dehors de ses grossesses ? Que, par exemple, Kate penserait que John n'est pas réellement amoureux d'elle et qu'elle a toujours cherché à le retenir à coup d'enfant ? Qu'elle savait qu'il l'a trompée à la base mais a fait semblant de l'ignorer pour éviter de se faire larguer ? J'ai faim.
Tout est parfait, elle est heureuse, épanouie, John est aux petits soins. Elle se réjouit d’annoncer à l’infirmière que c’est son troisième enfant et qu’ils vont l’appeler Jessica.
Lorsqu’ils entrent dans le bâtiment, la caméra se focalise sur Kate qui est toute souriante. John, quant à lui, semble un peu plus perturbé, il cherche quelque chose du regard autour d’eux.
Kate heureuse et insouciante. John soucieux, mal-à-l'aise. Je rappelle que c'est l'inconscient de Kate. C'est la manière dont elle ressent maintenant l'approche de son accouchement. John en retrait qui lui cache quelque chose, qui redoute qu'elle ne prenne conscience de son environnement, de sa situation (trompée).
Nous savons que le rêve va tourner au cauchemar, Kate va perdre son bébé et on peut facilement comprendre plusieurs des éléments d’horreur qui vont porter le sens de son traumatisme. Le sang qui coule de la chaise et tâche abondamment la moquette de l’hôpital, les instruments utilisés pour extraire le bébé mort, ces mêmes instruments ensanglantés.
Du sang sur l’uniforme du médecin. La sale d’opération transformée en sale de torture.
J'aimerais comprendre ce jeu de lumières qui battent régulièrement. Comme si Kate savaient qu'elle se cache quelque chose qui tentrait de remonter à la surface.
Plusieurs éléments inquiétants cependant, ne s’insèrent pas dans la reconstruction onirique de la tragédie que Kate a vécu. John prend le rôle du médecin et du père qui filme l’accouchement. Pourquoi cette multiplicité des rôles ? Il est insensible à sa douleur, il se conduit comme si rien d’horrible n’était en train de se passer. Même chose pour le médecin qui refuse d’anesthésier Kate avant de procéder à l’opération. John a forcément été dévasté par la perte de son bébé lui aussi mais Kate fantasme une indifférence. Elle devrait le voir à ses côtés, impuissant et malheureux.
On annonce d’abord à Kate que l’enfant est mort. Elle contredit l’atroce nouvelle. Puis c’est l’inverse qui se passe, on nie sa douleur et, alors que l’avortement a été effectué, on lui tend le bébé mort-vivant ensanglanté avec un sourire.
On pourrait considérer que Kate garde une certaine confusion de cette expérience, comme si elle ne parvenait pas à croire que son enfant était mort. Je ne suivrai pas cette voie interprétative cependant.
L’un des aspects de la scène qui empêche de la percevoir comme le simple cauchemar engendré par la perte de son bébé, c’est que tout semble infligé à Kate par son mari et l’infirmière. Elle est victime d’une agression. Il ne s’agit pas d’un drame dans lequel elle s’est sentie comprise et soutenue mais de quelque chose qu’on lui a infligé, et si l’on formule la chose plus littéralement, que son mari lui a infligé avec l’aide d’une autre femme. Il n’est pas difficile de voir quelle autre événement s’est lié à la tragique mort de son enfant : la tromperie de son mari.
Cette tromperie est très particulière car John l’a trahie dix ans plus tôt et le lui a caché pendant huit ans avant de le lui avouer.
John et Kate ont deux enfants qui ont une grande différence d’âge. Maxine doit avoir six ans maximum. Il est fort probable que Kate portait Jessica lorsqu’elle a appris que John l’avait trompée.
Les chocs psychologiques lors d’une grossesse ont un impact sur le fœtus. Apprendre que John l’a trompée a nécessairement profondément bouleversé Kate, surtout alors que l’image qu’elle a de lui au début du rêve est celle d’un homme parfait, inoffensif et attentionné. Elle s’est subitement trouvée en position de se dire que sa vie n’était qu’un mensonge, qu’il la lui avait volée, qu’il ne méritait pas les enfants qu’elle lui avait fait et celui qu’elle était en train de lui faire non plus. Elle aurait donc spontanément perdu Jessica parce qu’elle n’avait plus le désir de l’avoir. Elle garderait néanmoins le traumatisme de la perte en tant que mère.
Cependant, il y a une possibilité bien moins innocente. Lorsqu’on la voit laisser derrière elle un trait de sang, la vue du dessus met bien en avant ce « chemin de sang » qui peut également faire remonter à l’assassin. Kate observe qu’elle a du sang sur les mains.
Kate est une femme superbe et talentueuse. Le genre de femme superbe et talentueuse qui vit avec cette idée que puisqu'elle est virtuellement parfaite, alors tout devrait être parfait dans sa vie. Et puis un jour, elle se prend un retour de bâton et n'a pas les moyens de se remettre en question ou d'accepter une injustice sans immédiatement la faire payer le plus symboliquement possible au responsable. John n'a pas été à la hauteur alors il ne méritait pas la vie qu'il a obtenu d'elle. Il est temps de tout "déconstruire." Elle n'a pas à être responsable de ses actes, elle est parfaite.
Lorsqu’elle se réveille, elle se rend à la salle de bain.
Les miroirs du meuble lui renvoient une image fragmentée d’elle-même. Sa tête, son esprit, son individualité, ne sont plus liés à son ventre. Elle ne se sent plus une mère.
On comprend ce que cela signifie pour Jessica, mais qu'est-ce que ça signifie pour Maxine et Danny ? Et pour Esther ?
Kate inspecte son ventre et l’on peut voir la cicatrice de l’incision qui a servie à extraire le fœtus mort. Donc, l’accouchement du rêve n’a jamais existé. Kate n’est probablement jamais allée à l’hôpital en pensant accoucher d’un bébé sain. (Fait confirmé plus tard)
Cette cicatrice sépare également son ventre en deux, puis c’est l’ouverture du placard qui va effacer la moitié de son visage.
Dans sa tête nous trouvons des pilules.
Le geste de prendre un cachet est devenu assez anodin dans nos cultures, mais Kate est en train d’en prendre un simplement parce qu’elle a été réveillée par un cauchemar.
La caméra nous offre une vue qui suggère une présence menaçante derrière elle. Quelqu’un s’approche exactement comme dans un slasher du type Halloween.
Kate referme le placard et l’on s’attend à découvrir le visage de quelqu’un derrière le sien. Mais non, pas de frayeur.
Chose surprenante, le film rejoue plus tard cette scène, fait apparaître John et Kate sursaute. Un tel rituel ne peut absolument pas être souligné et altéré de la sorte sans que cela ait un sens.
Tout cela va dans le sens du meurtre. L’apparition de John fait sursauter Kate parce qu’elle a des considérations qu’elle dissimule. John lui fait peur comme s’il pouvait voir ce qu’elle pense en cet instant.
La première fois, c’est le fantôme du fœtus tué qui rôde.
Un enchaînement sympathique nous emmène chez sa psy sans changement de plan. La psy explique les cauchemars par le traumatisme mais Kate soulève justement l’idée que ce cauchemar n’a rien à voir avec la perte de son bébé. Une idée qui peut paraître incroyable mais qui est justement bien trop particulière pour avoir été insérée par hasard.
Ce n’est réellement pas le deuil de Jessica qui pose problème ici, mais alors de quoi est-il question ? Quel était le sujet de son rêve ? Pourquoi Kate se met-elle à parler de son alcoolisme factice dans lequel elle n’est même pas en train de replonger ?
Elle s’explique :
- Ah euh non, j’étais aux toilettes à la maison et je pensais que je pourrais aller au magasin m’acheter une bouteille de bordeaux et la boire d’une traite. Mais j’ai juste joué à Uncharted 3 à la place.
Kate redoute l’adoption parce qu’elle redoute de ne pas être à la hauteur. Elle a peur de ce qu’elle est capable de faire.
Elle a probablement tué Jessica à coup d’alcool et de médicaments. L'histoire de tromperie comme cause de son geste tragique.
Bien, voilà pour cette introduction.
Il me sera plus facile de m’attaquer au film après ça.