Basic Instinct: Catherine Tramell Perverse Manipulatrice. Partie 6. (2400 mots)
---------------------Interrogatoire------------------
Au commissariat, on propose encore à Catherine de prendre un avocat, Nick répond à sa place. Le comportement du policier n’a rien d’impoli ou de déplacé, Catherine s’est montrée agacée et dédaigneuse au point de ne pas répondre à la question lorsque Gus la lui a posée. Pourtant, elle va se montrer étonnée par l’initiative de Nick et lui demander : « Qu'est-ce qui vous a fait penser que je ne voudrais pas d'avocat ? » Comme s’il venait de mentir, ou qu’il le lui avait imposé auparavant dans la voiture, qu’elle n’était pas d’accord. Elle produit encore un comportement décalé sur lequel elle pourrait broder plus tard, pour faire du tort à Nick si besoin est.
Elle ment encore sous les yeux de Nick et Gus mais sur un détail. Elle ne voulait pas d'avocat, elle n'en voudra toujours pas. Mais elle déforme les faits, elle contrôle la perception des personnes autour. Il suffirait à Nick ou Gus de corriger les choses mais rectifier constamment les comportements du pervers narcissique demande un temps monstrueux et ne semble pas nécessaire. On sous-estime facilement la dangerosité de ces petits mensonges.
Elle valide son explication d’un « Je n’ai rien à cacher » qui ne peut que mettre en tête à ces hommes qu’elle pourrait se déshabiller sous leurs yeux la seconde suivante.
Elle fait ici de son absence de pudeur, de sa personnalité dépravée, la preuve de son innocence. C’est une problématique très intéressante et profonde, qui, encore une fois, décrit parfaitement le pervers narcissique.
L’un des mensonges fréquents du pervers sera de faire croire qu’il maîtrise tout, qu’il est satisfait de sa vie, qu’il est aussi populaire qu’il le désire, qu’il a tout ce qu’il veut etc etc etc.… cette posture de transparence satisfaite, entre autre, sert de protection. On soupçonnera toujours moins de manipulation une personne pour qui tout va bien, qu’une personne qui souffre, qui a des raisons de se sentir honteuse ou qui est frustrée.
C’est un élément qui pèse d'un poids considérable dans les règlements de compte avec les pervers narcissiques parce que lorsque les tensions remontent à la surface, la cible du pervers a été harcelée, humiliée et provoquée depuis des mois et elle en veut au pervers pour beaucoup de choses dont personne n’est au courant. Lui est probablement parvenu à injecter des préjugés contre elle, voire à la faire passer pour quelqu’un de [insérer n’importe quel trait de caractère négatif.]
Dans ces moments-là, la défense contre toute accusation de manipulation est tout d’abord « pourquoi j’aurais fait une chose pareille ? » et le fait de ne jamais s’être plaint de quoi que ce soit, de ne jamais avoir critiqué est un avantage énorme. Le fin du fin serait que tout le monde pense que le pervers apprécie particulièrement la personne qu’il veut détruire parce qu’il l’a avoué avec pudeur au mégaphone lors d’une assemblée générale en demandant qu’ils ne le répètent pas.
Et donc ici, le « I’ve nothing to hide » de Catherine et l’exhibition de son sexe ne sont pas juste une manière ridicule de détourner l’attention. Elle décrit sa personnalité profonde, elle veut qu’ils la voient comme une dépravée qui fait ce qui lui chante quand elle veut et dont les désirs sont évidents. Le meurtre au pic à glace, ça sonne comme le geste d’une personne frustrée, instable, qui se venge. Catherine ne fera que le répéter, « Johnny me donnait du plaisir. J’aime le plaisir. J’aime être touché. Avec des mains. Deux mains. Avec des doigts. Dix doigts. Et les bisous aussi. »
« Madame Tramell, vous avez quel âge ? »
L’échange sur l’interdiction de fumer donne également un sentiment d’immaturité adolescente, mais il décrit encore la manière dont Catherine joue avec tout. Elle montre qu’elle ne respecte aucune règle, qu’elle fait ce qu’elle veut, et elle montre aussi qu’elle obtient ce qu’elle veut, ça avec un geste complètement ridicule. Elle fume juste une cigarette.
Ils s’étendent sur sa sexualité, sans sortir du cadre de l’affaire, même si Catherine semble s’amuser comme une petite folle. Elle intègre Nick à ses remarques, comme s’ils se connaissaient, comme s’ils avaient déjà couché ensemble ou qu’ils allaient nécessairement le faire.
Idem, comportement de pervers narcissique, feindre l’intimité est gênant et glauque. Cependant, le pervers manipulateur homme ne fera pas ça à une femme (en public) parce que la dimension ultra malsaine sauterait aux yeux. Par contre, il peut le faire à d’autres hommes comme s’ils étaient des vieux potes, alors qu’ils viennent de se rencontrer.
"I don't make any rules Nick. I go with the flow." "Je ne suis pas de règle Nick. Je me laisse porter par le courant." Carpe Diem aussi pendant que tu y es.
La remarque de Catherine à Nick sur ses infidélités possibles pendant son mariage déclenche une réaction du lieutenant Walker. « Comment saviez-vous qu’il était marié ? »
La réponse de Catherine demande un certain degré de suspension d’incrédulité, comme beaucoup d’autres éléments en vérité.
« J’ai peut-être juste deviné. Quelle différence ça fait ? »
Sharon Stone n'est pas la meilleure actrice au monde mais elle offre vraiment beaucoup de moments sympathiques à son personnage.
Nick a trompé sa femme, peut-être même simplement parce qu’il était sous couverture (jeu de mot qui fonctionne en anglais également, undercover), et en prenant de la cocaïne. Catherine sait tout ça parce qu’elle a entendu ses entretiens avec Beth.
Je parle de suspension d’incrédulité parce que les flics sont quand même très coulants avec Catherine. Tout ça n’est pas très réaliste et est surtout mis-en-scène pour laisser au personnage de la manipulatrice l’espace d’être développé.
"I like hands and fingers." Le fait que les flics n'explosent pas de rire en entendant cette bêtise qu'elle pense troublante et osée est un peu difficile à avaler. Ils sont tous puceaux ? Ils n'ont jamais travaillé à la brigade des moeurs ?
En attendant, nous sommes face à un exemple de la manière dont le pervers narcissique s’en sort lorsqu’il rencontre un obstacle. « Quelle différence ça fait ? » demande-t-elle ? Elle ne répond pas à la question, les autres laissent passer et elle prend note qu’elle devrait peut-être se calmer sur les détails personnels sur la vie de Nick qu’elle continue néanmoins de provoquer. Cette fois en lui proposant une cigarette, jusqu’à ce qu’elle obtienne la question qu’elle désire faire surgir : « Est-ce que vous vous connaissez ? »
L’interrogatoire se termine sur sa conclusion à elle : Elle a couché avec Johnny Boz parce qu’elle écrivait un livre sur une rockstar et voulait des renseignements. Elle écrit maintenant un livre sur un enquêteur et n’arrête pas de lancer des remarques à Nick. Le message n’est pas difficile à comprendre, elle veut coucher avec lui.
"Je ne peux pas avoir fait ça parce que ça serait trop stupide." Défense clichée du pervers manipulateur qui reste en général non-dite justement parce que l'accusation est tellement stupide que peu de gens osent la prononcer, et s'ils le font, ça se retourne contre eux.
Elle conclut la scène d’un « Vous voulez me faire passer au détecteur de mensonge ? »
L’astuce, c’est que c’est elle qui propose. Elle vient de les embobiner avec ses histoires de sexe pendant une demi-heure et elle voit bien qu’ils n’ont aucune question sérieuse à lui poser. Ils ne pensent pas à Roxy. C’est le moment de passer au détecteur de mensonge et de dire « Je n’ai pas tué Johnny Boz. » sans qu'ils pensent à lui demander si elle sait qui a tué Johnny Boz.
Il y a en plus la possibilité qu’elle soit capable de bluffer la machine… surtout si elle a pris de la drogue. Qu’y a-t-il dans le filtre de sa cigarette ?
Je ne considère pas avoir le droit d’imaginer un élément aussi précis sans indice. Simplement, le fait qu’elle s’y connaisse en drogue, qu’elle choisisse le moment de passer au détecteur de mensonge alors qu’elle a imposé la cigarette 5 minutes avant est très suspect. Mais il me faudrait un autre élément qui indique qu’elle est sous l’influence d’une drogue qui relaxe.
Nick, en tout cas, soulève ce problème deux scènes plus loin : elle savait comment duper le détecteur de mensonge, c’est la raison pour laquelle elle a demandé à ce qu’on lui fasse faire le test. Il s’intéresse à d’autres questions très pertinentes mais l’affaire est classée pour son boss puisqu’elle a passé le détecteur.
Nick propose, sans se presser, de raccompagner Tramell. Il veut lui demander comment elle peut savoir tout ce qu’elle sait sur lui.
Comportement de pervers narcissique, elle esquive la question. Elle lui répond « Tu connais également beaucoup de choses sur moi » « Rien qui n’appartienne pas à l’enquête » « Tu sais que je ne porte pas de culotte, n’est-ce pas Nick ? » Et hop, elle s’enfuit.
Cette manière de changer de sujet paraît anodine à l’écran, mais dans la vraie vie, c’est une toute autre paire de manches. Ce n’est pas si fréquent que ça de côtoyer une personne qui ne veut pas parler d’un sujet et va juste le rendre inaccessible sans jamais le dire. Catherine fait une fausse équivalence, puis argumente d’une manière grotesque : « bien sûr que tu connais sur moi des choses qui n’appartiennent pas au dossier, tu sais que je ne porte pas de culotte. » Je pense qu’elle parle du fait qu’il l‘a vue se changer pas de l’épisode durant l’interrogatoire.
Dans les changements de sujets, il y a également la fausse colère, la fausse vexation, recadrer le problème en trouvant une manière de le rendre plus compliqué, inventer une contradiction, les larmes même parfois.
L’élément important ici, c’est que Catherine ne dit pas à Nick que tout ce qu’elle connaît sur lui, elle l’a trouvé dans des revues, dans des journaux. Elle n’a même pas besoin de mentir (en cachant qu’elle a accès à son dossier), elle éjecte le sujet.
Aussi, chose importante, ils parlent du détecteur de mensonge. Catherine dit que coupable, elle serait parvenue à le duper et sous-entend donc être innocente. Elle revient sur le sujet des touristes tués accidentellement et au fait que Nick s’est lui aussi déjà retrouvé à passer au détecteur de mensonge.
Elle lui lance : « Tu vois, nous sommes tous les deux innocents. »
Une phrase qui signifie l’inverse : « nous sommes tous les deux coupables. »
Elle pense que Nick a volontairement tué les deux touristes et cette phrase est une fois encore très alambiquée. Elle n’a pas tué Johnny Boz, mais elle suggère au policier qu’elle l’a fait pour qu’il continue son enquête sur elle. A partir de là, Nick va donc sembler obsédé par elle parce que bien plus que les autres, il sera convaincu de sa culpabilité.
Les pervers manipulateurs savent très bien dire les choses sans les dire, à un point assez impressionnant en vérité, et insupportable parce qu’il devient difficile de formuler des accusations contre eux.
« Quand il m’a demandé le sel, c’était pour me dire que mon T-shirt était ridicule. »
« Hein !?! Tu craques robert. »
Je pense qu’à la fin de cette scène, l’histoire atteint un moment important.
L’intrigue d’un film est nécessairement problématisée. Il ne s’agit pas seulement de nous raconter comment Catherine Tramell fait ce qu’elle veut de tout le monde et obtient tout ce qu’elle veut. Au contraire, elle se doit de rencontrer des obstacles, de la résistance, mais dans un scénario aussi étrange, il est difficile d’identifier ses échecs.
Je vois plusieurs choses et tout cela est très métaphorique.
Catherine veut coucher avec l’homme que Beth aime. Mais pas uniquement, ce n’est pas suffisamment humiliant et destructeur au niveau symbolique. Je rappelle que nous sommes face à une perverse narcissique, ce qui compte c’est la fiction, la narration, le sens perçu, pas la réalité.
Quelle histoire Catherine essaye-t-elle de construire ?
Ce que Catherine veut, c’est enfoncer Beth le plus profond qu’elle le peut.
Beth respecte Nick, elle l’aime, elle considère que c’est un homme bien et un bon flic.
Donc Catherine veut que Nick couche avec elle, mais en plus, au moment le plus dégradant. C’est-à-dire, lorsqu’il pense que c’est une criminelle cinglée. Quelle chute sans fond ! Cela après des mois de thérapie et d’effort, Nick retombe dans l’alcool, la cigarette, la drogue et se tape une femme qu’il considère une meurtrière qui assassine pendant l’acte sexuel.
Évidemment, nous sommes clairement dans les considérations les plus inconcevables possibles. Jamais une femme ne mettrait au point une manipulation si folle, simplement pour se venger de s’être faite briser le cœur par une amie de fac.
Mais c’est ça un pervers manipulateur. La motivation n’est jamais à la hauteur de la manipulation malveillante. Il n’y a pas de fin mot de l’histoire convaincant parce que le moteur se trouve dans l’esprit déséquilibré qui l’est avant le début des événements. Le pervers ne se dit pas que son comportement est justifié ou que le jeu en vaut la chandelle, il ne fait que se conduire en accord avec ses désirs et privé de considérations morales ou d’empathie.
« Pourquoi l’avez-vous tué ? »
« Il m’a pris ma place de parking… l’an dernier. »
Il y aura toujours un décalage parce que nous parlons de quelqu’un de dérangé.
Je dois maintenant aborder une hypothèse plus malsaine et moins commune.
Catherine a un objectif supplémentaire.
Elle cherche un élément symbolique qui prouverait la déchéance totale et profonde de Nick, le petit chien que Beth a tentée de sauver de toutes ses forces et dont elle est tombée amoureuse. Obtenir de coucher avec lui ? Check. Obtenir de le faire coucher avec une femme sur qui il enquête et qu’il considère une criminelle ? Check. Mais qu’est-ce qui pourrait bien montrer encore plus qu’il trouve Catherine Tramell la droguée dépravée tueuse irrésistible ? Qu’est-ce qui pourrait prouver qu’il est pourri jusqu’au plus profond de son âme ? Roulement de tambour.
Catherine cherche à ce que Nick la viole.
Le comportement que Nick a avec Beth, c’est Catherine qui lui a inspiré de A à Z et lorsqu’elle quitte la voiture de police en lui disant qu’elle n’a pas de culotte, enlève ses chaussures pour courir pied nue dans la pluie (Ils sont littéralement noyé sous son excitation sexuelle), telle le petit chaperon rouge qui ne se doute pas que le grand méchant loup va lui sauter dessus, toute cette comédie, c’est dans l’espoir que Nick la suive et se jette sur elle.
Pourquoi viol cependant ? Parce qu’elle ne l’a pas invité à entrer, à venir boire un verre. Elle lui dit « thanks for the ride » et le plante là.
Elle lui a fait du rentre-dedans toute la journée comme une tarée mais ne lui propose pas de passer à l’action au moment auquel on s’attendrait légitimement à ce qu’elle le fasse. Elle veut que Nick la poursuive et la prenne comme un animal.
Je ne pense pas une seconde que Nick la violerait. Mais ça n’est absolument pas ce qu’elle dirait le lendemain à la police et beaucoup seraient entièrement prêt à le croire.
Beth la première, vu comment elle perd ses repères dès que les choses la concernent personnellement.
Ainsi, Catherine aurait infligé à Beth la vengeance symbolique la plus parfaite. Transformer en démon, le petit ange que Beth veut sauver (Nick garde d’ailleurs dans le dos, les deux blessures de ses ailes arrachées après avoir couché avec Catherine). La priver de l’homme qu’elle aime, elle qui l’a quittée. Faire tomber Nick au plus profond du gouffre au bord duquel il balance.
Heureusement, Nick ne la suit pas. Il gagne le round mais on peut voir dans les scènes suivantes comment la perversion fait son travail.
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