Esther : L'Adoption comme geste désespéré. P4. (1462 mots)

Résumé des parties précédentes (lecture facultative)

Partie 01 :

Problème des nombreuses dynamiques parasites. Comment trouver un centre à l’histoire qui lui donne une cohérence totale ? Le cauchemar de Kate ne peut pas simplement dépeindre le traumatisme de la perte du bébé. Il semble que la tromperie de John joue également un rôle. Allusion aux difficultés qu’elle rencontre à se sentir une mère. Kate semble avoir quelque chose à se reprocher et essaye de le suggérer à sa psy. Alcoolisme potentiellement factice.

Partie 02

La scène de la serre nous montre un échec de Kate qui ne parvient pas à agir comme une mère qui ferait tout pour sa fille. On dirait qu’elle cherche en partie à ce qu’Esther parvienne à tuer Maxine. Esther n’est pas le mal du film, les Colemans sont de mauvais parents, ils ne sont pas vaincus par le machiavélisme d’Esther, ils sont fautifs, ils ne sont pas à la hauteur. Kate n’échoue pas que dans la serre. Elle ne s’énerve pas quand Esther tente de tuer Danny en mettant le feu à sa cabane. Elle la gifle à l’hôpital devant témoins et se fait donc maîtriser et neutraliser, laissant à Esther toute la marge d’action possible. Cette faiblesse des comportements de Kate me fait me demander son degré de nocivité; à quel point elle manipule, à quel point elle contrôle l’histoire.

Partie 03

Exploration de l’incapacité de Kate a trouver son rôle de mère. Scène de comportements inappropriés vis-à-vis de Maxine. Puis constat que Danny se moque bien de sa relation avec elle. Hypothèse, Kate orpheline. Rapport au monde aliéné et désir de perfection et de prouver sa valeur, son droit à l’amour.

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Je parlais dans la précédente partie du fait que tout dans une œuvre de littérature peut être considéré comme une métaphore, par exemple la métaphore d’un ensemble plus grand, la métaphore d’un ensemble plus complexe. Ce qui compte c’est qu’il est toujours question de décrire une structure, une dynamique, une problématique.

L’introduction d’Esther, le cauchemar, le passage chez la psychiatre, la sortie d’école, le feu rouge grillé etc.… nous dépeignent les dernières étapes de la réflexion de Kate avant qu’elle ne se décide à adopter. Dans la vrai vie, les derniers jours avant une visite à un orphelinat ne reconstruisent pas la réflexion qui mène à l’adoption, c’est parce que nous sommes devant un texte que spontanément ces scènes devront porter ce sens.

Au-delà de nous décrire un chemin rhétorique, l’introduction problématise le propos du film. Il n’est pas uniquement question de savoir si Kate va adopter ou la manière dont les choses vont se passer, mais d’explorer les raisons pour lesquelles elle veut adopter ; les motivations, les désirs, les tensions, les vérités cachées que la situation de crise vont faire remonter à la surface.

On peut remarquer que la psy de Kate en a assez de l’entendre. Elle se crispe sur son crayon, balaye les problèmes que Kate soulève et conclut la séance par « Vous devez décider » autrement dit : « ce n’est plus de mon ressort. »

Elle ne comprend pas pourquoi sa patiente continue à venir la consulter. Pourtant, Kate est indéniablement dans la détresse. Elle tente de justifier son inquiétude en racontant qu’elle s’est trouvée proche d’acheter de l’alcool, sachant que c’est à cause d’un moment d’ivresse de sa mère que Maxine a eu un accident. Mais la psy ne mord pas à l’hameçon, elle ne se l’imagine pas rechuter, et Kate se sabote même en spécifiant que non seulement elle n’a acheté aucune bouteille mais qu’en plus, elle n’avait même pas l’intention de la boire. Quelle rechute spectaculaire pour une personne qui n’a même pas été alcoolique !

Elle explique à John qu’elle est enthousiaste, heureuse, mais qu’elle est également anxieuse et inquiète et que la dernière fois qu’elle s’est sentie ainsi, c’était juste avant de perdre Jessica.

Dans cette déclaration, il y a un aveux. Kate ne peut pas redouter de faire une fausse couche, de perdre son enfant, alors qu’elle adopte. Elle suggère qu’elle a une responsabilité dans la mort de Jessica, que celle-ci était le résultat de ses affects et que les choses pourraient également mal tourner avec l’enfant adopté pour les mêmes raisons. Elle est en train d’avouer qu’elle a tué son bébé.

On voit dans la réponse de John qu’il se responsabilise trop, il croit trop que tout tourne autour de lui parce qu’il veut bien faire. « Ne t’impose pas tout ça pour moi. » Il se désiste. Il veut juste être gentil. Il ne comprend pas que Kate peut avoir besoin d’autre chose que de générosité ou d’abnégation de sa part. Dans une scène précédente, il s’excuse d’être en retard alors qu’il ramène Danny de son entraînement de basket.

Kate lui répond que ça n’est pas pour lui qu’ils adoptent, qu’elle veut prendre l’amour qu’elle destinait à Jessica et le donner « à quelqu’un qui en a vraiment besoin. » On sent bien que cette idée est étrange.

Le problème dans cette déclaration c’est qu’elle ne prend pas en compte l’identité de la cible de son affection. Jessica n’aurait pas été la même petite fille qu’Esther. Kate n’aime pas Maxine et Danny de la même manière. Et à ce stade, on a déjà pu constater qu’elle ne parvient pas à aimer ses enfants « correctement. »

Une autre scène de cette introduction nous montre Kate manquer d’avoir un accident de voiture parce que son attention est attirée par la vue d’une femme enceinte. Elle manque encore de traumatiser/tuer Maxine.

Kate veut/a besoin d'avoir un autre enfant. L’adoption est la seule possibilité parce qu’elle est devenue stérile.

Mais la réalité, c’est que Kate a provoqué la perte de son bébé et que ce qui l’a poussée à un geste si atroce est toujours présent en elle. Elle redoute ce qu’elle serait capable de faire à un enfant si les choses ne se passent pas comme elle l’espère, s’il ne lui apporte pas ce qu’elle cherche.

Je n’y avais pas pensé avant la rédaction de cet article mais le film nous suggère en fait que Kate et John ne devraient pas adopter.

Lorsqu’elle parle du fait qu’elle se trouve dans le même état d’esprit qu’avant de perdre Jessica, Kate voudrait que John s’intéresse à la question. Elle veut qu’il comprenne, qu’il la fasse admettre son crime. Et non seulement ça, mais elle veut parler de ce qui ne va pas chez elle, ou dans leur couple. John échoue et l’adoption est ratifiée.

Je blaguai également, dans une partie précédente, sur la manière dont ils choisissent Esther pour des raisons assez laides. La « fillette » est hyper talentueuse, jolie, autonome. Elle est presque déjà adulte… (elle l’est déjà). Ils veulent un enfant qui n’a rien d’un enfant. Dans leur choix, on voit qu’ils ne veulent pas être parents, qu’ils ne veulent pas adopter. Ce sont des parents consommateurs, ils ont échoué dans leur rôle et voudraient bien une offre « enfant pré-éduqué » pour ne pas avoir à comprendre leurs erreurs.

Maxine et Danny ne sont pas des monstres du tout, mais on peut constater très souvent dans le film l’inadéquation des comportements de Kate et John vis-à-vis deux. Ces deux enfants vont mal. J’explorerai ce mal-être dans la prochaine partie je pense.

Toujours est-il que si, évidemment, John et Kate commettent une erreur en adoptant Esther, ils commettent également une erreur en adoptant. Les raisons qui les poussent à ce geste sont mauvaises. Kate ne veut pas d’enfant, elle veut donner à un double d’elle-même enfant, l’amour qu’elle n’a pas eu. Elle veut se récompenser pour ses efforts.

Ce qui aggrave la situation, c’est que ce désir est chez elle, très brutal et la pousse à des comportements impulsifs violents et morbides.

Lorsque Kate manque de provoquer un accident parce qu’elle est focalisée sur une femme enceinte qui passe, elle se tourne immédiatement vers la pauvre Maxine terrorisée pour lui demander si elle va bien.

Kate représente un danger pour ses enfants tant qu’elle ne trouve pas un équilibre, tant qu’elle ne parvient pas à satisfaire/soigner la pulsion qui la torture.

Elle a provoqué sa fausse couche mais en plus, elle ne boit probablement pas. Elle a perdu son travail à l'université parce que ses collègues ont compris que quelque chose de très laid se tramait de son côté. Et surtout, je commence à me dire que l’accident de Maxine n’en était pas un.

Suite à venir.