Basic Instinct: Catherine Tramell Perverse Manipulatrice. Partie 8. (2200 mots)
---------------------Suivre la folle---------------------
La scène suivante commence sur une vue en plongée de la propriété de Catherine Tramell. Propriété gigantesque, surplombant la côte comme on l’a vu au début. Ferrari, piscine intérieure etc etc on a compris, Tramell, en plus d’être très belle, d’avoir deux diplômes universitaires et d’être une autrice populaire, est flinguée de tunes, a deux belles grosses voitures et peut barboter quand elle en a envie. Elle a également deux maisons il me semble.
Obsédés par l’image qu’ils renvoient d’eux-mêmes, les pervers manipulateurs parviennent souvent à se construire une vie impressionnante de succès, aidés par leur manque de scrupules, leur absence d’éthique, les mensonges, la séduction, la manipulation.
Il y a une différence profonde entre un écrivain qui oriente ses efforts vers l’écriture de « bons » livres et une personne qui veut juste écrire un livre et avoir du succès. La personne qui approche l’écriture comme un business parviendra bien plus facilement à rencontrer le succès. Une femme comme Tramell, belle, séductrice, provocatrice, il lui suffit de sortir un thriller politiquement incorrect de faire quelques conférences du type de son interrogatoire avec la police et elle fera tellement parler d’elle que son bouquin se vendra comme des p’tits pains. Est-ce que ça fera d’elle une écrivaine de qualité ? Absolument pas, mais ça, elle s’en contrefiche. Elle pourra arroser quelques journalistes pour avoir quelques critiques très positives.
Je ne veux pas dire que l’immoralité et le mensonge mènent nécessairement au succès, mais plutôt que ça passe ou ça casse. Par exemple, si Tramell a assassiné son prof à la fac, c’était probablement pour servir ses intérêts. Elle y a gagné quelque chose, métaphoriquement, elle y a gagné son diplôme, qui n'a donc aucune valeur véritable. Elle aurait également pu finir en prison pour meurtre. Mais non, la voilà libre et avec un diplôme de psy.
Donc, on croisera beaucoup de pervers narcissiques à la vie impressionnante parce que ceux qui échouent tombent très bas et qu’ils n’ont plus l’occasion de jouer les manipulateurs. (suicide, mort violente, prison, vie à la rue).
D’ailleurs, la scène de poursuite/filature suggère bien cette dynamique. Catherine roule comme une cinglée sur une route de montagne bordée par un précipice, extrêmement fréquentée par des pilotes professionnels prévenus de son passage. Nick manque de se tuer en cherchant à la suivre.
L'introduction de la filature et de la conduite dangereuse de Tramell n'implique absolument pas qu'elle ait remarqué qu'on la suit. Au contraire, le film nous fait plutôt ressentir qu'elle conduit comme une dingue par tempéremment et qu'elle est difficile à suivre.
Catherine a une voiture de sport puissante et très maniable, parfaite pour ce genre de conduite qui nécessite de la précision, cependant, le jour où elle se plantera, elle se plantera pour de bon. C’est une parfaite métaphore de sa psychologie. Elle a un avantage certain sur les autres, elle passe devant, elle contourne, elle a le dessus et c’est eux qui doivent faire attention à elle, alors qu’ils ne sont que des insectes gênants pour elle. Mais elle joue avec le feu et danse perpétuellement au bord du précipice. Le jour où le pervers narcissique fait un sérieux faux pas, c’est la fin. Et tant mieux.
Encore une fois, Nick va jusqu’à risquer sa vie. Il manque de percuter un camion/bus frontalement et pousse un hurlement. On voit que son sens du devoir, ou son plaisir à enquêter, le pousse à flirter avec la mort.
Il aurait pu amener le conducteur du bus à tourner dans le ravin. Encore du sang pour les mains du policier. On comprend comment son comportement a pu coûter la vie à deux touristes.
Catherine se rend chez Hazel Dobkins et il semblerait qu’elle pense avoir semé Nick, elle sera honnêtement étonnée lorsqu’il va lui parler de Hazel le lendemain.
C'est vraiment le genre du pervers narcissique de ne pas s'imaginer que les gens peuvent réfléchir. Tramell se dira qu'elle a été tellement convaincante que l'enquête a déjà été abandonnée (c'est presque le cas) et elle ne pensera pas qu'une Ferrari noire c'est assez repérable.
Enfin, elle se déshabille encore devant lui à la fin de la journée.
Il l’observe de la cours et regarde autour de lui, inquiet, il s’est fait avoir une seconde fois. Y a-t-il une caméra ? Est-ce que ça va encore lui retomber dessus ?
Ou bien, au contraire, a-t-il réussi à surprendre Tramell ? Elle penserait l’avoir sérieusement semé et ne se douterait pas de sa présence. Ou alors, n’aurait-elle même pas remarqué qu’il la suivait ?
Dans ce genre de scène en général, le criminel recherche le contact avec son poursuivant. Un regard dans le rétroviseur, un signe de la main moqueur.
Il est très envisageable que Tramell ne regarde jamais dans son rétro central, ça lui correspond bien, surtout alors qu’elle conduit dangereusement, elle n’a pas vraiment le temps d’observer ce qu’il se passe derrière.
Je pense que Catherine n'est pas consciente de la présence de Nick et que la scène montre justement sa réussite: Il n'a plus confiance en sa capacité à échapper à son regard. Il se débat avec l'idée de son omniscience, l'idée qu'elle peut tout prévoir et tout deviner. Typiquement le genre de sentiment que le pervers narcissique veut instaurer, il veut paralyser sa cible.
---------------------Une Visite--------------------
Nick passe le cap de lui rendre visite seul. Il mène toujours l’enquête mais leur échange devient personnel.
Ce n’est pas anodin cependant que son patron lui ait demandé de garder un œil sur elle, le scénario tient à ce que la relation qui se développe entre Catherine et Nick fasse partie de l’enquête. On peut se dire que Nick est motivé par une curiosité personnelle, il ne passe cependant pas le cap d’aller la voir de manière réellement privée.
Dans cette scène on peut voir Catherine dans l’adversité, tout ne se passe pas comme prévu. Je parle depuis le début comme si les pervers narcissiques étaient des manipulateurs tout puissants et invincibles mais ça n’est pas le cas. C’est assez paradoxal en fait, et c’est pour cette raison que je souligne régulièrement qu’ils ne sont pas particulièrement intelligents, c’est qu’une fois qu’on comprend leur petit jeu, leur relative nullité éclate au grand jour. Exactement comme un tricheur une fois que l’on a compris qu’il trichait tout le temps.
Nick va voir Catherine qui l’aperçoit rapidement et lui ouvre la porte avec enthousiasme quand il regarde dans la mauvaise direction. Elle le surprend encore.
J'aimerais avoir une belle interprétation en lien avec ces apparitions de Catherine mais je n'ai rien de bien précis. On pourrait y voir un commentaire sur sa personnalité fragmentée et la manière dont elle n'existe qu'en présence des autres et n'est donc en fait qu'un décors, dont elle se distingue uniquement lorsqu'on l'invoque, tel un être magique, en frappant à sa porte. Mais... mais en fait, ça fonctionne. Parce que les apparitions de Catherine deviennent de plus en plus humaines à mesure que le film avance et qu'elle prend en substance. A la fin, elle parvient à faire le déplacement jusque chez Nick. Dans leur dernière rencontre, elle est même directement chez lui.
Ici, je ne peux pas l’affirmer mais je pense que Catherine perçoit la venue de Nick comme une victoire. Elle croit justement qu’il vient parce qu’elle est parvenue à le hameçonner. Je dois donc admettre que je pense qu’elle ne l’a pas repéré quant il la suivait la veille, aussi incroyable que cela puisse paraître. Le genre d’erreur que peut commettre une personne qui se croit irrésistible, invincible et pense qu’elle tire les ficelles. Elle est convaincue qu’elle a dupé la police entièrement et est déjà passée à autre chose. (Ou qu’elle est parvenue à le semer).
Ainsi, lorsqu’elle voit Nick à sa porte, elle pense qu’il est là parce qu’elle lui plaît. Il y a donc encore moyen de l’attirer dans un lit et d’humilier Beth. L’idée de la transgression ultime, le viol, est abandonnée, il sera donc question d’avilir Nick.
Petits comportements pervers à noter : Nick refuse le verre de whisky que Catherine lui propose, elle le lui prépare quand même.
Tu veux que je te serve un verre contre ton gré ? Alors que les flics ne sont pas censés boire en service ? Tu es en service ou pas là, Nick ?
Elle s’empresse de sortir un bloc de glace du congélateur et de l’attaquer au pic à glace. Évidemment, cela ne fait pas d’elle l’assassin mais dans le contexte c’est de la provocation. C’est comme si elle voulait lui suggérer qu’elle est l’assassin. C’est un comportement que personne n’aurait dans sa situation, pas avec cette confiance, pas avec cette nonchalance. Une personne normale aurait un instant de gêne ou d’hésitation. Catherine Tramell se jette sur le bloc de glace comme si cela représentait un indice du fait qu’elle est l’assassin.
Les pervers narcissiques produisent régulièrement ce genre de comportements tellement décalés qu’on va les identifier comme un humour « pince sans rire » parce qu’il est difficile d’imaginer leur raison d’être.
Catherine continue son petit jeu de provocation/séduction mais va cependant déchanter lorsque Nick lui parle de Hazel Dobkins et du professeur Goldstin.
En entendant le nom de Goldstin, elle s’arrête, sourit, se retourne et lance « There’s a name from the past. » Elle sait très bien qu’il s’agit du nom de son « counselor » et qu’il a été assassiné au pic à glace. Oups.
Elle sourit et se retourne pour répondre. Elle dissimule sa réaction afin qu'il ne puisse voir son désarroi.
Nick maintient la pression et ajoute « tu veux un nom du présent ? Que penses-tu d’Hazel Dobkins » ?
Au travers de ces répliques, il lui fait bien comprendre qu’il la pense coupable et qu’il ne la lâchera pas. Le nom de Goldstin signifie que l’enquête a continué même après l’interrogatoire de Tramell, celui de Dobkins signifie qu’ils l’ont suivie lorsqu’elle a rendu visite à son amie la veille. Deux belles gifles.
Catherine s’empresse de rafistoler sa position en expliquant qu’elle avait tout oublié de Goldstin mais que c’est peut-être son assassinat qui lui a donné l’idée du meurtre au pic à glace lorsqu’elle écrivait son roman. Comme si elle avait pu oublier une pareille histoire. Elle se défile d’un « C’est drôle comme notre inconscient peut fonctionner. »
Puisque les hostilités sont lancées, elle revient sur les pulsions meurtrières et rappelle à Nick son crime d’un « Shooter. »
Il y a quelque chose de particulier avec ce surnom qui est vraiment très proche de « Shoot her ». (« tue-là. ») Quand on regarde l’histoire de Nick, ce « tue-là » est lourd de sens. Déjà, il va finir par effectivement tuer Beth d’un tir de pistolet (tirer= to shoot). Ensuite, c’est le meilleur conseil qu’on pourrait lui donner vis-à-vis de Catherine. Et enfin, Nick a l’air prisonnier d’une spirale d’autodestruction à cause du suicide de sa femme. Représenter le deuil comme le meurtre de la personne déjà morte est un pattern récurrent dans le cinéma, je ne sais pas pourquoi. Mais cette idée est présente dans Basic Instinct. Nick culpabilise probablement à cause de l’histoire des touristes mais peut-être plus encore pour le suicide de sa femme. Catherine ne se trompe pas, la mission sous couverture, la drogue, la bavure, la tromperie probable, tout cela est venu à bout de l’épouse de Nick.
Ce qui m’échappe ici, c’est que Nick semble réellement attiré par Catherine. Il est convaincu qu’elle est coupable, il la déteste et veut la mettre derrière les barreaux, mais il me semble indéniable qu’il est attiré par elle. Je sais que l’attirance sexuelle peut être très contradictoire, ou plutôt, qu’elle peut être provoquée par des sentiments négatifs mais dans le cas de Nick, j’ai un peu de mal à le comprendre.
Je pense que sa disponibilité et le fait qu’il l’ait déjà vu nue jouent déjà un sacré rôle. Bien sûr, Sharon Stone est très belle mais ça ne suffit pas dans une situation aussi dangereuse et malsaine.
L’attirance sexuelle peut également être un mécanisme de défense mais je ne pense pas que cela soit le cas ici.
L'introduction du film annonce l'acte sexuel comme un jeu dangereux dans lequel on peut voir les personnalités se fragmenter. C'est d'ailleurs pourquoi notre culture malsaine prétend que le sexe n'est qu'un jeu innocent, pour que les gens se détruisent en ne prenant pas garde à ce qu'ils font.
La meilleure explication que je trouve est que Nick a réellement tué les touristes volontairement, sous l’emprise de la drogue et après des mois d’usure et de descente aux enfers dans une mission sous couverture atroce, mais volontairement (Comme s'il n'avait pas ralenti devant le bus et laissé le conducteur sortir de la route). Il s’en veut, il culpabilise, il est déglingué, mais à l’instant auquel s’est arrivé, il était juste à cran, à la poursuite d’un criminel, les touristes se sont mis sur son chemin et il a pété les plombs. La pulsion meurtrière dont parle Catherine Tramell est adaptée à la situation. Nick redoute le livre de Tramell sérieusement car elle pourrait lui faire énormément de tort en racontant ces histoires.
Et donc, l’attirance sexuelle de Nick pour Catherine serait de l’ordre du désir de soumission. Je ne sais pas exactement comment dire, mais lorsqu’une personne en rabaisse une autre aussi violemment, aussi intimement, la sexualité devient une manière de prouver sa valeur. Nick veut lui montrer qu’il peut la faire grimper au rideau en quelque sorte. Même contre son gré d’ailleurs, ce qui n’existe pas vraiment dans la situation puisque Catherine est toujours en train de l’allumer.
Il y a également une dimension paradoxale qui veut que ça soit Nick qui se soumette dans cet acte au contraire, puisque le livre est une menace perpétuelle et que Catherine lui a bien montré ce qu’elle attendait de lui. S’il couche avec elle, elle a gagné. On constate d’ailleurs cette rivalité lorsqu’ils couchent ensemble, lequel obtient de l’autre ce qu’il veut, lequel a le dessus ? Est-ce que donner du plaisir à l’autre c’est se soumettre à lui ou prendre son contrôle ?
Il y a aussi le fait que si Nick repousse Tramell genre "Mais recule pét***e", l'affaire est classée. Elle a déjà échappé à la police, à la seconde où elle n'est plus intéressé par leur petit jeu, il ne peut plus la coincer.
Il y a une dimension très… particulière dans le fait que Catherine rappelle perpétuellement à Nick qu’il est coupable du meurtre des deux touristes. Beth perçoit l’histoire comme un accident (et elle a raison), mais Nick se considère également coupable puisqu’au moment où c’est arrivé, il était sous l’emprise de la drogue et n’en avait rien à faire de tuer ces deux personnes. Il est innocent et coupable à la fois et nécessairement, il sera attiré par une personne qui veut le faire remonter à la surface et lui dit qu’il est innocent, mais sera également attiré par une personne qui lui dit qu’il est coupable et qu’on s’en fiche, que ça n’a pas d’importance.
Là où le jeu s’arrête, c’est lorsque Catherine le tient pour responsable de la mort de sa femme. Et peut-être est-ce là que commence la réelle culpabilité de Nick. Peut-être considère-t-il ses crimes comme une part de son job, que les choses se sont mal passées mais qu’il ne s’en sent pas responsable, ce qui est probablement vrai.
Bref, cette visite chez Catherine montre bien comment les choses sont emmêlées. Nick est attiré par elle mais clairement il résiste, il ramène perpétuellement l’affaire dans la discussion. Il continue son boulot de flic, c’est très important, c’est une réelle forme de résistance car Catherine lui fait du chantage.
« Tu couches avec moi et je te lâche la grappe. »
« Je sais que tu es coupable et je ne te laisserai pas t’en tirer. »
« Alors j’écrirai le livre et te ferai tomber. »
Assez étrangement, Roxy se pointe encore à ce moment-là. Elle observait probablement la scène et intervient pour y mettre fin, pour marquer son territoire. Il ne vient toujours pas à l’esprit de Nick que la tueuse pourrait être la maîtresse jalouse.
Catherine punit le comportement de Nick. Comme je le disais, elle a cru qu'il venait parce qu'elle lui plaisait et il lui a bien montré que l'enquête restait sa priorité. Elle se venge donc comme une teigne narcissique "Ah tu n'es pas intéressé par mon c** ? Alors je vais me donner à quelqu'un d'autre pour t'énerver ! La la lère !"